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Full text of "La Vie de M. Henri-Marie Boudon, grand archidiacre d'Evreux"

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'^yH^^.rsire  Ji^nry  ^Aian€  cSmidm, 

d'Ci^reuJc ,Mi^tf\'^par  sa  jt^Uti.se^  Ccnùf ,  c^^ 
sofi  alyanJvii  a.  )a    (Divine    '^^/ roviilenc^.^^ 

JZ)t:<-J^;  U   3i.  ..Aau^f  1/02.  Ltje.Je/y  an.y  . 


L  A    V  I  E 

DE  M.   HENRI  -  MARIE 

BOUDON, 

GRAND    ARCHIDIACRE 

D'E  V  R  E  U  X> 

Par  M,  COLLET,  Prêtre  de  la  Mïjfion  ; 
&  Docteur  en  Théologie, 

NOUVELLE    ÉDITION 
Dédiée  à  la  Reine4 


%p 


A     PARIS, 

Chez  Jean -Thomas  Hérissant; 

Libraire  ,  rue  S.  Jacques ,  à  S.  Paul 

&  à  S.  Hilaire. 


M.  DCC.   LXII. 

Avec  Approbations  &  Privilège  du  Roi 9 


,Ç>P 


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^ 


■  hlVc 


^?5T?â??5T>r:i<  i>a^  i>Q^?5?èf. 


LA  REINE. 


m:^jd^2^jE1  , 


J'a  I  eu  f  honneur  de  dédier  au  Roi  ,* 
Votre  Augujlc  Père ,  la  Vie  d'un  Prêtre  à 
qui  l'Eglife  ,  aux  inflances  de  toute  V Eu- 
rope ,  a  érige  des  Autels.  Vai  Vhonneur  de 
dédier  aujourd'hui  à  VoTRE  MAJESTE* 
la  Vie  d'un  Archidiacre  ^  que  la  voix  de 
tous  ceux  qui  aiment  la  vertu  ^  a  depuis 
long'tems  canonifé,  Ileji  vrai  que  le  tableau 
qu  offre  tHiftoire  du  premier  a  quelque 
chofe  déplus  f  râpant.  Un  homme  ,  qui  tire^ 
comme  U  jeune  David ,  dufein  de  lapouf^^ 


\v  E  P  î  T  R  E 

fiere  <f  devient  &  modèle  &  proteciciir  da 
Clergé  £un   vafle  Royaume  ;    qui  ejfuyc 
les  larmes  de  trois  grandes  Provinces  ,    où 
Az  faim  &  la  mort  retracoient  toutes    les 
horreurs  du  dernier  Jiége  de  Jérufalem  ;  qui 
enveloppe  fous   Us  ailes  de  fon  imnunfe 
charité  tenfant  expofc  ,  le  vieillard  décré- 
pit 5  le  captif  de  Barbarie  ,   tinfulairt  de 
Maddgafcar  ,  le  Maronite  du  Liban  ;  qui 
''  préfidc  avec  Ma^^arin  au  Confeil  des  Rois  , 
&  n  y  parle  que  le  langage   de  la  Jincérité 
Chrétienne  ;  qui  par  la  plus  profonde  hu- 
milité  fcait  perfuadcr  aux  efprits  Us  plus 
médiocres  ,  quils  font  beaucoup  au  -  deffus 
de  lui^  tandis  qu'au  jugement  de  Villuflre 
de  Lamo  gnon  ,   les  plus  beaux  génies  dt 
fonfiécle  ne  Vont  jamais  trouvé  au- de ff ou  s 
dieux.  Unhommefrapé  àdis  traits  fi  grands 
charme  Idmi  du  bien  ,  étonne  t  indifférent , 
déconcerte  t  ennemi  ,  &  le  réduit  à  cher- , 
'^°^^[  *   cher  à  grands  frais  r  iniquité  dans  la  mai- 
fon  du  jujle.   Mais  quoique  la  Vie  de  M, 
Boudon  ne  préfente  pas  des  traits  fi  grands  , 
Votre  Majesté   appercevra  du  pre- 
mier coup  dœil^  qiiil  a  réurii  toutes  les  ver- 
tus qui  en  font  le  germe;  &  qu'il  ne  lui  a 
manqué  que  U  pouvoir  ^  ou  l  occafion  de. 
les  faite  éclater.  Elle  trouvera-  dans  le  même 
homme  une  charité  qui  ri  a  de  bornes  que 
celles  de  la  plus  rigoureufe  impulffance  ;  un 
^éle  ardent  pour  les  intérêts  de  Dieu  &  de 


DÉDICATOIRE.        v 

fon  Eglife  ,  mais  un  ^Ih  toujours  tempéré 
parla  douceur  &  par  La  prudence  ;  h  rare, 
talent  defoulagcr  ces  âmes  fourrantes  ,  que 
Dieu  conduit  à  lui  par  les  plus  pénibles 
fentiers  ;  une  confiance Jï parfaite  en  la  Pro- 
yidence ,  que  ,  quoique  dénué  de  tout  ,  le 
lendemain  ne  lui  donna  jamais  la  plus  lé- 
gère inquiétude  ;  un  détachement  fi  abfolu 
de  toutes  les  créatures  ,  que  Dieu  feul  ,  & 
tres-feul^  fut  toujours  le  centre  &  le  terme 
de  fon  c(£ur  ^  de  fes  penfées  5  defes  entre- 
prifes. 

Mais  ,fofe  le  dire  ,  MADAME  5  quel- 
que accoutumée  que  Vousfoye^  aux  plus  fu- 
blïmes  vertus  ^  vous  ne  pourre^  voir  fans 
une  forte  d'émotion  5  je  ne  dis  pas  la  pa- 
tience invincible  ,  je  dis  la  joie  ,  les  trans- 
ports avec  lesquels  ce  faint  Prêtre  fouffrit 
une  des  plus  violentes  perf éditions  quon 
puiffe  imaginer  :  perfécut ion  qui  ,  quoique 
fuf citée  contre  fa  foi  ^  fut  fi  foupUment  mé- 
nagée 5  qu  elle  parut  ne  F  attaquer  que  pour 
les  mœurs.  Les  Etats  les  plus  brillans  ont^czW,-^^ 
leurs  crox.  Le  joug  pefant  qui  accable  les  '*•  S* 
tnfans  dH Adam  ,  ri  épargne  pas  plus  les 
Rois  ,  quil  n  épargne  les  derniers  de  leurs 
Sujets.  (Quelle  confolation pour  C Eglife^  de 
préftnter  en  tout  tems  des  modèles  dune, 
parfaite  foumifjion  aux  ordres  les  plus  Jé^ 
y  ères  du  premier  des  Maîtres  !  Qjiel  plaifir 
^our  une  Reine  ,  qui  toute  occupée  de  la 


Yj    ÉPÎTRE  DÉDICATOIRE 

grandeur  de  Dieu ,  gémit ,  comme  Eflher  J 
âi  poids  de  lajîenne  ,  de  voir  dans  ce  der^ 
nier  âge  du  monde  ,  un  homme  plus  content 
d*âtrele  rebut  &  V opprobre  d'un  Peuple  qui 
Vavoitjifouvent  admire  ,  ajiil  ne  tétoit  en 
fe  rappdlant  que  les  trois  plus  grandes  Prln- 
cejfes  du  monde  avoient  verfé  des  fleurs  fur 
fon  berceau,    jToTRE  MAJESTE  ri! aura 
pas  befoiji  de  cette  dernière  grâce  qui  fait 
vaincre  la   calomnie  par  la  patience.  Le 
monde  ^  tout  monde  qiiil  e/?  ,  a  rendu  un 
hommage  confiant  ,  &  aux  vertus  dont  le 
Cld  vous  a  comblée  des  t enfance  ^  &  à  la 
manicre  dont  vous  avcifcu  les  transmettre 
à  Votre  Augufie  Famille.  Puiffiei^-Vous  , 
comme  les  anciens  Amis  de  Dieu  ,  les  y 
voir  régner  jufqu  à  la  quatrième  génération^ 
Cefl  V unique  voeu  que  puiffe  former  un  Mi- 
nifire  de  J,  C,  Et  cefi  le f cul  qu'adoptera 
une  Princcffe  qui  fcait  que  le  monde  p^Jfc 
avec  fa  gloire  &  fes  plaifirs  ;  mais  que  la 
vertu  fubfifte  éternellement. 

Je  fuis  avec  un  très-profond  refpecî , 

MADAME, 

DE    VOTRE    MAJESTÉ, 

Le  très  -  humble  ,  très  -  obéi/fanr  ; 
très-iidélc  Serviteur  &  Sujet  » 
Pierre  Collet. 


*^  *.**  «♦*  »*4  *•*  »•*  «%  «^*  *•*  «•♦  **f  7** 

PRÉFACE. 

J'Etois  encore  jeune  ,  lorsque 
j'entendis  parler  pour  la  première 
fois  des  vertus  de  M.  Boudon.  Ce 
qu'un  vertueux  Prêtre  ""  racontoit 
deréminence  &  de  la  continuité  de 
Toraifon  du  grand  Archidiacre  d'E- 
vreux^nem'eft  jamais  échappé  de 
l'esprit:  mais  je  n'aiirois  pas  cru  que 
la  Providence  m'eût  deftmé  à  écrire 
fon  Hiftoire  ;  ôc  je  ne  penfois  à  rien 
moins ,  quand  un  Prélat ,  plus  res- 
pedable  encore  par  lés  vertus  que 
par  fa  naiffance  ,  a  cru  trouver  y 
dans  un  de  mes  foibles  Ouvrages , 
des  raifons  de  m/engager  à  celui-ci. 
Quelque  déterminé  que  je  fuffe  à 
ne  courir  jamais  la  même  carrière  ; 
une  feule  Lettre  m'a  mis  hors  de 
combat.  Enchaîné  ^  féduit  en  quel- 
que  forte  par  ces  manières  char- 
mantes, qui  femblent  fermer  toute 

*  M.  Jofeph  Grandet ,  Cuié  de  faintc  Crois 
d'Angers  ,  qui  mériceroic  lui-même  que  fa  vie 
fût  écrire. 

âiv 


Viij  PREFACE. 

avenue  à  la  réflexion  ;  je  n'ai  penfé 
aux  motifs  qui  pouvoient  m'excu- 
fer,  qu'après  avoir  donné  ma  pa- 
role. 

Le  public  y  perdra  en  plus  d'un 
fens  ;  mais  fespere  qu  il  y  perdra 
peu  du  coté  de  Texaftitude.  J'ai  lu 
avec  attention  tout  ce  qui  pouvoit 
nie  fournir  les  lumières  dont  j'avois 
befoin.  Les  Ouvrages  de  M.  Bou- 
don  ne  m'ont  pas  été  inutiles.  J'ai 
profité  de  fes  Lettres,  mais  je  dois 
infiniment  plus  aux  trois  Hifloriens, 
qui  avoient  déjà  ébauché  la  vie  de 
ce  grand  Serviteur  de  Dieu. 

Le  premier  eft  M.  Nicolas  Cour- 
tin,  Prêtre  de  la  Communauté  de 
Saint  Nicolas  du  Chardonnet.  Son 
manuscrit,  dont  je  n'ai  pu  avoir  de 
meilleure  copie  ,  eft  extrêmement 
imparfait  dans  celle  qu'on  m'a  prê- 
tée ;  cependant  j'y  ai  trouvé  des 
faits  qui  ne  font  pas  ailleurs. 

Le  fécond  Ouvrage  ,  qui  efl  un 
peu  plus  étendu  ,  a  pour  Auteur 
un  Prêtre  du  Séminaire  des  MiiTions 
étrangères.  Il  m'a  fourni  des  anec- 
dotes importantes;  ôc  quoiqu'il  ne 
foit  peut-être  pas  exempt  de  fautes , 
fur  le  point  même  où  il  intérelTe 


P  Pc  E'  FAC  E.  ix 

davantage,  je  n'en  ai  point  trouvé 
qui  répandit  plus  de  jour  fur  l'éta- 
bliiTement  de  cette  fameuie  xNiaifon  , 
qui  donne  à  toutes  les  parties  du 
monde  tant  d'Ouvriers  Apoftoli- 
ques. 

Le  troifiéme  ,  qui  fans  contredit 
l'emporte  de  beaucoup  lur  les  deux 
autres ,  efl:  de  M.  Thomas ,  Confeil- 
1er  au  Châtelet^  homme  pleui  de  l'es- 
prit de  Dieu  j  très-verlé  dans  les 
voies  de  la  vie  Ipirituelie  ;  dépofi- 
taire  des  plus  intimes  fentimens  de 
M.  Boudon  ;  hé  d'esprit  &  de  cœur 
avec  tous  Tes  amis ,  &  qui  n  a  écrit 
qu'après  avoir  profondément  étudié 
{o'a  iujet.  Il  a  discuté  en  critique  judi- 
cieux l'Hiftoire  de  cette  fille  tra- 
veftie,  qui^  ibus  le  nom  de  Frère 
Claude  ,  a  fait  tant  de  bruit  pendant 
fa  vie  &  après  fa  mort.  Grâces  à 
Dieu  ^  nous  avions  ,  indépendam- 
ment de  fon  travail,  des  monumens 
fur  lesquels  on  peut  compter.  Ils 
font  du  tems  même  :  ils  ont  paru 
fous  les  auspices  d'un  Prélat  qai 
étoit  fur  les  lieux ,  &  qui  par  un  évé- 
nement auffi  heureux  pour  nous , 
qu'affligeant  pour  lui ,  ne  peut  être 
lecule, 


X  P  RE'  F  A  CE. 

Ceft  ,  je  l'avoue  de  bonne  foi  5 
ce  dernier  point  de  la  vie  du  grand 
Archidiacre  5  qui  m'a  le  plus  eftrayé. 
Plein  de  resped  pour  la  mémoire  de 
M.  de  Maupas,  je  ne  l'ai  vu  qu'avec 
peine  prendre  le  change  fur  le  com- 
pte d'un  homme  que  la  vertu  avoua 
dans  tous  les  tems,  &  qui  fit  tou- 
jours un  honneur  infini  à  la  Religion. 
Mais  quel  moyen  de  fupprimer  un 
fait  qui-  eut  pour  témoins  la  Capi- 
tale &  les  Provinces  l  On  fçait,  après 
tout 9  que  ni  les  premières  places, 
ni  les  meilleures  intentions  ,  ne  font 
pas  toujours  à  l'abri  de  la  furprife  : 
que  Miphibofet  peut  ^  même  au 
Tribunal  de  David ,  échouer  fous 
les  artifices  de  Siba  ;  S.  Jérôme  fe 
défier  trop  tard  de  Rufin  ;  l'iliuitre 
Epiphane  céder  pour  un  tems  à  fés 
préjugés  contre  Saint  Chryfoftôme. 
Heureux  encore  &  les  Hiftoriens  & 
ceux  pour  qui  ils  travaillent,  quand 
ils  ne  trouvent  pas  dans  les  Supé- 
rieurs cette  indomptable  fierté  de 
jugement ,  qui  les  attache  jusqu'à  la 
fin  au  parti  qu'ils  ont  une  fois  em- 
braffé  :  &  qui  contre  les  loix,  que 
Rome  payenne  respefta  y  leur  fait 
regarder    comme    coupables    deg 


P  R  E'  F  Â  C  E,  x] 

hommes  ^  toujours  mal  jugés ^  parce 
qu'ils  n'ont  jamais  été  entendus  *. 

Mais  c'en  eft  trop  fur  lin  article 
où  les  leçons  font  auffi  inutiles 
qu'elles  ferbient  néceifaires.  Difons 
encore  un  mot  de  la  vie  de  M.  Bou- 
don. 

La  Chronologie  qu'on  regarde^  à 
jufte  titre  ^  comme  une  partie  eG 
fentielle  de  f  Hiftoire  ,  n'y  eft  pas 
dans  la  dernière  précifion.  Mais  com- 
ment marcher  bien  droit,  dans  un 
Îays  où  l'on  marche  fans  guide? 
'ai  tiré  parti  de  tout  ;  6c  fi  quelque- 
fois je  fuis  forti  de  la  voie  ^  ce  n  eft 
qu'après  avoir  pris  de  juftes  mefu- 
res  pour  y  rentrer  le  plutôt  qu'il 
me  feroitpoifible. 

Les  noms  propres  ont  été  encore 
unécueil  plus  infurmontable.  L'im- 
patience où  étoient  les  gens  de  bien 
de  connoitre  plus  à  fonds  le  grand 
Archidiacre  d'Evreux,  a  multiplié 
les  copies  manufcrites  de  fou  His- 
toire ,  ôc  par  une  fuite  inévitable  a 
multiplié  les  fautes.  On  les  redifie , 
quand  il  s'agit  de  Lieux  voifins,  ou 
de  perfonnes  qui  portent  un  grand 

"^  "  Qui  ftatuic  aliqnid  ,  parte  inaudirâ  altéra 
3»  Yerura  etf^ftatuit,  judeahaud  asoimsfuic. 


xij  P  R  E'  F  ACÉ. 

nom  ;  en  tout  autre  cas  il  faut  pres- 
que les  mettre  au  hazard.  Je  profi- 
terai avec  autant  de  plaifir  que  de 
reconnoilTance  ,  des  lumières  qu'on 
voudra  bien  me  donner  fur  ce  point 
&  fur  tout  autre. 

Plaileà  Dieu  de  bcnir  un  travail 
qui  n'a  été  entrepris  que  pour  fa 
gloire. Quelque  (ublime  qu'ait  été  la 
vertu deM.Boudon,  il  y  a  mille  occa- 
fions  où  elle  peut  fervir  de  règle.  Au 
relie  ,  je  protefte  d'avance  ,  quoique 
je  croye  l'avoir  fait  ailleurs^  qu'en 
donnant  à  ce  vertueux  Prêtre  le  nom 
de  faint,  je  ne  Tai  pris  que  dans  le 
fens  auquel  le  grand  Apôtre  l'appli- 
quoit  aux  Fidèles.  J'ai  parle  de  la 
fainteté  des  moeurs ,  en  laiflant  au 
Siège  Apoftolique  à  décider  de  celle 
qui  tombe  fur  la  perfonne.  A  Dieu 
ne  plaife  ,  que  je  penfe  à  prévenir 
fon  jugement ,  ou  à  m'en  écarter 
jamais. 

4\ 


f5  v^r>5  v^rvJ  v^tp  vwvî  v;?ro  v«vj  v;!i!?>3  v;??  o'-/ssïv.v^ 

SOMMAIRE 

Z)Z7   PREMIER    LIVRE. 

NA  r  ssANCEde  Boudon  ;  vertu  de  fes 
Pere  &  Mère.  Trois  Reines  fe  trouvent 
aux  cérémonies  du  Baptême  de  leur  Fils  i 
une  d'elles  lui  ferc  de  Marreine.  Sa  Mère  le 
nourrit.  Il  eft  porté  à  Notre- Dame  de  Liefle. 
Dangers  dont  il  eft  préfervé  dans  fon  enfan- 
ce ,  p.  %,  Son  Pere  quitte  le  fervice  militaire 
&  fe  retire  en  Normandie.  Danger  qu'il  court 
dans  (on  voyage.  Sa  mort.  Combien  elle  eft 
funelie  à  Ton  époufe.  Le  jeune  Boudon  fait 
deux  fautes  :  avantages  quil  tire  de  fa  chute» 
lo.  Sa  première  Communion.  Il  fait  vœu  de 
virginité.  Sesfentimens  fur  l'Apôtre  S.Jean. 
Il  reprend  {(ts  études  dans  la  vue  de  Dieu 
feul.  Ce  que  ces  paroles  figninoieat  chez 
lui ,  &  les  conféquences  qu'il  en  tiroit  dans 
la  pratique,  15.  On  le  met  en  penfion  à 
Rouen.  Il  va  aii  Collège  ,  &  s'y  fanftifie. 
Son  grand  amour  pour  les  pauvres.  Il  les  in- 
flruit  avec  beaucoup  de  fuccès  &  d'ardeur» 
Preuve  qu'en  donne  une'pauvre  femme,  20, 
Il  viilte  les  hôpitaux.  Service  qu'il  rend  à  un 
jeune  homme  qui  fe  mouroit.  Il  porte  {q^ 
Condisciples  à  la  plus  haute  vertu.  Ses  fuccès 
prouvés  par  deux  exemples  ,  15.  Exercices 
de  piété  de  fes  Aflbciés.  Leur  zélé  pour 
l'honneur  de  la  fainte  Vierge.  Leur  excès- 
fiTC  charité  envers  les  pauvres.  Lumière  Ôc 


xîv  Sommaire 

plénitude  de  fa  foi  fur  l'Euciiariftie.  SonCon- 
fefleur  eil  obligé  d'en  arrêter  les  fuites  ,  30. 
Premiers  combats  que  le  faint  jeune  homme 
a  à  foutenir.  Succès  de  ks  études  malgré  les 
peines  dont  il  eft  affligé.  Il  gagne  à  la  fui  une 
pauvre  veuve  ,  &  garantit  fon  innocence. 
Calomnie  inventée  contre  lui  par  des  Eco- 
liers ,  qui  ne  pouvoient  foufïrir  fa  vertu.  Il 
cfl  abandonné  de  fa  famille.  Un  homme  ver- 
tueux lui  donne  une  retraite,  ^j.  Boudon 
vifite  avec  ardeur  ceux  qui  pouvoient  le  por- 
tera la  perfeârion.  Les  peines  dont  Dieu  l'é- 
prouve ,  lui  fervent  à  calmer  celles  d'un  bon 
Religieux.  II  penfe  à  entrer  dans  un  Mona- 
flere.  La  foiblelTe  de  fa  complexion  l'en  fait 
exclure.  Ses  lumières  fur  S.  François  d'As- 
fife  ,  40.  Son  amour  pour  la  retraite  &  la 
pauvreté.  Il  tombe  malade.  Il  fe  rend  à  Pa- 
ris pour  y  continuer  ks  études.  Il  s'y  met 
fous  la  conduite  du  P.  Bagot.  Vertus  de  ce 
Religieux.  Exercices  de  Boudon.  Il  fouffre 
beaucoup  de  la  pauvreté  ,  46.  Il  eft  réduit  à 
la  mendicité. Sa  patience  frappe  M.  de  Mont- 
morenci.  Il  entre  dans  fa  maifon  pour  étu- 
dier avec  M.  de  Laval.  Commencement  d'une 
aiTociation  déjeunes  gens  qui  ne  penfent  qu'à 
fe  fanditier ,  50.  Boudon  les  forme  à  la  ver- 
tu. Leur  amour  pour  les  mépris.  Sainte  liai- 
fon  de  Boudon  avec  le  P.  de  Condé  ,  avec  la 
M.  Mechtilde  ,  la  fœur  Magdeleine  de  S. 
jofeph  ,  &  un  Frère  Auguftin,  Il  fert  les  ma- 
lades dans  les  hôpitaux.  Services  qu'il  rendit 
à  un  jeune  Luthérien  ,  55.  Il  tombe  malade. 
Il  eft  guéri  en  entrant  à  la  Charité.  Orage  , 
c^MÏ  s'élève  contre  1  ui  &  contre  ks  Afîbciéy» 


DIT   T.    Lt  VRE.  XV 

Il  va  à  Beaune  viiiter  le  tombeau  d'une  fain- 
te  Religieufe.  Il  édiiie  beaucoup  les  Carmé- 
lites. Il  comciience  une  espèce  de  Million 
avec  Tes  amis.  Caractère  d'un  Lorrain  riche 
en  vertus  ,  60.  Bons  oilices  que  lui  rend  M. 
Boudon.  Avec  quelle  grandeur  ce  pauvre 
homme  parloit  de  Dieu.  Soupirs  de  Boudon 
à  la  vue  du  profond  oubli  de  Dieu  ,  où  vivent 
les  hommes  ,05.  BouJon  &  fes  Compagnons 
penfeiit  à  porter  )a  foi  dans  les  Pays  inhdéles. 
Origine  du  Séminaire  des  Mimons  étrangè- 
res. Boudon  reçoit  la  tonFare ,  &  porte  con- 
ftamment  les  marques  de  Ton  éuat.  M.  de  La- 
val penfe  à  lui  réfigner  Ton  Archidiacone  ,  ÔC 
raccompagne  à  Evreux ,  70.  Il  y  délivre, 
prelque  malgré  elle  ,  une  Religieufe  àts  pei- 
nes intérieures  qui  la  dévoroient.  Il  eft  très- 
mal  reçu  dans  le  fécond  voyage  qu'il  fait 
dans  cette  Vi'îe  ;  mais  eniin  il  eO:  infiallé.  Il 
écrit  aux  Curés  d'Evreux  une  Lettre  très- 
humble.  Il  fait  une  longue  retraite  à  la  Char- 
treufe  de  Gaillon  ,  75.  Il  reçoit  les  faintg 
Ordres.  Ferveur  avec  laquelle  il  célèbre. 
Etendue  &  ferveur  de  fa  préparation  pro- 
chaine. Réponfe  qu'il  îit  à  un  Officier  qui  le 
prioit  d'être  court  à  la  Mede.  Il  rend  viiite  à 
Meilleurs  de  Levis  &c  Bourdoife.  Avis  que 
lui  donne  ce  dernier  ,  8j.  Il  s'oppofe  à  un 
abus  qui  regnoit  la  veille  de  S.  Jean.  Un  faux 
plaifant  le  tourne  en  ridicule.  Parole  remar- 
quable de  M.  Bourdoife.  Idée  des  grands  ta- 
lensde  l'Archidiacre.  Sa  fcience  y  la  pureté 
de  fa  morale  ,  fon  Ityle.  On  veut  éprouver  fa 
capacité  ;  il  fe  tire  avec  honneur  du  combat , 
S5.  Il  prêche  avec  un  fuccès  prodigieux. 


xvj        ^  Sommai  RÇ 

Ceux  qui  courent  la  même  carrière,  îuî  reîT- 
dent  juftice  comme  les  autres.  Dieu  fe  fert 
de  lui  pour  opérer  deux  converiions  écla- 
tantes. Prodigieufe  ferveur  d'un  jeune  hom- 
me qu'il  avoit  gagné  à  Dieu ,  90.  Ses  règles 
de  conduite  dans  le  Tribunal  de  la  Péni- 
tence ,  pleines  de  fagefle  &:  de  lumière. 
Grâce  linguliere  qu'il  eut  pour  procurer  la 
paix  aux  confciences  troublées.  Règle  iblide 
pour  \qs  fcrupuîeux ,  95.  Manière  dont  il  dé- 
livra une  peribnne  livrée  aux  plus  noires  in- 
quiétudes. Empreffement  du  peuple  à  profiter 
des  paroles  de  vie  qui  (ortoient  de  fa  bouche, 
Mademoilélle  de  Bouillon  fe  met  fous  fa  con- 
duite. Progrès  qu'eUe  fit  dans  la  vertu.  Por- 
trait abrégé  des  vertus  de  la  fœur  Marie-An- 
gélique, 100.  Boudon  ,  pour  remplir  fon  de- 
voir d'Archidiacre  ,  fe  met  fous  la  protection 
Ipéciale  de  lafainte  Vierge.  Pénitences  qu'il 
pratique  dans  Tes  vifites.  Trifte  état  du  Dio- 
cèfe  d'Evreux  ,  quand  il  commença  à  le  par- 
courir. Manière  dont  l'Archidiacre  s'y  prend 
pour  rétablir  le  bon  ordre.  Détail  exemplai- 
re de  Tes  attentions  >  105.  Premier  fuccès  de 
fbnzé'e&de  fa  vigilance.  ,Sa  conduite  en- 
v-ers  les  bons  Se  les  mauvais  Eccléliaftiques. 
Il  fe  fert  contre  eux  du  double  glaive  qui  lui 
étoit  confié  ,  1 10.  Murmures  à  cette  oc- 
cafion.  Juftice  que  rend  à  fa  vertu  un  homme 
de  condition.  Il  tâche  de  former  de  jeunes 
Miniftres  ,  pour  remplacer  ceux  qui  étoient 
indignes  de  l'être.  11  établit  des  conférences 
fpirituelles:  Grand  fuccès  de  celles  de  l'Abbé 
du  Val-Richer.  Manieie  fainte  dont  il  fe  pré- 
pare à  faire  dQS  Miffions.  Service  iniportaHl 


DU    I.    L  T  V  R  S."  XvlJ 

^u'il  rendit  à  une  Carmélite  de  Bretagne  , 
iij.  Témoignage  d'une  Urfuline  de  Mont- 
bard.  Grands  fruits  qu'il  fait  porter  aux  ter- 
res les  plus  ingrates.  Juftice  que  lui  rendent 
les  perfonnes  les  moins  fuspeâres.  11  eft  traité 
avec  diftindion  par  de  grands  Prélats.  Exem- 
ple de  mortification    qu'il  donne  à  Laval. 
Son  défintéreflement  dans  Tes  MiiTions.  Soin 
qu'il  avoit  d'honorer  les  cendres  des  Saints  , 
qu'il  rencontroit  fur  fa  route.  Ses  liaifons  avec 
M.  de  Louvigni.  Vertus  de  ce  Seigneur  ,  8c 
du  P.  Jean-Chryfoftôme, Religieux  du  Tiers- 
Ordre  de  S.  Franç©is.    Talens  de   M.    de 
Louvigni  ,  pour  porter  lésâmes  à  une  hau- 
te perfedion,  iz^ .  Pureté  de  fa   confcience. 
Son  détachement.  Boudon  le  contirme  dans 
l'amour  de  la  pauvreté.  Belle  mort  de  ce 
Seigneur.   Remarques  fur  fon  Chrétien  imé^ 
rieur,  Henri  de  Maupas  devient  Evêque  d'E- 
vreux.   Eftime  qu'il  fait  de    l'Archidiacre  , 
130.  Il  le  charge  de  dreffer  de  nouveaux  Sta- 
tuts ;  Boudon  s'en  acquitte  avec  beaucoup  de 
capacité.  L'Archiacre   s'oppofe  avec  beau- 
coup de  vigueur  à  une  fe6te  de  Fanatiques  , 
qui  vouloient  s'établir  dans  le  Diocèfe  d'E- 
vreux.  Il  eft  fait  Supérieur  des  Carmélites  du 
Ponteau-de-Mer.  Ses  maximes  dans  la  con- 
duite de  cette  Com.munauté.  Règles  très  fa- 
ges  pour  ceux  qui  ont  de  pareils  emplois , 


xviij  Sommaire 

.1.  -  ■  ...  ^ 

SOMMAIRE 
DU  SECOND   LIVR  E. 

MONSIEUR  de  Maupas  eft  député  à  Ro- 
me pour  la  canonifation  de  S.  François 
de  Sales  ,  140.  11  donne  les  plus  amples  pou- 
voirs à  l'Archidiacre.  Cette  préférence  &:  fa 
fermeté  lui  fufcitent  des  ennemis.  Il  eil:  in- 
formé de  leurs  projets.  Il  écrit  à  M.  de  Mau- 
pas, qui  l'approuve  en  tout.  Boudon  conti- 
nue à  marcher  fur  la  même  ligne.  Dieu  lui 
fait  connoitre  une  partie  de  ce  qu'il  aura  à 
fouffrir  ,  14^.  Il  efl:  malade  à  l'extrémité  ,  & 
fe  démet  de  fon  Archidiaconé.  Il  eil:  guéri 
par  les  reliques  de  S.  Gaud.  Le  Roi  le  nom- 
me au  même  Bénéfice.  Il  vifite  le  tombeau  de 
fon  faint  Libérateur.  Notice  de  faintGaud. 
Fameufe  tranllation  de  fes  Reliques.  Boudon 
va  au  Mont  Saint-Michel  ,150.  11  fe  forme 
un  violent  orage  contre  lui.  Il  efl:  indigne- 
ment déchiré  dans  plufienrs  libelles  fcanda- 
leux.  On  l'infulte  à  outrance.  Retour  de  M, 
de  Maupas.  Il  trouve  fon  Diocèfe  foulevé 
contre  l'Archidiacre.  L^ne  femme  de  piété  le 
juftiiie.  Cara«ftere  de  la  dame  de  Fourneaux, 
i^f.  Excès  de  fon  zélé  pour  le  faint  Prêtre. 
Pieufe  réponfe  qu'il  lui  fait.  Belle  Lettre 
qu'écrit  en  fa  faveur  la  Mère  Mechtilde.  On 
impute  à  Boudon  l'impétuofité  de  fa  Péni- 
tente. L'Evêque  d'Rvreux  tient  un  grand  con- 
feil  contre  l'Archidiacre.Onlui  fait  fignifier  fa 


t)  tr  II.  Lt  V  n  ïï.  xît 

Sentence.  Sa  tranquillité  dans  cette  occa- 
fion.  Madame  de  Fourneaux  ,  malgré  les  fa- 
ges  avis  de  lArchidiacre  ,  fuit  tout  Ton  res- 
fentiment  ,  l6o.  On  le  met  fur  le  compte  de 
Boudon.  Il  eft  interdit.  Il   rcFufe  de  quitter 
fa  dignité  ,  &  on  n'ofe  le  pouiîer  fur  ce  point: 
ïnaison  le  décrie  dans  toutes  les  Villes  du 
Royaume.  Horrible  manière  dont  il  eft  traité 
à  Evreux.  Il  ne  peut  obtenir  une  chambre 
à  Rouen  que  par  furprife.  Hiftoire  d'une  tille 
qui ,  pour  fe  fouftraire  au  danger  ,  fe  trave- 
ftit  en  garçon,  167.  Calomnie  dont  elle  eft 
chargée  fous  le  nom  de  Claude  Petit,  176. 
Elle  vient  à  Evreux.   Son  fexe  eft  reconnu 
après  fa  mort.  Elle  ne  dem.eura  jamais  chez 
l'Archidiacre.  Fureur  &  injuftice  des  calom- 
nies qui ,  à  ce  fujet ,  furent  répandues  con- 
tre Boudon  ,  i8o.  Emportement  d'un  Prédi- 
cateur contre  lui.  Il  eft  abandonné  à  Paris 
dans  fon  plus  grand  befoin.  Service  que  lui 
rendirent  les  Filles  de  la  Providence.  Ses 
dispofitions  pendant  le  cours  de  ce  violent 
orage.  Sa  joie  dans  les  humiliations.  Il  fe 
fortifie  par  l'exemple  d'un  Seigneur  d'Angle- 
terre ,  qui  avoit  tout  perdu  pour  la  foi.   Bel 
éloge  qu'il   fait  de   M.  de  Maupas  après  fa 
mort  ,  189.  Moyens  dont  Dieu  fe  fert  pour 
ouvrir  les  yeux  à  M.  de  Maupas.  Un  Eccle- 
fiaftique  d'une  vertu  reconnue   y  travaille. 
Le  plus  dangereux  de  fes  ennemis  y  travaille 
encore   plus  efficacement  après    une  chute 
honteufe  ,    195.   Mouvemens  oppofés    que 
produit  dans  le  cœur  du  faint  Prêtre  fon  ré- 
tablifTement.  Fureur  impuiflante  de  fes  enne- 
mis. Eftime  que  M.  de  Novion  fait  du  grand 


xs  Sommai  t:  e 

Archidiacre.  La  Duchefle  de  Bavière  le  prîè 
depaïïer  en  Allemagne  pour  lui  donner  Tes 
confeils.  11  fe  met  en  chemin.   Eftime  qu'on 
lui  témoigne  à  Metz  ,  zoo.  Les  Filles  de  S. 
Dominique  lui  font  voir  le  chef  de  S.  Henri  , 
fon  patron.  Ce  qu'il  tità  Nanci  à  la  Chapelle 
de  bon  Secours.  Etat  de  la  ville  de  Stras- 
bourg, qui  n'étoit  que  depuis  peu  fous  la  do- 
mination du.    Roi.    Converfion  de-  plufieurs 
Luthériens.  Il  arrive  à  Ulm  ,-  &  il  eft  aifez 
heureux  pour  y  pouvoir  célébrer.  Il  eft  reçu 
par   leurs  Altefles  au  Palais    de   Dirkeim., 
Portrait  du  Prince  Maximilien    Vertus  de 
Fébronie  de   Bouillon  ,    fon  époufe ,   lO'^. 
Leur  Cour  juftement  appellée  la  Cour  fainte. 
Piété  du  Pays.  La  Ducheffe  éprouvée  par 
àss  peines   intérieures.  Boudon  développe 
fon  état  en  préfence  de  fon  ConfelTeur.   felle 
cil  effrayée    de  la  pauvreté  du  grand  Ar- 
chidiacre ;  elle  lui  offre  un  caroffe  .  il  le  re- 
fufe  conftamment ,  zi  i.On  le  conduit  à  Mu- 
nick.  Il  n'a  de  curiofîté  que  pour  les  chofes 
faintes.  Il  dit  la  Meffe  dans  l'Eghfe  des  PP. 
Théatins.  Sa  dévotion  pour  S.    Gaétan.  On 
luipropofe  le  voyage  d'Oeting  ,  21  y.  II  paffe 
par  Ausbourg  ;  il  y  trouve  (es  ouvrages  en 
Allemand.  Il  entre  en  Saxe  ;  voit  la  chambre 
de  Luther.  Excès  de  fa  douleur.  Defcription 
delà  Chapelle  d'Oering  :    fa.  magnificence: 
ion  culte  ,219.  Un  Comte  Allemand  eft  fra- 
pé  de  la  dévotion  du  grand  Archidiacre.  Il 
lui  fait  un  préfent  de  fon  goût.  Il  revient  à 
Munick.  II  en  part ,  fans  recevoir  ni  préfens, 
ni  argent.  Il  arrive  en  Lorraine  plus  tard  qu'il 
n!eùt.  fallu.  Se  rend  à  £vreux,  Compofe-  la 


r^xj    II.   LT  V  Rg.  XXJ 

•■^e  de  la  Mère  Elifabeth  de  !a  Croix.  Idée 
de  cet  Ouvrage.  Naillance  de  Mademoifrlle 
de  Kanfain  ,125.  Qualités  du  corps  ,  de  Tes- 
pnt  'Se  du  cœur  de  cette  jeune  perlbnne.  Elle 
devient  un  modèle  de  vertu  &  de  pénitence. 
Dureté  avec  laquelle  on  la  traite  pour  la  dé- 
goûter de  la  vie  Religieufe."  On  la  mar-ie 
malgré  elle.  Portrait  horrible  de  Ton  époux. 
Elle  adoucit  peu  à  peu  fa  férocité,  il  devient 
un  modèle  de  vertu.  Un  Seigneur  lui  fuscite 
une  affaire  pour  attirer  fon  époufe  à  la  Cour. 
Elle  aime  mieux  tout  perdre  que  d'en  courir 
les  risques.i^o.  Elle  devient  veuve:prudence 
chrétienne  avec  laquelle  elle  élevé  (qs  en- 
fans.  Comment  elle  veille  fur  ks  domefti- 
giies.  Son  voyage  au  faint  Mont.  Le  Médecin 
Poirotpour  s'en  faire  aimer  a  recours  aux 
malehces.  Réflexions  de  TAr-chidiacre  à  ce 
iujet.  Etat  où  fe  trouve  Elifabeth  en  confé- 
quencede  cette  opération.  Nouveaux  efforts 
du  Médecin.  Effrayante  fituation  de  la  làinte 
Veuve  ,  23  ^.  Peines  dont  fon  ame  étoit  dé- 
chirée. On  la  croit  poffédée  du  démon.  Réa^ 
hte  des  poirefTKkîs  foîidement  établie  par  M 
-Boudûn.Ilyeriaqui^feîonlui,  ne  fonflâ 
pumnon  d'aucune  faute.  Elifabeth  eR  aban- 
donnée ,  décriée  ,  empoifonnée,  confervée 
par  une  espèce  de  miracle,  241.  Sageffe  avec 
laquelle  le  Sacerdoce  &  l'Empire  fe  con- 
duidrent  dans  l'examen  de  <:ette  affaire  Les 
Médecins  ëz  les  Théologiens  fe  déclarent 
pour  la  poffeffion.  Raifons  -qui  hs  y  enga- 
gent ,2^,.  Précautions  que  prend  le  Duc^de 
i^orrame^  avant  que  de  prononcer.  Poirot  eft 
«ondamaéau  feu.  Elifabeth  doit  à  la-faint^ 


2-xi)  Sommaire 

Vierge  fa  délivrance.  Elle  établit  la  Com^ 
munauté  du  Refuge.  Ses  trois  tilles  y  pren- 
nent le  voile  ,  150.   L'Archidiacre  landitie 
pluiieurs  Communautés.  11  fait  une  retraite  à 
la  Chartreufe  du    Mont  -  Dieu.  Admirable 
piété  des  Solitaires  qu'il  y  trouva.  Boudon 
travaille  à  Cambrai  ,  à  Anvers  ,  à  Bruxelles  ; 
à  Namur.  Mais  il  travaille  encore  plus  en 
Lorraine.  Belles  leçons  qu'il  fait  aux  Vierges 
coniacrées  à  Dieu  ,2.55.  Soin  quil  prend  des 
Kovices.  Avis  qu'il  donne  aux  Monafteres 
qui  font  dans  l'indigence.  Il  eft  attaqué  d'une 
dangereufe  maladie.  Les  Dames  du  Refuge 
en  prennent  foin,  i6o.  Sa  reconnoiilance  pour 
fes  Bienfaitrices.  Ses  occupations  ,  quoique 
moins  pénibles  ,  n'en  font  pas  moins  conti- 
nuelles. Ses  ennemis  le  traverfent  au  fujet 
d'un  Livre  fur  le  respeâ:  du  aux  Eglifes.  Il 
empêche  qu'on  ne  retire  de  Rouen  l^s  Da- 
mes du  Refiige.  Son  zélé  pour  celks  qui 
étoient  établies  à  Bezançon.  Grand  lervice 
qu'il  rendàun  Religieux:  affligé,  266.  lien 
pourfuit  un  ,  dont  les  mœurs  étoient  corrom- 
pues. Ses  Livres  paflent  les  mers.   La  dévo- 
tion qu'ils  infpirent ,  fauve  Québec  attaque 
par  les  Anglois.  Relation  de  M.  de  Laval , 
qui  étoit  Evêque  de  cette  Ville.  Eloge  de  la 
Princefle  de  Chimai.  Juftice  qu'elle  rend  aux 
Filles  de  fainte  Geneviève  ,   170.  Boudon 
rétablit  la  dévotion  à  S.  Taurin  ,  premier 
Evêque  d'Evreux.  Il  donne    un  abrégé  de 
fa  vie  &  de  fes    miracles.   Prédidion  qu'il 
fait  à  un  jeune  homme    qui  étoit    fon  pa^ 
rent.   Ufage  que  celui  -  ci  en  fit,  Malheu- 
feufe  fin  d'un  bienheureux  dufiécle,  ^75% 


t)  U  I  I  I.    L  I  V  R  ^.  xxîij 

Prodige  arrivé  à  Nancy  dans  la  maifon  du 
Kefuge  Réponfe  qu'il  fait  à  une  confultation 
touchant  une  jeune  perlbnne  ,  veririee  par  un 
événement  inattendu,  180.  Sa  patience  .ians 
les  cruelles  douleurs  ,  dont  ii  fat  affligé  pen- 
dant Tes  dernières  années.   Son  courage  re- 
double avec  Tes  maux.  Il  exhorte  à  une  par- 
faite IbumifTion  les  perfonnes  qui  craignoient 
de  le  perdre  ,  185.  Il  fe  démet  de  (on  Archi- 
diaconé  en  faveur  d'un  très-hom:r:e  de  bien. 
On  lui  annonce  fa  mort  prochaine.  Ses  maux 
redoublent  :  il  les  fouftre  moins  avec  patien- 
ce qu'avec  joie  ,  zoo.  Ses  dernières  adions. 
Il  reçoit  le  faint  Viatique.  Sa  mort.  Concours 
qui  fe  fait  chez  lui  après  fon  trépas.  Il  eft  in- 
humé dans  la  Cathédrale.  Infcription  qu'on 
a  mife  fur  le  lieu  où  efl:  fon  cœur  ,    Z96.  La 
calomnie  ne  l'épargne  pas  après  fa  mort.  Sa 
mémoire  eft  dédommagée  par  l'eftime  que 
font  de  lui  les  plus  gens  de  bien.   Ses  vertus 
font  louées  &  admirées  dans  toutes  les  par- 
ties da  Royaume ,  ^00.  Belle  Lettre  qui  fut 
écrite  de  Marfeille  à  fon  fujet.  Témoignage 
du  vertueux  Prêtre  qui  reçut  fes  derniers 
foupirs.  Portrait  de  M.  Boudon  ,  conforme  à 
celui  du  grand  Prêtre  Onias.  Epitaphe  pla- 
cée depuis  peu  dans  la  Chapelle  où  il  eft  en- 
terré ,  5ii% 


^xiv  Sommai  r'B 


SOMMAIRE 
VU    TROISIEME   LIVRE. 

YE  R  T  u  s  de  M.  Boudon.  Sa  Foi  ,  314*' 
Zélé  du  faint  Prêtre  contre  l'erreur.  Son 
attention  à  ne  l'imputer  point  mal  à  propos. 
Sa  Confiance  en  Dieu  ,  310.^  Elle  a 
commencé  dès  fes  plus  tendres  années.  Son 
ftyle  tout  de  feu  ,  quand  il  s'agiflbit  de  louer 
la  divine  Providence.  Il  en  efpere  tour  à 
tour  Aqs  croix  &  des  confolations  :  il  s^afflige 
de  ks  fautes  ;  mais  il  ne  fe  décourage  point. 
Son  Amour  pour  Dieu,  32.9. On  ne  peut 
en  donner  qu'une  très-foible  idée.  Depuis  fa 
première  Communion  jufqu'à  la  fin  de  fes 
jours  ,  fon  cœur  ne  chercha  qu'à  s'unn-  à 
Dieu.  Il  marchoit  fans  ceflë  en  fa  prefence. 
Joie  &  paix  qui  en  réfultoient.  Il  écartoit 
aTCC  foin  tout  ce  qui  pouvoit  déplaire  au 
Dieu  de  fon  cœur.  Défmtérefiement  de  fa 
charité.  Son  Oraison  ,  339.  Tout  ce  qui 
fe  préfente  à  fes  yeux  lui  en  fournit  la  ma- 
tière. Belle réponfe  qu'il  fit  à  des  gens  qui  le 
plaignoient  de  ce  qu'il  étoit  feul  dans  un 
voyage.  Continuité  de  fon  oraifon.  Il  en  re^ 
tire  trois  fruits  principaux  pour  lui-même  , 
&  une  c^race  finguliere  pour  fandifier  le  pro- 
chain. Son  fentiment  fur  les  répétitions  d'o- 
raifon  qui  font  d'ufage  dans  les  Monafteres. 

Sa  Religion,  349-  I^^^  ^^  ^^^^^  Y^'^"' 
Etendue  que  Boudon  lui  donnoit.  bainte 
frayeur  avec  lacjuelle  il  regardoit  les  Sacre- 


DU   III.   L  î  y  Pv  E.  XXV 

^^^■5  y  8c  tout  ce  qui  a  rapport  au  culte  de 
pieu.  Son  refped  pour  les  Minières  de  Je- 
lus  Chrifi  y  &  pour  les  Lieux  Saints.  Son  ar- 
deur pour  établir  le  Règne  de  Dieu  dans  tous 
les  cœurs.  Sa  Pieté'  envers  la  sainte 
Trinité'  ,  355.  Fondement  de  fa  foi  fur  ce 
Myftere.  Effets  de  cette  foi  ,  un  respect  qui 
alloit  jufqu'au  tremblement.  De  profondes 
réflexions  fur  la  fainteté  de  Dieu.  Son  zéie 
pour  communiquer  aux  autres  ks  propres 
fentimens.  Sa  Pie'te'  envers  l'Huma- 
nité' sainte  de  J.  C.  36z.  Combien  éloi- 
gnée de  l'illufion  c\qs  nouveaux  Myfliques. 
Son  union  avec  l'Hom^me  -  Dieu.  Ce  grand 
modèle  eft  celui  que  l'/irchidiacre  fe  propo- 
fe  d'exprimer.  Etat  qu'il  fait  de  la  grâce  du 
Chriilianifme.  Sa  Pie'te'  envers  l'Eu- 
charistie,570. Il  fene  laile  point  d'admi- 
rer la  bonté  avec  laquelle  Notre  Seigneur  fe 
communique  à  nous  :  fon  horreur  pour  le 
monde  qui  y  penfc  il  peu.  Tendres  réflexions 
fur  la  facilité  avec  laquelle  le  Sauveur  fe  rend 
acceffible  dans  l'Eucharirtie.  L'humilité  6c 
l'anéantiflement  ,  principales  leçons  qu'y 
puife  lefaint  Prêtre.  Sa  Dévotion  a  la 
sainte  Vierge  ,  376.  Boudon  ne  tarit 
point  fur  cette  matière.  Sa  douleur  devoir 
le  culte  de  la  Mère  de  Dieu  diminuer.  Il 
fait  une  fainte  ligue  en  fa  faveur.  Sa  dévo- 
tion fage  ,  dans  les  vraies  règles,  exempte 
de  Superflition.  Sa  Dévotion  aux  SS. 
Anges  ,  38  ^.  Manière  dont  il  s'y  prit  nour 
ne  les  point  perdre  de  vue.  Jl  s'efforce  d'in- 
fpirer  à  tout  le  monde  îes  fentmens  qu'il  a/oit 
pour  eux.  Il  honore  les  diffaen.  ordres  de 


xxv.j  Sommaire 

ces  bienheureux  Esprits.  A  Ton  exemple  l^^ 
Diocèfe  d'Evreux  devient  très  -  dévot  aux 
SS.  Anges.  Belle  &  (impie  pratique  de  l'Ar- 
chidiacre.  Sa  De'votion  aux  Saints,. 

ET  SUR-TOUT  A  LA  SAINTE  FaMILLE, 
^gi.  Equité  du  culte  que  l'Eglife  rend  aux- 
Saints.  Idée  queTArchidiacre  fe  forma  de 
leur  grandeur.  Il  étudie  leur  hiftoire ,  vi- 
fite  leurs  tombeaux  ,  honore  leurs  Reliques^ 
Il  invite  les  Payeurs  à  établir  leur  culte.. 
Saints  pour  qui  il  eut  une  dévotion  fpéciale. 
Son  Amour  pour  le  Prochain  ,  3v;8. 
Sa  charité  pour  Ç^s  plus  mortels  ennemis  ,. 
prouvée  par  de  nouveaux  exemples.  Sa 
Charité  envers  les  pécheurs.  Sa  charité  pour 
les  perlbnnes  affligées  de  peines  intérieures. 
Elles  ont  recours  à  lui  â^s  pays  éloignés» 
Conduite  qu'il  garde. avec  un  fcrupuleux.il 
ne  peut  foulTrir  qu'on  fe  rebute  dans. le  mini- 
flere  de  la  Pénitence.  Selon  lui  la  fcience  ne. 
fuHit  pas  pour  traiter  ceux  que  Dieu  conduit 
par  des  routes  obscures.  Son  attention  à  fou- 
lager  ceux  qiîi  fe  font  endormis  dans  la  grâ- 
ce du  Seigneur.  Il  écoit  perfjadé  qu'il  y  a  des 
âmes  qui  fouffrent  longtems  pour  des  fautes 
légères.  Son  amour  pour  les  pauvres.  Sa  Re- 
CONNOISSANCE  ,  407.  Combien  il  étoit  fen- 
fible  aux  fervices  qu'on  lui  rendoit.  Sa  grati- 
tude envers  Dieu  ,  foit  qu'il  lui  fit  du  bien  , 
ou  qu'il  lui  envoyât  des  peines.  Son  parfait 
dévouement  à  la  Providence.  Il  lui  confacre 
un  jour  d'aicions  de  grâces  toutes,  les  femai- 
ms.  Sage  Lettre  qu'il  écrit  fur  ce  fujet.  Sa, 
Douceur  ,414.  Il  la  fait  paroître  dans  les 
éyjéneiïiens  les  plus  imprévus.  Sa  conduit'^  k 


Du*  IIL    L  IV  RIS.         xxvi} 

regard  d'un  homme  qui  l'avoit  accufé  d'être' 
Athée.  Il  eft  la  refTource  de  tous  ceux  qui 
fouffrent.  Il  eft  d'autant  plus  louable^que  fou 
caradere  tout  de  feu  ne  le  portoit  pas  à  la 
douceur.  Sa  Prudence  ,415.  Sagefle  aveo 
laquelle  il  appaifa  un  murmure  que  le  re- 
tranchement de  quelques  Fêtes  avoit  occa- 
fionné  dans  le  Diocèfe  de  Rouen.  Son  équi- 
té dans  le  jugement  qu'il  portoit  du  Tcandale 
que  donnent  quelquefois  les  plusfaintes  Mai- 
fons.  Sages  avis  qu'il  donne  à  un  Eccléfiafti- 
que  chargé  de  viilter  des  Maifons  Religieux 
fes.  Prudence  avec  laquelle  il  combattit  un 
homme  de  Lettres  ,  qui  avançoit  des  para- 
doxes. Confeils  qu'il  donna  à  une  jeune  per- 
fonne,qui  pour  entrer  dans  une  Congréga- 
tion ,  vouloit  quitter  fa  mère.  Il  blâme  fa  pro- 
pre conduite  à  l'égard  d'un  [olddit.  Prudence  ■ 
avec  laquelle  il  écartoit  les  louanges.  Soîi 
Humilité'  ,433.  Témoignage  que  porte 
de  lui  un  homme  qui  l'avoit  étudié  pendant 
quarante  ans.  Les  dons  de  Dieu  font  pour  lui 
un  fujet  de  s'humilier.  Son  humilité  principe 
du  plaifir  qu'il  prenoit  avec  les  pauvres.  Il  ne 
fit  jamais  de  vifite  à  la  Reine  d'Angleterre  ,,. 
fa  Marreine  ;  mais  il  courut  avec  foin  au- 
devant  de  tout  ce  qui  pouvoit  l'humilier,. 
Preuve  qu'en  fournit  un  Magiftrat  d'Andeli,. 
Il  eft  plus  humble  à  mefure  qu'il  eft  plus  es- 
timé. Sa  Pureté',  437.  Il  l'aime  dès  fa. 
tendre  enfance,  &  prend  toutes  les  mefu- 
res  poflTibles  pour  n'y  point  donner  d'atteinte,. 
Sou  zélé  contre  les  parures  peu  modeftes.. 
Ses  attentions  dans  fes  vifites  d'Archidiacre,. 
§a  fageffe  ;  ks  leçons  ,  ks  pratiques*  SAs 


XXviij      SOMMATRE    DU    III.   LiVRE. 

Pauvreté'  ,  446.  Il  en  fait  triomphe.  Son 
amour  pour  les  pauvres  :  combien  il  étoit 
fâché  de  voir  qu'ils  ne  connoifloient  pas  le 
bonheur  de  leur  état.  La  dureté  âes  riches  , 
&  fur-tout  des  Eccléfiaftiques ,  le  pénétre 
de  douleur.  Defcription  de  fon  appartement. 
Son  Ardeur  pour  le  mépris,  454.  Il 
foupire  pour  les  humiliations.  Il  en  fait  con- 
noitre  le  prix.  Ses  fouftrances  de  tonte  ef- 
péce.  Beaux  fentimens  liir  les  croix  qui  nous 
affligent.  Ses  Miracles  ,  466.  DifTcrta- 
tation  fur  ks  Ouvrages ,  476. 


LA  VIE 


L  A    V  lE 

DE  M.  HENRI-MARÎE 

BOUDON, 

GRAND  ARCHIDIACRE  D'ÉVREUX. 


LIVRE    PREMIER. 

Eglise  de  France  gémifibic depuis 
long- temps  de  fa  propre  ftérili- 
té ,  loifque  Dieu  touché  d^s  fou- 
pirs  d'un  petit  nombre  de  Jufîes, 
qu'il  avoit  fouflraits  à  la  contagion,  jerta  fur 
elle  dans  fa  miféricorde  un  de  ces  regards  puif- 
fans  ,  qui  du  fein  même  des  pierres ,  font 
naître  à  Abraham  dts  enfans  dignes  de  lui. 
En  peu  d'années  cette  Vigne,  qu  un  fanglier 
cruel ,  forti  de  la  foret  voifine ,  ravageoit  im- 
punément, produifit  des  fruits  capables  de 
dédommager  le  Père  de  famille  de  fes  travaux 
pafTés.  Toutes  les  parties  du  Royaume  con- 
coururent à  fa  gloire.  La  Breragne  ,  le  Mai- 
ne ,  la  Normandie  lui  donnèrent ,  comme  k 
l'envi,  des  Vierges  pures,  des  Confcilcuq 


i  La     Vie 

éclairés ,  des  Pafleurs  que  S.  Charles  auroit 
regardés  comme  (i\  joie  &c  fa  couronne.  Peu 
conicnte  de  fes  propres  biens ,  cette  dernière 
Province  fçut  profiter  de  ceux  de  fes  voifmsj 
cS:  c  eft  à  la  Picardie  qu'elle  dut  ['Hom:^2c  de 
Diciifeiil,  dont  nous  commençons  l'Hilioi- 
re.  Si  nous  nous  arrêtons  un  peu  à  fa  famille, 
c'eil  qu'elle  acte  long  rems  un  problème ,  «^ 
que  bien  des  gens ,  foie  par  ignorance  ,  foie 
par  mauvaife  volonté  ,  en  ont  donné  une 
faufTe  idée. 

Henri-Marie  Boudon  naquit  le  1 4.  de  Jan- 
vier 1 524.  à  la  Fere  ,  petite  ville  de  la  Thié- 
rache  ,  mais  qui  alors  étoit  confidérable  par 
fes  fortifications.  Il  eut  pour  père  Jean  Bou- 
don  ,  brave  de  vertueux  Gentilhomme  ,  qui 
étoit  Lieutenant  dans  la  Citadelle  fous  M. 
de  Beaumont.  Sa  mère  fut  Antoinette  Jour- 
àèc-^.  Dame  d'une  vie  très-exemplaire  ,  ôc 
qui  docile  aux  leçons  d'un  époux  plein  de 
fentimcnt  &  de  fagefie  ,  pofféda,  tant  qu'il 
vécut ,  toutes  les  vertus  d'une  femme  vrai- 
XTient  chrétienne.  Ils  eurent  tout  lieu  de  re- 
garder leur  enfant  comme  le  don  d'une  mi- 
féricorde  fpéciale  :  car  outre  qu'Antoinette 
avoit  paffé  quinze  années  dans  la  ftérilité  j 
un  jour  qu'elle  fe  plaignoit  de  cette  difgrace, 
une  Dame  d'un  portgrave  &  majeflueux^s'ap- 
procha  d'elle ,  &  après  l'avoir  exhortée  à  I4 
confiance ,  lui  dit  que  le  Ciel  l'avoit  exaucée, 

•Ou  Jourdîn, comme  dît  TAuteur  de  la  vie  de  M.  Bou- 
éon  impiimée  à  Anvers  en  1705.  que  je  ne  connoiflow 
pas, (juand j'ai doiUiél?prenai"ç  édiuoa  4cccUç-cu 


DE  M.  BoUDON.  Liv.  I.  5 

êc  qu'elle  leioir  mère  de  deux  gaiçcn? ,  donc 

le  dernier  leioic  un  jour  Ja  gloire  de  fa  mai  ^î^^^^; 
fon.  Ces  pauoles  prononcées  d'un  ron  allure. 
Se  par  une  perlbnne  qu'on  na  jamais  revub' 
depuis,parurenrbicnrc[  une  vraie  prédiclicn] 
Madame  Boudon  ne  rarda  pas  à  fe  voir  mcre 
d'un  liis  :  mais  ce  fils  acrendu  li  long-tems,  âc 
obrenu  par  ranc  de  larme.sen  fît  bientôt  qou- 
1er  de  nouvelles.  A  peine  eut-il  reçu  le  bap- 
réme,qu'ii  expira.  Hcureurement  la  pcribnne 
inconnue  ,  donc  nous  avens  parie  ,  en  avoir 
annoncé  un  fécond.  Il  vinc  en  fon  rems .  d:  il 
eue ,  comme  il  le  difoir  lui-même  avec  beau- 
coup de  reconnoiflance,  le  bonheur  de  nnitre 
un  lamedi ,  jour  que  i  Eglilc  coniacre  a  l'hon- 
neur de  la  Mère  de  Dieu  ,  &  qui  d'ailleurs  fe 
trouvoic  cerre  année  la  dédié  à  lagioiiedu 
faint  Nom  de  Jefus. 

Cerenfanr,quifuteneFet  la  gloire  de fafa- 
mille  Se  Thcnneur  de  1  Eghfe,  fui  ondové  a  la 
maifon, félon  l'ufagedu  rcms,qu'une  dilcipîi- 
ne  plusfage  a  réformé.  Selon  le  même  ufaee, 

lescérémoniesdefonbaprcmefticnî  différées-. 
Ce  délai  qui  dura  quatre  mois,  ne  fervir  qu'à 
les  rendre  plusauguf.es;  &  peut-ctie  que  ja- 
mais aucun  enfant  de  pareille  ccndi!ioi]  n'en 
eut  de  femblubles  II  s'y  trouva  trois  Reines, 
Marie  de  Médicis  veuve  de  Henri  ÎV.  /  nne 
d'Autriche  époufe  de  Louis  XIII.  de  Hen- 
riette Marie  de  Bourbon  ,  fîlle  du  premierde 
ces  deux  Rois,  fœur  du  fécond  ,  &:  qui  de- 
puis fut  femme  de  Charlesî.6cmert  de  Jscqucs 
11.  tous  deux  Rois  d'Angle. erre.  Cette  der- 

Ajj 


• 4  L  A     Vi  E 

^"J^fy*^  nicre  Princcfle  voulut  bien  fcrvir  de  marreînc 
au  jeune  Boudon  ôc  elle  lui  donna  les  noms 
de  Henri  ôc  de  Marie  qu'elle  porroit  elle- 
iTiCaie.  Il  n'écoit  pasaifé  de  trouver  un  pat- 
rein  d'une  f]  haute  volée  :  Charles  de  Beau- 
nionr,gouverncur  de  la  Ferc  y  fuppléa.autanc 
qu'il  fut  polîible.  Ce  jour  glorieux  fut  un  jour 
•  de  tnomphe  pour  toute  la  ville  :  ^  h  joie 
d'une  famille  chérie  pour  fa  probité  ,  devint 
la  joie  de  tous  les  habitans. 

La  Merc  de  ce  fils  fî  cher  voulut  le  nourrir 
cUe-mcme,  Elle  ne  crut  pas,  comme  on  fait 
aujourd'hui ,  qu'il  fut  du  grand  air  pour  une 
femme  de  condition  ,  de  faire  fucer  au  fruit 
de  fon  fcin  un  lait  étranger ,  qui  fouvent  ne 
tranfmet  ni  la  fanté ,  ni  la  vertu.  Heureufefi 
elle  eutfoutenu  jufqu'àla  fin  ces  premiers  fen- 
timens  de  tendreffe  j  mais  il  s'en  fallut  beau- 
coup ,  comme  nous  le  verrons  dans  la  fuite. 
Dès  que  le  jeune  Henri  put  foûtenir  les 
impreflions  de  l'air ,  fçs  parens  dont  la  foi 
étoit  plus  vive,parce  qu  elle  étoit  plus  fimple, 
le  firent  porter  à  Notre  Dame  de  Liefle.  Ce 
fut  dans  ce  Sanduairc ,  fi  célèbre  par  le  con- 
cours des  Fidèles ,  qu'il  fut  mis  une  féconde 
fois  fous  la  proteéHon  de  la  Mère  de  Dieu  : 
car  il  lui  avoit  déjà  été  très-fpécialemenr  dé- 
voué ,  lorfqu'on  lui  fuppléa  les  cérémonies 
du  baptême.  Ce  qu'ilneput  faire  dans  un  âge 
qui  ne  lui  pcrinettoit  pas  d'entrer  dans  les 
pieufes  vues  de  fa  famille,  il  le  fit  abon- 
damment dans  un  âge  plus  avancé.  Mille  fois 
il  fe  félicita  de  ce  que  fa  première  fortie  de. 


DE  M.  BouDoN.  Liv.  I.  y 

la  inaifon  parerneiie ,  ne s'étoir  faite  qiren  — 
vu'e  du  faint  pèlerinage  dont  noiisvcncns  de  ^' 
parler:  mille  fois  ileélcbia,  Ibic  dar:Sles 
converfations,  foie  dans  fes  pieux  Ouvrages, 
le  bonheur  qu'il  avoit  eu  d'appartenir  dès  fa 
naiflance  à  la  très-fainre  VieiEC.  Quelque 
vives  que  fuHenr  fes  expreïlions ,  en  apper- 
çoit  en  lilant  fes Eciirs,  que  les  ceLir.es  ir.an- 
quoient  aux  rranfporrs  de  fa  reconnoiiTance. 
3^  O  ma  bonne  iMaitreiïe  ,  difoi:  il  d'un  fiile 
que  la  fagefie  humaine  ne  goûcera  p^s  ,  &i 
qu'elle  arceindra  encore  n'oins ,  «  6  ma  rrès- 
»  douce  (^rrès-miieriGordieufe  Mère  ,&  ci:i 
»  ni'en  avez  fervi,  dès  que  j'ai  commencé  de 
"  vivre  ...  Si  favois  tous  les  cœurs  en  mon 
«  pouvoir ,  que  je  vous  les  donnerois  volon- 
"  tiers  l  Dès  ce  moment  tous  ne  refpireroienc 
"  que  votre  pur  amour  j  ëc  toutes  \ts  bou- 
"  ches  ne  publieroient  que  vos  louanges  im- 
'nnortelles .  »» 

Ce  que  difoitle  pieux  Henri  de  laMere  de 
Dieu  ,  il  ledifoit  avec  encore  plus  d'aideur 
de  la  divineprovidence.Au  fonds  rien  n'étoin 
plusjufte  que  la  reconnoiiTance  qu'il  avoic 
pour  l'une  &:  pour  l'autre ,  chacune  dansfoii 
genre.  Cène  fut  qu'à  elles  qu'il  dut  faconfer- 
vation  dans  fon  enfance.  11  a  plus  d'une  fois 
afluré  que  le  démon  lui  voulut  du  mal  dès 
fes  plus  tendres  années ,  que  pendant  la  nuit 
il  le  jettoitfouvent  hors  de  fon  berceau  pour 
le  ruer  j  qu'il  reffrayoit  par  des  fpectres  hi- 
deux i  &  que  ce  ne  fur  que  par  des  attentions 
continuelles,  quefamereluiconferva  la  vie. 

Aiij 


6  La     Vie 

-  Mais  quand  ces  accidens  fâcheux  n'auroîent 

ic'fuiv.  ^^^  qu'une  luire  naturelle  de  la  force  de  l'ima- 
ginarion  ,  &  delà  vivacirédu  tempéramcnr  j 
il  n'en  elt  pas  moins  fur,  que  ce  jeune  enfant 
ne  fur  redevable  de  fon  falut  qu'aux  foins 
d'une  rrcs-fpéciale  Providence. 

Ce  fur  encore  elle,  qui  comme  on  le  crut 
alors,  ik  qu'il  l'a  toujours  cru  lui-mcme,le 
prévenant  des  plus  fingulieres  bcnédidions 
de  fa  douceur,  lui  avança  l'ofage  de  la  rai- 
ibn  ,  afin  qu'il  fit  un  plus  prompt  ufage  de 
la  grâce  de  Ion  baptême ,  &  qu'il  pût  dire 
avec  le  Roi  Prophète  :  »  Vous  êtes ,  Sei- 
^>  gneur  ,  vous  èics  doublement  mon  Dieu  \ 
«  je  vous  cherche  dès  le  matin  ,  &  mes  prc- 
"  miers  regards  fe  tournent  devers  vous.  » 

_  En  effet ,  de  c'eft  un  aveu  qu'il  fit  \m  jour 

1017.    aune  ancienne  &  parfaite  Rcligieufe  dcS, 

&  fuit.  Jq^^  d'Andely  \  des  Page  de  trois  ans  il  fe 
fcntif  enflammé  d'un  vif  amour  pour  Dieu, 
&  d'une  tendre  dévotion  pour  la  fainte 
Vierge  (Se  pour  S.  Jean  PEvangélifle.  11  ap- 
prit à  lire  avec  la  plus  étonnante  facilité  ;  & 
cette  première  fcience  ne  fervit  qu'à  déve- 
lopper le  goût  extraordinaire  qu'il  avoit 
reçu  du  Ciel  pour  les  cérémonies  de  l'Eglife, 
^  fcs  divins  Canriques.  Dès  le  grand  matin 
il  en  chantoif  quelque  partie,  mais  avec  un 
goût  fi  inconnu  à  fon  âge  ,  que  lesdomefii- 
ques  même  fe  réveilloient  volontiers  pour 
l'entendre. 

Une  aurore  fi  belle  ne  pouvoir  annoncer 
qu'un  très-beau  jour  :  &  on  ne  doutoit  point 


DE  M.  BouBON.  Liy.  î.  7 

que  file  jeune  Boiidonécoirculcivé,  il  ne  duc  

o/aelque  jour  être  un  fujer  fort  élevé  au-defTus  ^^Ji'^^ 
du  commun.  Nous  le  verrons  tel  en  effet  : 
mais  nous  ne  verrons  pas  moins  qu'jl  fe  duc 
tout  entier  à  la  Providence  :  en  peu  d'années 
fon  père  &  fa  mère  lui  manquèrent ,  quoi- 
que par  des  raifons  bien  diriérenres  Dieu 
fcul  le  prit  fur  fes  ailes  comme  un  aigle  prend 
fes petits:  &  que  ne  fait  pas  ce  grand  Maitre , 
quand  il  travaille  fur  une  argile  fouple,  ÔC 
qu'il  fe  plair  à  la  façonner  ! 

M,  Boudon  paroilToii  folidemcnt  établi  à  la  '  ■ 
Fcre,  où  il  joignoit  à  la  réputation  d'un  ^'^^fy^ 
homme  de  bien  ,  celle  d'un  brave  &  lîdéîe 
Militaire,  lorfque'M.  de  Bouville  ,  qui  pour 
lors  en  écoit  gouverneur ,  fut  obligé  par 
une  intrigue  de  cour  à  en  forrir.  Boudon  fuc 
touché  de  la  difgrace  de  fcn  Commandant  j 
ôc  foit  qu'il  aimât  mieux  prévenir  ,qu'atten* 
dre  un  revers  pareil  j  foir  qu'il  n'écoutât  que 
fa  généroficé  ôc  fon  aftedioUjH  voulut  parta- 
ger la  mauvaife  fortune  de  fon  ami,  &  le  fui- 
vrcà  Routoi ,  bourgade  du  Romois  dans  le 
Diocéfe  de  Rouen.  Ainfi  après  avoir  réglé  Ces 
affaires .  il  fe  mie  en  chemin  avec  fon  époufe, 
&  ce  fiîsfi  cher ,  dans  lequel  il  croyoit  entre- 
voir l'appui  de  la  confolarion  defavieillefle. 
Ce  voyage  penfa  coûter  la  vie  à  toute  la 
famille.  À  mi-chemin  ,  des  voleurs  mafqués 
attaquèrent  la  voiture.  Mais  Boudon  ,  vieil 
Officier  qui  ne  s'épouvanroit  pas  du  bruir, 
fçut  û  bien  animer  ceux  qui  l'accompa- 
guoient,  qu'ayant  tous  chargé  avec  vigueur 

Aiv 


I6ii 


S  La    Vie 

ces  maraudeurs,  ils  les  forcèrent  à  prendre 
&;û\'.  laf'i'iice.  LejeuneHeniifiulefcLilqniy  perdir. 
On  enleva  une  robe  qui  éroit  à  fon  ufage. 
Quelques  années  après  il  auroit  encore  donné 
Ion  manteau. 

Le  père  de  cet  aimable  enfant ,  rendu  à  luî- 
même ,  (Sc'libre  enfin  du  tumulte  des  armes 
de  de  raiïiijettiffement  du  fervice ,  fe  fiattoit 
de  la  douce  idée  de  cultiver  Theureux  naturel 
de  fon  fils:  mais  il  reconnut  bientôt,  Se  ver- 
tueux comme  il  étoit ,  il  ne  put  reconnoître 
qu'avec  une  humble  foûmilTion,  qu'il  eft  une 
FuilTance  fuperieurc  qui  dérange  les  plus  lé- 
gitimes projets.  Il  n'y  avoit  pas  long-tems 
qu'il  étoit  à  Routoi ,  lorfqu'une  maladie, 
plus  forte  que  tous  les  remèdes ,  l'emporta. 

Cette  mort,  que  la  prudence  humaine 
regarda  comme  très-funelte  au  jeune  Henri, 
fut  encore  plus  fune/Ie  à  fa  mère.  Celle-ci 
avoit  jufques  là  pafTé  pour  un  modèle  de  fa- 
gefle  &  de  raifon.  Bientôt  après  on  eût  cru 
que  ces  grandes  qualités  s'étoient  enfevelies 
dans  le  tombeau  de  fon  époux.  La  crainte 
de  voir  dépérir  fon  bien  entre  les  mains  d'une 
veuve,  la  fitpenferà  de  fécondes  noces. 
Ce  qu'il  y  eut  déplus  fâcheux  ,  c'eû  qu'ou- 
bliant ôc  le  nom  de  fon  mari ,  de  fa  propre 
famille  ,  où  l'on  trouvoit  encore  quatre  Pré- 
iidens  de  Cours  fouveraines  '^ ,  elle  jetta  les 
yeux  fur  un  miférable  villageois.  La  diftance 
de  ce  dernier  à  celui  qui  l'a  voit  précédé ,  avoir 

*  M.  Thomas  met  toute  cette  grande  Magiftrature  fur 
le  comptedeM.  Jean  BoLidon.  iNÎais  le  MIT,  clesMiflîons 
^uan gères  iâ  rapporte  à  fou  époufe. 


DE  M,  BOUDON,  Liv.  L  5? 

quelque  chofe  de  choquant.  Polii  la  diminuer 
éc  le  diiTimuler  la  faute  ,  elle  en  fit  une  le- 
conde.  Son  premier  mari  lui  avoit  lai/Té  du 
bien  :  elle  acheta  au  fécond  une  charge  chez 
le  Roi  pour  Tennoblir.  Heureuie  dans  fon 
malheur  volontaire, fi  elle  avoir  pu  lui  ache- 
ter en  même-tems  des  fentimens  &:  de  l'élé- 
vation i  mais  elle  eut  tout  lieu  de  reconno'irrc 
que  û  le  fang;  ne  les  donne  pas  toujours ,  les 
Charges  les  donnent  encore  moins  à  ceux 
pour  qui  elles  ne  font  pas  faites. 

Le  jeune  Henri  paiTa  quelques  années  au- 
près de  ce  nouveau  beau-pere.  Le  reTpect 
qu'il  eut  toujours  pour  lui  ,  de  la  nianiere 
dont  il  en  parloir ,  le  firent  dans  la  fuite  re- 
garder comme  fon  fils.  Il  accrédita  lui-mcme 
cette  fauile  opinion  par  fon  filence  ^5-:  pac 
fon  humilité  :  3c  fans  le  témoignage  de  quel- 
ques perfonnes  qui  l'ont  très  -  exactemcrit: 
connu,  peut-être  croiroit-on  encore  avec  le 
Journal  des  Seavans  ,  que  le  grand  Archi- 
diacre d'Evreux  éîoit  le  fils  d'un  Chirurgien, 
Après  tout ,  comme  on  ne  fe  choilit  pa^foii 
père  ,  fa  vraie  gloire  n'"en  fouffrirGit  qti'aur 
yeux  du  préjugé  :  ëc  nous  ne  tarderons  pas 
à  voir  que  fa  naiffance  ne  contribua  pa^  plus 
à  fa  réputation  qu'à  fa  fortune. 

A  l'âge  de  fept  ans  ,  on  pen fa  à  lui  ùh^ 
étudier  la  Langue  latine  :  mais  ccmme  k 
motifquiporroit  fes  parens  à  lui  donner  u- 
ne  Grammaire  ,  étoit  tour  naturel.  Dieu  ne 
lui  donna  pour- lors  ni  penchant  ,  ni  attrait 
pour  l'étude.  On  ne  JHgea^pas  à  propos  d^Iç 

Ay 


10  L  A      V  I  E 

^^--^  contraindre  :  on   le   laifia  à    di  liberté. 

'"^''  Jamais  peut-érre  enfant  n'en  ab.ifa moins, 
C'cil  tiop  peu  de  dire  ,  que  dans  un  âge  lî 
rendre  ,  il  n'y  eut  rien  de  puérile  chez  lui  :  on 
peur  avancer  fans  crainte  de  s'écanerdu  vrai, 
que  dès  -  lors  on  vit  en  lui  les  prémices  de 
toutes  les  vertus  ,  que  le  tems  <?c  la  grâce  y 
ont  développées  dans  la  fuite.  Beau  ik  mo- 
dcîîe,  comme  on  peint  les  Anges  ,  il  prioit 
déjà  avec  tant  de  goût ,  qu'il  ne  s'en  lafloit 
ni  le  jour  ,  ni  la  nuit.  Timide  ,  effrayé  à  la 
fimple  vue  du  péché  ,  dont  on  lui  avoit  inf- 
piré  un  grand  éloigncment  ,  il  fuyoit  avec 
une  fainte  horreur  toute  compagnie  capable 
de  ternir  fon  innocence.  Pur  ôc  challe  par 
tempérament ,  avant  que  de  1  erre  par  vertu 
&  par  réflexion  ,  il  n'y  avoit  ni  parcnre  ,  ni 
alliée  ,  dont  il  pût  fouffrir  l'approhe  ôc  les 
c.ueflev.  Plein  de  rcfped  pour  la  majeflé  de 
Dieu  ,  on  ne  pouvoir  le  voir  à  l'Eglife  fcrvir 
la  fainte  Meffc  ,  fans  apprendre  par  fon  re- 
cncillemenr  de  quelle  manière  il  faut  fe 
comporter  dans  la  maifon  du  Seigneur. 
"^       Il  eft  vrai  qu'il  fit  versée  même  tems  deux 

&  iviiv.'  fautes  ,  qu'il  a  pleurées  le  refte  de  fes  jours. 
La  première  fut  d'avoir  caché  par  une  mau- 
vaife  honte  dans  quelques  unes  de  Ces  con- 
fcïïionSjqua'prcs  avoir  fervi  la  Méfie  il  avoir 
bu  ce  (^ui  rcf^oit  de  vin  dans  les  burettes; 
fenfunlicé  que  fa  confcîcnce  lui  reprcchoic 
comme  un  excès  confidérable.  La  féconde 
(  que  la  timidité  d'un  enfant  diminuoit  beau- 
coup ,  &  que  fon  ignorance  pouvoir  excufer 


DE  M.  BOUDOK.    LiV.T.  II 

entièrement  )  fut  d'avoir  une  heure  ou  deux  ,  • 
gardé  l'argent  d'un  Religieux  propriétaire  ,  ^'"'j^^^ 
pendant  que  fon  Supérieur  faifoic  la  vifire  de 
la  maiion.  Mais  ces  deux  fautes ,  qu'il  a  fou- 
vent  racontées  à  fes  amis  afin  de  fe  confon- 
dre devant  eux  ,  devinrcnr.par  le  faint  ufnge 
qu'il  fçar  en  faire  ,  des  moyens  de  ranctiAca- 
tion  pour  lui  &  pour  le  prochain.  La  dernière 
lui  donna  lieu,  dans  une  infinité  d'occafions, 
de  faire  connorre  de  vive  voix  ôz  par  écrie 
aux  perfonnes  Religieufes  de  l'un  <k  de  l'aïur  e 
fexe  ,  l'étroite  obli;^a!ion  que  leur  impofc  le 
vœu  de  pauvreté  ,  qu'ellesont  fait  d'une  n-a- 
niere  fî  foiemnelle  au  pied  des  Autels,  &:  de 
leur  repréfenrer  lecompte  terrible  qu'auroijÇ 
à  rendre  au  Jugement  de  Dieu  ,  ceux  <Sc  cel- 
les qui  chargés  de  la  conduite  des  autres , 
jnrrcduifent  dans  leurs  maifons  laproprieré, 
foir  par  une  tnolle  condefcendancc ,  foit  par 
une  dureté  outrée  qui  refufe  jufqu'au  nécef- 
faire^  foit  par  le  mauvais  exemple  ,  qui  tou- 
jours contagieux  ,  Teft:  encore  plus ,  quand 
il  vient  de  ceux  qui  font  en  place. 

Pour  ce  qui  eil  de  cette  fuppreiïïon ,  don? 
la  crain'e  ^\:  la  honte  avoient  été  le  principe, 
le  faint  homme  s'en  fervir,  pour  apprendre, 
comme  il  fit  dès-lors^àfes  petits  amis.&  plu  s 
encore  dans  la  fuite  à  toutes  fortes  de  per- 
fonnes ,  qn'une  faute  légère  peut  avoir  des 
fuites  facheufes  -,  qu'on  fe  trouble  fouvent 
pour  des  bagatelles  ;  que  le  moyen  d'avoir 
la  paix  avec  Dieu  ,  c'eft  d'aller  droit  à  lui,  de 
porter  fon  cœur  fur  fcs  Icvr es,  &  plus  ensor c 

Av) 


l6^i. 


li  L   A      V   I   E 

dans  le  tiibnnnl  de  la  Pénitence  ,  que  par- 
tout ailleurs.  J'efpere  ncMimoins ,  ajouroic-il , 
après  s  erre  donné  pour  exemple^avec  beau- 
coup d'humilité  ,  j'efpere  que  la  Sahite 
Vierge  rri  obtiendra lurimijjion  de  c<;tte fcutte: 
car  je  l' ai  déclarée  ai>tc  beaucoup  de  douleur 
dans  la  conjelfion  générale  que  je  fis  pour 
ma  premier L  Communion» 
'  Il  la  fie  cctce  première  Communion  des 

&  fuij.  l'iinnée  fuivante  à  1  âge  de  neuf  ans  :  «^c  ce 
fut  alors  que  le  torrent  des  faveurs  cclcites, 
que  les  chutes  dont  nous  venons  de  parler, 
avoient  arrêté  pcnir  un  tems ,  reprit  chez  lui 
ion  cours  avec  plus  d'abondance  Ôc  plus 
d'impétuofiré  qu'auparavant.  Il  fit  avec  une 
rjouvclle  fd/v^ur  fes  picufes  lectures  &C  il 
y  en  ent  une  qui  le  porta  à  une  adtion  bien 
extraordinaire  pour  fun  âge. 

Ayant  trouvé  par  hazard ,  ou  plutôt  par 
une  fecrette  difpofition  de  la  providence ,  un 
Sermon  à  1  honneur  de  S.  JcanTEvangéliilc, 
qui  trairoit  de  la  pureté  de  ce  grand  Apôtre  : 
fon  cœur  en  fut  fi  touché ,  fi  attendri ,  qu'il 
conçut  un  violent  defir  d'imiter  ce  Difciple 
bien  aimé  de  l'Epoux  &du  Roi  des  Vierges; 
11  fe  recira  donc  à  l'écart ,  &  les  yeux  baignés 
de  larmes  ,1e  cœurembrafé  du  divin  amour, 
il  feconfacra  fans  réferve  à  la  Sainte  Trinité: 
&:  fc  mettant  enfuite  fous  la  protection  de  la 
Mère  de  Dieu  ôc  du  grand  Apôtre ,  dort  les 
Ipblimes  vertus  venoient  de  faire  fur  lui  ime  fi 
vive  impieirion  ,  il  fie  vceu  de  virgijiité  pcï- 
-pétueile. 


DE  M.  BounoM.   Liv.  T.  13 

Depuis  ce  jour  ,  qu'il  regarda  fans  celTe  — — ^ 
comme  le  plus  beau  de  fe$  jours  ,  Boudon  ^^^^* 
conçut  pour  le  faint  Evangélille  de  la  chariré, 
une  tendrelïe  qui  ne  s'akéra  jamais,ou  plutôt 
qui  crût  ôc  fe  niultiplia  beaucoup  plus  que 
l'âge  &  les  années.  Il  ne  fc  lafibit  ,  ni  de 
célébrer  Tes  grandeurs  ,  ni  de  publier  les 
grâces  qu'il  crovoit  en  avoir  reçues.  Grand 
Sa.i?it ,  difoit-il  dans  ces  mouvcmens  rapides 
dont  il  fembloit  n'être  pas  maître  ,  pinjje  le 
Qtl  accroître  le  nombre  devos  Jervïteitrs  Ô* 
les  combler  de  f es  plia  douces  bénédictions. 
Que  le  Seigneur  répande  déplus  en  plus  dans, 
fon  Eglife  un  inftincî  d'amour  pour  zos  ex- 
cellentes perfeHions.-que  votre  nom  foit grand 
dans  toutes  les  nations  ,  qiiiLfoit  célébré 
depuis  un  bout  dumonde  ji^fquà  Pautre^ 

Ce  fut  pour  fe  mettre  en  état  d'infpirer  — » 
avec  plus  de  fuccès  &  plus  d'étendr.e  ,  ces  ^'^/um 
grands  ôz  nobles  fenrimeiis,  que  Boudon  à 
1  âge  d'onze  à  douze  ans  fe  détermina  de  lui- 
même  à  reprendre ,  ou  plutôt^à  commencer 
fes  études.  Il  s'y  prit  de  lamanieredu  monde 
lapluschrérlenne.  Après  une oraifonfervea- 
te  ;  car  ce  faint  exercice ,  qui  rebute  fouvenc 
des  hommes  faits ,  lui  étoir  déjatrcs-familier'; 
il  porta  fon  Rudiment  aux  pieds  d'une  image 
de  la  Sainte  Vierge.  Il  la  pria  avec  beaucoup 
d'inftance  de  bénir  fon  entreprife  ,  &  de  ne 
pas  permettre  que  dans  fcs  études  il  fe  pro- 
posât jamais  d'autre  fin  que  la  gloire  de  fon 
Fils.  «  Vers  l'âge  de  douze  ans ,  difoit-il  dans 
9*  [a fuite ,  je  commençai  à  étudier  Iç  latip  ji 


1635. 


14  L    A      V    I    E 

"  &:  je  bénis  Dieu ,  ôc  (a  rres-fainre  Mcre ,  de 
»  n'avoir  pas  permis  que  j'nye  commencé  piu- 
»  rot  ,  parce  que  j'aurois  pu  chercher  autre 
"  chofe  que  Dieu  feul:  depuis ,  à  l'aide  de  fa 
>'  grâce ,  je  n'ai  jamais  eu  d'aurre  inrenrion.  " 
*  Mais  puilque  la  vue  de  Dieu  [eut  a  été  de- 
puis ce  rems  comme  le  caradère  propre  de 
la  grâce  de  M.  Boudon  ,  &:  que  c:s  mors  : 
"  Agidons  &  fouffrons  pour  Dieu  feul^  ne 
«  vivons  que  pour  Dieu  feul  :  Dieu  feul  nous 
»  fuffif  :  »  (Scaurresfemblables  luiéchapoienc 
prefque  du  marin  au  fcir  dans  Tes  entretiens , 
dans  Tes  Ecrits  ,  dans  les  Prédications  j  qu'il 
\qs  me:roir  à  la  tcte  de  toutes  Tes  jetnes^  & 
qu'enfin  entres-peu  d'années .  Ibit  mépris, 
foit  cllimc  3  il  fut  plus  connu  fous  le  nom  de 
Dieu  feul ,  que  fous  le  nom  de  fa  famille  y 
il  eri  Julie  que  nous  développions  5  une  fois 
pour  route  ,  l'idée  qu'il  attachoit  à  ces  deux 
mors.  Nous  le  ferons  ^vec  d'autant  plus  de 
juflefTe  ,  que  nous  n'employerons  que  fes 
propres  exprefTions. 

"  L'efprit  del'Homme-DieUjdifoit-iljdoit 
>'  être  no' re  efprit.  Nous  devons  penfcr  & 
>'  parler  comme  J.C.  agir  non  par  la  feule 
»^  lumière  naturelle,  qui  fuffit  pour  nous 
y>  faire  agir  en  hommes ,  mais  par  la  lumière 
»  divine  de  fa  grâce  ;  voir  &  juger  des  chofes 
>j  par  la  foi  \  ne  regarder  les  objets  qui  fe  pré- 
•j  fentent ,  que  félon  la  connoiiïanee  que 
w  Dieu  en  a  ,  &  qu'il  nous  en  donne.  » 

»  Le  Chrétien ,  qui  ne  voit  les  chofes  que 
»  de  cette  manière,  femec  peu  en  peinç  de  ce 


DE  M.  BûUDON-  Liv.  î.  i; 

«  que  le  monde  peut  juger  ôc  dire.  II  ne  con-  • 
3'  Uilrcici  ni  les  répugnances,  ni  les  inclina-  *  ^^' 
"  cions,  nilinréiéc, nile  plaifir.  Air.ll comme 
"  il  aime  fes  amis  en  J.C.  il  aime  Tes  ennemis 
"  pour  J»  C.  de  parce  qu'étant  un  en  J.  C.  il 
»  aime  ceux  que  ce  divinSauveuraaimés  juf- 
«  qu'à  donner  fa  vie  pour  eux.  Agir  d'une 
«autre  manière,  c'eil  quelque  chofe  de 
5*  monùrueux  pour  un  chrétien  ;  parce  que 
i>  c'ell  vivre  d'une  autre  vie,  que  de  celle 
"  de  l'on  chef  adorable.  »  Quelle  morale  , 
grand  Dieu  !  de  où  font  ceux  qui  la  pra- 
tiquent î 

Telle  étoit  cependant  dans  l'cfprit  3e  plus 
encore  dans  le  cœur  de  celui  dont  nous  ccri- 
vons  l'hilloire ,  retendue  de  ce  mot  :  Dieu 
feiiL  II  en  prit  fi  bien  le  fens ,  il  Içut  fi  bien 
s'en  pénétrer ,  que  dans  les  confoiations  les 
plus  ienfibles  ^  comme  dans  les  croix  les  plus 
humiliantes ,  le  créé  ,  quel  qu'il  fut,  -difpa-- 
roifibit  à  fes  yeux.  Il  ne  voyoit  plus  que 
Dieu  :  C'étoit  fa  grâce ,  fon  caraderc ,  fa  dc- 
vife.  Il  la  portcit,  il  lagravoit  par-tout,  & 
comme  elle  étoit  fans  celle  dans  fon  cœur  , 
elle  étoit  prefque  toujours  dans  fa  bouche. 
Mais  ce  qui  fait  beaucoup  à  fa  gloire,  c'eft  que 
pouren  venir  là  ,  il  n  eut  pas  befoin  d'atten- 
d re  le  nomibre  des  années.  Dieu  ,  6c  Dieu  très- 
feul ,  l'occupa  tout  entier  dans  un  t ems  où 
Ton  eA  heurelix ,  eu  égard  à  la  corruption  ré- 
pandue fur  tous  les  âges ,  de  voir  les  autres 
ne  s'occuperqu'à  la  bagatelle.  Lecours  de  fes 
études^  dans  lequel  nous  allons  entrer  avec 


l5  L   A      V   I   E 

^     ■■  "  lui ,  nous  en  donnera  dçs  preuves  qui  ne 
^'imv,  fouffrcnt  ni  exception  ni  réplique. 

Sa  niere  voyant  que  de  lui-même  il  avoit 
repris  l'étude  ,  ôc  qu'il  s'y  appliquoit  avec  un 
courage  foutenu  ,  l'envoya  à  Rouen,  où  il 
Haver^  eut  pour  maître  un  pieux  &  fage  Eccléfiaf- 
fxèire.  *  tique,  quiconfacroit  à  l'éducation  de  la  jeu- 
nefle  &  Ton  tems  &  une  partie  de  fon  bien. 
Ce  fut-là  qu'il  fît  paroitre  une  mémoire  hcu- 
reufe  ,  une  pénétration  vive,  ce  génie aifc 
qui  corçoit  tout ,  qui  emporte  tout  fans 
pdne,  (Se  pour  qui  les  premiers  élémens,  que 
pluficurs  ne  dévorent  qu'avec  cçs  difficultés 
infinies ,  ne  font  qu'un  jeu  ,  ôc  qu'une  efpéce 
de  réc:éarion. 

Mais  s'il  fit  de  grands  progrès  dans  les 
fciences,  il  faut  avouer  qu'il  en  fit  de  plus 
grands  encore  dans  la  piété  ,  &  que  le  Col- 
lège des  Jéfuites ,  où  quelques  mois  de  tra- 
vail lui  permirent  d'entrer,  fut  moins  pour 
lui  un  lieu  d'étude  ,  qu'une  Académie  de  ver- 
tus. Il  ne  connut  point  ce  funefie  déchet ,  qui 
au  fortit  de  lamaifon  paternelle,  enlevé  à 
tant  d'autres  l'innocence,  que  des  leçons  fa- 
%cs  &  des  foins  aflidus  leuravoient  ménagée. 
II  fçut  profiter  des  faints  avis  de  fes  maîtres  ; 
mais  il  ne  fçut  jamais  céder  aux  niauvais 
exemples  que  lui  donnèrent  quelques  uns  de 
{es  condifciples  :  de  s'il  cueillit  avec  i.ne  juf- 
te  avidité  les  premières  fleurs  des  lettres  ^  il 
conferva  avec  les  plus  féveres  précautions  un 
germe  infiniment  plus  précieux  ,  celui  delà 
f  uretc  y  êc  des  plus  fublimes  vertus. 


DE  M.  EouDON.  Liv.  I.  17 

Une  des  premières  qu'il  fît  éclater  à  Rouen, 
fut  un  grand  amour  pour  les  pauvres  ôc  pour 
la  pauvreté.  Son  maître  de  penfion  ne  lui 
donnoit  que  le  couvert.  Des  villageois, qui 
chaque  fcmaine  venoient  au  marché ,  lui 
apportoientfes  petites  provifions  :  de  cespro- 
vifions ,  dont  un  beau-pere  dur  &  dillipateur 
ctoit  l'arbitre ,  alloient  à  û  peu  de  chofe ,  que 
la  plus  foible  dimhiution  les  eût  réduites  à 
rien.  Boudon  non  feulement  ne  s'en  plaignit 
jamais ,  mais  il  en  donna  toujours  la  meil- 
leure partie  à  ceux  qui  étoicnr  dans  le  befoin. 
Il  s'y  mettoit  lui-même  pour  les  foulager  :  & 
il  auroit  été  obligé  ,  ou  de  mendier  comme 
eux ,  ou  de  paffer  les  derniers  jours  de  la  fe- 
maine  fans  manger/i  la  mère  de  fon  maître, 
charmée  de  la  fainte  prodigalité  de  ce  jeune 
étudiant,  n'eût  fecrettement  pourvu  à  fon  in- 
digence. Encore falloit-il  qu'elle  prit  lesmo- 
mens  où  il  étoit  abfent  de  la  mâîfon:iln'auroit 
pas  fouffert  qu'une  f€mme,quelque  vertucu- 
fe  qu'elle  fût ,  entrât  dans  fa  chambre. 

Aux  fecours ,  qui  n'ont  pour  objet  que  le 
foulagement  du  corps  ,  Boudon  joignit  les 
fecours  fpirituels.  Comme  on  lui  laifToit  une 
honnête  liberté  ,  parccqu'on  étoit  fur  qu'il 
n'en  abuferoit  pas ,  au  lieu  de  fe  délaflerjCom- 
mcil  efl:  d'ufage ,  des  travaux  de  la  femaine , 
il  affembloit  les  jours  de  congé  une  troupe 
d'enfans  pauvres  comme  lui  ,  <3c  parlant 
déjajquoiqu'encore  petit,  le  langage  de  ceux 
qui  ne  le  font  plus  ,  il  les  entretenoit  de  la 
dignité  de  leurs  âmes  j  de  la  bonté  qu'avoic 


^S  L    A      V   I  B 

eue  J.C.  de  refaire  pauvre  pour  leur  amour, 
cV  de  mourir  nud  fur  une  croix  pour  Ie<=  ra- 
chcreri^<Sjenfindeladifpofirion  où  ils  de- 
yoienr  erre  de  mourir  plurôrque  d'offenfcr 
Dieu.  Tout  ceci  le  difoir  d'une  manière  fi 
vive    fi  couchante  ,  que  ces  pauvres  enfans 
fembloient   n'avoir  plus  d'inclination  que 
pour  la  vertu,  plus  d'horreur  que  pour  le 
pèche.  Ce  qu'il  avoir  fait  à  Pvouen  pendant 
le  cours  de  l'année  ,  il  le  faifoit  à  Routoi 
pendant  les  vacances.  lUpprcnoir  aux  pau- 
vres de  Ton  village  lef  my/îeres  de  la  Foi ,  ks 
ventes  de  la  Religion  ,  les  voies  du  Salut  :  cr- 
ces  bonnes  gens  tecoutoient  comme  un  An^e 
^  De  retour  à  la  ville  ilreprenoir  Tes  ex'^er- 
ciccs  ordinaires  avec  une  nouvelle  ferveur 
II  y  en  joignit  bientôt  unaurre,  qui  répand 
fur  fa  jeuncfTe  un  Çx  beau  lullre  ,  que  nous 
aurions  tort  de  le  fupprimer.  Une  Boulan^ 
gère  de  fon  voifimge   avant  appris  qu'un 
des  PcnHonnaires  de  M.  Havel  ne  recevoic 
piefque  aucun    fecours  de  fa  famille      & 
qu'il  joignoit  à  une  vie  trc.-exemplaire  ua 
zèle  ardent  potir   le  falut   du  prochain 
voulue   lui  donner  quelquefois  à  mander' 
Des-que  fon  mari  étoit  foui ,  elleraiïembloic 
dans  fa  maifon  un  grand  nombre  de  pauvres 
femmes  ,  c'ell  à  dire  de  ces  fortes  de  pcr- 
fonncs ,  que  lej  bcfoins  de  l'amc  touchent 
fouvent  beaucoup  nioins  que  \qs  néceifités 
du  corps.  Le  jeune  Henri  éuoit  plus  flatté  de 
cet  auditoire ,  où  l'on  ne  voyoit  que  la  tri/le 
is.  lombre  empreinte  del'indigeiîce  c^dcla 


DE  M.  BouDON.  Liv.  I.  19 

mîfere  :  qu'il  ne  réroit  en  fe  rappellant  que  '  ' 
les  trois  plus  grandes  Princeffes  de  TEuropc  g^^ulv* 
avoienc  verfé  des  fleurs  fur  fon  berceau. 
Ainfî ,  comme  dès-lors  il  ne  rariiToit  point , 
quand  il  s'agiffoit  des  intérêts  de  de  la  gloire 
de  Con  maître,  il  entretenoit  fa  petite  aficm- 
blée  avec  une  force  &  des  grâces  qu'on  ne 
peut  exprimer.  Après  une  courte,  mais  vive 
expofirion  des  principaux  myftcres  de  la  Foi, 
il  s'étudioit  principalement  à  leur  donner 
nne  haute  idée  de  cet  état  humble  &  pauvre 
qui  les  rendoit  fi  petites ,  fi  mcprifables  aux 
yeux  du  monde. 

Il  les  difpofoir  enfuite  à  la  réception  des 
Sacremens ,  &  furtout  à  la  communion  du 
corps  de  da  fang  adorable  de  J.C.  Il  leur 
difoic ,  «  que  nous  rendrons  un  compte  ri- 
"  goureux  ,  non-feulement  de  toutes  les 
>'  Communions  indignes  ,  mais  encore  de 
«  celles  que  nous  aurions  pu  faire  dans  l'ordre 
''  de  Dieu  ,  &  que  nous  avons  négligées.  Il 
»  n'y  a  donc, mes  chères  rœuvs^contwuoh'il , 
>»  il  n'y  a  ni  mari  ,  ni  enfans  ,  ni  état  ,  ni 
>^  commerce  qui  doivent  nous  excufer.  Il  faut 
«  rompre  avec  la  nature  corrompue  ,  brifer 
>'  nos  liens  ,  quitter  tout  pour  recevoir  un 
w  Dieu  qui  a  tout  fait  pour  fe  donner  à  nous.  '> 
Ce  ton  didadique  étoit  fouvent  coupé  par 
de  vives  &  impétueufesfaillies,qui  fortoienc 
de  fon  ame  ,  comme  le  feu  fort  d'une  four- 
naife  allumée.  «  Ouvrons-nous^mon  cœur, 
«  s'écrioiHl ,  éclatons ,  mourons  d  amour  , 
>'  perdons-nous  dans  cet  abime  d'amour,dan3 


10  L   A      V   I   B 

-  "  ce  divin  Sacreinenr.  Aimables  Séraphins  ; 

ViiiiY.  "  cmbrafez-noLis  de  vos  feux.  Incomparable 
'^  Reine  du  pur  amour  ,  confumcz-nous 
»  dans  vos  flammes  ,  afin  que  faintement 
"  confumcs  de  routes  parts  ,  nous  puiflîons 
"  être  les  victimes  de  l'amour  de  J.C.  dans 
»  le  très  faint  Sacrement ,  dcc.  Ainfi  parloir 
à  l'âge  de  treize  ou  quatorze  ans  le  pieux 
Henri  :  combien  de  vieux  Philofophes, parmi 
ceux  mêmes  qui  ont  encore  afTcz  de  force 
d'cfprit ,  poyr  ne  pas  rougir  de  l'Evangile  , 
ne  parleroient  pas  mieux  ! 

Cependant  il  ne  fc  borna  pas  à  ces  maximes^ 
qui  quelques  grandes  qu'eiles  paroillcnt ,  ne 
font  après  tout  que  les  élémens  réfléchis  de 
Ja  vie  chrétienne.  Peu  à  peu  il  forma  àl'orai- 
fon  ces  âmes  de  boue  ,  à  qui  le  nom  même 
d'oraifon  étoir  d'abord  inconnu.  Il  leur  ap- 
prit à  converfer  intérieurement  avec  Dieu  : 
ôc  parmi  celles  qui  fe  rendirent  aiTidues  àfe^ 
conférences  ,  il  s'en  trouva  plufieurs  qui ,  à 
l'ombre  de  la  grâce  ik  de  leur  fimplicité ,  s^é- 
Icverent  à  un  très-  haut  degré  de  piété  &  de 
contemplation,  La  plupart  des  autres  chan- 
gèrent de  conduite  ,  firent  des  confelTions 
générales ,  ôc  menèrent  depuis  une  vie  très- 
édifiante. 

Une  d'elles  fit  un  jour  une  réponfe,  dont 
bien  des  gens  furent  touchés,  ôc  que  notre 
jeune Boudon n'a  jamais  oubliée.  LesJéfuites 
de  Rouen  commençant  alors  à  bâtir  leur 
cglife ,  cette  femme  pour  y  contribuer  à  fa 
manière  ,  fe  fcntit  intérieurement  prcfTée  de 


DE  M.  BOUDON.    LiV.  îj  II 

porter  au  P.  Redeur  un  écu  ,  qui  écoîr  tour  "" 

ce  qu'elle  avoir  dargenr.  Ce  Supérieur  ayant  l^iXi 
reconnu  à  Tes  habits  qu'elle  é:oit  bien  éloi- 
gnée d'ccre  à  fon  aife ,  loua  fa  bonne  volon- 
té \  mais  il  refufa  fon  préfent ,  (3c  lui  die ,  qu^ 
bien  loin  de  la  priver  du  peu  qu'elle  avoir, 
il  feroit  bien  aife  de  lui  procurer  quelque 
fccours,  parce  qu'elle  lui  paroifToir  être  dans 
le  befoin.  Ce  fut  alors  que  cette  femme  aufîl 
riche  en  foi ,  qu'elle  Tétoir  peu  du  côré  de  la 
forrune,élevant  la  voix,lui  répondit  d'un  tcHi 
ferme  6c  refpeclueux  :  »  Sçachez ,  mon  Père, 
»  que  je  fuis  chrétienne  ,  &  par  conféquent 
jj  fille  d'un  grand  Roi ,  &  héritière  d'un 
»j  grand  Royaume.  Défabufez  vous ,  mon 
»  Père ,  je  ne  fuis  pas  pauvre  \  on  ne  l'ell:  pas, 
j'  quand  on  a  un  Dieu  pour  fon  vrai  père.  « 
Le  Recleur  frapé  d'un  fentiment  {\  noble , 
ne  balança  plus.  Il  accepta  les  deux  oboles 
de  la  veuve  avec  autant  d'édification  ,  que  de 
reconnoiflance. 

Le  zélé  de  notre  faint  Écolier  ne  fe  borna 
pas  au  petit  troupeau  dont  nous  venons  de 
parler  ;  il  le  porta  à  vifiter  les  malades  dans 
leshôpitaux,6cà  leur  rendre  tous  les  fervices 
dont  il  étoit  capable.  La  feule  vue  de  <:ç.s  hom- 
mes i  dont  une  délicatefie  peu  chrétienne  dé- 
tourne les  yeux  ,  arrendrifibir  fon  cœur  \  Se 
il  comptoir  parmi  fes  plus  beaux  jours,  ceux 
où  il  avoit  paflé  plus  de  tems  à  refpirer  l'air 
contagieux  qui  les  environne. 

S'il  nefaifoitpas  du  bien  à  tous  les  pau- 
vres, parce  qu'il  n'étoit  guéres  moins  pauvre 


22  L   A      V    I    É 

■  qu'eux  ;  du  moins  les  traitoit-il  comme  le 

&fufv  Fils  de  Dieu  veut  qu'on  traite  ceux  qui  lui 
appartiennent.  De-là  cette  belle  maxime  , 
qu'il  prariquoit  exactement ,  &  quil  rcpcca 
plus  d'une  fois  des  le  temsde  fes  premières 
études  :  «  Quand  une  perfonne  dans  le  be- 
»  foin  fe  préfcnre  à  nous,  ce  n'e/l  point  af- 
w  Ccz  de  ne  la  pas  rebuter ,  de  ne  la  pas  trai- 
»■»  ter  rudement,  ou  mcme  avec  indifférence; 
w  nous  devons  encore  la  recevoir  avec  un 
»>  profond  refpect ,  ôc  rendre  à  Dieu  de  tres- 
sa grandes  aclions  de  grâces ,  de  ce  qu'il  veut 
»  bien  nous  procurer  l'honneur  de  fervir 
*>  J.  C.  en  la  perfonne  de  nos  frères.  »• 

C'eft  dans  cet  efprit  qu'étant  un  jour  à 
la  campagne  ,  il  fecourut  un  jeune  garçon 
qui  fe  mouroit  dans  la  rue.  Le  Curé  du  lieu 
le  rcgardoit  de  fang  froid,  fans  avoir  compaf- 
fion  ni  du  corps  ni  de  l'ame.  Un  pauvre  ar- 
tifan  l'ayant  porté  dans  fa  maifon  ,  Henri  , 
que  les  premiers  cris  de  la  mifere  réveilloient 
aifément ,  y  accourut.  Le  malade  demandoic 
inllamment  un  Confefleur.  Boudon  appella 
le  Vicaire ,  homme  épais  &  mal  inftruit ,  qui 
ne  voulut  pas  l'entendre.  Pour  y  fuppléer , 
notre  jeune  Etudiant  lui  fit  produire  des 
acles  de  contrition  ;  Se  pria  un  Chapelain  de 
fe  prêter  aux  juftes  defirs  d'un  moribond,quî 
ne  demandoit  qu'à  fe  réconcilier  avec  Dieu. 
Ce  dernier  trouva  fon  fujet  bien  difpofé, 
lui  donna  l'abfolution  ,  ôc  fut  û  touché  des 
bons  fentimensoù  Dieu  avoit  mis  un  enfant 
par  le  moyen  d'un  autre,  qu'il  ne  put  retenir 


DE  M.  BouDON  Liv.  I.  23 

fes  larmes.    Boadon  n'abandonna  point  le         ■— 
mouiaut  :  il  eue  la  force  de  recevoir  ils  der-  ^^^i^^ 
niers  foupirs  -,  après  quoi  il  le  fit  tranfporter 
dans  fa  chambre  ,   jufqu'à   ce  qu'on    ^ûc 
l'enterrer. 

Le  foin  de  former  les  pauvres  à  une  vraie 
&  folide  verru,ne  fur  pas  la  feule  occupation 
de  notre  jeune  candidat  j  il  travailla  pour  le 
moins  autant  à  faire  de  fes  condifciplcs  im 
peuple  faint ,  une  nation choifie  :  6c  sil  ne 
réulîit  pas  a  1  égard  de  tous  ,  en  peur  dire 
qu'il  réufiit  un  peu  trop  à  l'égard  de  plufieurs. 
Heureux  les  hiltoriens  ,  s'ils  n'avoient  que 
de  pareils  excès  a  tranfniettre  à  la  portcrité! 

Son  premier  foin  en  arrivant  dans  la  mai- 
fbn  du  fieur  Havel ,  fut  de  fe  lier  de  cœur  & 
d'affeclion  à  ceux  des  Penfîonnaires  qui  lui 
parurent  plus  fages  ou  plus  dociles  Difciplc 
par  rapport  à  fes  maîtres  d'étude, il  fçut  bien- 
rôt  par  un  certain  air  de  candeur  ôc  d'ingé- 
nuité ,  par  fes  manières  infinuanres ,  &  fur- 
tout  par  cet  empire  puiflant  que  donne  une 
vertu  qu'on  ne  trouve  jamais  en  défaut ,  fc 
rendre  maître  abfolu  de  i'efprit  de  tous  ceux 
que  là  grâce  rendit  dignes  d'être  admis  à  fon 
commerce. 

Mais  que  pouvoir  donc  faire  un  enfant  de 
fon  âge  ?  Ce  que  bien  des  perfonnes  de  tren- 
te ôc  quarante  ans  n'oferoient  prefque  ten- 
ter. Il  apprenoit  aux  uns  à  bien  employer  le 
tems ,  &  fur-tout  à  étudier  en  parfaits  chré- 
tiens i  aux  autres  à  s'élever  doucement  à 
Dieu  par  le  moyen  de  la  prière  ôc  de  l'oraifon 


24  L    A      V    T   E 

^'  mentale  j  à  ceux-ci  de  quelle  manière  ils 

&ftifv  <^c^'oi^'nf  s'y  prendre  pour  faire  faintcment 
leur  première  communion  j  à  ceux-là  les  dif- 
pofitions  qu'ils  dévoient  apporter  àunecon- 
feflîon  générale  ,  dont  il  leur  avoit  donné 
l'idée  i  à  plufieurs ,  6c  c'eft  ce  qui  étonne 
davantage  y  de  quelle  façon  ils  dévoient  fe 
-comporter  pour  vaincre  une  paffion  naif- 
fnnte  ,  ou  une  tentation  importune.  Car 
dès- lors  il  poffédoit  fi  bien  le  talent  d'inspirer 
■de  la  confiance,  que  des  écoliers  ,  fouvenc 
beaucoup  plus  avancés  qu'il  ne  pouvoir  être , 
luidécouvroientleurspeines  les  plus  fécrettes: 
Se  l'on  ne  doute  point  que  ce  jeune  direcleuu 
n'ait  guéri  bien  des  plaies  ,  dont  il  avoit  le 
bonheur  de  n'avoir  encore  aucune  idée 
àhVmûe. 

Sesdifcours  étoient  déjà  fi  vifs,  fipuiflTans, 
qu'ils  enchainoient  les  cœurs.  C'étoit  une 
femence  bien  nourrie  ,  qui  jettce  dans  une 
bonne  terre ,  y  produifit  peu  à  peu  jufqu'au 
centuple.  Nous  n'en  donnerons  ici  que  deux 
exemples  j  mais  ce  que  nous  dirons  un  peu 
plus  bas,  démontrera  que  nous  les  choifif- 
fons  parmi  un  très-grand  nombre  d'autres. 
Le  P.  Gallie  ,  né  à  Dieppe ,  avoit  tout  jeune 
encore  ,  ces  belles  ôc  grandes  qualités  qui 
ouvrent  l'entrée  du  monde  de  la  manière 
la  plus  flatteufe  ;  c'eft-à-dire  tout  ce  qu'il 
faut  pour  y  réuflir  ôc  pour  s'y  perdre.  Il  eut 
le  bonheur  de  voir  Boudon  ,  de  le  goûter  , 
de  former  une  tendre  ôc  intime  liaifon 
avec  lui.  A  fon  cçgle  ôc  par  fcs  exemples  il 

apprit 


DE    M.    BOUDON    Liv.    I.  IC 

apprit  à  connoîcrc  la  vanicé  du  fiécle.  Il  ré- 
folut  de  Ce  foiiftraire  à  Tes  dangers.  Il  exécuta 
ce  projet  en  entrant  dans  la  Compagnie  de 
Jcfiis;  ôc  ce  fut  là  qu'il  répéta  cent  fois, 
qu'il  devoit ,  après  Dieu  ,  fa  vocation  aux 
exercices  de  piété,  que  Boudon,  enfant  com- 
me lui ,  lui  faifoit  faire ,  ainfi  qu'à  fes  autres 
condifciples. 

M,  Fermanel ,  qui  fut  depuis  Supérieur 
<îu  Séminaire  des  Miflions  étrangères ,  a  auf- 
fi  déclaré,  que  c'étoit  en  conféquence  des 
leçons  du  jeune  Henri ,  qu'il  avoit  quitté  le 
monde  pour  embraHer  Tétat  EccléfialHque. 
Aum  ,  ajoittoh-il,  rien  de  plus  admirable 
que  la  grâce  qu'il  avoit  dès  ce  tems-Ià  pour 
toucher  les  cœurs  :  rien  de  plus  propre  à  faire 
imprelTion  fur  ceux  qui  Tenrendoient ,  que 
fon  amour  pour  J.  C.  tendre  &  unique  cb- 
iet  de  fon  cœur,  &  fujet  éternel  de  Ces  con- 
verfations. 

Quelque  idée  que  nous  donnent  de  l'en- 
fance de  M.  Boudon  ,  des  aveux  fi  précis , 
iî  faut  avouer  que  le  détail  des  exercices  qui 
faifoient  l'occupation  ordinaire  de  ce  jeune 
maître  &  de  fes  pieux  aflbciés,  nous  en  don- 
ne encore  une  bien  plus avantageufe.  Voici, 
quant  à  la  fubiiance ,  ce  qu'il  nous  a  lui  mcme 
appris  de  ce  petit  troupeau.  Si  la  modertic 
ne  lui  a  pas  permis  de  s'v  joindre ,  la  jullice 
nous  permettra  encore  moins  de  l'en  féparer, 
lui  qui  en  fut  toujours  l'ame  ôc  le  premier 
mobile. 

Tous  ces  enfans,  penfionnaires  &  étran- 

B 


2<^  La    Vie 

gcrs,  car  ils  en  gagnèrent  plufieurs  autres, 
commencèrent  par  le  mettre  fous  la  protec- 
tion fpéciale  de  la  lainte  Vierge  :  tous  s'en- 
rôlèrent  dans  la  Congrégation    de   notre 
Dame  ,  établie  pour  la  jeunefTe  au  Collège 
des  PP.  Jéfuites.  Mais  les  exercices  qui  s'y 
failbient ,  ne  fulfifoicnt  pas  à  leur  ferveur. 
Ils  avoientà  la  maifon  un  petit  Oratoire, 
où  chaque  jour  ils  fe  réunidoient,  pour  rendre 
leurs  hommages  à  la  Reine  des  Anges.  Ils 
difputoient  faintcment  à  qui  lui  donneroic 
de  plus  magnifiques  éloges.  Sa  gloiic  de  fes 
grandeurs  étoicnt  l'invariable  objet  de  leurs 
entretiens  pendant  le  repas  ôc  pendant  les 
récréations.  Leur  plaifir  le  plus  doux  étoic 
de  vifiter  les  Eglifes  &  les  Chapelles  confa- 
crécs  au  Fils  fous  l'invc^cadon  de  la  Merc. 
Quelquefois  les  jours  de  congé  ils  quirtoient 
leur  chaufTure  hors  de  la  ville,  pour  faire 
avec  plus  de  ferveur  ces  pieux  pèlerinages. 
D'autrefois ,  &c  affez  fouvent ,  faifis  par  cet 
efprit  qui  animoit  David  ôc  fa  lire  ,  ils  fai- 
foient  retentir  de  fes  louanges  les  montagnes 
ôc  les  vallées.  On  ne  pouvoit ,  fans  être  tou- 
ché ,  voir  cette  aimable  jeunette  devancer 
de  beaucoup  l'aurore  ,  pour  ne  pas  manquer 
fon  Oiïice  les  jours  de  Congrégation.  Dès  les 
trois  à  quatre  heures  du  matin  ils  étoient  à 
la  porte  du  Collège:  ^  ils  attendoient  en 
paix  &  en  prières  qu'elle  leur  fût  ouverte. 
Ce  grand  appareil  de  culte  extérieur  étoit 
fourenu  de  cet  efprit  de  foi  &  d'amour ,  qui 
en  fait  Tame.  Ils  fe  préparoient  aux  folem- 


DE  M.  BouDON  Lir.  I.  i» 

nircs  de  certe  Reine  du  Ciel  &  de  la  Terre , *— 

par  des  morrifîcations  qui  auroient  fait  l\^^' 
honneur  à  un  âge  beaucoup  plus  avancé.  Ils 
jeiinoient  fepr  jours  auparavant  j  &ce  jeune 
croie  fi  rigoureux  ,  qu  un  peu  de  pain  &  de 
beurre  faifoic  coure  leur  nourriture.  Une 
Communion  fervente  éroit  ces  mêmes  jours 
un  des  premiers  exercices  de  leur  dévotion. 
Ils  fouhaicoient  avec  ardeur,  &  tâchoienç 
de  procurer ,  tant  par  leurs  prières ,  que 
par  celles  des  plus  vertueux  Prêtres,  que 
ion  nom  fût  connu  des  nations  qui  l'igno- 
rent, &  doublement  honoré  de  ceux  qui 
ont  le  bonheur  de  le  connoître.  Ils  avoienc 
un  livre  d'affociation,  où  tous  avoient  fîgné, 
plufieurs  même  de  leur  fang,  qu'ils  Çc  dc- 
vouoient  à  fon  fervice  ,  autant  que  l'ordre 
de  Dieu  le  permettoit  Se  l'exigeoit  d'eux.  En 
particulier  ils  avoient  fait  vœu  de  défendre 
Ion  immaculée  Conception  j  de  chaque  jour 
Ils  en  rccitoicnt  l'Office.  Trouve- 1- on  quel- 
que chofe  de  mieux  dans  les  Cloîtres  les  plus 
réguliers! 

On  peut  bien  juger  que  notre  charitable 
ttudiant  remplit  le  cœur  de  Ç^s  pieux  Elevés 
des  tendres  &  refpedueux  fentimens  qu'il 
avoir  pour  \ts  pauvres.  Il  fit  en  ce  genre  tant 
de  chofes ,  qui ,  fous  différens  rapports ,  pa- 
roiffent  dans  l'ordre  &  contre  l'ordre ,  qu'en 
admirant  le  motif,  on  fcroit  tenté  de  fe  ré- 
crier fur  la  manière ,  fi  Dieu  n'avoit  juliiiîé 
&  la  manierez  le  motif  en  parant  les  con- 
Icquences.  Auffi  fenfible ,  &  en  quelque  for- 

Bij 


^S  La     Vie 

te  plas  attentif  aux  befoins  de  l  indigent , 
que  ces  anciens  Pariiaixlies  ,  qui  le  foir  à  la 
porte  de  leurs  tentes ,  autendoient  l'étranger , 
pour  partager  avec  lui  leur  foyer  ôc  leur 
fubfiftance  ;  Boudon  fe  levoit  quelquefois 
la  nuit  ;  &  prenant  avec  foi  un  ou  deux  de 
fes  meilleurs  amis ,  il  alloit  par  les  rues  de  la 
ville  chercher  quelque  malheureux  ,  qui 
p  eût  point  de  retraite.  Lorfqu'il  avoit^  ete 
'affcz  heureux  pour  en  rencontrer  quelqu  un  » 
Se  ce  bonheur  ne  lui  manquoit  guère  dans 
une  aufll  grande  ville  que  celle  de  Rouen , 
il  le  faifoit  monter   fécrettement  dans  fa 
chambre  -,  il  lui  lavoit  les  pieds ,  les  efluyoït 
de  fes  cheveux  ,  qu'il  avoit  fort  longs  &  fort 
beaux  i    buvoit  avec    plus   df  force ,   que 
nous  n'en  avons  à  l'écrire  ,  une  partie  de 
cette  eau  bourbeufe  ,  partageoit  avec  lui  fon 
très-petit  ordinaire,  lui  cédoit  fon  ht ,  paf^ 
foit  le  refte  de  la  nuit ,  ou  fur  le  plancher  , 
ou  en  prières  i  éveilloit  ce  nouvelle  hôte   c 
niatin  ,  le  catéchifoit  avec  autant  de  zèle 
que  d'affection  ,  &  le  renvoyoit  en  paix. 

M.  Boudon  en  réfiéchiffant ,  plus  de  cin- 
quante ans  après ,  fur  cette  partie  de  fa  con- 
duite, ne  pouvoit  allez  admirer  la  Providen- 
ce qui  avoit  écarté  les  mauvaifes  fuites  , 
qu'elle  devoir  naturellement  avoir.  Car  en- 
fin ,difoit-il  ,  c'étoient  de  jeunes  gens  qui 
de  nuit ,  6c  fouvent  après  minuit ,  ouvroient 
les  portes  d'une  maifon  j  &  qui,  fans  que 
Jamais  perfonne  du  logis  s'en  foit  plaint,  y 
iutroduifoient  des  mendiaiis  iiico;inu$,  c  eli 


2)E  M.  BOCDON.  Liv.  ï.  i$ 

à-dire ,  àcs  gens  fans  aveu  ,  de  trop  fouvent  " 

fans  probité ,  qui  auroient  pu  veiller  pendant  ^^f^^. 
que  leurs  petits  hôtes  dornioienr,  &  empor- 
ter ce  qu'ils  auroient  trouvé  a  leur  bienféan- 
ce.  »  C'eil,  ajoittoit-il ,  que  ce  qui  fe  fait  par 
«  charité ,  fe  trouve  toujours  bien  fait.  Heu- 
"  reux  oubli ,  qui  nous  fait  perdre  de  vue  nos 
»  intérêts ,  pour  ne  penfer  qu'aux  feuls  inté- 
«  rets  de  J.  C.  !  » 

C'eft  fon  cardere  qu'il  a  tracé  par  ces 
dernières  paroles.  Il  étoit  dès  lors  fi  perdu  , 
fi  abforbé  en  Dieu  ,  qu'il  ne  voyoit  que  lui 
dans  toutes  les  créatures,  ou  plutôt  qu'il  ou- 
blioit  toutes  les  créatures ,  à  force  de  ne  pen- 
fer qu'a  lui.  Son  penchant  pour  la  contempla- 
tion étoit  fi  fort,  qu^il  paflbit  aflez  fou  vent 
les  nuits  entières  dans  ce  fàint  exercice.  Le 
foleil  qui  l'avoit  laiffé  humblement  prcilerné 
devant  la  Majellc  fuprême ,  l'y  trouvoit  en- 
core, quand  il  renaiûbit  fur  Thorifon.  Ce 
goût  pour  la  prière  le  confoloit  beaucoup  j  âc 
il  ne  douta  point  qu'il  n'en  fût  redevable  aux 
mérites  &  à  Tinterceflion  de  la  fainte  Vierge, 

Ce  fut  fans  doute  à  cette  zélée  &  tendre 
Proteclrice  de  fa  jcunefle  ,  qu'il  dut  encore 
fon  amour  pour  l'augurie  Sacrement  de  l'Eu- 
chariJlic.  Sa  foi  fur  cet  adorable  mvf^cre, 
étoit  û  vive ,  fi  lumineufe ,  qu'on  eût  cru 
que  le  voile  qui  le  dérobe  à  nos  yeux  ,  croie 
levé  pour  les  fiens.  11  y  vovoit  fon  divin 
Maître  revêtu  de  fa  gloire,  &  environné  de 
ces  bienheureux  Efprirs,  qui  fuivent  l'Agneau 
par-tout  où  il  va.  Soit  qu'il  fe  nourrit  réel- 

Biij 


30  La     Vie 

-— -  lement  de  fa  chair ,  ce  qu'il  fie  dès  fa  jeuncfTe , 
«  fuiv.  auin  fouvenr  qu'il  le  put  faire  ;  foie  qu^il  n'y 
participât  qu'en  cfprit,  ily  trouvoit  une  fou r- 
çc  féconde  de  grâces  pour  fon  ame,  ôc  une 
fournaife  de  feux  pour  fon  cœur.  Chaque 
jour ,  dès  le  grand  matin ,  iJ  panfoit  aux  pieds 
du  faint  Tabernacle  tout  le  tems  qu'il  avoit 
à  fa  difpofition.  Ce  tems  même  ne  fuffifoit 
pas  aux  ardeurs  de  fa  charité,  il  donnoit  à 
fa  dévotion  une  partie  de  la  nuit  aux  portes 
des  Eglifes,  fans  fe  foucier  ni  de  ia  duieié 
desfaifons,  ni  des  befoins  de  fon  corps ,  ni 
du  jugement  que  pouvoienc  porter  de  lui 
ceux  qui  le  tiouvoient  là  à  des  heures  indues. 
Son  ConfclTeur  en  ayant  été  averti  le  lui  dé- 
fendit. Il  obéit  fans  répliquer.  La  vraie 
piété  ne  difpute  point  contre  ceux  qui  lui 
tiennent  la  place  de  Dieu. 

Quelque  abondant  que  fut  le  fonds  de  ver- 
tus que  s'étoit  fait  le  jeune  Boudon ,  il  ne 
tarda  pas  à  reconnoître ,  qu'en  ce  genre  on 
n'e/i  jamais  trop  fourni.  Au  calme  profond  , 
dont  il  avoit  jotii  pendant  Ces  premières  an- 
nées, fuccéderent  de  violens  orages,  qu'il 
n'avoit  point  prévus.  Attaqué  à  la  fois  au-de- 
dans  Se  au-dehors.  il  fe  vit  en  butte  aux  fu- 
reurs du  démon ,  à  la  malignité  du  monde  , 
à  l'infenfibilité  de  fa  propre  famille.  Ces 
beaux  jours,  où  Dieu  lavoit  nourri  d'un  laie 
délicieux  ,  s'évanouirent.  A  peine  étoit-il  en 
Troifiéme,  qu'il  fut  fevré  de  ces  confolations 
fenfibles,  qui  fembloient  ne  devoir  jamais 
finir.  Des  nuages  impurs,  plus  terribles  pouv 


*£  M.   BOUDON.  Liv.  I.  3t 

ki  que  ne  reûc  écé  la  nuit  du  tombeau  ,  s'é-  ' 

levèrent  dans  fon  imagination.  Il  marchoit  ^^^^^^ 
dans  une  terre  défcrte,  fans  chemin,  fans 
eau  ,  fans  lumière  qui  lui  découvrit  le  préci- 
pice, où,  à  chaque  pas,  il  craignoit  de  tom- 
ber. Le  Ciel  paroifToit  d'airain  pour  lui ,  la 
terre  l'abandonnoit.  Toutes  fes  voies  étoient 
remplies  de  pierrres  quarrées,  ainfi  que  par- 
le rÈciiture.  Le  Seigneur  n'éroit  plus  pour 
lui  qu'un  Dieu  caché  dans  la  nuë.  Si  quelque- 
fois il  faifoit  luire  à  fes  yeux  un  rayon  de 
lumière ,  c'étoit  un  éclair  ,  que  le  même 
inftanr  voyoit  paroîcre  6c  fe  dilTipcr.  Son 
cœur  lui  fcmbloit  ccre  une  trille  image  de 
ces  montagnes  de  Gclboé  ,  pour  lefquelles 
il  n'y  a  ni  pluie ,  ni  rofée.  En  un  mot ,  il  ne 
lui  re/loit  plus  qu'un  fenticr  de  troubles ,  de 
croix  ,  de  mortelles  inquiétudes. 

Dans  une  pofition  fi  cruelle  ,  &  d'autant 
plus  fâcheufe  ,  qu'elle  commença  de  bonne 
heure,  &  qu'elle  dura  plufieurs  années,  il 
ctoit  difficile  qu'il  eût  l'efprit  aflez  hbre,  pour 
donner  à  fes  études  cette  application  férieufc 
fans  laquelle  on  n'y  réufTit  pas.  On  fçait  néan- 
moins, que  dans  ce  tems  de  peines  à  d'agita- 
tions ,  il  fut  toujours  un  des  premiers  de  fa 
C la iTe.  Toujours  également  ferme  dans  fa 
dévotion  envers  la  Mère  de  Dieu ,  il  en  ob- 
tint une  ouverture  admirable  pour  les  fcien- 
ces  i  &  fi  cette  pieufe  mère  ne  calma  pas 
les  flots ,  qui  s'étoient  élevés  fur  la  furfacc 
d'un  cœur  qui  lui  étoit  fi  cher;  elle  ne  per- 
mit pas  que  les  eaux  entrailent  dans  fon  ame , 

Bi/ 


3i  La    Vie 

— ^ &  moins  encore  qu'il  en  fût  fubmcrgé.  Auifi 

^\l^y,  fut-il  toujours  également  pur  ,  malgré  les 
efforts  que  fit  le  démon  pour  l'entamer.  Le 
vice  contraire  à  la  plus  belle  des  vertus  trou- 
va en  lui  un  cenfeur  inexorable.  Une  parole 
un  peu  libre  le  faifoit  rougir  ^  mais  un  de  Tes 
regards  faifoit  au  moment  même  rougir  ceux 
qui  l'avoir  proférée  :  Sa  préfence  déconcer- 
îoit  le  plus  intrépide  libertin. 

Ce  fut  par  cet  afcendant  que  lui  donnoit 
fa  vertu  ,  qu'il  garantit  celle  d'une  jeune  Ôc 
pauvre  veuve  nommée  Louife  Henri ,  a  qui 
malgré  les  clameurs  de  fes  parcns ,  qui  tous 
écoient  des  Huguenots  invétérés ,  il  avoit  fait 
abjurer  fon  hcréfie.  Reçue  dans  la  maifon 
de  M,  Havel  à  rirre  de  lervanre  ;  des  Pen- 
iionnaires  plus  avancés  en  âge ,  mais  beau- 
coup moins  avancés  en  venus  ,  que  ceux 
dont  nous  faifions  il  n*y  a  pas  long  tems  un 
fi  grand  éloge,  la  regardèrent  d'un  œil  cri- 
minel. Boudon  inftruit  de  leurs  deiïeins ,  ôc 
craignant  qu'ils  ne  fiiTent  fuccéderla  violence 
aux  prières,  fe  trouva  par- tout  où  il  pouvoir 
y  avoir  du  danger  pour  elle.  Et  comme  les 
jours  de  congé  étoientceux  où  il  y  avoir  plus 
à  craindre,  il  facrifîoii  fa  récréation ,  de  peur 
qu'en  fon  abfence  ,  on  ne  lui  fit  quelque  in- 
lulre. 

Un  fervice  aufTi  eflentielne  fut  pas,  à  bien 
près ,  le  feul  que  M.  Boudon  rendit  à  cette 
veuve  défolée.  Lorfqu  ilfut  Archidiacre  d'E- 
vreux,  il  prit  d'elle  pour  le  temporel  ôc  pour  le 
fpirituel  tous  les  foins  d'une  atcntive  charité. 


DE   M.   BoUDON.  LiV.    L  35 

II  lui  écrivoit  fouvenr,  foir  pour  lever  Ces  fcru  <'  '■ 
pilles ,  foie  pour  la  fortifier  dans  une  peine  ^'^fufy, 
intérieure  de  réprobation  •,  peine,  qui  pour 
une  ame  vraiment  fidèle,  elï  la  plus  terrible 
de  toutes ,  Ôc  par  laquelle  il  plut  à  Dieu  de 
l'exercer  long-tems.  Enfin  peu  de  rems  avant 
fa  mort,  il  la  recommanda  au  vertueux  M. 
Thomas ,  Confeiller  au  Châtelet  de  Paris , 
qui,  conformément  aux  intentions  de  fon 
ami,  la  fecourut  avec  beaucoup  de  généro- 
lité.  Elle  ne  furvécut  à  notre  grand  Archidia- 
cre ,  que  pour  publier  fa  vertu  &  fçs  bienfaits. 
Enfin  elle  mourut  à  Rouen  ,  comblée  d'an- 
nées C^  de  mérites. 

Si  les  parens  de  Louife  Henri  ne  la  virent 
qu'avec  indignation  renoncer  à  leur  fedte  , 
les  grands  Penfionnaires  de  ivl.  Havel  ne  vi- 
rent qu'avec  une  efpéce  de  rage  un  enfant 
comme-Boudon  leur  faire  la  loi ,  &  décon- 
certer leur  projets.  Ils  fe  liguèrent  contre  lui  j 
&  cette  perfécution,  qui  fut ,  à  proprem.ent 
parler,  la  première  eu  il  ait  efïuyée  du  de- 
hors, put  lui  faire  entrevoir  qu'il  ne  par- 
viendroit  à  Dieu  que  par  les  croix  &  que  par 
les  humiliations. 

On  commença  à  le  décrier  comme  un  hy- 
pocrite. On  le  chargea  d'opprobres  &c  d'in- 
ililtes.  Les  moins  paiTionnés  le  tournoient 
lui  &  fa  dévotion  en  ridicule.  Les  plus  cor- 
rompus s'efforcèrent  de  répandre  des  nuages 
fur  fon  innocence  ,  d  infinuer  ,  quelquefois 
même  de  dire  hautement,  qu'il  ne  valoit  pas 
mieux  qu'eux,  Un  jour  de  promenade  ils  fe 

Bv 


54  La    Vie 

■'■  livrèrent  à  des  adionsfi  peu  décentes ,  qu'el- 

i7uiv.  ^^^  furent  rapportées  à  leur  Mairie  de  Pen- 
fion  par  quelques  perfonnes  du  dehors ,  qui 
en  avoient  été  choquées.  La  troupe  libertine 
eut  bien  tôt  pris  fon  parti.  Tous  accufcrent 
Boudon  d'avoir  été  le  premier  auteur  du  dé- 
fordre.  Ce  fut  envain  que  celui  ci  protefka 
de  fon  innocence.  Il  efïïiya ,  &  d'une  maniè- 
re très-rigoureufc ,  le  dernier  châtiment.  Sa 
punition  fut  un  triomphe  pour  des  gens  qui 
ne  pouvoient  fouffrir  qu'on  eût  pour  lui  plus 
d'égards ,  qu'on  n'en  avoit  pour  eux.  Mais 
enfin  ils  tombèrent  dans  la  fofle  quils  s'é- 
roient  creufée.  M.  Havel  fçut  après  coup, 
que  non-feulement  Boudon  n'avoit  eu  aucu- 
ne paît  à  la  faute ,  mais  qu'il  ne  s'étoit  pas 
même  trouvé  dans  la  compagnie  de  ceux  qui 
en  étoient  coupables.  Il  fut  fi  afflige  de  fa 
méprife ,  que  pour  la  réparer  il  fe  fit  une  cf- 
péce  de  devoir  de  louer  en  toute  occafion  la 
vertu  de  fon  aimable  penfionnaire 

Si  celui-ci  en  eut  befoin  pour  foutenir 
avec  confiance  la  perfécution  de  fçs  compa- 
gnons d'étude ,  il  en  eut  bientôt  befoin  pour 
en  foutenir  une  beaucoup  plus  rude  en  tout 
fens,  puifqu'elle  lui  vint  de  la  part  de  fa  pro- 
pre famille.  Nous  avons  déjà  remarqué,  qu'il" 
ne  recevoit  de  fon  beau-pere,  que  desfecours 
très-médiocres  pour  fa  fubMance:  peu  à 
peu  ils  diminuèrent  fi  fort ,  qu'ils  devinrent 
à  rien.  Ce  fut  à  cette  dure  condition,  que 
fa  mère  fut  obligée  d'acheter  la  paix  du  maî-^ 
ue  qu'elle  s'écoic  donnée  par  un  fécond  na^»- 


DE   M.  BOUDON.   Liv.  I.  55" 

riage.  On  vit  donc  un  enfani  de  bonne  mai-  — — 
fon  crier  au  gré  de  l'indigence,  dans  une  &x^y, 
ville ,  où  il  avoir  des  païens  d'un  nom  diftin- 
gué,  &  d'une  fortune confidérable.  Un  trai- 
tement fi  dur  ne  l'alréra  point.  Il  n'y  vit  au 
contraire  qu'un  trait  de  niifcricorde,  qui  To- 
bligeoit  à  (e  jetter  fans  réferve  ôc  fans  bornes 
dans  le  fein  de  la  Providence.  Il  la  prit  plus 
que  jamais  pour  la  meilleure  de  toutes  les 
mères  i  Ôc  il  n  eut  pas  lieu  de  s'en  repentir. 

Il  y  avoir  a  Rouen  un  ancien  Secrétaire  du 
Cabinet,  qui  laflé  des  embarras  du  fiécle  , 
avoit  fait  avec  le  monde  une  cfpéce  de  divor- 
ce pour  penfer  plus  férieufement  à  fon  fa- 
lut.  Ce  vertueux  citoyeii ,  qui  fe  nommoit 
M.  le  Tanneur  ,  perfuadé  ,  qu'on  ne  peut 
mieux  fervir  l'Eglife  ,  qu'en  dérobant  à  la 
contagion  du  fiécle  déjeunes  cœurs,  qui, 
faute  d'expérience  ôc  de  réflexion  ,  s'y  laif- 
fcroient  prendre  aifément^  donnoit  fa  mai- 
fon  &  fa  table  a  plufieurs  Ecoliers,qui  avoienc 
moins  de  fortune,  que  de  bonne  volonté. 
Boudon  ,  qui  n'avoir  plus  ni  feu  ,  ni  lieu  ,  ôc 
qui  d'ailleurs  étoit  déterminé  à  continuer  fcs 
études  à  quelque  prix  que  ce  fut,  lui  ex- 
pofa  fa  trifte  fituarion  y  ôc  le  pria  de  vou- 
loir bien  faire  pour  lui  ce  que  fa  chariré  lui 
faifoit  faire  pour  tant  d'autres.  Son  ingénui- 
té ,  fa  modeftie  ,  Cà  pauvreté  ,  &  un  certain 
air  de  noble  Reparlèrent  en  fa  faveur.  Il  fut 
admis, 

M.  le  Tanneur  &  toute  fa  famille  recon- 
nurent bientôt  le  uéfor  qu'ils  pofîédoienc 

Bvj 


3^  La     Vie 

"^g  ^  -  en  la  perfonne  de  ce  fage  &  pieux  Ecolier. 

j8tiuiv.  La  vertu ,  à  qui  feule  il  appartieiic  de  met- 
tre à  prix  la  vertu  ,  fçut  ertimer  les  dons 
qu'il  avoit  plii  à  Dieu  de  répandre  fur  lui. 
Il  fut  regardé  dans  la  maifon ,  moins  com- 
me un  enfant ,  que  comme  un  homme  for- 
mé par  cecre  main  puiflante  qui  n'eft  afTujct- 
tie  ni  a  l'âge  ,  ni  au  tems.  Ces  premiers  fen- 
ïimens  ne  firent  que  fe  fortifier  dans  la  fui- 
te :  ôc  toute  la  fami'le  a  depuis  ce  tems  con- 
fervé  pour  M.  Boudon  ur-e  vénération  &  un 
refpeciy  qui  ne  fe  peuvent  comprendre.  Ce  font 
les  termes  du  plus  exact  de  fes  Hiftoriens. 
Comme  il  fe  vit  tranquille  du  côté  du 
temporel  ;  Se  qu'on  lui  laifibit  une  enucre 
liberté  de  fe  livrer  ,  comme  auparavant,  à 
toutes  fortes  de  bonnes  œuvres ,  il  ne  penfa 
qu'à  croître  en  grâce  ôc  en  fageffe ,  à  mefure 
qu'il  croilToir  en  âge.  Dans  cette  vue  il  re- 
chercha avec  une  fainte  avidité  le  commer- 
ce de  ceux  qu'il  croyoit  capables  de  lui 
communiquer  quelque  chofe  de  leur  plé- 
nitude. 

Le  P.  Gafpard  ,  pieux  Se  fage  Jéfuite , 
qu'un  efp-itf'K'i  appclleroir  homme  à  dévo- 
tions communes ,  mais  qui  avec  fa  dévo^- 
tion  droite  &  limple  formoit  fes  Ecoliers 
aux  plus  folides  vertus  ,  flit  un  de  ceux 
qu'il  fuivit,  Ôc  qu'il  goûta  davantage.  Ce 
zélé  Profefleur  ,  qui  ne  prilbit  les  talens  de 
Tefprit,  qu'autant  qu'ils  étoient  embellis 
par  la  piété ,  raflembloit  de  tems  en  tems 
ies  élevés  dans  fa  chambre.  Cétoit  là  qu'- 


DE    M.   BoUDON.   LiV.    I.  57 

avec  une  bonté  pleine  de  grâces  &  d'onc-  '■* 

tion  ,il  les  entuerenoit  du  royaume  de  Dieu  j  ^^i^^^, 
qu'il  leur  infpiroic  de  l'horreur  pour  les 
moindres  fautes  j  qu'il  leur  parloir  tantôt 
de  la  refpecftueufe  confiance  que  l'on  doit 
avoir  en  la  Mcre  de  Dieu  y  tantôt  des  rai- 
fons  ôc  de  la  manière  d'honorer  les  SS.  An- 
ges ^  &  plus  fouvent  encore  de  l'amour  de 
Jefus-ChrilL  Ces  difcours ,  dont  toute  la 
parure  confiiloit  dans  une  fimplicité  mêlée 
de  beaucoup  de  tendrefle  ,  failbient  un  e^ 
fet  admirable  fur  des  cœurs  bien  difpofés. 
Boudon  Se  Ces  petits  compagnons  n'en  per- 
doient  pas  un  mot  dans  la  théorie ,  ni 
dans  la  pratique  :  &  jamais  peut-être  Ora- 
teur n'a  tant  fait  de  fruit ,  &  à  fi  peu  de 
frais.  AulTi  avoir  il  une  juAe  prédileclion 
pour  eux.  Il  les  recoi  d^iifoit ,  tête  nue, 
jufqu'à  la  porte  du  Coliége  ,  ôc  fur  ce  que 
quelqu'un  d'eux  lui  en  demanda  un  jour  h. 
raifon  :  c'eft  ,  leur  dit  il ,  que  je  refpedle 
en  chacun  de  vous  l'Ange  qui  veille  à  fa 
garde. 

Quelque  content  que  fût  Henri  des  en- 
tretiens du  P.  Gafpard ,  ils  ne  fuffifoient 
pas  à  la  foif  infatiable  qu'il  avoit  d'enten- 
dre parler  de  Dieu.  Il  formoir  de  pieufes 
liaifons  avec  ces  âmes  privilégiées  ,  que  l'E- 
poux a  conduites  dans  la  folitude  pour  par- 
ler plus  efficacement  à  leur  cœur.  Mais 
s'il  en  étoit  édifié  ,  elles  ne  Téroient  pa5 
moins  de  lui.  Et  dès  l'âge  de  treize  à-quatorze 
ans  on  lui  trouvoit  une  fupcriorité  de  fagcf- 


38  La     Vil 

I»'  ■   ■■  fe  ,  une  intelligence  dans  les  voies  de  Dieu  , 
J.^}^-    un  goût  ,    une   abondance    de   lumieies , 
qu'on  ne  fe  lalToit   pas  d'admirer. 

Les  peines  par  leiquelles  il  plut   à  Dieu 
de  l'exercer  ;  ces  fentiers  après   &    rabo- 
teux ,  qui  furent  de  fi  bonne-heure ,  &  fi 
long-tems ,    la  feule  voie   par  laquelle  il 
pût  marcher  ,  en  le  rendant    plus  attentif 
fur  lui-même  ,    le  rendirent   plus  expéri- 
menté pour  le  prochain.  11  trouva  un  jour 
dans  un  Vlonaiîcre  très-réformé  un  Reli- 
gieux dévoré  de  peines  intérieures.  A  peine 
cet  homme  de  croix  tiit-ïl  ouvert   la  hoit- 
che ,  que  Boudon  le  comprit  parfaitement. 
Il  lui   fît  voir  en  peu  de  mots  ôc  le  bon- 
heur qui  eft  attaché  à  des  peines  fi  cuifim- 
tes ,    &  la  fin  que  Dieu  fe  propofe  dans 
une  conduite  û  rigoureufe  ,   ôc  les  moyens 
d'en  faire  un  falutaire  ufage.  En  un  mot  , 
il  calma  û  parfaitement   cet   efprit  agité  , 
que  foute  la  maifon  en  fut  auftl  furprifc 
qu'édifiée  -,  les   Supérieurs  très-confolés  ; 
ôc  ce  Religieux  ramené  enfin ,  ôc  ramené 
pour  toujours  au  port    de  la  paix,    après 
lequel  il  avoir  fi  long-tems  ôc  fi  inutilement 
fou  pi  ré. 

Le  prix  qui  mérita  au  jeune  Daniel  les 
faveurs ,  dont  il  plut  à  Dieu  de  le  com- 
bler ,  fut  a  peu  près  celui  auquel  le  jeune 
Boudon  acheta  les  grâces  prématurées  * 
dont  nous  avons  jufqu'ici  parlé.  Il  étoitfi 
pénitent  dès  le  temsde  Ces  baffes  claffes,  qu'à 
TcAception  des  jowrsde  Fêtes  &  de  Diaun- 


DE    M.    BOUDON.    LiV.    I.  ^ç) 

ches ,  &  de  ceux  où  il  mangeoit  en  com-  — — 
pagnic ,  le  pain  &  l'eau  étoient  fa  feule  ^\ll^^ 
nourriture.  Il  chatioit  fi  rigoureufemeiu 
fon  corps,  qu'une  perfonne  dont  lacham. 
bre  n'ctoic  pas  éloignée  de  la  fienne  ,  a 
fouvent  trouvé  un  ruifleau  de  fang  dans 
le  lieu  qui  avoir  fervi  de  théâtre  à  fa  mor- 
tification. Il  étoit  fi  ferme  ,  fi  ardent  ,  lorf- 
qu'ilétoitqueftion  désintérêts  de  fon  divin 
Mairre,  qu'il  n'y  avoir  ni  railleries  ,  ni  in- 
fultes  ,  ni  outrages ,  qui  le  fiflént  rougir 
de  l'Evangile.  11  étoit  fi  touché  de  la  perte 
des  âmes  ,  qu'à  l'exemple  de  Sainte  Thére- 
fe  ,  il  la  pleuroit  par  des  torrens  de  lar- 
mes. Il  aimoit  avec  tant  de  paflion  la  pau- 
vreté ,  qu'il  n'eut  pas  fait  un  pas  pour 
acquérir  tous  les  Royaumes  de  la  Terre. 

Ce  fut  ce  grand  amour  pour  la  pauvre- 
té ,   qui  le    fit  penfer    féi  icufement  à  en- 
trer dans  l'Ordre    de   Saint   François.  Son 
parti  étoit  fi  bien   pris,  qu'il  fut  cent  fois 
fur  le   point  de    faire  vœu   de  l'exécuter. 
Cependant  une  fecretrc  imprefilon  ,   qu'il 
ne  démcloit  pas  bien  ,  l'en  détourna  tou- 
jours. 11  en  fut  infiruit   avec  le  tems  :  la 
délicarefie  de  fa  complexion  ,  fa  fanté  dé- 
jà   altérée    par    de    longues    ôc     cruelles 
mortifications    ,    ne     permirent    pas    de 
l'admettre.    Ce    coup     lui    fut     fenfible. 
3>  Je    me   retirai  dans  un    Cabinet ,   cef^ 
»  lui  qui  parle  ,  j'y   pleurai  de    la  bonne 
»  manière.  Cependant  ,  pc?«?//«V-i/ ,  la  di- 
•  Yine  Providence  a  eu  pour  moi  l'cffét 


4^  L  A    Vit 

•■  •"  '  "  de  Ces  attraits  ,  m'ayant  fait  vivre 
i^iuiv.  "  ^"  pauvre  :  car  je  ne  vis  que  d'aumô- 
>»  nés ,  n'ayant  pas  un  denier  de  revenu  : 
»»  ce  que  j'etlime  plus  ,  je  vous  allure , 
»>  que  fi  j'avois  tous  les  biens  de  la  terre 
"  en  ma  poilefTion ....  Er  de  cette  forte 
'>  la  Providence  m'a  fait  Religieux  de  Saint 
V  François ,  fans  en  avoir  jamais  porté  Fha- 
"  bit.  Qu'à  jamais  je  chante  fcs  mifcri- 
"  cordes.  « 

En  fermant  à  Boudon  l'entrée  d'un  Or- 
dre qui  a  donné  a  l'Eglife  des  milliers  de 
Martyrs  &  de  Confe (leurs ,  Dieu  lui  com- 
muniqua de  grandes  lumières  fur  le  Saint 
Patriache  qui  en  a  été  le  Fondateur.  Il  en 
pcnfoit  dignement ,  il  en  parloit  avec  goût. 
Ayant  une  fois  été  fiirpris  de  la  nuit  dans 
les  bois  ,  &  cherchant  quelqu'endroit  où  il 
plat  loger  ,  il  fe  trouva  à  la  porte  d'un  Châ- 
teau. Il  y  entra  ,  &  pour  obtenir  grâce 
plus  aifément ,  il  pria  quelques  domefti- 
ques  de  la  bafie  cour  de  lui  permerre  de 
coucher  dans  la  grange ,  fans  fouper.  Le 
Seigneur  &c  la  Dame  du  lieu ,  qui  étoient 
à  table  avec  un  Provincial  des  Capucins  & 
fon  Compagnon  ,  ayant  appris  le  bcfoin  de 
ce  pauvre  écolier  ,  le  firent  entrer ,  &  lui 
donnèrent  quelque  chofe  à  manger  auprès 
du  feu.  Un  moment  après ,  la  converfation 
tomba  fur  S.  François  ôc  fur  [es  Confiitu- 
tions.  On  demanda  à  Boudon  ce  qu'il  pen- 
foit  de  ce  genre  de  vie,  ôc  on  le  prefia  de 
jparler.  Il  le  fit  ôc  long-tems ,  mais  d'une  ma» 


DÉ  M.  BovDoU.  Liv.  ï.  41 

nîere  fi  vive  ,  fi  charmante  ,  qu  on  croyoit  '■■ 
entendre,  non  un  homme ,  moins  encore  ^ç\^^^ 
un  écolier ,  mais  un  Ange  qui  en  eût  pris  la 
figure.  Toute  la  compagnie  avoua  qu  elle 
n'avoir  jamais  entendu  rien  de  f^mblablefur 
ce  fujet  :  Et  le  Provincial ,  à  qui  les  panégyri- 
ques de  fon  faint  Inliituteur  n'étoient  pas 
nouveaux ,  en  fut  plus  touché  qu'un  autre. 

Pour  regagner  d'un  côté  ce  qu'il  croyoit 
perdre  de  l'autre ,  Henri  fut  divinement  inf- 
piré  de  vivre  dans  le  fiécle ,  comme  il  auroit 
vécu  dans  l'Ordre  Séraphique;  je  veux  dire, 
de  fe  révêtir  de  Tefprit  de  pauvreté  ôc  de 
facrifice  ;  de  mortifier  fa  chair  j  de  fe  doi> 
ner  autant  qu'il  lui  feroit  poflîble  au  falut  du 
prochain.  Oubliant ,  à  l'exemple  de  S.  Paul , 
tout  ce  qu'il  avoit  fait  jufqu'alors  ,  il  fe  pro- 
pofa  fortement  de  commencer  un  nouveau 
genre  de  vie  fpirituelle  j  de  méprifer  le 
inonde ,  comme  fon  divin  Maître  l'a  mé- 
priféi  &  de  mener  une  vie  cachée  enj.  C. 
autant  que  la  gloire  &  les  intérêts  de  ce  Dieu 
Sauveur  le  lui  pourroient  permettre.  Il  ne 
la  mena  pas  abfolument  cette  vie  cachée;  & 
nous  le  verrons  dans  la  fuire  donner  à  la 
France  étonnée  le  fpeclacle  d'un  zèle  plus 
invincible  que  l'enfer"'^,  &  d'une  patience 
plus  forte  que  la  perfécution  de  fes  minières. 

Dès  le  tems  dont  nous  parlons ,  il  fut  aifé 
de connoître  qu'il étoit  également àDieu dans 
quelque  état  qu'il  plijt  a  fa  Providence  de  le 
mettre.  Ses  travaux  continuels,  fes  peines 

*  Dur»  ficut  infernus  aeinulatio  ,   Cant.  cap.  8  3^.  S» 


4i  L  A     V  II» 

-  intérieures ,  fon  application  à  réciidc ,  fa 

iLiuiv.  fïOLirritLire  moins  frugale ,  qu'cxcelTivement 
pauvre;  tant  de  mortifications  de  toutes  ef- 
peccs  accablèrent  enfin  la  nature.  Boudon 
pendant  toute  fa  Rhétorique  fut  travaillé 
d'une  lièvre  quarte  ;  il  devint  fi  foible  ,  fi  at- 
ténué ,  qu'une  année  entière  ne  put  qu'avec 
peine  rétablir  fes  forces.  Il  fouffrir  en  vrai 
Chrétien  cette  longue  épreuve  ;  &  je  ne  fçais 
s'il  en  étoit  bien  quitte ,  lorfque  fes  amis ,  ôc 
plus  encore  Tefprit  de  Dieu ,  dont  le  mou- 
vement régloit  routes  fes  démarches ,  lui 
infpirerent  de  fe  rendre  a  Paris ,  pour  com- 
mencer dans  cette  première  Univerfité  du 
monde  fon  cours  de  Philofophie  Ôc  de  Théo- 
logie. Il  y  a  lieu  de  préfumer  que  MM.  le 
Tanmeur  &  Brebion  "^  firent  quelques  avan- 
ces pour  lui.  Mais  ce  fecours  ne  le  mena  pas 
loin ,  ôc  nous  ne  tarderons  pas  à  le  voir  ré- 
duit à  dévorer  tout  ce  que  Tindigence  a  de 
plus  humiliant  Ôc  de  plus  rigoureux. 
"j^  Deux  foins ,  qui  en  inquiètent  bien  peu 

jb  fuJT.  d'autres  ,  l'occupèrent  en  arrivant  dans  cette 
immenfe  Capitale.  L'un  fut  de  pouvoir  loger 
avec  des  Ecoliers  ,  qui ,  ayant  un  gouc 
décidé  pour  la  vertu ,  ne  pufîcnt  lui  erre  une 
occafion  de  fcandalc  :  l'autre  fut  de  trouver 
un  Directeur  3  qui  d'une  main  fiire  lui  traçât 
la  route  par  laquelle  il  devoir  marcher.  L'un 
ctoir  plus  difficile  à  rencontrer  que  l'autre  ; 
Boudon  les  trouva  tous  deux. 

*  Ce  dernier  éio-t  Tréforier  Ae  France  ,  grantî  homme 
ic  bien  ,  &  plein  d'eftime  pour  noue  vertueux  Etudianc. 


DE    M.  BOUDON.  Liv.   I.  43 

Il  déterra  dans  un  coin  de  la  rue  de  la  • 
Harpe ,  une  petite  troupe  de  vertueux  amis ,  ^  f^iv', 
qui  parcageoient  leur  tems  entre  l'étude  ^ 
la  piété  5  Se  qui  ne  fe  délalTant  de  l'un  que  par- 
ies exercices  de  l'autre ,  fçavoient  être  à  la 
fois  ôc  Philofophes  &  Clirétiens, 

Pour  ce  qui  eft  d'unConfefieur,ilen  trou- 
va un  parfaitement  bon  au  Collège  de  Cler- 
niont.  Ce  fut  le  P.  Bagot ,  qui  dirigeoit  la 
plupart  des  jeunes  Congréganiftes.  Nous  re- 
garderions comme  étranger  à  notre  Hifloirc 
réloge  de  cet  humble  &  fçavant  Religieux  , 
û  les  couleurs  dont  M.  Boudon  a  embelli 
fon  portrait ,  ne  fervoient  à  orner  le  fien. 
Nous  Tavons  dit  plus  d'une  fois ,  il  n'y  a  guè- 
re que  la  vertu  qui  fçache  rendre  trait  pour 
trait  toutes  les  grâces ,  toutes  les  fînefles  de  la 
vertu. 

Le  P.  Bagot ,  au  jugement  de  fon  Difci- 
ple,étoit  un  homme  d'une  prudence  confom- 
mée,  d'une  expérience  admirable,  d'un  ra- 
ient merveilleux  pour  conduire  les  jeunes 
gens  dans  le  chemin  du  Ciel.  Sa  réputation 
l'avoir  fait  choifir  pour  Confeflcur  de  Louis 
XIll.  Ce  grand  emploi  le  flatra  fi  peu ,  qu'il 
s'en  délit  le  plutôt  qu'il  lui  fut  poflible.  Il 
avoit  coutume  de  dire  :  »<  Si  Ton  vous  fait 
»  entrer  à  la  Cour  par  la  porte ,  fauvez-vous 
»  par  les  fenêtres.  Car  l'air  de  la  Cour ,  qui 
"  en  empoifonné  pour  tout  le  monde,  l'ed 
*»  encore  plus  pour  un  Religieux. 

«  Ce  pieux  Jéfuire  ,   c'tfl    toHJoitrs  M, 
M  Boudon  qin  park ,  étoit  encore  plus  éclairé 


44  L  A     V  I  E 

■  »»  dans  la  fcîence  des  Saints  ,  que  dans  celle 

fcfaiv.  »*  des  écoles ,  quoiqu'il  paflfat  pour  un  hom- 
»j  me  d'érudition.  Il  aimoit  naturellement 
»  l'étude  ;  3c  cependant  il  la  quittoit  fans 
>3  peine,  pour  donner,  quelquefois  même  , 
«  untemsconfidérable  au  plus  petit  Ecolier, 
«  qui  avoit  befoin  de  lui.  Sa  patience  ctoit 
»  admirable.  Il  avoit  une  û  étrange  frayeur 
"  de  la  pierre  ,  dont  il  fentit  quelques  attein- 
w  tes  étant  encore  jeune,  que  la  feule  penfée 
*»  de  ce  mal  le  faifoit  tomber  en  foiblefTc. 
*'  Cependant  à  Tàge  de  plus  de  foixante  ans  il 
"  fut  obligé  de  foutTrir  l'opération.  Elle  fut 
i>  extrêmement  longue,  &  très-douloureufe. 
»  Néanmoins  il  ne  proféra  pour  toute  plain- 
«  te  que  ces  paroles  de  Saint  Paul  :  J'achève 
»  ce  qui  manque  aux  fouffj'ayices  de  J.  C.  Son 
"  humilité  n'avoit  point  de  bornes.  Il  louoit 
»>  volontiers  la  vertu  dans  les  autres:  mais  il 
w  ne  pouvoir  fouffrir  qu'on  louât  la  fienne  : 
9»  &  il  entra  un  jour  dans  une  fainte  colère 
»  contre  un  de  Ces  amis ,  qui  dans  une  occa- 
»f  fion  avoit  parlé  de  lui  d'une  manière  avan- 
«  tageufc.  Il  ctoit  fi  peu  attaché  à  fon  Cens , 
»  qu'il  fuivoit  avec  plaifir  l'avis  d'un  Ecolier 
w  préférablemenr  au  fien  propre.  »  Tel  étoit 
au  rapport  de  M.  Boudon  ;  &  qui  pourra  le 
récufer  pour  témoin  dans  une  matière  où  il  a 
fi  bien  mérité  d'être  juge  j  Tel  ctoit  le  R.  P. 
Bagot. 

Un  homme  fi  fçavant  dans  les  voies  du 
Ciel ,  ne  pouvoit  manquer  d'y  faire  marcher 
fur  Ces  pas  ceux  qui  lui  donnoicnt  leur  cou- 


DE    M.    BoUDON.    Liv.    I.  4/ 

fiance.  Aufli  vit-on  foutir  de  fon  école ,  com  — — 
jiîie  autrefois  de  celle  d'Origenes ,  mais  d'une  ^^ç^^ 
manière  plus  heureufe  ,  des  hommes  que 
l'Eglife  placeroit  dans  fcs  Fartes ,  û  elle  pou- 
voir y  mettre  tous  les  Saints.  De  ce  nombre 
furent  un  Père  Jogué,  delà  miême  Compa-» 
gnie  ,  qui  tranfporté  par  fon  zèle  dans  le 
fein  du  Canada,  mourut  au  milieu  de  tous 
les  fuppliçes ,  qu'une  nation  barbare  &  cruel- 
le peut  inventer.  Un  M.  de  Levis ,  Chanoine 
<S:  Pénitencier  dans  l'Eglife  de  Chartres ,  ôc 
Archidiacre  du  Vendomois ,  homme  qui  à 
une  vie  toute  cachée  en  Dieu  ,  joignit  les 
glorieux  titres  de  Directeur  éclairé  ^  de  père 
des  pauvres ,  d'hom.me  ApoAolique.  Sans 
parler  d'un  nombre  confidérable  d'Evcques 
delà  Chine,  de  la  Cochinchine,  du  Ton- 
quin  &  du  Canada ,  qui  fous  fes  aufpiccs 
s'étoient  formés  aux  plus  hautes  vertus  -,  Ôc 
qu'il  regardoit  fur  fes  vieux  jours  comme  fa 
joie  ôc  Cgi  couronne. 

Mais  fans  vouloir  pefer  à  un  poids  incer- 
tain des  mérites  dont  le  degré  ne  s'cftime 
iiirement  que  dans  la  balance  du  Sanéluaire^ 
on  peut  dire,  que  le  grand  Archidiacre  d'E- 
vreux  fera  un  honneur  éternel  à  la  mémoire 
de  fon  Directeur.  Suivons-le  dans  les  progrès 
qu'il  fit  fous  la  conduire  de  ce  parfait  Reli- 
gieux :  rien  n'eft  plus  propre  à  édifier.  Bou- 
don  coi>fidéré  vis-à-vis  de  lui-même,  ou  re- 
lativement au  prochain ,  efl  toujours  l'hom- 
me de  Dieu  feul ,  toujours  admirable.  Une 
patience  invincible  dans  fes  peines ,  qui  fu- 


45  L  A     V  1 1 

—  r«iu  encore  plus  grandes  à  Paris,  qu'elles 

fc  fufv  n'a  voient  été  à  Rouen  \  une  ardeur  pour  les 
croix  ,  les  humiliations  ,  le  dénumcnt  ,  la 
pénitence,  qui  s'accrur  toujours,  <3c  ne  dit 
jamais,  C'eit  allez  -,  un  amour  pour  Dieu  , 
qui  ne  voyoit  que  lui ,  qui  ne  cherchoit  que 
lui,  qui  regardoit  comme  perdu  tout  difcours 
qui  ne  tenrioit  pas  à  lui  j  voila  en  fubllance 
la  vie  que  mena  notre  pieux  Etudiant , 
tant    qu'il  fut  dans  la  Capitale. 

Quoique  lerude  lui  coûtât  moins  qu'à 
bien  d'autres,  parce  qu'il  avoit  une  grande 
facilite  pour  le  travail  ;  il  lui  donnoit  tout  le 
tems  qu'elle  exige  de  ceux  qui  veulent  y  réuf- 
fir.  Malgré  cette  application  ,  qui  écoit  tou- 
jours remplacée  par  des  exercices  aufli  péni- 
bles pour  la  chair ,  qu'ils  font  confolants 
pour  l'efprit ,  il  étoit  fi  peu  nourri  ,  que 
moins  vertueux  il  eut  pu  envier  la  condition 
de  l'enfant  prodigue  dans  le  tems  même  de 
fa  dilgrace. 

Comme  il  étoit  très  exact  aux  Aflemblces 
dont  on  a  parlé ,  &c  qu'il  y  édifioit  par  fa  mo- 
dellic  finguliere ,  il  ne  pouvoit  guéres  y  man- 
quer ,  fans  que  fon  abfence  fît  un  vuide , 
dont  en  s'apercevoit  aifément.  M.  du  Bo- 
chec ,  ancien  &:  zélé  Congrégani/le,  ayant 
remarqué  un  jour  qu'il  n'y  étoit  pas,  en 
parla  à  quelques-uns  des  AfTociés.  On  cou- 
rut à  la  maifon  de  ce  jeune ,  mais  parfait  fer- 
viteur  de  Dieu.  On  le  trouva  dans  fa  pauvre 
chambre,  accablé  de  langueur ,  exténué  d'i- 
nanition ,  dellitué  de  tout  fccours  humain. 


DE    M.    BOUDON.    Liv.    I.  47 

Un  état  fi  trifte  coucha  ceux  qui  en  furent  té-  — - 
inoins.  M.  du  Bocher  en  fut  bientôt  averti.  g^^J^^* 
Il  y  mit  un  Ci  bon  ordre  ,  qu'en  peu  de  tems 
le  malade  recouvra  la  fanté  ,  &  reprit  tous 
£es  exercices  de  fcience  &  de  vertu. 

Mais  quand  le  Ciel ,  qui  vouloit  en  faire 
un  modèle  de  patience  ék  de  réfignation,  ne 
s'en  feroit  pas  mêlé ,  il  étoit  difficile  qu'un 
homme  entièrement  abandonné  de  fa  famil- 
le ^  qr.i  d'ailleurs  tâchoic  de  n'être  à  charge 
àperfonnej  &  qui  mangeoit  feul  ,  quoi- 
qu'il vécût  dans  une  cfpéce  de  Communau- 
té ,  n'éprouvât  fouvent  les  befoins  &  la  ri- 
gueur de  l'indigence.  AulTi  fut-il  fouvent  ré- 
duit à  la  mendicité  ;  &  il  fe  trouvoir  heureux 
quand  il  pouvoir  avoir  vingt  fols  à  dépenfer 
parfemainc.  Il  eft  vrai,  que  la  Providence 
fembloit  quelquefois  fe  hârer  de  venir  au  fe- 
coursdefamifére:  <^  qu'un  jourqu'iln'avoit 
plusde  linge,  une  perfonne  inconnue  l'en 
fournit  abondamment.  Mais  Dieu  qui  vouloir 
le  tenir  dans  la  plus  humble  dépendance ,  l'a- 
guerrir ,  en  quelque  forte  ,  de  le  fortifier  con- 
tre les  pemes  dont  fa  vie  dcvoit  être  traverfée  ; 
ce  Dieu  toujours  jufte  dans  fes  vues,  tou- 
jours adorable  dans  la  mianicre  dont  il  les 
exécute,  paroilToit  le  marin  &  fe  déroboic 
fur  la  fin  du  jour. 

Ce  fut  fur-tout  la  première  année  de  fon 
fejour  à  Paris  que  ce  pauvre  Ecolier  eut  le 
plus  à  fouffrir-,  Ôc  qu'au  défaut  de  fes  amis , 
que  la  Providence  même  endormoit  fur  Ces 
befoins ,  il  fut  plus  d'une  fois  réduit  à  la  trille 


48  La     Vie 

'-  éc  humiliante  néceflltê  d'implorer  la  charité 
&  to.  P^iblique.  Il  lui  arriva  un  jour  à  cette  occa- 
fîon  dans  i'Eglifc  de  Notre  Dame  une  chofe 
afîez  fi  ng  a  lier  e.  Prefledc  la  faim,  ilcherchoic 
quelques  fols  pour  avoir  de  quoi  dîner.  Il 
demanda  l'aumône  à  un  homme  de  la  pre- 
mière condition,  qui  le  reçut  très  mal.  Char- 
mé de  voir  qu'à  l'exemple  de  fon  divin  Maî- 
tre ,  l'indigence  6c  les  opprobies  fe  réunif- 
foient  en  fa  perfonne ,  Boudon  fe  retira  à  ^ 
i  écart  pour  lui  en  rendre  de  très  humbles 
ajSlions  de  grâces, 

La  douceur  ôc  la  patience  du  jeune  étran- 
ger frapercnt  M.  de  Montmorenci  :  car  c'é- 
toit  à  lui  que  notre  Etudiant  s'étoit  adrefTé, 
II  fe  détourna ,  &  l'ayant  apperçu  derrière  un 
pilier  dans  cette  attitude  de  refped ,  où  l'E- 
criture nous  repréfente  les  Séraphins  devant 
la  fuprême  Majefté  ,  il  quitte  fa  place  ,  va  le 
joindre,  lui  dcnvinde  quiilefl:,  d'où  ileîl, 
&:  ce  qu'il  eft  venu  faire  à  Paris.  Boudon, 
fans  dire  un  mot  de  fa  naifTance  ,  fe  conten- 
ta de  répondre  qu'il  étoit  un  pauvre  Ecolier 
v£nu  de  Normandie  pour  achever  fes  études 
dans  rUniverÇté  -■,  mais  que  n'ayant  pas  de 
quoi  vivre,  il  étoit  obligé  de  demander  Tau- 
mône.  Alors  ce  Seigneur,  qui  l'avoit  pris 
pour  un  de  ces  vagabonds,  dont  Paris  étoit 
alors  inondé,  changeant  tout  à  coup  ôc  d'air 
d:  de  langage  ,  lui  demanda  avec  beaucoup  de 
bonté  s'il  vouloit  accepter  fa  maifon  :  ajou- 
tant qu'il  y  auroit  toutes  les  facilités  poffibles 
pour  continuer  fa  Philofophie  ;  qu'il  ne  man- 

queroit 


DE  M.  BoUDON.  Liv.  I.  49 

qiicroit  de  rien  j  &  qu'on  le  prioit  feulemenc  —^ — ' 
de  conférer  de  Tes  études  avec  un  jeune  Ec-   ^  ^^^ 
cléfialtique  qui  commençoit  à  courir  la  mê- 
me carrière.  Ce  jeune  Eccléfîafiique  étoic 
François  de  Laval  de  Montmorenci ,  qui  de- 
puis fiu  premier  Evêque  de  Québec  ■^. 

Henri  accepta  de  grand  cœur  un  pofie  oi!^ 
il  y  avoit  du  bien  à  faire.  Il  y  en  fie  en  effer  ; 
&  fi  par  des  leçons ,  dont  un  bon  Ecolier  eft 
capable,  il  ouvrir  aux  fubrilités  dialecliques 
l'eiprit  de  fon  illuflre  Condifciple  j  il  ouvrir 
encore  plus  fon  cœur  à  ces  hautes  vertus , 
dont  le  développement  exact  n'appartient 
qu'aux  grands  maîtres. 

Ce  fut  vers  ce  temps ,  que  pour  dépendre 
en  tout  des  foins  de  la  Providence,  il  fit  vœu 
de  pauvreté  ,  afin  de  fuivre  nud  la  croix  nue 
de  J.  C.  fon  Sauveur.  Je  ne  fçais  au  relie 
dans  quel  fens  il  entendoit  ce  vœu  :  mais  je 
fçais,  &  la  faire  de  fon  hiitoire  en  fera  une 
preuve  fans  réplique  ,  qu'il  l'a  pratiqué  dans 
le  fens  le  plus  rigoureux. 

En  quittant  M.  l'Abbé  de  Laval ,  fi  route 
fois  celui-ci  ne  le  fuivit  pas,  Boudon  alla  re-  ^ 
joindre  fes  anciens  amis.  Leur  nombre  s'é- 
toit  beaucoup  augmenté  par  les  foins  du  P. 
Bagof,  leur  ferveur  s'augmenta  beaucoup 
par  les  bons  exemples  de  Boudon.  Il  écoic 
i'ame  de  cette  picufe  fociété.  Sous  ks  ordres 
&  par  les  conieils  de  ion  Directeur  ,  il  fc 
propofa  d'en  faire  une  compagnie  de  Saints 

*  Il  fui  facré  en  1649.   Evêque  de  Pérrce  in  pardbus  y 
i^  fait  Vicairs  Apoflolique  dalis  la  nouvelle  France, 

c 


16^6. 
luiv. 


f  O  L  A       V  I  E 

du  premier  ordre.  Ses  efpcrances  alloient 
loin,  le  fuccès  alla  plus  loin  que  Tes  efpéran- 
ces. 

Ils  eurent  d'abord  aiTez  de  peine  à  trouver 
une  maifon  qui  convînt  à  leur  nombre  &  à 
leurs  exercices.  Enfin  ils  s'établirent  au  Fauxr 
bourg  S.  Jacques  :  ôc  ce  fut  principalement 
dans  ce  lieu ,  qui  fut  pendant  quelques  an- 
nées le  théâtre  de  leurs  vertus ,  qu'ils  don- 
nèrent à  leur  fiécle  un  fpedtacle  qui  feroit 
nouveau  pour  le  nôtre.  Quoique  la  plupart 
de  ces  Meflleurs  fufTent  d'un  fang  illuiîre , 
&  qu'il  n'y  eut  peut-être  parmi  eux  d'autre 
pauvre  que  Boudon  j  celui-ci  néanmoins, 
qui  donnoit  le  premier  mouvement  à  toutes 
les  opérations  de  cette  compagnie  naiiTante, 
fçut  a  bien  leur  infpirer  l'amour  de  la  fainte 
pauvreté,  &  des  vertus  les  plus  héroïques, 
que  leur  maifon  relTembloit  moins  à  une  re- 
traite d'Ecoliers  réunis  ,  qu'à  un  Collège 
d'hommes  Apoftoiiques.  Le  lever ,  le  cou- 
cher, l'heure  du  repas,  les  récréations,  le 
tems  de  l'étude  ,  les  conférences ,  l'oraifon  , 
les  lectures  fpirituelles ,  la  fréquentation  des 
Saçrcmens ,  Tentrevuë  avec  le  Directeur ,  ôc 
généralement  tous  les  exercices  y  étoient  ré- 
glés comme  dans  les  Communautés  les  plus 
exades.  Quand  ils  faifoienc  quelque  voyage 
de  dévotion ,  ils  gardoicnt  le  long  des  rues 
de  Paris  un  filence  fi  rigoureux,  qu'ils  reflcm- 
bloient  moins  à  des  Ecoliers,  qu'à  des  Soli- 
taires fortis  de  la  Thébaïde  pour  édifier  par 
]cur  recueillement  de  par  leur  modeftic. 


DE  M,  BouDON.  Lrv.  I.  ji 

BoLidon,  que  fa  propre  expérience  avoit  ■ 
inftruit  du  prix  ôc  des  effets  de  la  dévotion  J^^^' 
envers  la  fainte  Vierge ,  les  y  porta ,  comme 
il  avoir  fait  autrefois  fes  Condiiciples  à 
Rouen.  Les  difpofitions  n'étoient  pas  moins 
favorables ,  le  fuccès  ne  fut  pas  moins  heu- 
reux. Leur  but  principal  fut  toujours  d  imi- 
ter les  plus  fublimes  vertus  du  Fils  Ôc  de  la 
Merej  fur-tout,  eette  profonde  humilité, 
qui  coûte  tant  à  la  nature ,  Ôc  qui  efl  I  ecueil 
d'un€  infinité  de  dévots  fuperficiels.  Ils  mc- 
prifoient  û  fort  le  monde  ôc  l'eAime  du  mon- 
de, qu'ils  n'étoient  contents,  que  lorfqu'ils 
avoient  réuHi  à  s'en  faire  méprifer  :  ôc  à  n'en 
juger  que  félon  les  règles  communes,  ou 
croiroit  que  de  ce  coté-là  ils  portèrent  les 
chofes  à  l'excès.  L'un  d'eux  eut  un  jour  le 
courage  de  dire  publiquement  des  chofes 
fort  fecrettes  &  fort  humiliantes,  qui  dé- 
voient naturellement  lui  attirer  une  extrême 
confufion.  Mais  le  contraire  arriva ,  ôc  ceux 
qui  l'entendirent,  touchés  d'une  fi  rare  hu- 
milité ,  ne  purent  retenir  leurs  larmes. 

Quant  à  celui  dont  nous  écrivons  l'hifloi- 
re,le  trait  enflammé  qui  perça  le  cœur  de 
fainre  Thérefe ,  avoit  fi  profondément  blef- 
fé  le  fien,  que  tranfporté  hors  de  foi,  il 
n'entendoit  plus  que  le  langage  du  divin 
amour.  Pour  nourrir  ôc  pour  animer  ce  feu 
facré  ,  il  fe  ménageoit  la  connoiflancc  de 
ceux  à  qui  Dieu  donnoit  un  langage,  ou  des 
vues  qui  avoient  du  rapport  avec  les  fien- 
tes .  11  cntendoit  avec  un  plaiûr  infini  le  P.  de 

Ci; 


ji  La    Vie 

Condé  ,  Jéfuite  du  Collège,  Prédicateur 
peu  fuivi ,  parce  qu'il  préchoit /<?///  fard  & 
fans  éloq^uence  s  mais  qui  connoiiranr  toutes 
les  routes  du  cœur ,  y  portoit  le  faint  amour 
dont  il  étoit  pénétré.  Il  alloit  voir  tous  les 
quinze  jours  à  Montmartre  une  Religieufe , 
qui  avoit  d'intimes  communications  avec 
Dieu  :  il  ne  la  quittoit  qu'avec  un  defir  vio- 
lent de  tendre  à  la  peifedion  plus  que  ja- 
mais. Il  eut  aulTi  d'admirables  liaifons  de 
grâces  ôc  de  charité  avec  la  Révérende  Meic  . 
Catherine  de  Bar,  furnommée  fœur  Mech- 
tildc  du  S.  Sacrement.  Cette  fille ,  qui  n'a 
vécu  quatre-vingt-trois  ans  "^j  que  pour  don- 
ner plus  long-tems  l'exemple  d'une  averfion 
confiante  pour  le  monde ,  d'une  efpéce  de 
palTion  pour  les  croix ,  de  les  mépris  ;  d'une 
paix,  ou  plutôt  d'un  plaifir  infini  dans  les 
plus  vives  perfécutions  i  Se  enfin  d'une  très- 
tendre  dévotion  envers  le  S.  Sacrement  :  cet- 
te vertueufe  fille  avoit  par  ces  qualités  mê- 
mes trop  de  rapport  avec  M.  Boudon ,  pour 
ne  le  pas  honorer  autant  qu'il  mcritoit  dç 
l'être.  Il  y  répondit  toujours  par  le  plus  fin- 
cere  «Se  le  plus  refpcdlueux  dévouement  :  & 
lorfqu'il  fut  grand  Archidiacre  d'Evreux ,  il 
ne  vint  guéres  à  Paris,  fans  voir  ôc  la  Mère 
ôc  les  Filles,  afin  de  rendre  à  la  Communau- 
té dans  fes  pieux  entretiens  ce  qu'il  croyoic 
avoir  appris  de  celle  qui  en  étoit  Supérieure. 

•  La  Merc  Mechtilde  naquît  à  faint  Dié  en  Lorraine 
^ur  la  fin  de  l'année  1614.  Elle  fut  reçue  à  Paris  par  S. 
Vincent  de  Paul  ;  &  y  mourut  le  6  Avril  i6v8.  dans  foi| 
^emier  Monaftere  du  Fauxbourg  S.  Germain, 


DE  M.  BOUDÔN.  Liv.   I.  /5 

ÏI  voyoir  aufîi  trèb-lbuvent  la  vénérable    — 
Mère  Magdeleine  de  S.  Jofeph,. Carmélite    }^^^^' 
du  grand  Couvenr  de  Paris ,  à  qui  la  Sainteté 
de  la  vie  n'a  pas  moins  fait  d'honneur ,  que 
les  miracles  qu'elle  opéra  après  fa  mort.  Elle 
avoit  pour  grâce   particulière  Tamour  de 
I  obicurité  &  de  l'anéantiflement.  Dans  fa 
jeunefie  elle  avoit  fouhaité  de  paffer  fcs  jours 
à:)ns  les  plus  miférables  occupations  de  la 
vie  champêtre.   Nayant  pu  y  réuflîr,  elle 
voulut  au  moins  n'erre  admife  dans  la  Reli- 
gion qu'en  qualité  de  fœur  convcrfe.   Son 
humilité  échoua  encore  ici:  mais  elle  fçut  la 
dédommager  en  fe  tenant  cachée  dans  une 
Mailbn,  qui  reccvoit  fouvent  la  vilite  de 
tout  ce  que  l'Etat  avoit  de  plus  grand  &  de 
plus  refpeclable.  Marie  de  NIedicisy  alloitde 
rems  entems  avec  ce  cortège  de  grandeur  qui 
marche  à  la  fuite  d'une  Reine  de  France.  Soie 
que  la  Merc  de  S.  Jofeph  fut  Supérieure ,  ou 
qu'elle  ne  le  fût  pas,  elle  ne  paroiflbit  jamais  : 
une  autre,  ôc  c'étoit  une  convention  obtenue 
à  force  de  prières  >  tenoit  fa  place ,  faifoit  les 
honneurs  êc  les  recevoit.  Pendant  vingt  an- 
nées il  ne  fut  pas  plus  quelHon  de  cette  hum- 
ble folitaire ,  que  fi  elle  eût  été  rayée  du  nom- 
bre des  vivans.  Son  nom  fe  trouvera  à  ja- 
mais dans  ce  Livre  écrit  de  la  main  de  Dieu  , 
où  la  vraie  humilité  occupe  une  place  fi  dif« 
tinguée. 

Enfin  M.  Boudon  voyoit  encore  un  Aii- 
guflin,  ce  n'étoit  qu'un  pauvre  Frère  Con^ 
vers ,  mais  fi  puifTant  auprès  de  Dieu  ,  que , 

Ciij 


54  L  A    V  1  I 

"  de  ravcu  de  tous  les  gens  de  bien  ,  ce  fut 

^^[ify^  lui  qui  obtint  à  Anne  d'Autriche  un  fils 
après  vingt-deux  ans  de  ftcrilité  :  fi  plein  de 
lumière  ,  que  l'avenir  étoit  dévoilé  à  fes 
yeuxrfi  inondé  de  grâces  &  d'amour,  que 
notre  pieux  Théologien  en  le  quittant ,  ou 
plutôt  en  s' arrachant  d'auprès  de  lui ,  s'é- 
crioit  dans  un  de  ces  mouvemensdont  il  n'é- 
toif  pas  trop  maître  :  ««  O  mon  Dieu  1  com- 
«  bien  doit  ctre  grande  la  douceur  célefte 
3»  des  Bienheureux  unis  au  Ciel  à  J.  C.  dans 
9>  le  fein  de  l'adorable  Trinité  ;  puifque  dès 
»>  cette  vie ,  qui  n'eft  qu'une  vallée  de  lar- 
w  mes  ,  l'entretien  d'un  feul  de  vos  Elus 
w  donne  par  avance  des  confolations  fi  pures 
w  &  fi  divines  ">*. 

Mais  fi  Boudon  fçavoit  fuivre  avec  Marie 
les  attraits  du  pur  amour  &  de  la  contem- 
plation ,  il  ne  fçavoit  pas  moins  fe  livrer 
avec  Marthe  aux  plus  pénibles  emplois  d'une 
vie  adive  ôc  laborieufe.  SacompafTion  pour 
les  malheureux  le  porroit  comme  naturelle- 
ment aux  Hôpitaux  &  à  l'Hôtel-Dieu.  C'eil: 
dans  ce  trille  féjour  ,  où  la  mort  choifit  à 
i'aife  fes  victimes  ,  qu'on  le  voyoit  appliqué, 
tantôt  à  enfeigner  un  malade  comment  il 


*  Ce  parfait  Rcligiens  étoit  né  le  21  Février  lécg. 
Son  nom  de  famille  éioii  Denys  Antheaume  Son  nom 
de  Religion  étoit  F.  Fiacre.  11  mourut  le  v^  Février 
1684  ,  dans  la  foixante-quinziéme  année  de  fon  âge  ,  & 
Ja  cinquante- troifiéme  de  Religion.  Son  corps  fut  en- 
terré dans  le  Couvent  de  la  Place  ècs  V. -(boires  ;  f<  rt 
cœur  fut  porté  par  ordre  du  Roi  à  Noiie-Uame  de  (Tiâee 
en  Picvence, 


t>t  M.  BouDON.  Liv.  I.  j/ 

faut  s'y  prendre  ponr  faire  une  bonne  con-  — — * 
feiTion  y  tantôt  à  difpofer  un  moribond  au  &^fu1r, 
grand  &  prochain  voyage  de  réternité  j  quel- 
quefois à  foutenir  les  pas  mal  affermis  d'un 
convalefcenr. 

Il  rendit  un  jour  ce  dernier  genre  de  fer- 
vice  à  un  Etranger  de  1 3  à  14  ans ,  qui  aa 
fortir  de  IHotel-Dieu  ne  fçavoit  où  fe  re- 
tirer. Cétoit  un  jeune  Hollandois  ,  qu'un 
Gentilhomme  ,  Calvinifte  comme  lui ,  avoit 
amené  à  Paris  à  l'infçu  de  fçs  parens.  Ayant 
ouï  dire  dans  l'auberge  où  il  éroit  logé ,  qu'il 
n'y  avoit  point  de  falut  ponr  lui ,  s'il  ne  ren- 
troit  dans  l'Eglife  que  fes  Ancêtres  avoient 
quittée  j  il  fe  fit  inliruire  ,  &  abjura  fon  hé- 
réfie  Son  maître  le  chafia-,  &  Dieu  qui  avoit 
fcs  raifons  pour  le  dérober  aux  pourfuites 
de  Terreur,  ayant  permis  qu'il  tombât  ma- 
lade, il  fut  porté  à  l'Horcl-Dieu.Ce  fut  là,  ÔC 
au  moment  même  qu'il  alloit  en  fortir  ,  que 
Boudon  le  rencontra.il  étoit  encore  û  foible 
&rilanguifrant,qu'il  avoit  peine  à  fe  foutenir. 
Notre  écolier  ne  perdit  pas  une  occafion  û 
favorable  à  fon  zèle.  Il  le  prit  par  le  bras , 
lui  aida  à  marcher  le  long  des  rues ,  Se  mal- 
gré les  railleries  déplacées  d'un  peuple  qui 
s'amufe  de  peu  de  chofe  ,  il  le  mena  enfin 
jufqu'à  fa  chambre.  Il  lui  fit  tous  les  bons 
traitemens  qu'un  pauvre  peut  attendre  d'un 
autre  pauvre.  Il  rinfiruifit  plus  à  fond  des 
vérités  de  la  Religion  ^  de  furtout  du  bon- 
heur qu'il  v  a  de  fouffrir  pour  un  Dieu  ,  qui 
a  bien  voulu  fouffrir  pour  nous  jufqu'à  mou- 

Civ 


j;<J  La    Vib 

■"'  rirfiir  une  croix.  Ces  maximes  foutcnucsdc 
fcto.  ^  onclion  de  la  grâce ,  s'infmiierent  fi  avant 
dans  le  cœur  du  nouveau  converti ,  qu'é- 
tant retombé  malade,  il  ne  celToit  de  publier 
lesmiféricordes  du  Seigneur  ^  Se  de  lui  ren- 
dre jufqu'au  dernier  moment  de  continuel- 
les actions  de  grâces  ,  de  ce  qu'il  l'avoit  rire 
des  ténèbres  delà  nuit,  pour  le  faire  pafTer 
cans  Ton  admirable  lumière.  Ce  fat  dans  ces 
beaux  fentimens  qu'il  expira.  Boudon  re- 
cueillit fes  derniers  foupirs ,  &  il  fe  trouva 
heureux  de  Tavoir  vu  mourir  entre  fes  bras. 
Jamais  au  reAe  il  n'oublia  ce  jour  fi  confo- 
lant  pour  un  cœur  fait  comme  le  fien  ;  & 
plus  de  40  ans  après ,  il  avoit  peine  à  rete- 
nir fes  larmes,  quand  il  racontoit  cet  évé- 
nement. 

Des  occupations  fi  péniblef^jointes  à  une 
étude  férieufe  ,  à  des  mortifications  fecret- 
tcs,  à  une  nourriture  très- pauvre,  firent 
leur  effet  ordinaire  :  elles  accablèrent  la  na- 
ture. Boudon  tomba  dans  une  féconde  ma- 
ladie ,  qui  dès  le  premier  jour  parut  dange- 
reufc.  On  jugea  à  propos  de  le  faire  tranf- 
porrerà  l'Hôpiralde  la  Charité.  Ce  fut  pour 
lui  une  joie  fenfible  de  fe  voir  afibcié  aux 
pauvres  qu'il aimoit  comme  fes  frères:  mais 
il  n'en  jouit  pas  long  temps.  Dans  le  trajet 
il  s'étoit  recommandé  à  la  très-fainte  Vier- 
•  ge  :  il  ne  tarda  pas  à  en  être  exaucé.  A  peine 
fut-il  couché  dans  fon  lit,  qu'au  moment 
mcmeil  fut  parfaitement  guéri.  Il  fe  levé  a 
Haftant  ^  va  rejoindre  fa  compagnie  ,  qi.i 


beM.  BouDON,  Liv.I.  57 

douta  d'abord  ,  fi  c  éroit  bien  lui  .ou  quel-  '^■.^^/ 
qu'autre  qui  lui  relTemblat.  On  fut  charmé  slî\xxu 
de  revoir  un  ami  de  la  vie  duquel  on  dcfef- 
péroit ,  &  tous  chantèrent  de  concert  un 
cantique  de  louanges  a  ce  Maître  abiolu, 
qui  d'un  fouffie  conduit  aux  portes  de  la 
mort ,  ôc  en  rappelle  à  fon  gré. 

Rendu  à  la  vie  par  une  proteclion  fi  vi- 
fible  ;  Boudon  reprit  fes  exercices  avec  une 
nouvelle  ferveur.  Il  travailla  furtout  avec 
fes  Aiïbciés  à  femer  la  vertu  dans  le  cœuc 
des  jeunes  Ecoliers  de  TUniverfité.  S  ils  ne 
réuiTiiToient  pas  à  l'égard  de  tous ,  au  moins 
en  gagnoient-ils  un  bon  nombre.  Ce  fuccès 
fit  fondre  fur  eux  un  des  plus  violens  ora- 
ges, qu'ils  eufîcnt  encore  elTuyé.  Défefpéré 
de  voir  une  Compagnie ,  qui  en  naiflant  por* 
toit  déjà  à  fon  empire  des  coups  û  bien  fra- 
pés  ,  le  Prince  des  ténèbres  fouleva  contre 
eux  des  gens  animés  d  envie  &  de  fureur  , 
qui  fous  de  fpécieux  prétextes ,  fe  mirent  à 
les  décrier.  On  les  peignit  dans  àcs  écrits 
publics  avec  ces  noires  couleurs  que  Tcnfer- 
détrempe  à  ceux  qui  veulent  bien  lui  fervir- 
de  minières.  Mais  enfin  cet  orage  fe  difiipa  , 
Se  nos  pieux  affociés  continuèrent  à  fuivre 
leur  première  route. 

Après  avoir  achevé  fon  cours  de  Théo-    . 
logie ,  Boudon  ,  âgé  pour  lors  d'environ  ij     1649. 
ans,  fut  un  peu  indécis  fur  le  parti  qu'il   ^^^'^'^ 
avoir  à  prendre.   Il  ne  pouvoir  ni  entrer  en 
Licence ,  parce  qu'il  étoit  extrêmement  pau- 
vre ^  ni  monter  en  Miniftre  facré  dans  Us 

Cv 


58  La     Vie 

Chaires  Chrétiennes  parce  qu'il  n'éroit  que 
Sécuher;  ni  moins  encore  rcfter  oifif,  parce 
que  chez  lui  la  charité  étoit  un  feu  violent 
qui  ne  demandoit  qu'à  éclater.  Il  voyoic 
bien  que  Dieu  rappcUoit  à  la  fanclification 
des  âmes  :  mais  il  le  voyoit  d'une  manière 
trop  confufe  pour  prendre  un  dernier  parti. 
Sa  règle  ,  ôc  ce  doit  être  celle  de  coût  Chré- 
tien ,  qui  veut  ne  ie  pas  méprendre  fur  les 
defTeins  de  Dieu  y  fa  règle  fut  de  confulter 
humblement  cet  Efprit  de  fagefie  -  qui  foufflc 
où  il  veut  ôc  comme  il  veut.  Dans  cette  vue 
il  redoubla  fes  prières  &  fe^  mortifications^ 
Il  y  ajouta  des  pèlerinages  de  dévotion ,  for- 
te d'exercice  qui  reviendra  fouvent  dans  le 
cours  de  fon  hiiloirc  j  ôc  qui ,  quoiqu'équi- 
voque  en  foi ,  ne  le  fut  jamais  par  rapport  à 
un  hommcqui  voyageoit  d'une  manière  pé- 
nible ,  qui  n'avoit  de  reflfourcc  que  la  Pro- 
vidence, ôc  qui  fçavoic  fanctifier  tous  fcs 
pas. 

Le  plus  fameux  pèlerinage  qu'il  ait  fait  en 
ce  tems-là ,  fut  celui  de  Beaune.  Il  n'y  avoir 
f)as  long-tems  que  la  vénérable  fœur  Mar- 
guerite du  S.  Sacrement,  Religieufe  Car- 
mélite ,  y  étoit  décédée  en  odeur  de  fainteté. 
Ce  fut  le  tombeau  de  cette  admirable  fille  , 
qui  pcrpétuoit  par  fes  miracles  la  réputation 
qu'elle  s'écoir  faite  par  fes  vertus ,  que  Bou- 
don  voulut  vi/îrer.  Son  deffein  étoit  de  par- 
ticiper aux  grâces  qui  couloient  nuit  &  jour 
dans  ce  refpedable  fanétuaire  *,  ôc  fur-tout 
d'y  puifer  cet  araour  de  J.  C.  enfant ,  qui 


DE    M.    BoUDON.    LiV.    î.  J9 

avoit  été  le  caraClere  propre  de  cette  humble 
ëc  parfaite  fervante  du  Seigneur.  Ses  efpé- 
rances  ne  farent  point  trompées.  La  roféc 
du  ciel  tomba  fur  lui  en  abondance ,  de  il 
en  reçut  affez  pour  en  répandre  fur  les  au- 
tres. Les  Carmélices  formées  par  les  ouvra- 
ges de  leur  fainte  Fondatrice  au  plus  fubli- 
me  langage  de  la  charité ,  furent  extrême- 
ment édifiées  de  la  beauté  de  de  l'élévation 
de  fes  fentimens  j  Se  il  rapporta  de  chez 
clles,avec  un  redoublem.ent  de  tendrelTc  pour 
les  facrés  cœurs  de  Jefus  &  de  Marie,  u?7e 
dévotion  incomparable  pour  l'Epoux  vierge 
de  la  plus  pure  Vierge  qui  ait  jamais  éré  , 
dévotion  qu'il  a  dépuis  étendue  autant  qu'ii 
a  pu  ,  comme  nous  le  dirons  dans  la  fuite. 

De  retour  à  Paris ,  il  ne  douta  plus  que 
Dieu  ne  demandât  de  lui  qu'il  fc  mit ,  quoi- 
que encore  féculier  ,  à  lui  gagner  des  âmes, 
II  s'en  ouvrit  à  M.  de  Laval  &  à  quelques 
autres  de  fcs  AiTociés.  Ceux  -  ci,  pleins  da 
même  efprirdont  il  éroir  animé  ,  firent  quel- 
que chofedeplusque  d'applaudir  àfon  def- 
fein  j  ils  voulurent  avoir  part  à  l'exécution» 
Ainfi  :  s'étant  difiribués  par  bandes  ,  ils  fe 
répandirent  de  côté  &  d'autre,  non-feule- 
ment dans  les  villages ,  mais  encore  en  dif- 
férents quartiers  de  la  ville  de  Paris.  Tour 
auditoire  leur  étoit  bon.  Ils  évangélifoientle 
laboureur  dans  les  champs ,  le  berger  dans 
les  prairies ,  l'artifan  dans  fa  boutique.  Ces 
petites  miifions  qui  n'avoient  ni  éclat ,  niap*- 
pareil ,  produifirent  de  très-grands  fruits. 


^O  L    A       V    I    E 

Quoique  Boudon  fk  rrès-bien  dans  îa 
compagnie  de  ces  MciTieurs  ,  il  crut  néan- 
moins qu  cranr  paiticuliérement  defliné  à 
Tinllrudion  des  plus  pauvres,  Dieubéniroic 
encore  plus  Ces  travaux  ,  s'il  s'allbcioic  un 
pauvre  artifan  de  Lorraine ,  dont  il  cftimoic 
infiniment  la  vertu.  Comme  ce  pieux  étran- 
ger revenoit  fouvent  dans  les  converfations 
du  grand  Archidiacre  ,  nous  ne  pouvons 
iiousdifpenfer  d'en  dire  un  mot. 

Tout  le  monde  fçait  que  la  Lorraine  fut 
vers  le  milieu  du  dernier  fiécle  ,  réduite  aux 
plus  cruelles  extrémités.  La  flérilité  ôc  la 
mortcxcrçoient  de  concert  dans  fes  va/les 
campagnes  leur  impitoyable  empire.  Ceux 
de  fes  citoyens  quicchappoient  au  glaive ,  ne 
pouvoient  échapper  à  la  famine  ^  &  fi  la  Pro- 
vidence ne  leur  eût  donné  en  la  perfonne  de 
S.  Vincent  de  Paul  un  homme  qui,  comme 
Moyfe  ,  ofa  s'oppofcr  à  la  colère  de  Dieu  > 
peut-être  que  cet  infortuné  pays  auroit  eu  le 
fort  de  ces  viiles  malheureiifes ,  dont  il  n'y 
a  plus  que  le  nom  qui  fubfifle  aujourd'hui. 
Mais  malgré  les  prodigieux  efïbrrs  que  iiren 
faveur  des  deux  Duchés  ce  digne  Prctre  de 
J.  C.  un  nombre  confidérable  d'habirans  fu- 
rent obligés  de  chercher  un  azile  en  France. 
Prefquc  tous  venoient  en  droiture  à  S.  La- 
zare, où  le  Père  des  pauvres  faifoit  fa  réfî- 
dence.   Quelques   autres  difperfés  dans  la 
ville  tâchoient  dV  fubfifter ,  ou  de  leur  tra- 
vail, ou  de  la  charité  des  Fidèles.. 
Claude  3  c'ell  le  feul  nom  fous  lequel  on 


DE  M.  BOUDON.   Liv.I.  ^  1    ■       "* 

ait  connn  celui  dont  nous  parlons,  fat  du  ^'!4>, 
nombre  de  ces  derniers.  C'éroit  un  de  ces 
vrais  pauvres  à  qui  le  Royaume  des  Cieux 
appartient.  Il  n'avoit  quitté  fa  patrie  qu'à  la 
dernière  ex- rrmité.  Pendant  quelques  mois  , 
il  avoit  vécu  avec  fa  femme  &  une  fille  uni- 
que ,  de  1  herbe  des  champs  ;  cette  foiblc 
reilource  leur  ayant  enfin  manqué  ,  il  fallut 
quitter  une  terre  qui  n'étoit  plus  bonne  qu'à 
dévorer  fes  habirans.  Il  partit  donc  pour  Pa- 
ris avec  fa  perire  famille  \  il  y  arriva  prefque 
nud  ,  parce  que  des  foldats  Allemands  l'a- 
voient  dépouillé  fur  la  route. 

Boudon  toujours  alerte  pour  déterrer  les 
malheureux,  fut  informé  de  fon  arrivée  âc 
de  fa  fîtuation.  Il  lui  rendit  vifîte  ,  &  débuta 
par  lui  prêter  un  habit ,  jufqu'à  ce  que  la 
Providence  lui  en  eût  donné  un  au:re  ^  ce 
q^ii  arriva  dès  le  lendemiain.  Notre  faint 
jejne  homme  réfoîut  de  cultiver  par  lui- 
même  ôc  par  fes  amis  un  fonds  fi  riche  j  ôc 
afin  que  rien  ne  l'arrêtât  dans  fes  opérations, 
il  tâcha  d'écarrer  tout  ce  qui  auroit  pu  y 
iiîettre  obita<:le.  Il  fit  entrer  Tépoufe  dans. 
une  Communauté  religieufe  ,  il  procura  à 
la  fille  parle  moyen  d'un  Gentilhomme  de 
fes  amis ,  une  dot  de  huit  cens  livres ,  au 
,  moyen  de  laquelle  on  lui  trouva  un  parti 
fortable.  Enfin  il  mit  Claude  fous  la  con- 
duite du  P.  de  Condé  ,  ce  grand  Prédica- 
teur du  divin  amour  ,  duquel  nous  avons 
cî-deffus  parlé.  Il  joignit  Cçs  propres  inf- 
irudions    aux    iniirudions   de    ce     par- 


6t  L  A     V  I  E 

-•  fait  Religieux.  Mais  pendant  que  l'un  arro- 

L  udv.  ^^'^^  ^^  ^^^  l'aucre  avoit  planté.  Dieu  don- 
noit  à  l'ouvrage  tout  entier  un  fi  vifible  ac- 
croiflement ,  que  Claude  fut  bientôt  plus 
riche  en  mérites ,  qu'il  n  etoit  dénué  des 
biens  de  la  fortune. 

Il  donnoit  à  l'oraifon  la  plus  grande  par- 
tie de  la  nuit.  Quelquefois  de  grand  matin  il 
fc  retiroit  en  quelqu'une  de  ces  carrières 
abandonnées  qui  font  aux  environs  de  Pa- 
ris. Il  y  pafToit  la  journée  en  contemplation. 
Le  foir ,  de  retour  chez  lui  ,  un  peu  de  pain 
&  deau  fiufoit  toure  fa  nourriture.  Un  jour 
qu'il  étoit  cxrrcmement  accablé  de  bcfoin  , 
il  fur  fort  furprisde  trouver  fa  tablechargéc 
de  mets  excellens.  Apres  une  prière  anmiée, 
il  profita  des  artentions  de  la  Providence  ,  & 
,  mangea  ,  félon  les  règles  de  l'Evangile  ,  ce 

qu'elle  avoit  bien  voulu  lui  fervir.  C'ell  ce 
qu'il  a  raconté  lui-même  à  fes  amis  ,  avec 
tout  l'agrément  poiTible  -,  car  de  fon  naturel 
il  éroit  fort  gai. 

Mais  il  étoit  fi  occupé  de  Dieu  ,  fî  ab)  fmé 
dans  le  fein  de  ^ts  profondeurs  \  ëc  cette  ap- 
plication lui  enchainoir  fi  fort  l'ufage  des 
fens ,  qu'elle  a  penfé  vingt  fois  lui  coûter  la 
vie.  Dans  les  rues  de  la  plus  rumulrueufe 
ville  qui  foir  au  monde  ,  il  n'entendoit  ni 
bruit ,  ni  fracas  ,  ni  carofics  ,  ni  cris  de  ceux 
qui  raverrinbient  de  fe  retirer.  Il  étoit  heur- 
té ,  jette  par  terre  -,  on  le  croyoir  morr  ,  ou 
brifé  i  il  étoit  effectivement  blefle  i  il  fe  re- 
kvoit  au  moment ,  &  fans  appcller  ni  Cbi- 


DE  M.  BOUDON.    Liv.  I.  65 

rurgien  ni  Médecin ,  il   fe  trouvcit  guéri.  ^ 

Boudon  fut  fâehé  de  cecrc  conrinuiré  de  ^^^^^ 
ravidemens,  qui  le  rcndoit  inutile  au  pro- 
chain. Se  qui  pouvoit  enfin  ouvrir  fon  cœur 
à  la  vanité»  Il  le  pria  de  demander  à  Dieu 
d'arrêter  le  coars  d'une  faveur  qui  avoir  Ces 
dangers.  Il  s'unit  à  lui  pour  l'obtenir.  Il  l'ob- 
tint en  eftet ,  &  notre  Lorrain  depuis  ce 
temps  n'eut  plus  d'exrafes ,  au  moins  en  pu- 
blic. Mais  en  récompenfe  il  eut  un  jour  une 
fî  vive  impreflîon  ,  ou  ,  pour  le  dire  avec 
les  Ecrivains  d'après  qui  nous  travaillons , 
\m  fi  violent  ajjam  du  faint  amour  ,  qu'on  le 
crut  prêt  d'expirer.  On  apptlla  les  Méde- 
cins, dont  les  difcours  embarailés  prouvè- 
rent qu'ils  n'entendoient  rien  à  fa  maladie. 
Déjà  on  délibéroir  du  lieu  de  fa  fépulti'.re, 
quand  le  P.  de  Condé  ,  averti  du  danger  ou 
fe  trouvoit  fon  pénitent ,  entra  dans  fa  cham- 
bre, &  déclara  avec  tant  de  fermeté  qu'il  n'y 
avoir  rien  à  craindre,  qu'on  le  crut  enfin 
fur  fa  parole.  Claude  revint  en  efiet  peu  à 
peu  à  lui-même  ,  mais  avec  de  fi  vifs  mou- 
vemens  de  charité  &  de  reconnoifrance,que 
comme  fon  cœur  étoit  tout  en  Dieu ,  fa 
bouche  ne  trouvoit  de  termes  que  pour  cé- 
lébrer fon  amour  &  fa  magnificence. 

Il  le  faifoit  avec  tant  de  netteté  &  d'on- 
ftion  ,  qu'ayant  été  mis  chez  un  homme  de 
fa  profeiïk)n ,  on  voyoir ,  fur  tout  les  Fêtes  ôc 
les  Dimanches  qu'il  ne  rravailloit  pas  ,  une 
longue  file  de  carofiesdevani'la  porte  de  foa 
maître ,  &  des  gens  de  la  premiepe  qualité 


^4         /         L  A     V  I  E 

^'~"'  qui  vcnoîent  rcntendre  difcoiirir  comme  un 
jkfufr.  Ange  des  faîntes  opérations  du  divin  amour 
dans  les  cœurs  bien  difpofés.  C^et  homme 
idiot  &  fans  lettres  connoilToit  û  bien  les 
voyes  les  plus  fublimesdela  grâce,  que  ceux 
qui  croient  en  pofielTion  d'être  confultés  fur 
ces  matières ,  venoient  eux-mcmes  le  con- 
fulter  comme  un  oracle. 

Le  befoin  que  tant  de  perfonnes  avoient 
de  lui ,  fit  juger  qu'il  n  etoit  pas  à  propos  de 
le  laifler  plus  long-tems  enfeveli  dans  la 
boutique  d'un  artifan.  Celui-  ci  ne  put  le  voir 
partir  fans  douleur  :  car  outre  qu'il  perdoir 
un  homme  qui  avoir  tant  d'horreur  pour  l'ar- 
gent ,  qu'il  le  regardoit  comme  un  meuble 
empoifonné  j  il  avoit  remarqué ,  à  peu  près 
comme  Putiphar ,  que  le  nouveau  Jofeph 
étoit  pour  fa  maifon  une  fource  de  bénédi- 
ctions. Mais  enfin  il  fallut  céder  à  des  ordres 
fupérieurs.  Claude  entra  chez  M.  Gauffre  , 
digne  fuccefleur  du  zélé  ôc  de  la  charité  du 
P.  Bernard.  Il  y  relia  jufqa'à  la  mort  de  ce 
faint  Prêtre  j  ôc  alors Meflîeurs du  Séminaire 
de  S.  Sulpice  ,  qui  dans  tous  les  rems  ont  fçu 
honorer  la  vertu  ,  lui  donnèrent  chez  eux 
une  retraite  honorable,  ou  ,  quoique  dé- 
cédé dans  une  extrême  vieillcfTe ,  il  efl  more 
plus  chargé  de  mérites  que  d'années. 

Tel  fut  rhomme  que  Boudon  aflbcia  à  Ces 
travaux.  Dieu  les  récompenfa  par  des  béné- 
dldions  fignalées  :  mais  elles  fervirent  moins 
à confoler  Henri,  qu'à  lui  faire  fentir  com- 
fcien  l'immenfe  uioiflbn  du  Pece  de  famille 


DE  M.  BOUDON.    Liv.  I.  ^J 

avoic  befpin  d'Ouvriers.  »  Helas  l  difoit-il  —^ 
»  da^s  l'excès  de  fa  douleur ,  on  a  vu  les  ^ i_;^^\ 
5*  hommes  courir  en  foule  à  l'Ecole  de  ces 
»  fameux  Philofophes  de  rAntiquité  ,  de  ces 
»  fameux  réprouvés.  Les  Monarques  fe  fai- 
*»  foienr  un  honneur  d'augmenter  le  nombre 
>y  de  leurs  difciples.  Cependant  il  falloir  avoir 
"  beaucoup  d'efprit ,  &  fe  donner  bien  des 
^>  peines  pour  entendre  leur  doclrine.  La 
»  fcience  du  falut  au  contraire  eft  propre  à 
»  tous  les  hooimes  :  les  plus  fimples  en  font 
-y  capables  comme  les  plus   beaux  génies. 
»  Pour  y  faire  de  grands  progrès,  il  ne  faut 
"  quecre  petit  à  fesyeux,  &  n'être  pas  fâché 
»  de  l'être  à  ceux  des  autres  \  6c  c'efl  ce  que 
>'  tous  les  hommes  peuvent  avec  le  fecoars 
*»  de  la  grâce.  Malgré  tant  de  facilités  d'une 
»  part ,  &  tant  d'avantages  de  l'autre  ,  cette 
"  fcience,  qui  feule  en  mérite  le  nom,  efl 
^y  négligée  de  tous  côtés ,  ôc  de  ceux-mémes 
"  qui  devroient  l'enfeigner  aux  autres.  On 
"  va  à  la  Chine  &  au  Japon  prêcher  aux  In- 
>y  fidèles  les  vérités  chrétiennes.  Rien  déplus 
»  glorieux  \  mais  pendant  que  de  nouveaux 
»  Apôtres  travaillent  à  conquérir  à  J.  C.  de 
»  nouveaux  Empires ,  pourquoi  laifferons- 
«  nous  périr  de  pauvres  âmes  qui  font  à  nos 
"  portes  ?  N'eft-ce  pas  une  cruauté  de  voir 
>*  fans  émotion  fe  précipiter  dans  l'abyfme, 
«  fes  parens ,  fes  amis ,  fes  voifms ,  des  gens 
«que  Ton  connoît ,  que  l'on  voit  tous  les 
»  jours ,  &c.  »  C'étoit  par  ces  idées  û  gran- 
des &  fi  fimples  tout  à  la  fois ,  que  Boudon 


^G  L  A    V  1  î 

foutenoir  fa  propre  ardeur ,  &  qu'il  animoît 
celle  de  Tes  Compagnons.  Ils  formèrent 
bientôc  de  plus  grands  projets:  &  on  peut 
dire  que  fans  y  penfer ,  ils  ont  donné  occa- 
fion  à  un  àQ.%  plus  beaux  établiflemens  qui  fc 
foit  fait  dans  TEglife. 
""  Le  P.Bagot ,  qui ,  quand  il  s'agifîoit  des 

^  ^^jly^  intérêts  de  Dieu,  ne  s'embaraflbit  pas  par  qui 
le  bien  fût  fait ,  pourvu  qu'il  fut  fait  folide- 
nient,  entretenoit  fouvent  fcs  chers  Con- 
gréganiftes  des  combats  qu*avoient  à  fou- 
tenir  ,  &  des  vidtoires  que  remportoient  de 
faints  &  zélés  Jéfuites,  qui  étoicnt  adtuellc- 
mcnt  occupés  à  la  convcrfion  d'un  monde 
d'Infidèles  :  mais  il  leur  fuifoit  fentir  en 
même  tems  qu'une  petite  troupe  d'Ouvriers, 
quelques  laborieux  qu'ils  fuflent,  ne  fuffi- 
foit  pas  pour  défricher  des  camppgnes  aufli 
difficiles  par  la  réfiftance  du  terrein,  que 
par  leur  prodigieufe  étendue. 

Cesdifcours  firent  beaucoup  d'impreflîon 
fur  des  jeunes  gens  pleins  de  feu.  Boudon 
en  parut  plus  touché  que  perfonne.  Macé- 
rations furprenantes ,  prières  continuelles, 
neuvaines  répétées,  communions  fréquen- 
tes ,  il  mettoit  tout  en  ufage  pour  forcer  le 
Soleil  de  juftice  à  luire  fur  des  terres  où  il 
ctoit  inconnu.  Nuit  &  jour  il  croyoit  voir 
une  foule  de  Paralytiques  fpirituels,  qui  n'at- 
tendoient  qu'un  homme  pour  être  jettes 
dans  la  pifcine  :  nuit&  jour  il  gémifToit  de 
ne  voir  perfonne  qui  fe  préfcnrârpour  jecrcr 
lesfondemcns  de  ce  grand  édifice. 


DE  M.  BoUDON.  Liv.  I.  ^7 

Le  rems  qui  devoir  donner  naiflance  à  cet  — 
ouvrage  de  bénédiction ,  n'étoic  pas  fi  éloi-  ^(^^\\ 
gné  que  le  penfoic  notre  Henri.  Ce  fut  du 
fein même  de  Ja  Compagnie,  dont  il  étoic 
alors  un  des  plus  beaux  modèles  ,  que  fortic 
peu  de  remsaprès  un  efiTain  d'hommes  Apo- 
ftoliques,  qui  fur  les  pas  &  fur  les  exemples 
de  l'Apotredes  Indes,  ont  porté  le  nom  & 
la  gloire  du  Fils  de  Dieu  dans  des  climats  dé- 
vorans,  où  il  fembloit  devoir  être  toujours 
inconnu.  Voici ,  mais  bien  en  abrégé  ,  com- 
me la  chofe  fe  pafla. 

LeP.Bagot ,  qui  les  vifitoic  fouvent ,  leur 
ayant  un  jour  amené  le  P.  de  Rodes ,  fi  cé- 
lèbre par  fes  travaux  Apolloliques ,  ce  fagc 
Religieux  lui  dit  comme  par  un  efprit  pro- 
phétique ,  que  Dieu  fe  choifiroit  parmi  ces 
jeunes  gens  ceux  qui  feroient  propres  à  fa- 
çonner les  Pays  barbares  ,  dont  la  culture 
les  occupoit  depuis  tant  d'années.  Quelque 
tems  après  un  ami  leur  offrit  fa  maifon  dans 
la  rue  du  Bacq  -,  de  ce  fut-là  qu'ayant  forme 
une  efpécc  de  Communauté  Eccléfiafiique , 
ils  conçurent  le  defiein  de  fe  livrer  aux 
MiiTions  Etrangères. Boudon  qui  en  vit  bien- 
tôt partir  un  bon  nombre  ,  ranr  pour  l'O- 
rient que  pour  l'Occident ,  fe  confoloit  dans 
l'efpérance  qu'il  auroir  fon  tour.  Dieu  qui 
le  conduifolc  par  la  main  ,  ne  le  permit  pas. 
Il  le  réferva  aux  befoins  de  fa  paTie  ,  ôc 
pour  raiïafier  la  faim  qu'il  avoit  des  fouf- 
frances ,  il  fçut  lui  ménager  en  Europe  des 
combats ,  que  l'Afrique  &  l'Afie  ne  lui"  au- 
roient  peut-  être  pas  livrés. 


tôsi 


^^      ^  La    Vi* 

•  Quoique  Ces  études  &  fon  atttaît  annon* 
çafTcnc  aflez  qu'il  étoit  né  pour  le  Sacerdoce, 
la  grande  ôc  jufte  idée  qu'il  en  avoir  conçue, 
la  crainte  de  faire  une  démarche ,  qui  ne 
peut  être  faulle  fans  être  infiniment  dange- 
reufe,  mille  autres  confidérations  fembla- 
blesquj  arrêtent  les  Saints,  &  qui  par  mal- 
heur n'arrêtent  qu'eux,  le  mettoient  dans 
cet  état  indécis,  où  une  ame  timorée  ap- 
préhende toujours  de  prévenir  les  momcns 
de  Dieu.  A  trente  ans  Boudon  étoit  encore 
féculier  :  mais  enfin  vaincu  par  les  follici- 
tations  de  Ces  vertueux  amis ,  par  les  confeils 
d'unEvêque,  qui  fut  frapé  de  l'élévation 
avec  laquelle  il  parloit  de  Dieu,  Se  Dar  ks 
ordres  de  fon  Confefleur  ,  qui  revenoit  fans 
cefleà  la  charge,  il  confcntir  à  recevoir  la 
tonfure ,  Ôc  ce  fut  le  Nonce  du  Pape  ,  qui 
la  lui  conféra  «  Ce  jour,  difoit-il  dans  la 
w  fuite  ,  où  j'ai  pris  Dieu  pour  mon  parta- 

*  ge ,  cH:  pour  moi  un  jour  de  Dieu  feul. 
«  C'eft  pour  lors  qu'en  face  de  l'Eglife,  Se 
'*dans  la  mai  fon  de  la  divine  Reine  des 
'>  Saints ,  j'ai  dit  que  le  Seigneur  étoit  la  part 
"  démon  héritage.  Elle  me  doit  entièrement 
"  fuffire ,  cette  part  précicufe  ,  puifqu'après 
'W'avoir  prife,  il  n'y  a  plus  rien  ni  à  pren- 
"  dre  ,  ni  à  efpérer  de  meilleur.  « 

Depuis  ce  jour  heureux  jufqu'à  fa  mort, 
Henri  ne  quitta  jamais  les  marques  de  fon 
ctat.  Il  porta  toujours  la  tonfure ,  les  che- 
veux courts  Se  l'habit  long.  Ni  Ces  voyages 
continuels,  ni  le  féjour qu'il  fit  quelquefois 


DE  M.  BOUDON.    Liv.I.  6^ 

^ans  des  pays  hciéiiques,  ne  purent  le  lui  ■ 
faire  quicter  un  niomenr.  «  C'eft ,  difoir-il,  ^^^^" 
»»  que  la  foutane  ell  le  faint  habit  de  la  reli- 
>?  gion  du  Clergé ,  la  gloire  ôc  l'honneur  de 
»*  rEcat  Eccléfiallique ,  ôc  le  figne  vifible  du 
"  divorce  parfait  qu'ils  doivent  faire  avec  le 
V monde,  ôc  tout  ce  qui  lui  appartient.»* 
Faut-il  que  des  fentimens  il  beaux  ibient  au- 
jourd'hui fi  profondement  ignorés  ! 

Le  nouvel  Eccléfiaûique  ne  penfoit  qu'à 
demeurer  dans  ce  premier  grade  de  la  Cléri- 
cature ,  lorfque  Dieu  qui ,  pour  glorifier  les 
humbles, fe  plâit  aies  tirer  de  la  poulTiere  , 
voulut  le  placer  au  plutôt  fur  le  chandelier 
de  fon  Eglife.  M.  de  Laval ,  qui  depuis  le 
rems  qu'il  avoit  étudié  avec  lui  la  Philofo- 
phie  ,  connoilToit  fon  mérite  ôc  fa  vertu  ,  fe 
voyant  defiiné  à  porter  le  flambeau  de  l'E- 
vangile dans  des  pays  infidèles ,  jetta  les  yeux 
fur  lui  pour  le  remplacer  dans  la  dignité  de 
grand  Archidiacre  d'Evreux.  Il  prit  dts  me- 
fu Lcs  fi  jufies,que  l'humble  Boudon,  accablé 
fous  le  poids  de  l'autorité ,  fe  vit  contraint 
de  fubir  le  joug  qui  lui  étoit  impofé. 

Cependant  deux  chofes  s'oppofoient  à  fa 
prife  de  pcffeiTion.  11  n'étoit  ni  Prêtre  ,  ni 
gradué.  L'Abbé  de  Laval  leva  le  premier  ob- 
ftacle ,  en  lui  faifant  venir  de  Rome  un  Ex- 
tra tempera  ;  la  Providence  leva  le  fécond  , 
en  luiinfpirant  de  recourir  à  l'oraifon  ,  qui 
dans  fes  bcfoins  fut  toujours  fon  aliment  & 
fa  reiTource.  Très-peu  de  jours  après  il  arri- 
va a  Pai'is ,  des  extrémités  du  Royaume ,  un 


70  L  A      V  I  E 

—  homme  de  bien  ,  qui  connoiflant  l'embar- 
'^^^'  rasdc  Boudon  ,  lui  fournit  libéialemenr  tout 
ce  dont  il  avoir  befoin.  Le  pauvre  de  J.  C. 
en  profita  pour  prendre  à  Bourges  le  bonnet 
de  Dod:eur  ■>* ,  caj  quoiqu'il  eue  fourni  avec 
autant  d'exaditude  que  de  capacité  ,  fa  car- 
rière dans  rUnivcrfité  de  Paris ,  fon  extrême 
indigence  ne  lui  avoir  pas  permis  d'y  prendre 
des  degrés. 

Lorfqu'il  eut  reçu  Ces  provifions  de  Ro- 
me ,  M.  de  Laval ,  qui  craignit  peut-être  que 
le  nom  de  Boudon  ne  fît  un  contrailc  trep 
marqué  avec  celui  de  Montmorenci ,  prit  la 
peine  de  l'accompagner  jufqu'à  Evrcux  , 
pour  difpofer  les  efprits  en  fa  faveur,  Se 
faire  connoîrre  à  TEvcque  ôc  au  Chapitre  le 
tréfor  qu'il  leur  procuroit.  Tout  fe  pafla  af- 
fez  tranquillement  dans  cette  première  en- 
trevue. Nous  verrons  bientôt  que  ce  calme 
ne  dura  pas.  Pendant  le  féjour  que  fit  dans 
cette  ville  notre  pieux  Henri ,  il.  lui  arriva 
une  chofe  ,  dont  près  d'un  fiécle  n'a  point 
altéré  la  mémoire.  Voici  comme  on  nous  l'a 
contée  en  1751-  dans  l'Abbaye  de  S.  Sau- 
veur-, c'eft- à-dire  dans  une  maifon  ,  qui  fçait 
allier  une  piété  fincere  avec  la  douceur  ôc  la 
noblcflc  des  fcntimcns. 

Il  y  âvoit  dans  ce  Monaftere  une  Reli- 
gieufe ,  dont  Dieu  éprouvoit  la  vertu  par  des 
peines  intérieures ,  qui  ne  fe  conçoivent  bien 
que  par  ceux  qui  en  ont  fiait  rexpériencc, 

•Lc7  0ft»brc  165}. 


DE  M.  BouDON.  Liv.  I.  71 

Soit  que  le  biuic  s'en  fût  répandu  ,  foie  que  ■ 

Dieu  en  eût  inllruir  fon  ferviceur  par  une  g^'^fulr, 
voie  furnaturelle ,  Boudon  en  fut  informé. 
Toute  occafion  dexercer  la  charité étoit  pré- 
cieufeà  fes  yeux  :  il  ne  manqua  pas  celle-ci. 
Sans  délai  il  fe  tranfporta  à  1  Abbaye  ^  ôc  de- 
manda la  perfonne  dont  il  connoiflbir  les 
befoins.  En  l'attendant  il  fe  mit  en  prières 
dans  un  coin  du  parloir.  Interrogé  par  elle 
fur  le  fujet  de  fa  vifite  :  Je  viens  pour  vous , 
lui  dit- il.  Je  vous  ajjure ,  reprit  cette  Dame, 
que  je  rCaï  rien  à  vous  dire  :  &  que/ifavois 
à  rn  ouvrir  à  quelqu'un  ,  ce  ne  fer  oit  point  à 
une  perfonne  aujjï  jeune  que  vous  le  paroijfez, 
Souffi-ez.au  moins,  pourfuivit Boudon,  quejg 
outinue  ma  prière.  Elle  le  lui  permit  fort 
volontiers,  &  fe  retira. 

Je  ne  fcais  fi  cette  aventure  ne  lui  fervic 
pointa  égayer  un  peu  fes  fceurs:  ce  qui  efl 
certain  ,  c'eft  que  la  curiofité  &i  une  efpéce 
d'inquiérude  la  rappellerent  au  parloir  une 
heure  après.  Henri,  a  qui ,  lorfqu'il  s'agiffoit 
d'oraifon  ,  les  heures  ne  paioiflbientpas  des 
minutes,  y  prioit  avec  autant  de  ferveur  que 
jamais.  11  efïiiya  néanmoins  le  même  com- 
pliment qu'on  lui  avoit  fait  à  la  première 
entrevue  :  &  i]  ne  tint  qu'à  lui  de  regarder 
fon  voyage  comme  perdu.  Il  n'en  fit  rien  , 
,&  ce  fut  un  coup  du  Ciel  pour  la  perfonne 
affligée. 

Le  fon  de  la  cloche  l'ayant  appellée  à  l'Of- 
fice, elle  fe  trouva  dans  un  trouble  mortel, 
La  Méditation  qui  fuivit  l'Office  ne  fervic 


7X  L    A       V    I    E 

*  qu'à  redoubler  fes  inquiétudes.  Mille  pcn- 

&f  u?v  ^^^^  diverfes  firent  fur  fon  efprit  ce  que  font 
fur  une  mer  agitée  les  flots  qui  s'y  brifent 
fans  ordre  ôc  fans  règle.  C'eft  de  ce  point 
qu'elle  devoit  partir  pour  recouvrer  la  paix. 
Elle  fe  rappella  comme  de  loin  que  cet  Ec- 
CÎéfiaftique  qu'elle  avoit  congédie  aïïez  bruf- 
qucment ,  reffembloit  à  quelqu'un  dont  il  lui 
avoit  été  dit  au  fond  du  cœur:  C'eft  celui  ci 
qui  guérira  vos  peines.  Elle  part  aum.omcnr 
même  ,  débute  par  de  très-humbles  excu fes 
de  ce  qui  s'étoit  paffé  ,  développe  fa  fîtua- 
-tion  ,  reçoit  les  avis  dont  elle  a  befoin  ,  & 
fe  trouve  au  fortir  de  la  converfation  auffi 
libre  de  fes  peines ,  que  Tétoit  Naaman  de 
fa  iépre  ;,  quand  il  fortit  des  eaux  du  Jour- 
dain. 

Si  cet  événement,  où  il  efi:  irapofTible  de 
méconnoître  le  doigt  de  Dieu,  fe  répandit 
d'abord  dans  Evreiix,  il  dur  naturellement 
infpirer  du  refpeâ:  pour  celui  que  la  Provi- 
dence en  avoit  fait  l'inflrumenf.  Il  n'en  fut 
pas  tout-à-fait  ainfi.  Henri  étoit  infatiable 
àe  croix:  Dieu  voulut  le  traiter  félon  fon 
goût  \  Se  pour  lui  faire  fentir  de  bonne  heure 
ce  qu'il  devoit  attendre  dans  fa  nouvelle  di- 
gnité 5  il  en  fema  les  avenues  de  peines  &  de 
contradidîons.  A  fon  premier  voyage  on 
avoit  gardé  des  mefures  avec  lui  par  confi- 
dération  pour  celui  qui  l'accompagnoit  :  au 
fécond ,  on  lui  donna  des  preuves  marquées 
de  mauvaife  humeur.  UAbbé  de  Laval ,  qui 
fçavoit  que  C€  vrai  pauvrenc  pollédoit  ni  or, 

ni 


DE  M.  BoUDON  LîV.  I.  75 

ni  argent ,  Se  qu'il  ne  vivoit  que  d'aumônes ,  "^ 

voulantqii'ilpiit  enfin  pofieiTion  de  fon  Bé-  ^^^i, 
néiice  ,  lui  donna  tout  ce  dont  il  avoit  be- 
foln  pour  faire  avec  décence  Ton  voyage.  Il 
y  ajouta  un  manteau  long  fort  propre ,  ôc 
par  furcroit  de  bonté  il  chargea  un  de  fes 
Officiers  de  l'accompagner. 

Malgré  ces  précautions  ,  Henri  après  une 
marche  pénible  ,  (  c'étoit  au  mois  de  Juil- 
let ,  )  ne  trouva  pas  dans  toute  la  vilh  d'E- 
vreux  une  feule  hôtellerie  où  Ton  voulût  le 
recevoir.  Il  fallut ,  après  avoir  erré  de  quar- 
tier en  quartier,  fe  retirer  dans  un  miîera- 
ble  cabaret  d'un  des  fauxbourgs ,  qui  pour 
délaffer  nos  voyageurs  ,  ne  leur  préfenta 
qu'une  mauvaife  chambre ,  un  lit  plus  mau- 
vais encore  ,  <S<:  un  morceau  de  pain  bis. 
Boudon  remercia  Dieu  de  la  grâce  qu'il  dai- 
gnoit  lui  faire.  Il  fe  fouvint  avec  confufion 
que  J.C.  en  veaant  au  monde  n'avoir  pas  été 
û  bien  traité. 

Il  comptoit  rendre  le  lendemain  matin 
fes  devoirs  à  MelTieurs  du  Chapitre  :  mais 
quand  il  eut  tiré  fon  manteau  long  de  la  va- 
life  ,  où  il  l'avoit  enfermé  ,  il  le  trouva  per- 
cé dans  tous  les  doubles.  C'étoit  un  nouveau 
tour,^ontil  n'a  jamais  connu  les  auteurs. 
Dès-lors  une  vive  imprelTion  lui  fit  entre- 
voir qu'il  feroit  un  "jour  percé  des  traits  de 
la  calomnie  ,  ôc  déchiré  de  toutes  parts  pour 
la  gloire  de  fon  Maître. 

Comme  il  n'ctoir  pas  délicat  fur  le  fait  des 
vêteniens ,  il  eut  bientôt  pris  fon  parti.  Scn 

D 


74  L  A     V I E 

■*— "—  manteau  fut  rapiécé  à  la  hâte,  &  ce  fut  dans 
&  fuit',  cet  ccat  qu'il  alla  faluer  le  Doyen  ik  les  Cha- 
noines de  la  Cathédrale.  L'hiftoire  de  ce 
manteau  criblé  fut  bientôt  la  nouvelle  du 
jour.  Les  uns  en  rirent,  les  autres  en  cu- 
rent pitié  :  les  plus  fages  fe  fouvinrent  que 
Saint  Martin  ,  dont  les  habits  greffiers 
avoient  blefTé  les  yeux  de  l'Evêque  Défen- 
feur ,  s'étoit  fliit  un  nom  immortel  dans  tou- 
tes les  Eglifes.  Ainfi  un  Chapitre  extraordi- 
nairement  ademblé  inflallaBoudon.  Ce  fut 
un  Samedi  27  de  Juillet  que  la  cérémonie 
s'en  fît. 

Le  nouvel  Archidiacre  ne  rcfta  pas  lonj;- 
tems  à  Evreux.  Une  affaire  importante  ,  de 
chez  lui  il  i;'y  en  eut  jamais  d'autres  que  cel- 
les de  la  charité  ,  Tappella  à  Rouen.  Ce  fur 
de-là  qu'il  écrivit  à  MeiTieurs  les  Curés  de 
la  ville  d'Evreux  une  lettre  commune.  Quoi- 
qu'un peu  oblcure,  elle  efl:  Ci  pleine  d'humi- 
lité ik  d'ardeur  pour  les  intérêts  de  Dieu 
feul ,  qu'on  ne  peut  encore  la  lire  aujour- 
d'hui fans  en  être  touche.  «  C'eft ,  leur  dit-il 
>»  en  propres  termes  ,  c'efl;  la  dernière  des 
»  créatures  qui  vous  adreiîe  cette  chétive 
»*  lettre,  pourfiipplier  votre  charité  d'avoir 
«  foin  de  fa  mifere  devant  la  m.ijefié  du 
»»  Dieu  tout  bon.  J'ai  cru  que  l'adorable 
»  Crucifié  feroit  glorifié  ,  fi  ayant  été  ap- 
ji  pelle  par  un  excès  de  fon  amour  à  TAr- 
»  chidiaconat  d'Evreux ,  nous  avions  foin 
"  de  nous  recommander  à  vos  faints  faciifi- 
»*  ces Ce  n'efl  pas ,  Meffieurs,  le  pau- 


DE   M.  BOUDON.  Iiv.  L  7/ 

•*  vre  pc'chenr  que  je  recommande  à  votre       '  ■   * 
»j  louvenir  :  je  vois  devant  Dieu  que  je  mé-  gj'fui^, 
"  rire  d  erre  effacé  dans  refprit  de  toutes  ks 
»»  créatures:  ce  font  les  feuls  intérêts  de  Dieu 
»'  dont  je  vous  prie  d'avoir  foin  dans  vos 
>*  prières  . . .  Ocfl  Jefus  qui  doit  être  l'Ar- 
»  chidiacre  d'Evrcux ,  &  non  pas  le  dernier 
»  des  hommes.  Tout  ira  bien,  fi  le  pauvre 
»  Archidiacre  efl  bien  détruit ,  bien  anéanti 
>'  par  l'efprit  de  Dij£U ....  C'cft  dans  cette 
»  vue  que  j'ai  offert  l'Archidiaconé  d  Evreux 
»  à  la  très-digne  Mère  de  Dieu  ,  fçachant 
»  que  fi  une  fois  elle  l'a  entre  les  mains ,  il 
»  fera  tout  au  pouvoir  de  fon  Fils   bien- 
"  aimé.  »  Toute  la  lettre  qui  cil:  longue ,  eil 
du  même  ilyle.  Ceux  à  qui  elle  étoit  adrcfléc 
y  répondirent  quelque- tems  après  \  mais 
quoiqu'en  peu  de  mots  ,  ils  le  firent  avec  au- 
tant de  dignité  que  de  polirefTe. 

De  retour  à  Evreux  ,  Boudon  qui  n*avoit 
encore  que  la  première  tonfure  ,  penfa  à  re- 
cevoir les  faims  Ordres.  Four  s'y  difpofer  , 
il  fe  retira  dans  lacélébreChartreufedeGail- 
Ion.  S'il  fut  beaucoup  édifié  de  cqs  Anges  de 
la  terre ,  il  les  édiEa  beaucoup  par  fon  re- 
cueillement &  fon  alTiduicé  confiante  aux 
Offices  du  jour  &  de  la  nuit.  Près  de  cinq 
mois  de  retraite  de  de  pénitence  coûtèrent 
moins  à  fon  ardeur,  que  cinq  jours  donnés 
aux  apparences  ne  coûtent  a  une  infinité 
d'antres.  Ainfi  fur  le  Dimifloire  des  grands 
Vicaires  de  Laon ,  le  Siège  vacant ,  <k  eia 
c^^nféqucnce  du  Bref  Ap.oftoiique ,  il  reçue 

Dij 


yG  L  A     V  r  E 

■  le  Soudiaconat  à  Evreux  ,  le   Diaconat  I 

fc'fufr.  '^^erneuil  dans  l'Eglife  Abbatiale  de  S.* Nico- 
las,  &  laPrcrrife  dans  la  Chapelle  du  Palais 
Epifcopal  le  premier  Janvier  i6jj.  Tous 
ces  Ordres  lui  furent    conférés  par  Gilles 

Boutaulc ,  Evcque  dEvreux. 

,g  Les  difporirions  que  le  grand  Archidia- 

&  fuiv.  cre  avoit  apportées  au  Sacerdoce ,  firent  dcf- 
cendre  fur  lui  la  plénitude  à.t^  grâces  de 
J.  C.  Il  cékbra  fa  première  Mefle  avec  une 
piété  capable  de  toucher  les  cœurs  les  plus 
endurcis.  Mais  fa  ferveur  ne  fut  pas  une  de 
ces  lueurs  paflageres ,  que  la  nouveauté  de 
l'adion  fait  naitrc  ,  &  que  Ihabitude  a  bien- 
tôt fait  évanouir.  Boudon,pcndant  quarante- 
deux  ans  qu'il  a  vécu  depuis  fon  Ordination, 
n'a  jamais  manqué,  hors  les  cas  de  maladie  , 
d'offrir  le  faciificede  la  nouvelle  Alliance; 
&  chaque  jour  le  vit  plus  refpedtueux  ,  plus 
attentif,  plus  pénétré  que  le  jour  précé- 
dent. Plût  à  Dieu  qu'un  fi  bel  éloge  lui  fût 
moins  propre  ,  &  qu'il  le  partageât  avec  un 
plus  grand  nombre  de  Minifircs. 

Sa  confcience  étoit  d'une  pureté  admira- 
ble. 11  ne  portoit  au  facréTribunal,que  quel- 
<:iues-unes  de  ces  fautes  ,  dont  la  vertu  la 
plus  fcvére  n'efi;  pas  exempte.  Avec  cela  il 
donnoit  des  marques  fi  vives  de  contrition, 
qu'il  communiquoit  à  ceux  qui  en  étoient 
témoins ,  une  partie  de  la  douleur  dont  il 
étoit  pénétré. 

A  cette  pureté  de  confcience ,  qui  ne  fie 
^ue  croître  avec  le5  années ,  fe  joignoit  une 


tt  M.  BoVDOT^.  Liv.  I.  77 
Attention  fi  continuelle  à  la  préfence  de  — •*-» 
Dieu  ,  qu'il  ne  le  perdoit  de  vue  ni  le  jour ,  &^iuiy, 
ni  la  nuit.  Delà  naiflbic  en  lui  un  amour 
adluel,qui  n'étoit  prefque  jamais  interrom- 
pu. €i  Aimons  Dieu  ,  s' écriait-il  ,  &  quoi 
"  qu'il  nous  en  coûte  ,  quoi  qu'il  nous  arri- 
"  ve,  aimons  toujours  Dieu  feul.  Ne  foyons 
'•  pas  aflez  malheureux  pour  partager  nos 
Si  cœurs  ôc  nos  affedions.  Que  tout  TEtrc 
«  créé  en  forte ,  que  Dieu  feul  les  remplifle 
"  fans  exception.  Ce  Dieu  û  grand  ,  fi  bon 
»  nous  doit  bien  fuffire.  "  Ces  ades  répétés 
à  l'infini ,  ôc  toujours  avec  les  plus  vifs  fen- 
tiraens  d'anéantiiTement  ôc  de  refpect,  nour- 
riflbienc  fur  l'autel  intérieur  un  feu  ,  à  qui 
tous  les  momens  du  jour  donnoientun  nou- 
veau degré  de  force  &  de  vivacité. 

Mais  ces  difpofitions  û  peu  communes 
n'étoient  pour  ce  digne  Minière  de  J.  C. 
qu'une  préparation  éloignée  à  la  grande  ac- 
tion du  Sacrifice.  Une  méditation  ,  vive , 
animée  ,  ôc  qu'on  a  vu  quelquefois  aller  au- 
delà  d'une  heure  ôc  demie  ,  étoit  toujours 
fa  préparation  prochaine.  Il  avoir  coutume 
dédire,  que  l'efprit  d'empreflement ,  d'in- 
quiétude efl:  une  efpéce  de  larron  qui  fuie 
l'homme  par-tout ,  êc  qui  tâche  de  lui  en- 
lever le  fruit  de  fes  bonnes  œuvres  ,  ôc  fur- 
tout  de  la  Me(re&  des  divins  Offices.  Il  dé- 
concertoit  cet  efprit  fédudeur  ,  en  élargif- 
fant  le  terrein ,  à  mefure  que  celui  ci  s'ef- 
forçoit  de  le  rétrécir.  La  tentation  d'abréger 
étoit  pour  lui  un  motif  d'imiter  ce  Dieu- 

Diij 


7«  L  A    V  I  E 

Sauveur  ,  qui  fui  le  poinr  des*immolcrpour 
nous ,  prioit  avec  plus  d'inftaiice  ôc  de  con- 
tinuité ■♦'. 

La  frayeur ,  le  faififlement ,  l'humiliarion 
la  plus  profonde  étoienr  la  fubliancc  de  cette 
préparation  prochaine.  *>  Ah  ,  Seigneur  ife 
y>  dif oit-il  alors  ,  &  il  l'a  lai0  par  écrit , 
ii  Seigneur ,  que  vais-je  faire  ?  c'eft  un  Dieu 
>»  que  je  vais  offrir  :  un  Dieu  devant  qui  les 
«  cieux  ne  font  pas  nets  :  un  Dieu  devant  qui 
«  les  Séraphins  fe  voilent  la  face  :  un  Dieu 
>^  dont  toute TEglife  chante  avec  admiration j 
«  Vous  n'avez  pas  eu  horreur  d'entrer  dans 
9>  le  fein  d'une  Vierge.  C'efl:  ce  Dieu  de  ma- 
"  jeilé  ,  qui  va  fe  rendre  dans  mes  mains  par 
»i  une  foumiflion  incompréhenfible.  Je  vais 
»>  iacrifier  celui  que  les  Anges  n'ofent  re- 
3^  garder  qu'avec  une  fainte  fîayeur.  »> 

Il  s'uniflbit  enfuite  aux  plus  intimes  à\C- 
pofirions  du  Fils  de  Dieu  regardé  comme  Sa- 
crificateur &  comme  vidlime  ,  afin  de  s'im- 
jnoler  à  fon  exemple ,  5c  pour  foi-même  ,  & 
pour  tous  fes  frères ,  foit  qu'ils  vécuffent  en- 
core ,  foit  qu'ils  fe  fuflent  endormis  dans  le 
fommeil  de  la  paix. 

Dans  la  célébration  a<^uelle  il  prenoit 
tout  le  tems  néceiTaire  pour  faire  avec  dé- 
cence les  cérémonies  prefcrires  par  l'Eglife. 
11  lai  (Toi  ta  d'autres  le  talent  de  courir ,  d'an- 
ticiper ,  de  manger  les  mots.  11  les  pronon- 
çoit  tous  àÀflïnÙement ,  pofément ,  dévote^ 
ment.  Au  Canon  ,  où  la  mémoire  n'aide  quç 

*  Fadus  in  agoniâ  proUxius  orabac.  Luc.  tu  v.  4j. 


D£  M.  BoUCCK.  Liv.  I.  7^ 

trop  la  volubilité  naturelle,  il  cntroît  dans  ■ 

un  recueillement  fi  profond  ,  qu'il  paroiiloir  ^^J^. 
alors  plus  différent  de  lui-même  ,  qu'il  ne 
rétoit  dts  autres  hommes  dans  tout  le  cours 
de  cette  grande  adion.  A  Tune  ôc  Vautre  élé- 
vation on  voyoit  fon  vifage  enflammé ,  Ces 
yeux  étincelans ,  tout  l'homme  extérieur  fi 
transformé  en  un  autre  homme,  que  placé 
par  miracle  fur  le  Calvaire  ,  où  le  Sauveur 
s'immola  la  première  fois ,  il  n'eût  changé  ni 
defentimens,  ni  d'attitude.  Au  forcir  de  P Au- 
tel il  donnoit  encore  un  tems  confidérable  à 
fon  bien  aimé.  11  s  uniiïbit  intimement  à  lui , 
il  le  prioit  avec  inftance  pour  les  befoins  de 
rEglifc&  de  l'Etat.  Rien  n'échappoit  à  l'é- 
tendue de  fa  charité  j  parce  que  rien  n'a  écha- 
.pé  à  rétendue  de  la  charité  de  ce  Prctre  éter- 
nel ,  qu'il  fe  propofoit  pour  modèle. 

Il  étoit  (i  fidèle  à  célébrer  tous  les  jours 
avec  la  même  dévotion  ,  qu'un  Officier  d'un 
grand  Prince  l'ayant  une  fois  prié  de  n'être 
pas  plus  long  à  fa  MefTc  que  les  Aumôniers  de 
S.  A.  il  lui  répondit  avec  une  fainte  &  no- 
ble fermeté  :  »  Vous  pouvez  compter  ,  M, 
"  que  je  ferai  ce  que  je  dois  faire.  Je  parlerai 
*'  à  mon  Dieu  avec  route  la  vénération  ,  tou- 
»}  te  l'attention  polTible  ;  6c  je  n'en  pronon- 
i>  cerai  pas  une  parole  plus  vîrc,  » 

Quelques  propres  que  fuilenr  des  difpo- 
fîtions  û  faintes  à  attirer  les  bénédiélions  du 
Ciel  fur  les  travaux  de  l'Archidiacre  d'E- 
Vreux ,  il  ne  s'en  contenta  pas  :  il  crut  de- 
voir conférer  des  opérations  de  fa  première 

Div 


Èo  La  Vil 

campagne  avec  ceux  qu'une  longue  expé- 
rience metroir  plus  à  portée  de  lui  tracer  un 
plan  de  conduire ,  &  d'en  diriger  l'exécu- 
tion. Dans  cette  vue  il  fe  rendit  d'abord  à 
Chartres  &  puis  à  Paris.  11  vit  dans  la  pre- 
mière de  ces  deux  villes  le  célèbre  M.  de 
Lcvis,  Archidiacre  du  Vendômois  ,  Cha- 
noine &  grand  Pénitencier  de  cette  illuflrc 
Eglife.C'étoit  un  homme  d'une  érudition  peu 
commune,  d  une  piété  rare  ,  d'un  fage  con- 
feil ,  d'une  douceur  ,  &  en  même  tems  d'une 
fermeté  admirable ,  quand  il  s'agiflbit  des 
intérêts  de  Dieu,  d'une  vie  û  pure  ,  mais  fi 
traverfée ,  que  l'Archidiacre  de  Vendôme 
cil:  peut-être  l'homme  de  fon  rems  qui  du 
côré  de  l'innocence  6c  des  perfécutions  ait  eu 
plus  de  rapport  à  l'Archidiacre  d'Evreux. 
Ce  fut  dans  le  commerce  de  ce  faint  Prêtre 
que  Boudon  puifa  une  partie  des  lumières 
dont  il  avoit  befoin  i  &  il  conçut  tant  d'efti- 
me  pour  lui ,  que  depuis  il  ne  pafla  jamais  à 
Chartres ,  fans  lui  rendre  fcs  devoirs  &  pren- 
dre Tes  avis. 

De  Beauce  il  vint  à  Paris,  Il  pafla  quel- 
ques jours  au  Séminaire  de  S.  Nicolas  du 
Chardonnet.  Ce  fut  dans  cette  maifon  ,  fl 
eftiméc  Se  û.  digne  de  Têtre  ,  qu'il  jouit  à  loi^ 
fir  du  commerce  d'Adrien  Bourdoife ,  c'eil- 
à-dire  de  cet  homme  admirable  ,  que  la  Pro- 
vidence avoit  fufcité  depuis  plus  de  quarante 
ans  pour  travailler  avec  les  Ollier  >  les  Vin- 
cent de  Paul  &  plufieurs  autres  ,  au  rérablif- 
fcmenc  de  la  difciphne  ecclcûaftique.  Com* 


DE   M.  BOUDON.  Liv.  î.  8l 

me  les  caraderes  écoient  à  peu-près  fem- — — 
blables,&que  les  intentions  rétoicnt  en-  g^juiV, 
coreplus,  il  y  eut  bientôt  une  intime  liai- 
fon  entre  le  Fondateur  du  Séminaire  6c  le 
grand  Archidiacre.  Bourdoifelui  donnad'ex- 
cellentes  leçons:  Pour  les  rendre  plus  fen- 
fibles  par  les  exemples,  il  l'entretint  fouvenc 
du  bienheureux  Êvêque  de  Genève  j  de 
l'honneur  qu'il  avoir  eu  de  l'accompagner 
plufieurs  fois  dans  Ton  dernier  voyage ,  6c  de 
la  confolation  qu'il  avoit  eue  de  lui  voir  prê- 
ter, dans  le  tribunal  de  la  Pénitence  ,  fon  mi- 
ni/lere  aux  pauvres  tout  comme  aux  riches. 

Aux  inftrudions  que  Bourdoife  donna  de 
vive  voix  à  fon  vertueux  ami ,  il  joignit  des 
préfens  de  fa  façon  -,  je  veux  dire  un  grand 
nombre  de  petits  OuvrageSjqu'il  avoit  com- 
pofés  pour  la  réformation  des  Pafteurs  ôc 
des  Peuples.  Il  lui  en  donna  fur-tout  un  , 
dont  le  but  écoit  de  combattre  les  diflbiu- 
tionsfcandaleufes,  qui  regnoient  dans  tou- 
tes les  Paroiffes ,  a  roccafion  des  feux  qui  s'y 
font  la  veille  de  S.Jean. 

Ce  fut  par-là  que  Boudon  commença  à  fi- 
gnaler  fon  zélé  :  mais  s'il  réufiit  en  quelques 
cndroitSjCommeàMontigniprèsdeVerneuil, 
où  les  Seigneurs  de  ParoilTe  fécondèrent  Ces 
bonnes  intentions  :  il  y  en  eut  d'autres,  où  il 
fe  vit  en  butte  à  la  plus  amerc  contradiction» 
Un  Curé  des  environs  de  l'Aigle  ,  qui  fça- 
voit  mieux  être  mauvais  plaifant ,  qu  hom- 
me folidement  vertueux ,  tourna  en  ridicule 
6c  le  livre  de  M.  Bourdoife ,  ôc  celui  qui  Iç 

Dv 


82  La   Vie 

lui  avoir  envoyé.  Ce  vertueux  Prctre  le  fé- 
licita moins  fur  fes  fuccès ,  que  fur  les  mor- 
tifications qu'il  avoir  efTuyées  :  de  parce  qu'un 
vrai  Chrétien  eft  infatiable  de  Croix  ,  il  Bor- 
na tous  fes  vœux  pour  lui ,  à  lui  en  fouhait- 
ter  de  nouvelles  ôc  de  plus  vives.  Au  refte  il 
prédit  dès-lors  que  l'Archidiacre  d'Evreux 
feroir  un  homme  A-poftotique  O"  tout  de  feu  ^ 
un  trèi-^randferviteur  de  Dieu  s  un  hom- 
Tne  de  croix  y  &  qui  r endroit  à  l'Eglife  de 
très-grands  fer  vie  es.  L'événement  ne  tarda 
pas  à  juftifier  la  prcdi<5lJon ,  ôc  il  la  juftifia 
dans  tous  (ç^s  points. 

Avant  que  d  entrer  dans  ce  dérail ,  il  eft  à 
propos  de  donner  une  jufle  idée  de  la  capa- 
cité &  des  talens  de  M.  Boudon.  Nous  la 
tirerons  du  témoignage  qu'en  ont  rendu  > 
pendant  fa  vie  &  après  fa  mort ,  un  grand 
nombre  de  perfonnes  d'une  probité  recon- 
nue ,  d'un  mérite  diftingué ,  &  du  plus  par- 
fait défîntéreflemcnt. 

11  avoit  la  mémoire  fi  fûrc  ,  fi  étendue  , 
qu'ilfçavoit  imperturbablenientl'hirtoire  de 
tous  les  fiécles ,  &  fur  tout  ce  qui  s'eft  pafTé 
de  plus  intéreflant  dans  TEglife.  Il  poiïédoit 
les  Adles  des  Saints  d'une  manière  fi  nette , 
fi  exade  ,  qu'à  l'en  entendre  parler  ,  on  eût 
cru  qu'il  n'avoir  jamais  fait  d'autre  ledurc. 
11  dérailloir  &  le  fonds ,  &  les  circonftances 
d'un  événement  pafle  depuis  trente  ou  qua- 
rante années ,  comme  un  homme  qui  ra- 
conte  bien ,  déraille  un  fait  qui  le  jour  même 
%'€à  pafTé  fous  fes  yeux. 


DE   M.    BOUDON.   Liv.  I.  ^5 

II  avoit  fait  une  écude  profonde  du  Droit  ^ 

Canon,  de  la  difcipline  de  l'Eglife,  de  tout  ce  ^'fuiv» 
qui  peut  avoir  du  rapport  au  gouvernement 
desdiocèfes.  Auiïi  le  regarda- t-on  conflam- 
ment  comme  le  plus  habile  de  ceux  à  qui  M. 
de  Maupas  confia  le  foin  de  Ton  troupeau, 
pendant  le  vovage  qu'il  fit  à  Rome. 

Souvent  on  le  vit  aux  prifes  avec  des  Do- 
cteurs de  Sorbonne,  ôc  même  avec  des  Pré- 
lats :  mais  jamais  on  ne  le  vit  avoir  du  dtC- 
fous  dans  ces  fortes  de  démêlés.  Il  faififlbit 
le  vrai ,  il  le  rendoit  bien  :  il  n'étoit  pas  pof- 
flble  d'être  de  bonne  foi ,  Se  de  tenir  contre 
lui. 

En  fait  de  Théologie  myflique  ,  efpéce  de 
fcience  aufli  décriée  par  les  ignorans,  qu'elle 
a  été  eftimée  par  les  Saints  ,  il  fçavoit  tout  ce 
qu'une  étude  alTiduc  6c  réfléchie  peut  ap- 
prendre. Il  n'y  avoit  aucun  bon  livre  fur 
cette  importante  matière  qu'il  n'eût  lu  avec 
attention.  Les  Ojv rages  de  S.  Jean  de  la 
Croix  ,  de  faintc  Thérèfe  ,  de  S.  François  de 
Sales  lui  étoient  fi  familiers ,  qu  on  en  trou- 
ve par-tout  chez  lui  le  langage  âc  les  expref- 
fions.  Sçavoir  s'il  n'en  a  point  un  peu  outré 
les  fentimens  ,  c'efi:  une  queflion  que  nous 
pourrons  difcuter  ailleurs. 

Sa  morale  étoit  très- pure  ,  &  fondée  fur- 
ies faintes  Ecritures ,  fur  les  décifions  de 
TEglife,  fur  l'autorité  des  SS.  Percs,  fur  le 
fcnriment  des  Docteurs  les  plus  judicieux  &: 
les  plus  eilimés.  Quelqu'étendue  qu'elle  foir, 
il  en  avoit  prefcntes  toutes  les  parties.  AulTi, 

D  vj 


S4  La   ViÊ 

■^^        dit  un  témoin  oculaire,  ôc  qui  par  ion  cru- 

&  îm,  dition  renoir  un  rang  diftingué  parmi  les  Iça- 

vans  :  Ce  que f ai  plus  admiré  en  lui,  c'efi 

quil  était  toujours  prêt  à  répondre  à  toutes 

J  or  te  s  de  que  fiions. 

Pour  ce  quieft  de  Ton  ftyle,  quoiqu'il  ne 
foit  pas  bien  corred: ,  il  eft  fur  qu'on  y  trou- 
ve une  forte  d'éloquence  aufli  vive  qu'elle 
c/i  naturelle  ,  une  diction  nerveufe  ,  un  rai- 
sonnement perfiiafif,  une  tournure  qui- char- 
me le  cœur,  l'entraîne  par  londion  ,  &  le 
tourne  à  fon  gré  ,  comme  le  Colon  tourne 
les  eaux  qui  arrofent  (ts  plantes  &  fes  prai- 
lies. 

Ce  fut  avec  ces  talens  fupérieurs  que  le 
grand  Archidiacre  entra  dans  Evreux  :  en 
moins  de  crois  femaincs  il  eut  occailon  de  les 
faire  connokrc.  Quelques  Eecléflailiques  fu- 
rent les  premiers  a  en  faire  l'efiai.  Le  titre 
de  Docieur  de  Bourges ,  dont  Henri  étoic 
redevable  à  fa  pauvreté  ,  leur  parut  de  foible 
augure.  Sur  ce  fondement  ,  auquel  l'exté- 
rieur liniple  &  négligé  du  nouveau  venu: 
donnoit  quelque  apparence  ,  un  Curé  de  la- 
ville  l'invi-a  à  manger.  11  lui  donna  pour 
convives  tout  ce  qu'Evreux  avoir  de  meil- 
leur pour  la  fcience  &  pourla  difpute.  11  fut. 
convenu  qu'on  ne.  Vépargneroitpas.  Chacun 
fe  mit  en  frais,  &  pour  embaraflfer  un  feul' 
homme ,  on  confuka  lesvivans&  les  morts.. 
Apr:s  lediner  la  fcène  s'ouvrit  l  les  plus  épi- 
neuies  matières  furent  mifes  fur  le  tapis.  On 
propofa,  on  prefTa^  on  revint  à  la  charge 


DE  M.  EOUDOK.  Liv.  I.  S/ 

fans  donnerni  trêve,  ni  relâche.  Mais,  quoi-  j* 

que  pour  être  habile ,  il  ne  fbit  pas  nécef-  ^{^[y^ 
faire  de  tout  fcavoir  ,  êc  moins  encore  de 
n'avoir  rien  oublié  de  ce  qu'ion  a  feu  ,  TAr- 
chidiacre  fît  fi  bonne  contenance  ,  &  réfo- 
lut  avec  tant  de  lumière  ,  tant  de  précifion  ^ 
tant  de  douceur  toutes  les  qudtions  qui  lui 
furent  propofées ,  qu'un  de  ceux  qui  a  tra- 
vaillé à  rhirtoire  de  fa  Vie,  a  cru  pouvoic 
dire  de  lui ,  comme  il  a  été  dit  de  Salomon , 
que  tout  Ifrael  ayant  fçu  la  manière  dont  iî 
s'étoit  tire  dafiaire  ,  conçut  pour  lui  une 
efhme  mêlée  de  crainte  &  de  refpeâ:;  parce 
qu'on  vit  que  l'efprit  de  Dieu  réfidoit  en  lui, 
é^  qu'il  y  réfidoit  avec  plénitude» 

Sa  réputation  redoubla,  lorfqu'on  l'eût 
entendu  tonner  dans  les  Chaires  de  la  ville 
Epifcopale.  Il  y  parut  ,  dit  un  pieux  ôc  ref- 
peclabîe  Docteur '♦' ,  avec  la  force  ôc  dans 
l'efprit  d'Helie.  Son  ftyle  véhément  ,  qui 
rappelloit  le  flyle  des  Prophètes  ,  décou- 
vroit  en  lui  Thommc  né  pour  bâtir  &  pour 
planter  pour  détruire  &  pourrenverfer.  Sa 
belle  voix  alloit  ji^^q»  aiix  derniers  rangs 
chetcher  Toreille  de  l'Auditeur ,  ôc  par  elle 
faifoit  entrer  au  fond  des  cœurs  le  faifîfTe- 
ment  ,1a  terreur  ,  ou  plutôt  tous  les  mou- 
vemens  qu'il  jugeoit  à  propos  d'y  faire  entrer, 
Auffi  jamais  Orateur  ne  fut  plus  univerfel- 
Icmentilk  plus  conflaramcnt  fuivi.  Les  plus 

*  M.  de  Bofcguerard  ,  Doâeur  en  Théologie  ,  &  an- 
cien Curé  de  ia^Paroiffe  de  S,  >»icolas ,  à  Rouen.  U  ctoit 
natif  d'£vreiji, 


85  La  ViÈ 

vaftes  Egtifes  ne  pouvoienc  fuffire  à  la  mul- 
titude qui  s'y  rendoic  pour  l'écouter  i  ôc 
quoiqu'on  s'y  plaçât  dans  des  lieux  prefque 
inaccellibles ,  les  rues  étoienr  pleines  de  gens 
qui  s'efforçoient  d'attraper  &de  retenir  quel- 
ques-unes de  fes  paroles. 

Après  tout ,  quoiqu'il  ignorât ,  qu'il  eût 
me  me  en  horreur  ce  langage  précieux  ,  qui 
énerve  l'Evangile  à  force  de  l'embellir  ^  il  fal- 
loit  qu'il  y  eut  chez  lui  bien  de  l'ondiion  5c 
bien  de  la  fécondité.  Depuis  le  commence- 
ment de  l'année  jufqu'à  Pâques  il  ne  prie 
d'autre  texte  de  tous  (ts  difcours  ,  que  ces 
paroles  du  Roi  Prophète  :  Alitlta  flagella 
peccato>is.  Cependant  il  fçut  fi  bien  varier 
fa  matière  ,  &c  en  développer  toutes  les  par- 
ties, que  le  dernier  de  Ces  fermons  ne  parut 
pas  moins  neuf,  que  ceux  qui  l'avoicnr  pré- 
cédé. Mais  ce  n'étoit  pas  de  l'admiration  , 
c'étoit  deladouleur  &  des  larmes  qu'il  dc- 
mandoit.  Il  fçut  en  tirer  des  cœurs  les  plus 
endurcis.  »>  Je  me  fouviens,  die  un  témoin 
«  oculaire,  que  prêchant  dans  TEglife  de 
V  S.  Pierre  ,  le  Dimanche  des  Rameaux ,  il 
"  biifa  fi  abfolument  les  cœurs  les  plus  im- 
''pénirens ,  qu'on  ne  voyoit  que  des  torrens 
»*  de  larmes  i  &  elles  couloicnt  en  telle  abon- 
w  dance  ,  que  plufieurs  furent  fur  le  point 
w  d'expirer  de  douleur  dans  TEglife  ;  car  ja- 
«maiîî  Ton  n'avoir  rien  entendu  de  pareiL 
«  Pour  moi ,  qui  aflillois  exadtement  à  (es 
»  fermons  ,  j*cn  reçus  des  împreffionsfi  for- 
»>  tes  ,  que  quoique  je  ne  fuffe  encore  qw^ua 


DE  M.  BouDON.  Lrv.  I.  S/ 

»  jeune  homme ,  je  pris  une  fincere  réfolu-  * 

tion  de  ne  vouloir  jamais  le  péché ,  d'êcre  ^21r. 
»  à  Dieu  fans  réferve  ,  de  defircr  d  aimer 
'*  tout  de  bon  J.  C.  mon  Sauveur  &  mon 
»  unique  maicre.  Dès-lors  je  regardai  com- 
"  me  les  plus  heureufes  pcrfonnes  du  mon- 
>»  de  celles  qui  arvoient  l'avantage  de  fuivre 
«  M.  Boudon  ,  de  je  mis  en  ufage  tous  les 
"  moyens  poflibles  pour  m' attacher  à  lui»  Je 
>»  le  trouvai  enfin  ,  &  je  ne  peux  aiTcz  re- 
"  connoîrre  les  boncés  de  mon  Dieu  ,  de 
w  m'avoir  donné  un  guide  fi  faint ,  fi  afiuré  ,. 
»>  Ô:  qui  ne  donnoit  aux  autres  que  des  con- 
«  feiîs  que  lui-même  avoir  pratiqués  le  pre- 
»  mier.  »> 

Ce  qui  fait  plus  à  la  louange  de  TArchi- 
diacre  ,  c'eft  que  ces  fentimens  d'eftime  n'é- 
toient  l'effet  ni  du  préjugé ,  ni  de  l'inclination 
qu'un  cœur  bien  né  a  naturellement  pour  un 
ho:nme  de  bien.  Ceux ,  qui ,  à  parler  humai- 
nement ,  avoient  quelque  raifon  de  n'être 
pas  contents  de  lui  en  parloienr  comme  fes 
difciples  les  plus  déclarés.  Un  homme  qui- 
prêchoit  TAvent  dans  une  Ville  qu'on  ne 
nomme  pas  ,  voyant  que  fon  Auditoire  éroit 
défert ,  parce  que  tout  le  monde  couroir 
aux  fermons  du  grand  Archidiacre,  lui  die 
un  jour  :  »>  Je  ne  fçais,  M.  d'où  vient  que  tant 
w  de  gens  vont  vous  écouter:  mais  vous  nous 
3>  défolez  tous  -,  car  tout  le  monde  court 
w  après  vous.  »  Un  autre  ,  &  celui-ci  étoit 
un  Jéfuire,  quis'étoit  fait  une  grande  réputa- 
tion à  Bordeaux ,  s'étant  laiffi  tmraîncr  au 


2?  La  Vie 

"  '  ■  torrent  qui  fuivoit  par-tout  notre  Prédîca- 
'4cl"iav.  ^^^^  y  ^^^  ^1  touché  de  la  manière  dont  il  an- 
nonçoic  la  parole  de  Dieu ,  qu'au  fortir  de 
la  Chaire  il  l'arrêca  pour  lui  dire  :  "  Je  fuis 
«  heureufement  forcé  de  vous  avouer,  que 
>'  vous  confondez  bien  la  manicre  de  prê- 
"  cher  de  la  fageiTe  du  ficcle  j  ôc  qu'il  feroic 
«  à  defîrer  que  l'Eglifc  fût  moins  fertile  ea 
»  Prédicateurs  éloqueas ,  ôc  qu'elle  en  eût 
»  un  bon  iK)mbre  d'aulfi  pleins  ^  ôc  d'aufll 
«  pénécrésde  l'efpric  Apollolique  ,  que  vous 
>j  réccs.  »  C'eil  que  l'homme  de  Dieu  fcul , 
ne  prcchoit  ni  fes  penfées  ,  ni  fes  propres 
inventions,  mais  J.  C,  ôc  fon  Evangile  j  5c 
qu'il  ne  fe  foiicioit ,  ni  de  plaire  ,  ni  de  dé- 
plaire, pourvu  que  la  vérité  fût  annoncée  , 
&  qu'elle  le  fût  dans  toute  fa  foice ,  ôc  toute 
fa  pureté. 

Jamais  aulfi  le  vice  ne  trouva  d'agreffeur 
plus  intrépide  pour  Taffronter,  ni  d  ennemi 
pli  s  vigoureux  pour  latteindre ,  le  combat- 
tre de  pied  ferme ,  le  forcer  jufques  dans  Ces 
derniers  ret ranchcmens.  Le  pécheur  qui  rrou- 
voit  dans  la  vie  de  ce  faint  Prêtre  un  cenfeur 
inexorable  ,  trouvoit  dans  fes  difcours  un 
feu  ôc  des  éclairs,  qui  lui  annonçoient  la 
foudre  dont  il  alloit  être  frapé.  Il  n'y  eut  ni 
crime ,  ni  criminel  qui  trouvât  grâce  devant 
lui  ;  ôc  quoique  l'orgueil ,  l'avarice  ôc  l'im- 
pudicité  foiem  les  dvfotdres  qu'il  a  le  plus 
combattus  ,  on  a  dit  de  lui ,  comme  da  Ref- 
tauraceur  deJérufalem,  qu'il  avoir  rempli, 
d'cHioi  tous  les  Ouvriers  d'iniquité» 


DE   M.  BoUDON.  Liv.   I.  S9 

Mais  s'il  écoic  terrible  à  l'égard  des  endar-  ■ 

cis,  ilétok  plein  de  bonté ,  pour  les  âmes  ^^£^' 
foiblcs.  Il  les  porroit  dans  fon  lein.  Il  éclair- 
cilToit  leurs  doutes.  11  relevoit  leur  courage 
par  la  confiance  &  par  la  vue  des  bontés  de 
Dieu.  Il  préTentoit  la  vertu  fous  une  face  11 
belle ,  fi  charmante  ^  il  en  applaniflbrt  le  che- 
min avec  tant  d'habileté  ;  il  démêloir  avec 
tantd'inrelligence,  &  il  détruifoit  avec  tant 
de  fuccès  les  obftacles  qui  en  fermoient  les 
avenues ,  qu'il  Ta  fait  embrafler  à  des  mil- 
-liers  de  perfonnes  de  tout  âge ,  de  tout  fexe  , 
de  toute  condition  y  fouvent  même  à  celles 
quelefeiil  nom  de  vertu  révoltoit,  &  qui 
avoient  pour  elle  laverfion  la  plus  décidée. 
Je  n'en  rapporterai  que  deux  exemples.  L'un 
ôc  l'autre  regardent  des  perfonnes  iffuesdes 
meilleures  familles  d'Evreux. 

Le  premier  fut  celui  d'une  jeune  Demoî- 
felle,  fi  pleine  de  fureur  pour  le  monde  ôc 
pour  la  mondanité,  que  routes  les  autres 
perfonnes  de  fon  fexe  fe  modeloient  fur  elle 
pour  le  goût ,  &  pour  les  parures.  Comme 
Boudon  étoit  l'homme  du  tems,  &  qu'on 
ne  parloir  dans  toute  la  Ville  que  de  fes 
prédications ,  elle  s'y  rendit  comme  elle  eut 
fait  au  fpedacle.  La  grâce  l'y  fuivit  &  fit  fon 
coup.  Ce  cœur  qui  jiîfques  là  s'étoit  roidi 
contre  les  leçons  &  contre  les  exemples ,  fus 
brifé  comme  celui  de  la  Péchereffe  de  l'E- 
vangile. La  nouvelle  pénitente  ne  penfa  qu'à 
fe  laver  au  plutôt  dans  la  pifcine  falutaire.. 
L'Archidiacre  qui  avoir  faic  la  plaie  ^  fut  chaç- 


fe  La  Vil 

■  '  gé  de  la  guérir  dans  le  facré  Tribunal.  II  y 
iihiiv.  ^^^  l'huile  &  le  vin  avec  fa  prudence  ordi- 
naire. En  peu  de  rems  la  cicatrice  fut  fermée 
à  jamais.  Il  n'y  eut  plus  de  jours ,  plus  de  mo- 
mens  pour  le  monde  :  tout  fut  à  Dieu  ;  &  Ton 
fatisfit  à  fa  juliicc  en  réparant  fous  le  voile  de 
la  Religion  les  outrages  qu'on  avoir  faits  à  fa 
miféricorde  ,  fous  l'étendard  de  fon  ennemi. 
Le  fécond  exemple  fat  celui  du  Sieur  de 
Preflac.  C'étoit  un  libertin  fi  débordé ,  que 
tout  le  monde  le  regardoit  comme  un  démon 
travefli  en  homme.  Il  entendit  le  grand  Ar- 
chidiacre -,  &  en  moins  d'une  femaine  tout 
Evrcux  vit  avec  le  plus  prodigieux  étonne- 
ment  un  loup  changé  en  agneau  \  un  impie 
déclaré  ,  en  un  homme  de  retraite  ôc  d'orai- 
fon  ;  un  cœur  jufques-là  infenfible  aux  mi- 
fercs  du  prochain  ,  en  cœur  tendre ,  corn- 
paciiTant ,  occupé  nuit  ôc  jour  du  foin  de 
l'indigent,  des  intérêts  de  l'orphelin,  dCi 
befoin  des  malades  les  plus  rcbutans  &  les 
plus  abandonnés.  Il  foutint  avec  une  ferme- 
té de  diamant  l'injurieux  mépris  que  firent 
de  lui  fes  compagnons  de  débauche.  Aggrégé 
aux  enfans  du  Tiers-Ordre  de  S.  François  , 
il  devint  fi  humble,  que  dans  fes  lettres  il 
ne  fe  nommoit  que  le  chien  pourri ,  ou  le 
néant  de  rien,  Difciple  &  partifan  déclaré 
de  Boudon,  il  le  fuivoit  par  tout ,  comme 
celui  dont  Dieu  s'étoit  fervi  pour  le  tirer  du 
profond  abîme  ,  où  (ts  crimes  l'avoient  pré- 
cipité. Enfin  fa  ferveur  alla  fi  loin ,  que  pour 
Xatisfaire  au  defir  qu'il  avoir  de  fouffrir  ic 


DE  M.  BouDOK.  Liv.  I.  91 

martyre ,  il  fit  prefque  l'impoffible  pour  fui-  ■* 

vrc,  ôc  pour  Icrvir  en  quelque  qualité  que  &ÏJjV, 
ce  pur  erre  ,  M.  François  Fallu  ,  premier 
Evêque  du  Tonquin.  Dieu  ne  le  permit  pas  : 
De  Preflac  paffa  k  refle  de  les  jours  à  Evreux  : 
&  jufqu'à  fa  morr  il  y  exhala  en  foupirs  le 
fang  qu'il  ne  lui  écoir  pas  dorme  de  répandre 
dans  une  terre  étrangère. 

Au  refle  >  c'éroit  prefque  toujours ,  com- 
me il  ell  d'ufage ,  dans  le  facré  Tribunal ,  ' 
que  le  grand  Archidiacre  achevoit  ce  qu'il 
avoit  commencé  en  Chaire.  Mais  puifque  la 
calomnie,  qui  ne  le  ménagea  jamais,  ne  l'a 
pas  épargné  fur  ce  point  j  &  qu'elle  a  bien 
ofé  le  traduire  pendant  plufieurs  années  en 
iiomme  fans  difcrétioti  Se  fans  jugement  j  il 
cfl  jufte  que  nous  le  vengions  de  ces  frivoles 
ûccufarions.  Voici  un  plan  abrégé  de  fa  Con- 
duite, qui  fera  fuffifamment  fon  apologie. 

Sa  Morale  tenoit  un  jufle  milieu  entre  les 
deux  extrémités.  S'il  ne  fut  jamais  d'une  in- 
flexible rigidité ,  il  ne  fut  jamais  afifez  foible 
pour  plier  l'Evangile  au  gré  du  pécheur.  La 
facilité  d'abfoudre,  fanf  avoir  vu  d'affcz  près 
fi  le  cœur  efl:  bien  réformé,étoit  à  fon  avis  ôc 
la  perte  des  ConfeiTeurs ,  &  la  ruine  des  pé- 
iiiténs.  Il  s'étudioit  d'abord  à  découvrir  dans 
la  confcicnce  du  pécheur  les  principes  de  fon 
mal ,  afîndV  remédier  peu  à  peu  ;  ^  il  exa- 
minoît  dans  une  julle  balance  fi  tel  mouve- 
jnent  venoit  de  la  grâce ,  ou  de  Is.  nature 
qui  fe  plaît  quelquefois  à  la  contrefaire. 

Une  de  [Mi  grandes  attentions  croit  de  dé- 


5>2       *  La  Vti 

mêler  refpécc ,  ôc  s'il  l'eut  pu  ,  le  degré  de 
grâce  donc  croit  muni  chacun  de  ceux  qui 
s'addreiToîent  à  lui,afîn  de  les  faire  tous  mar- 
cher dans  la  voie  par  où  l'Efprit,  qui  divifc 
{es  dons  comme  il  lui  plaît ,  vouloit  les  con- 
duire. Mais  à  quelque  degré  de  perfedion 
qu'une ame  fût  élevée,  il  ne  lui  permit  ja^ 
mais ,  ni  de  fe  tenir  dans  une  abftradion  vo- 
lontaire de  toute  bonne  penfée ,  ce  qu'il  re- 
gardoit  au  contraire  comme  une  i//«/7<?«/^/^- 
holique  ;  ni  d  oublier  les  myfteres  de  J.  C.  & 
fa  trés-fainre  humanité.  Il  y  a  plus  :  c'eft  que 
quoiqu'il  fût  tiès-éloigné  de  faire  violence 
aux  impreflîons  de  Dieu  ,  il  s'efForçoit  de  ne 
mener  au  Père  que  par  le  Fils  ,  en  tant  qu'a- 
néanti pour  nous.  ««  Il  faut ,  difoit-il  y  hono- 
w  rer  toutes  les  voies  qui  font  dans  Tordre  de 
9>  Dieu.  Néanmoins ,  à  parler  en  général  , 
y>  le  moyen  de  faire  beaucoup  avancer  les 
»*  âmes ,  c'ellde  leur  propofer  fansceffe  les 
^»  foufFrances ,  la  pauvreté  ,  l'humilité ,  l'o- 
•<  béifTance  de  leur  Sauveur,  ôc  de  leur  faire 
>»  voir  les  avantages ,  la  gloire  même  d'être 
«  traité  comme  lui,  &  d'avoir  quelque  part 
w  à  fcs  voies.  « 

Il  éroit  perfuadé  qu'un  Diredeur  ,  pour 
conduire  les  âmes  à  la  perfeétion  ,  ne  doit 
pas  compter  fur  fa  fcience ,  mais  fe  donner 
tout  entier  à  l'Oraifon ,  &  que  fans  elle  le 
plus  habile  Do6èeur  peut  n'être  propre  qu'à 
retarder  dans  une  ame  l'opération  célefte  , 
dont  les  redors ,  ouverts  quelquefois  à  la 
implicite  d'une  villageoife  ,  font  inacccili- 


DE  M.  BOUDON.  Liv.  î.  95 

blés  à  la  fpcculation  des  fcavans.  En  gêné-         *'■ 
rai ,  il  vouloit  que  ks  pénirens  s'atracha/Tent   ^^^^^^ 
au  folide ,  à  l'eiprit  de  Foi ,  à  l'amour  du  mé- 
pris, des  fouffrances,  delà  faince  pauvre- 
té ,  à  la  haine  d'eux  mêmes  fi  recommandée 
dans  TEvangile  ,  mais  fi  profondément  igno- 
rée. Sur  ce  principe,  loin  de  courir  après  les 
brebis  de  fon  voifin ,  il  laifToic  à  celle  même  , 
quis'écoir  donnée  à  lui,  une  pleine  liberté 
de  s'adrefler  à  d'autres ,  bien  perfuadé  qu'en 
ce  point  une  forte  de  gêne  ch  la  fource  des 
plus  grands  maux.  Sur  ce  principe  encore , . 
il  ne  s'attachoit  jamais  aux  perfonnes  qui 
étoient  fous  fa  conduire  ,  &  il  ne  pouvoit 
fouffrir  qu'elles  s'artachaHent  à  lui.  Il  difoic 
à  ce  propos  qu'il  faut  veiller,  ôc  veiller  beau^ 
coup  fur  Tinclinarion  qui  nous  porte  quel- 
quefois à  fècourir  les  perfonnes  qui  nous  re- 
viennent plus  que  d'autres.  Sut- tout  il  vou- 
loit qu'on  retranchât  fans  miféricorde  toute 
liaifon  avec  ks  perfonnes  d'un  fexe  diffé- 
rent. Le  danger ,  pourfuivoit-il ,  efl  d'autant 
plus  grand,  que  Tamirié  fe  pare  des  pré- 
textas de  la  reconnoiflance  ,  6c  même  du 
plus  grand  bien  de  la  pénitente.  Rien  de 
plus  aifé  à  Tamour  propre  que  de  fe  mettre 
ie  la  partie.  Si  le  Confeiïeur  n'y  prend  gar- 
^e  ,  il  fatisfera  beaucoup  plus   la  nature, 
quMl  ne  remplira  fon  miniftere  \  &  il  ne 
trouvera  au  jugement  de  Dieu  qu'un  vuidc 
épouvantable. 

Il  éprouvoit ,  mais   toujours  avec  pru- 
■dence ,  les  âmes  déjà  fortes  :  mais  s^il  les  fai- 


54  La  Vif 

foie  marcher  à  grands  pas ,  il  ménagcoit  cel- 
les qui  étoient  plus  foibles  II  les  atcendoit 
avec  patience ,  il  veilloic  avec  foin  à  ce  que 
l'excès  ôc  l'indifcrétion  ne fc  mcLiffent  point 
dans  leur  plan  de  vie ,  &  moins  encore  en 
matière  d'au/lcrirés  corporelles ,  dont  il  ne 
permettoit  l'ufage ,  que  quand  Dieu  y  ap- 
pelloit  par  une  vocation  marquée. 

Il  foutenoit  dans  leurs  détrefles  ces  âmes 
foufiFrantes  que  le  Sauveur  tient  attachées  à 
la  Croix  ,  fans  trop  s'efforcer  de  les  en  reti- 
rer. Mais  comme  elles  ont  bcfoin  d'être  for- 
tement encouragées  dans  ces  pénibles  états  > 
il  les  animoit  à  perfévérer  dans  leur  devoir  , 
à  fuivre  avec  une  fidélité  inviolable  leurs 
exercices  de  piété,  malgré  les  dégoûts  de  les 
ennuis  qui  marchent  à  la  fuite  de  leur  trifle 
&  défolant e  fituat ion.  Un  fimple  regard  vers 
Dieu  ,  un  grand  détachement  de  toutes  les 
créatures  étoient  les  moyens  par  lefquels  il 
tâchoit  de  les  fortifier  dans  le  combat.  A  la 
faveur  de  cette  méthode  toute  fimple ,  où 
chacun  fuit  l'attrait  de  fa  grâce  ,  &  ne  veut 
,de  foi  que  ce  que  Dieu  en  veut  lui  même  > 
tous  ceux  qui  étoient  fous  (a  conduite ,  ou 
qui  prcnoient  Ces  avis  ,  fe  trouvoient  dans 
leur  centre  ,  Se  jouifibicnt  bientôt  d\me 
paix  profonde.  11  ei\  v  rai  que  peu  de  Dire- 
xfleurs  de  fon  tans  ont  mieux  pofiedé  que  lui 
le  talent  de  bannir  les  tentations ,  ou  de  fou- 
tenir  ceux  qui  en  étoient  atteints.  Il  procura 
une  paix  folide  à  un  bon  Prêtre ,  que  Ces 
fcrupules  &  une  vive  idée  de  réprobation 


DE    M.   BOUDON.  LiV.  I.  9^ 

rendoienc  incapable  d^s  fondrions  de  Ton  mi-  ■* 

niftere.  Il  lui  fie  fentii  que  ceux  qui  font  gj^jf/^ 
réprouvés,  ne  le  fonr  que  parce  qu'ils  veu- 
lent l'être:  que  le  Dieu  de  miféricorde  étant 
defcendu  du  ciel  pour  racheter  ceux  qui  vi- 
voienr  dans  fa  difgrace  M  ne  rejettera  pas  ceux 
qui  le  veulent  aimer  ,  ôc  qui  ont  recours  à 
lui.  «  Rejettcz  donc  en  fa  divine  vertu , 
*>  pourfuit-iU  ces  pcnfées  de  réprobation  , 
»»  qui  vous  afTiégent ,  au  moins  n'y  faites  au- 
n  cune  réflexion  volontaire.  C'efl  le  démon 
*>  qui  les  donne  ,  &  comme  il  ell  réprouvé, 
«  parce  qu'il  Ta  voulu ,  il  tâche  de  tour- 
»  menter  ,  par  cela  même  qui  fait  le  fujet  de 
»  fa  peine ,  les  âmes  que  le  Fils  de  Dieu  a 
M  rachetées  de  fon  fang.  Mais  Dieu  tout  bon 
^'  ne  lui  permet  de  vous  exercer  de  la  forte, 
»  que  pour  vous  établir  davantage  dans  fa 
»*  fainte  grâce.  Mettez  donc  votre  confiance 
"  dans  les  grandes  miféricordes  de  N.  S. 
*>  J.  C.  &  vivez  ,  &  mourez  dans  fa  fainte 
*>  paix.» 

Dans  une  autre  lettre  dont  nous  allons 
donner  le  précis  ,  parce  que  ceux  qu'il  plaîc 
à  Dieu  d'humilier  par  des  fcrupules ,  y  trou- 
veront des  règles  de  conduire  ,*  il  lui  prefcrit, 
1°.  de  s'en  rapporter  fur  l'état  de  fa  con- 
fçienceau  jugement  de  fon  ConfefTeur,  quel- 
que penfée  qui  lui  vienne  au  contraire  : 
"Car  enfin,  lui  dit-il  ^  quand  même  votre 
"  Directeur  fctromperoit  toujours,  vous  ne 
«  vous  tromperez  point  en  lui  obéiflTant,  & 
w  vous  n'en  répondrez  pas  devant  Dieu,  " 


9^  L  A   Vit 

*  ■  2".  De  ne  point  repérer  fon  Office  pour  fes 
4tfuk.  ^i^^ca^^ioi^s  involontaires  i  5°.  de  prendre 
très  peu  de  temps  pour  s'examiner  loifqu'il 
ira  à  confeflfe  ;  4°.  de  ne  point  recommencer 
Ces  confeflîons  générales."  Jamais,  continue^ 
w  t-il,  vous  n'aurez  la  paix  qu'en  foumetranc 
»»  votre  jugement  &  vos  lumières,  toutes 
"  glandes  qu'elles  vous  paroillent,  aux  la- 
»'  mieiesdesperfonnes  expérimentées.  Oui , 
"  le  remède  des  âmes  travaillées  de  fcrupu- 
«  les  ,  c'eil:  la  foumlfllon  de  l'efprit.  Souve- 
»»  nez-vous  quec'eil:  une  tentation  commune 
»>  aux  pcrfonnes  peinées,  de  s'imaginci  qu'on 
»'  ne  les  entend  pas ,  qu'on  ne  les  connoîc 
"  pas  ,  qu'on  ne  pénétre  pas  allez  leurs  fau- 
«  tes.  Or  c'eft  un  artifice  du  démon ,  &  une 
1»  rufe  de  l'amour  propre  qui  veut  s'arrêter 
^  à  fes  propres  lumières.  Je  vous  le  dis  de 
»  redis ,  la  foumifl'ion  du  jugement  elt  le  feul 
i>  remède  qui  puifle  vous  guérir.  PalTcz  par- 
i>  deffus  toutes  les  peines  qui  pourront  vous 
"  arrive!" ,  quand  on  vous  le  dira  ,  &  foyez 
».'  perfuadé  que  le  vérirable  obéifl^nt  fera 
»'  toujours  bini  de  Dieu.  *• 

Ces  avis ,  pour  le  dire  en  paHant ,  ne  fu- 
rent pas  inutiles  à  celui  qui  les  recevoit.  Il 
s'y  conforma,  &  s'en  trouva  bien.  Les  in- 
quiétudes terribles  qui  Tavoient  dévoré  pen- 
dant une  longue  fuite  d'années,  fe  difiîpe- 
r^nt  enfin,  &  fe  diffiperent  pour  toujours. 
Il  mourut  en  revenant  d'Italie ,  tout  inondé 
de  la  paix  des  enfans  de  Dieu. 

Ces  fortes  de  guérifons  fpirituelles  n'ont 

ccé 


DE  M.  BouDON.  Lrv.  I.  97 

cré  ni  les  feules ,  ni  les  plus  difficiles  qu'il  ait 

plu  à  Dieu  d'opérer  par  le  miniilere  de  fon  &[uiv. 
fervireur.  Un  jour  qu'il  paflbir  par  Char- 
très,  Ferdinand  de  Neuville  ,  qui  en  étoic 
Evcque ,  le  pria  de  voir  une  Dame ,  à  qui 
l'excès  de  fes  peines  avoir  prefque  enlevé  le 
fens  <Sc  la  raifon.  Jufques-là  il  ne  s'écoic 
trouvé  dans  la  Ville  aucun  ConfefTeur  qui 
eût  pu  la  calmer.  Le  grand  Pénitencier  , 
homme  habile  Se  fort  intérieur  ,  y  avoic 
échoué  comme  les  autres:  ou  plutôt ,  faute 
d'avoir  faifi  la  nature  de  fon  mal ,  il  avoir 
fi  fort  redoublé  fes  peines ,  qu'elle  fe  déchaî- 
noir  contre  lui  d'une  manière  fcandalcufe. 
Boudon  la  vit  ,1a  confefia  ,  &  connut  û  bien 
fon  état ,  qu'il  fut  en  peu  de  tems  à  portée 
de  la  calmer ,  &  de  lui  rendre  la  paix ,  après 
laquelle  elle  avoir  fi  long-rems ,  ôc  fi  inuti- 
lement foupiré. 

Quaiid  ce  fage  Dire(5tenr  avoir  une  fois 
bien  aiïermi  Ces  pénitens  dans  leurs  bennes 
réfolutions  ,  il  les  faifoit  fouvent  approcher 
de  la  Table  du  Seigneur,  il  les  porroit  en- 
fuire  à  pratiquer  quelques  miortificarions 
corporelles  -,  6c  ces  mortifications  ,  il  les 
mefuroit  toujours  fur  leurs  forces ,  ôc  fur 
l'attrait  de  la  grâce  qui  leur  étoir  propre. 
En  même  tems  il  leur  infpiroit  de  marcher 
fidèlement  en  la  prélence  de  Dieu  ;  ôc  de 
s'unir  fdWvent  à  J.  C.  pour  n'agir  que  par 
fon  efprit.  Puis  gagnant  toujours  du  tcrrein 
fur  la  nature  ôc  fur  l'ennemi  commun ,  il 
leur  apprenoit  à  mener  une  vie  cachée , 

E 


98  L  A    V  I  E 

•—  anéantie,  crucifiée;  à  fe  détacher  abfolu- 
^^^^^    ment  de  tout  appui  humain  ,  afin  de  laifier 
à  la  grâce  une  place ,  où  elle  put  travailler  à 
fon  aife. 

Il  n'y  a  que  Dieu  qui  connoilTele  nom- 
bre des  âmes  que  fon  ferviteur  lui  a  gagnées, 
&  réminent  degré  de  peifedion  où  il  a  fçu 
conduire  celles  qui  ont  été  plus  dociles  à  fa 
voix.  Grands  &  petits,  riches  &  pauvres, 
forts  Se  foibles  ,  tous  s'efïbrçoicnc  ou  d  être 
fous  fa  direction  ,  ou  du  moins  de  profiter 
de  Ces  leçons.  Sa  chambre  ,  qui  avoit  moins 
l'air  d^un  appartement  honnctc  ,  que  d'un 
miférable  réduit,  ne  defempliffoit  pas.  A 
peine  lui  donnoit  on  le  tems  de  prendre  un 
peu  de  nourriture.  Ceux  qui  obligés  de  ga- 
gner leur  vie  par  un  travail  alTidu  ,  le  laif- 
foient  en  repos  pendant  le  cours  de  la  jour- 
née ,  fc  rendcient  chez  lui  par  pelotons , 
quand  elle  étoit  finie  *,  ôcii  éroit  rare  qu'ils 
n'en  fortilTent  meilleurs  qu'ils  n'y  étoicnt 
entrés.  Cependant  comme  ces  affemblées  fi- 
rent du  bruit ,  Se  que  quelques  perfonnes 
plus  envieufes  que  zélées ,  les  trouvèrent  ir- 
régulieres  à  raifon  du  tems  où  elles  fe  fai- 
foient  -,  Boudon  ,  que  l'ombre  du  fcandale 
allarma  toujours  ,  les  rompit  abfoiumenr. 
Parmi  les  perfonnes  dont  la  diredion  fit 
plus  d'honneur  au  miniiîere  du  grand  Ar- 
chidiacre ,  il  y  en  eut  deux,  dont  le  nom 
feul  fuffiroit  pour  immortalifer  le  fien.  Leurs 
conditions  étoicnt  différentes:  leurs  voies 
mêmes  n'étoient  pas  femblables  :  mais  cha- 


DE  M.   BoUDON.  Liv.  I.  951 

cune  ailoic  au  but ,  âc  y  alloit  félon  la  nature 
Se  le  degré  de  [qs  dons  avec  une  incroyable 
ferveur. 

La  première  fut  Mauricette  Fébronie  de 
Bouillon ,  Princefle  aufll  célèbre  par  fes  ver- 
tus ,  que  le  grand  Turenne  fon  oncle  le  fut 
par  ks  exploits  Militaires.  Dès  qu'elle  eue 
connu  Boudon ,  &  il  étoit  aifé  de  le  connoî- 
tre  ,  elle  le  regarda  comme  un  Ange,  qui  lui 
avoir  été  envoyé  du  Ciel  pour  la  conduire 
dans  les  voies  du  fahit.  Pour  prendre  ôc 
pour  fuivre  Ces  avis ,  à  mefure  qu'elle  en 
avoir  bcfoin  ,  elle  l'engagea  contre  fon  in- 
clination ,  à  loger  dans  fon  Hôtel ,  pendant 
le  tems  qu'elle  avoit  coutume  de  pafTer  à 
Evreux.  Toute  la  ville  voyoir  avec  autant  de 
fiirprife  que  d'édification ,  une  Princf  iïe  jeu- 
ne ôc  délicate  fuivre  à  pied  dans  les  rues  le 
Serviteur  de  Dieu  ,  lui  donner  toujours  la 
droite,  pour  faire  connoître  par  un  exem- 
ple ft-apant ,  le  refpedt  qui  eft  dû  aux  Mi* 
niitres  de  J,  C.  &  l'accompagner  humble- 
ment dans  tous  les  lieux  ,  où  la  préfence  de 
lun&  l'autre  pouvoit  contribuera  la  gloire 
de  Dieu  ,  &  au  falut  du  prochain. 

Ceft  à  fa  rendre  piété  pour  Taugu/îe  Sa- 
crement de  nos  Autels,  piété  qui  la  porta  à 
obtenir  de  l'Evéqued'Evreux  Pétabliflement 
d'une  Confrairie  toujours  prête  à  honorer 
J.  C.  caché  fous  les  voiles  de  fon  amour  ; 
que  l'Eglife  doit  le  livre  ^  d'or ,  que  Boudon 

*  Ce  Livre  qui  fe  réimprime  encore  tous  les  jours  a 
pour  utre  :  V^mour  de  JefMoutrh-faint  Sacrement  de 
i  ^utd.  Il  parut  en  16^1, 


100  La     Vie 

■  compofa  quelques  années  ^près  fur  cette 

^^^*"  matière.  11  eft  dédié  ,&  il  devoit  naturelle- 
ment l'être  à  celle  dont  le  zélé  en  avoit  four- 
ni l'idée.  Boudon  y  fait  &  de  la  fille  ,  ôc  de 
la  Duchede  fa  niere  un  éloge  magnifique. 
Sur  '  tout  il  loue  avec  complaifancc  cettç 
dernière  ,  d  avoir  hautement  déclaré,  qu'elle 
ctoit  prcre  d'expofer  fa  vie  pour  foutenir 
l'autorité  du  premier  des  Palleurs,  ôc  qu'elle 
eut  mieux  aimé  voir  mourir  tout  ce  qu'elle 
avoit  de  plus  cher  dans  le  monde,  que  d'y 
voir  la  moindre  défobéiflance  au  Siège  Apo- 
flolique.  Je  fçais  que  les  Epîtres  dédicatoi- 
res,ainn  que  les  Oraifons  funèbres,  font 
de  foibies  preuves  de  la  vertu  des  Héros  qui 
y  font  céleb'  és'  -,  mais  je  crois  qu'une  plume 
auffi  timide  a  donner  de  vraies  louanges,  que 
réroir  celle  de  M.  Boudon  ,  n  etoit  pas  pro- 
pre à  en  donner  de  faufies. 

La  féconde  pcrfonne,  dont  la  condui':e  fer- 
vit  beaucoup  à  faire  éclater  la  grâce  ôc  les 
ralens  du  grand  Archidiacre ,  fut  la  fœur 
Marie- Angélique,  qui  cft  encore  aujour- 
d'hui fl '.efpedée  à  Evreux  fous  le  nom  de 
Madame  Simon  ,  que  plus  de  foixanre-dix 
ans  qui  fe  fonr  écoulés  depuis  fon  décès"^,  n'y 
ont  poinr  altéré  fa  mémoire.  Jamais  fonds 
nefLU  culrivé  avec  plus  d'atten:!an  :  mais  ja- 
mais fonds  ne  rendit  un  centuple  plusabon- 
dajK.  Angélique  toujours  humiliée  par  fon 

•  E'Ie  mo'irutà  Evrenx  le  i6  Février  i68^.  âgée  de  54 
ans  &  trois  mois.  M  Boudon  écrivit  fa  vie.  ÉUe  vient  en- 
fin d'être  imprimée  çliti  Fex  ,  à  Avignon, 


i)E  M.  BoiTDON.  Liv.  L         10  r 
Direâ:eur ,  toujours  obfervée  félon  Ces  or-  '' 

dres ,  fe  fit  une  loi  des  préceptes  de  TEvan-  &fuiv. 
gile.  Sa  patience  fut  invincible  ,  fa  douceur 
inaltérable ,  fon  amour  pour  la  retraite  , 
pour  le  mépris ,  pour  la  pauvreté  ,  formé  fur 
celui  des  plus  grands  Saints ,  fa  mortifica- 
tion fi  prodigieufe ,  qu'elle  eût  fait  trembler 
ceux  qui  en  ce  genre  ont  fait  trembler  les  au- 
tres j  fon  amour  pour  Dieu  ,  fi  fort ,  fi  gé- 
néreux 5  qu'à  l'exemple  de  fainte  Thérèfe  , 
elle  fit  vœu  de  ne  rien  faire  que  pour  fa  plus 
grande  gloire. 

Des  fuccès  fî  marqués  au  r  oient  pu  enta- 
mer un  cœur  moins  afïe  rmi ,  que  ne  Tétoit 
celui  de  M.  Boudon  Dieu  l'en  préferva  par 
un  contrepoifon  falutaire  ,  mais  qui  peuà- 
peu  devint  û  vif,  û  pénétrant ,  que  le  faint 
homme  eut  befoin  de  toute  la  force  du  Ciel 
pour  n'y  pas  fuccomber.  Pour  entendre  ce- 
ci,  après  l'avoir  confidcré  comme  faifant  les 
fondions  de  Minillre  de  la  parole ,  Ôc  de 
Diredeur  desames,il  faut  en  fuivant  toujours 
le  fil  de  fon  Hilloire ,  le  confidérer  comme 
rempliflant  les  devoirs  d'Arohidiacre. 

Lorfquil  confulta  à  Paris  M.  Bourdoife  ; 
celui-ci  fe  conrenra  de  lui  recommander  » 
i^.de  ne  contribuer  jamais  à  l'Ordination 
précipitée  de  ceux  qui  fe  préfenteioient  aux 
Ordres  fans  épreuve  &c  fans  vertu  i  2^.  de 
procuier  de  toutes  fes  forces  au  Diocèfe 
d'Evreux  les  meilleurs  Sujets  qu'il  pourroit 
trouver  ,  &  un  Séminaire  pour  fn  former 
de  nouveaux  j  3^.  d  érv^dier  d  abord  la  con- 
duite des  Eccléfiafiiques  de  fon  Archidia- 

E  iij 


1D2  La    Vie 

-— ^coné;  de  gagner  par  la  patience  ceux  qui 
&  fuiv.  f  foieni^  déréglés  ;  de  s'attacher  les  autres  par 
la  douceur  Se  par  les  manières  les  plus  cha- 
ritables ;  4^.  de  ne  regarder  dans  fon  emploi 
que  le  bien  de  l'Eglife  ,  &  de  n'y  rien  fair^ 
ni  contre  fa  confcience ,  ni  à  la  recomman- 
dation de  qui  que  ce  pût  être  ;  j^.  de  com- 
ïîiencer  par  les  chofes  moins  importantes ,  à 
réformer  les  abus  qu'il  rcmarqueroit  dans 
fes  vifires ,  pour  avancer  peu  à  peu  Ôc  com-< 
ine  mfenfiblement  dans  le  bien. 

Ce  fut  fur  ces  avis  également  pleins  de 
fermeté  &  de  douceur  ,  que  Boudon  voulut 
fe  régler.  Mais  pour  le  faire  dans  le  Seigneur 
&par  fa  vertu,  dont  il  vouloit  tout  atten- 
dre ,  il  s'efforça  de  mettre  Dieu  dans  [es  m- 
téïêis'^ôc  ce  qu'il  fit  la  première  fois ,  il  1 -a. 
fait ,  fans  y  manquer  jamais,  pendant  plus. 
d£  quarante  ans.  Le  détail  en  eft  fi  glorieux 
pour  lui ,  que  ,  quoiqu'un  peu  long ,  }e  crois, 
\c  devoir  fuivre  dans  toute  fon  étendue. 

Et  d'abord  il  commença ,  comme  nous  l'a- 
vons déjà  dit ,  par  mettre  fon  Archidiaconé, 
fa  perfonne  &  toutes  les  ParoifTes  qu'il  de* 
voit  vifiter  ,  fous  la  pro: cclion  de  la  fainte 
Vierge ,  ôc  des  faints  Evêques  qui  y  ont  plan- 
té &  multiplié  la  foi.  Les  beaux  efprits  ,  ôc 
parmi  eux  un  grand  Vicaire  ,  plaifiinterent 
beaucoup  fur  cette  première  démarche  de 
notre  vertueux  Prêtre  :  quelques-uns  même, 
pour  la  tourner  en  ridicule  ,  en  firent  im- 
primer l'Ade  fur  une  feuille  volante.  Mais 
avec  u»  peu  moins  de  paflion,  ils  çuroient 


DE  M.  BouDON.  Liv.  T.  103 
pu  voir  que  le  grand  Archidiacre  ,  en  s'of-  ' 
frant  lui^  ks  Tiens  à  la  Mère  de  Dieu  ,  n'a- 
voic  fait  en  petit  que  ce  que  Louis  le  Jufte 
îavoirfait  en  grand, lorfqu'en  11538.  ayant  dé- 
'pofé  fon  fceptre  Se  fa  couronne  fur  le  grand 
Autel  de  Notre-Dame  ,  il  voulut  apprendre 
^  toute  l'Europe ,  que  ni  le  Prince ,  ni  les 
Sujets  ne  pouvoient  trop  honorer  celle  , 
dont  le  Fils  difpofe  à  fon  gré  des  Rois  ôc  des 
Royaumes. 

Pour  ne  pas  fe  borner  à  une  fimple  obla* 
tion ,  l'Archidiacre  y  joignit  toutes  les  œu- 
vres de  piété  ôc  de  pénitence  ,  que  les  Saints 
pratiquent  pour  engager  ,  pour  forcer  le 
Ciel  à  bénir  leurs  travaux.  Communions 
ferventes ,  pieux  ôc  pénibles  pèlerinages , 
mortifications  excelTives,  tout  étoit  mis  en 
ufage.  Dans  tous  les  tems  de  l'année  il 
jeûnoit  trois  fois  par  femaine  i  mais  dans  le 
tems  de  fes  vifites ,  qu'il  fit  toujours  à 
deux  ou  trois  reprifes ,  il  jeûnoit  tous  les 
jours  ,  fans  y  manquer  jamais  ,  quelques 
fatigues  qu'il  eût  effuyécs.  Il  auroit  vou- 
lu 5  fi  Içs  mœurs  du  tems  Teufient  fouf- 
fert  ,  n'avoir  d'aurre  monture  que  celle 
dont  fe  fervic  le  Fils  de  Dieu  au  jour  de 
fon  entrée  à  Jérufalem  :  il  y  fi.ippléa  en 
fe  fervant  d'un  cheval  qui  valoit  encore 
moins.  Cefi  dans  cet  équipage  ,  qui  faifoic 
pitié  ,  que  fuivi ,  non  d'un  valet,  car  il  n'en 
eut  jamais ,  mais  d'un  homme  prefqu'aufil 
pauvre  qu'il  l'étoit  lui-même  ,  il  parcouroit 
les  villages  ôc  les  villes  du  Diocèfe.  Ceux 

Eiv 


1656. 

&fuiv. 


104  La     Vie 

■  qui  jugèrent  du  fuccès  de  Topération  par 

fc*fdv.  ^'apparente  baflefle  du  prélude ,  ne  tardè- 
rent pas  à  fe  détromper. 

Le  Diocèfe  d'Evreux  étoit  alors ,  comme 
prefque  tous  les  autres ,  dans  cet  humiliant 
état ,  dont  trop  d'Ecrivains  nous  ont  trans- 
mis la  funefte  mémoire.  On  n'y  voyoit  guè- 
res  que  des  Eccléfiaftiques  fans  vertu,  des 
peuples  fans  mœurs  comme  fans  inftruction, 
des  Eglifes  fans  ornemcns,  des  cérémonies 
fans  ombre  de  décence,  des  Cimetières ,  qui, 
fans  clôture,  fervoient  plus  à  la  pâture  des 
bêtes ,  qu'à  la  fépuhure  des  Fidèles. 

A  la  vue  de  tant  ôc  de  fi  déplorables  abus , 
J'homme  de  Dieu  feul  fut  effrayé  ,  mais  il  ne 
fe  découragea  pas.  Il  fit  rendre  aux  Mar- 
guilliers  un  compte  exaâ:  des  deniers  qu'ils 
avoient  reçus ,  ou  dû  recevoir  ^  &  du  pro- 
duit il  fublîitua  des  Ciboires  &  des  Calices 
d'argent  à  ceux  qui  n'éroient  que  de  cuivre 
ou  d'érain.  Il  remplaça  dans  chaque  Eglife 
les  lambeaux  fales  ôc  déchirés ,  qui  y  fer- 
voient à  la  célébration  des  divins  Olfices, 
par  des  ornemens  convenables.  Il  contrai- 
gnit les  gros  Décimateurs  à  réparer  les  brè- 
ches du  Sanétuaire,  &  à  le  mettre  à  cou- 
vert de  l'injure  des  faifons.  Il  fit  enfermer  de 
hayes  ou  de  murailles  les  Cimetières  ;  ôc  de 
baluftres  les  Fonts  facrés ,  autant  qu'il  lui  fut 
poiïîble.  Il  n'épargna  ni  les  tableaux  indé- 
cens ,  ni  ces  prérendues  images  qui  désho- 
norent la  Religion.  Il  en  fit  faire  qui  pou- 
droient inflruire  ôc  édifier. 


BE   M.    BoUDON.   Ll^.    î.  10/ 

Après  avoir  terminé  ce  qui  concerne  le  cul- 
te de  Dieu  &  la  décoration  des  Lieux  fainrs^ 
parce  que  c'eil  ce  qui  fiape  davantage  les 
yeux  àts  Fidèles ,  il  s'appliqua  fortement  à 
Ja  fanclification  des  peuples.  îl  contraignic 
JesPafteurs.quijufques-là  nel'avoientétéque 
de  nom  ,  à  faire  ,  au  moins  tous  les  Diman- 
ches ,  le  Catéohifme  à  leurs  ParoifTiens.  Il  le 
faifoit  lui-même  quand  11  le  jugeoit  nécef- 
faire.  Cette  partie  du  faint  Miniftere  étoit  à 
fcs  yeux  quelque  chofc  de  û  grand  ,  de  fi 
eflenriel ,  qu'il  compofa  depuis  un  ouvrage 
intitulé  :  La  Science  fa  crée  du  Catéchifme  , 
où  il  démontre  de  l'obligation  qu'ont  les  Pa- 
yeurs de  Tenfeigner ,  de  celle  qu'ont  les  peu- 
ples de  s'en  faire  inftruire. 

Il  n'y  avoir  point  de  Paroifie  ,  où  il  ne  fit 
au  moins  une  prédication.  Qu'il  y  eût  peu 
ou  beaucoup  de  monde  ,  tout  lui  étoit  égal , 
parce  qu'il  ne  cherchoit  que  la  gloire  de 
Dieu ,  &  que  la  gloire  de  Dieu  fe  trouve 
dans  le  falut  d'une  ame.  Il  parloir  avec  tant 
de  feu  ,  tant  d'énergie  ,  de  la  néceflité  de 
faire  pénitence ,  qu'avant  que  la  calomnie 
l'eût  déerédité  5  on  le  regardoit  comme  un 
Ange  prêt  à  fraper  dans  la  juilice  ceux  qui 
ne  profiteroient  pas  d'un  refte  de  miféri- 
corde.  Il  varioit  cependant  à  propos ,  ou  le 
tout  ^  ou  les  différentes  parties  de  fa  ma- 
tière ,  avec  une  admirable  fécondité  ^  &  on 
Ta  vu  prêcher  le  même  jour  dans  les  huic 
ParoiÛes  d'Evreux  huit  fermons  différcns, 
&  tous  fur  la  fainte  Vierge, 

Ev 


I  oo  La    Vie 

■  Dans  tous  fes  difcours  ii  tcndoit  à  donner 

^^^-  aux  peuples  une  haute  idée  de  Dieu,  à  im- 
-  ^^*  primer  profondément  dans  leurs  cœurs  Con 
amour  ôc  fa  crainte  -,  à  leur  faire  fentir  que- 
tout  le  bonheur  de  Thomme  confiée  à  fervir 
ce  grand  &  fouverain  Maître.  Il  leur  appre- 
noit  enfaite  à  s'approcher  dignement  de  la. 
Pénitence  ôc  de  la  fainte  Euchariftie.  Pour 
aie  pas  rrop  charger  leur  mémoire  ,  il  leur 
difoic  peu  de  chofes  à  la  fois  ^  mais  ce  peu  de 
chofes ,  il  le  difoit  avec  tant  d'onction ,  it 
réclairciflbit  par  des  fmiilitudcs  fi  bien  mé- 
nagées ,  qu'on  a  remarqué  ,  &  lui ,  comme 
les  autres ,  que  les  enfans  même  le  fuivoient 
parfaitement  bien. 

Ces  enfans ,  par  le  moyen  defquels  l'A- 
pôtre  des  Indes  réforma  plus  d'une  fois  de- 
nombreufes familles,  furent  un  des  grands, 
objets  de  l'attention  du  pieux  Archidiacre.. 

II  voulut  que  les  Curés  ,  au  lieu  de  les  aban- 
donner à  leurs  petites  paiRons ,  les  portaf- 
fent  de  bonne  heure  à  la  vertu.  11  ne  fouffrit 
ni  qu'on  différât  à  les  confeffer  ,  jufqu'à  ce 
qu'ils  euflent  fept  ans  accomplis,  ni  qu'on- 
les  affemblât  tous  cnfemble  le  Jeudi  faint , 
pour  leur  donner  une  abfolution  générale.. 
11  établit  par  tout  où  il  put  le  faire  ,  des  maî- 
tres &  des  maîtreffes  d'école.  Il  veilloit  par 
lui-même  ou  par  d'autres  fur  leur  dodnne , 
fur  leurs  mœurs ,  fur  la  manière  dont  ils  fai" 
foient  les  fondions  dé  leurs  charges. 

Les  Sages- femmes,  dont  l'emploi  décicfe 
ÊfouYcntdufal^it'éeernel  ,fi'^apoicm  p«. 


DE  M.  BouDON  Liv.  T.  107 

Il  Ton  zélé.  Il  les  interrogeoit  publiquement  ^  " 

il  leur  apprenoir ,  quand  il  en  eroic  befoin  ,  ^f^i,, 
la  matière  &:  la  forme  du  Baptême.  11  les 
exhorroit  à  donner  en  roures  chofes  bon 
exemple ,  à  garder  invioîablement  le  fecrec 
des  familles,  à  s'approcher  fouvent  des  Sa- 
cremens. 

Ce  détail ,  qui  commence  peut  être  à  rc* 
buter  la  patience  du  Lecteur,  ne  fufïîfoirpas 
à  la  charité  de  M.  Boudon.  Il  vouloir  fça- 
voir  le  nombre  des  habitans  de  chaque  lieu  , 
&  connoître  en  gros  les  mœurs  du  canton. 
Il  tâchoit  de  réconcilier  les  ennemis  ,  de  ter- 
miner les  procès  :  &  fa  dextérité  fourenue 
d'un  jugement  exquis  lui  en  a  fait  finir  un 
grand  nombre.  Il  mettoit  la  paix  &c  la  règle 
dans  les  fam.illes ,  comme  s'il  en  eût  été  le 
père.  Il  n'y  fouffroit  aucun  mauvais  livre.  Il 
y  multiplioit  les  lits,  quand  le  fexe  Ôc  l'âge 
commençoient  à  l'exiger. 

Il  avoir  un  regiflre  des  pécheurs  publics, 
&:  de  ceux  qui  manquoient  au  devoir  Paf- 
chal.  Il  \qs  alloit  trouver  dans  leurs  mai  Ions  > 
Se  quelquefois  jufques  dans  les  champs  où  ils 
faifoient  leurs  travaux.  Il  leur  parloir  en  par- 
ticulier ,  &  avec  une  bonté  paternelle  ,  pour 
les  ramener  à  leur  devoir.  Quand  ils  cé- 
doient  à  fes  remontrances  ;  Se  combien  de 
ceux-mêmes  qui  paroiiToiem  les  plus  infle- 
xibles .  y  cédèrent  !  il  les  embralfoir  avec 
tendrefle  ,  Se  leur  donnoit  toutes  les  mar- 
ques polTibles  d'amitié.  Quand  au  contraire 
lis  lui  réûHoieiu  eu  face  ,  fa  maxime  étok: 


vioS  La     Vit. 

•'  "■  '  de  ne  les  pas  tourmenter,  mais  de  prier 
&  fuiv.  P°"^  ^"^  '  ^  d'attendre  avec  patience  les 
*  momens  marqués  de  Dieu  pour  leur  |€on- 
verfion.ll  difoit  à  ce  fujet,  que  les  Curés«qui 
»  pour  empêcher  le  mal ,  ufent  d'un  Hylc 
»  fier  ôc  impérieux  ,  ne  font  qu'augmenter 
«  le  défordie  "  -,  ôc  qu'au  lieu  de  gagner  la 
confiance  par  la  douceur  ,  ils  s'attirent  une 
haine  qui  éloigne  d'eux  pendant  la  vie ,  quel- 
quefois même  à  la  mort. 

Ce  fut  par  cette  douce  3c  ferme  patien- 
ce ,  que  l'Archidiacie  arrêta  infenfiblem.ent 
un  nombre  prodigieux  d'abus  ,.  que  le  dé- 
mon de  l'ignorance  Ôc  du  libertinage  avoir 
introduits.  Les  jours  de  Dimanches  &  de 
Fêtes  étoient  profanés  par  les  jeux  de  ha- 
sard, par  les  danfes  ,  par  l'ivrognerie  j  il 
leur  rendit  leur  fainteté  primitive.  La  fupcr- 
iîition  regnoit  dans  les  campagnes  ,  il  en 
coupa  jufqu'à  la  racine.  Les  Confrairies 
avoient  dégénéré  en  afTemblées  tumultueu- 
fes  y  il  y  remit  l'efprit  de  paix  Ôc  de  Religion 
qui  les  a  fait  naître,  Ôc  qui  doit  les  confer- 
ver.  Le  luxe ,  l'infolence  ,  les  nudités  fcan- 
daleufes  fe  plaçoient  impunément  jufques 
fur  le  marchepied  des  Autels ,  il  s'oppofa 
comme  un  mur  à  l'abomination  de  la  défol- 
iation :  &  s'il  ne  fit  pas  toujours  des  Magde* 
leines*,  il  leur  épargna  du  moins  les  con- 
quêtes facriléges. 

Tant  de  bonnes  œuvres  demandoient  du 

*  On  n'entre  point  ici  dans  la  fameufe  quefti  n  de  Ti- 
^entité  de  Magdeleine  avec  Ja  pécherefle.  On  parle  félon 
^ïufage  vulgaire  ,  ^li  n'cft  pas  toujours  le  mieux  appuyée 


DE  M.  BouDOK.  Liv.  r.  ro^ 
tems  &  des  peines  :  mais  Boudon  qui  ne  fe  ■ 
croyoic  pas  Archidiacre  pour  courir  de  Pa-  J*^^^ 
roifle  en  Paroiffe  ,  &  y  percevoir  fes  droits  , 
ne  ménageoit  ni  Czs  peines ,  ni  fon  rems.  Il 
eut  fur-roue  befoin  de  patience  6c  de  fer- 
meté j  quand  il  lui  fallut  entreprendre  la  ré- 
formation  des  Eccléfîafliques  j  car  un  Prêtre 
qui  eil  mauvais ,  Telt  prefque  toujours  plus 
qu'un  Séculier. 

Pour  procéder  avec  ordre  ôc  avec  fagefle 
dans  une  aiîaire,  dont  il  fentoit  toute  la  dif- 
ficulté ,  après  avoir  réglé  ce  qui  concernoir 
le  culte  de  Dieu  -Se  le  falut  des  peuples ,  il 
cntroit  dans  la  Sacriliie ,  ou  dans  le  Presby- 
tère. Là  ,  il  fe  faifoit  rendre  compte  par  cha- 
que Eccléfîaîtique  en  particulier  ,  de  fon 
exactitude  à  partager  fes  plus  précieux  mo- 
mens  entre  Toraifon  ôc  i'érude  ;  de  fon  alîl- 
duité  à  remplir  les  devoirs ,  Ôc  à  porter  con- 
f^ammcnt  les  marques  de  fon  état  ^  àts 
précautions  prifes  ou  à  prendre  ,  pour  n-e 
fouiîrir  dans  fa  maifon  aucune  perfonne(uf- 
pecte.  Cet  examen  étoic  fuivi  d'avis  falu- 
tai;es  ;  8c  ces  avis  étoient  prefque  toujours 
donnés  de  manière  à  ménager  lafoibkfje  6c 
Tamour  propre  de  ceux  qui  les  recevoient. 

Quand  il  trouvoit  des  Payeurs,  ou  d'au- 
tres Eccléfiafliques  ,  qui  menoient  une  vie 
digne  de  leur  profeiïïon ,  à  peine  é'"oit  -  il 
maître  de  la  joie  fainte  dont  fon  cœur  étoir 
pénétré.  Il  les  louoit  publiquement ,  pour 
leur  concilier  l'ertime  &  la  vénération  des 
peuples.  11  rcprenoic  avec  une  juftc  févérité 


ic  fuiv. 


iro  La     Vie 

les  ParoifTieiis  qui  ne  répondoienr  pas  à  leur 
iL^rlt'  ^^^^'  ^^  ^^^^  procLiroic ,  s'ils  n'en  avoienc 
pas  encore  ,  des  Bénéfices  ,  ou  des  emplois 
conformes  aux  talcns  qu'il  avoit  remarques 
en  eux. 

Mais ,  Oc  nous  l'avons  déjà  infinué ,  ils'ea 
fallut  bien  que  le  Diocèfe  n'offrît  à  fes  yeux 
que  des  Minières  fi  accomplis.  Il  en  trouva 
qui  ne  lui  préfentercnt  que  le  plus  Icanda- 
Icux  &  plus  affligeant  fpcCtacle.  Les  uns  ne 
s'étoient  frayé  la  route  du  Sanduaire,que  par 
la  fimonie  ou  la  confidence.  Les  autres  tou- 
jours riches  pour  la  chafie  .  le  jeu  &c  la  bon- 
ne chcre  ,  ne  l'étoient  jamais  pour  la  mifcrc 
&  l'indigence.  Ce  fut  contre  ces  défordres  , 
âc  contre  ceux  qui  en  faifoient  profeiïîon  , 
que  l'Archidiacre  s'arma  du  double  glaive 
qui  lui  avoit  été  confié.  Il  commença  par 
celui  de  la  parole  :  il  repréfenraà  ces  diffé- 
rens  profanateurs  le  malheur  d'une  voca- 
tion défedlueufe  ,  ôc  plus  encore  d'une  vo- 
cation fimoniaque;  il  démontra  par  des 
exemples  ,  dont  il  avoit  lui  -  même  été  té- 
moin ,  la  fin  tragique  de  ces  entrailles  de 
bronze,  qui  ne  fe  reftifcnr  rien  ,  pour  avoir 
droit  de  refufer  tout  aux  befoins  du  pauvre. 
11  peignit  d'un  crayon  de  feu  l'horreur  du 
fcandale  ,  fur -tout  quand  il  eft  donné  par 
ceux  que  leur  état  engage  à  ne  donner  que 
de  bons  exemples.  A  ce  premier  glaivCjquand 
il  le  vit  abfolument  inutile  ,  il  fit  fuccéder 
celui  des  cenfures  :  il  fufpendit  de  leurs  fon- 
dons y  ou  retrancha  de  laCotirmunioa  (te 


DE   M.  BOUDON.  LlY.  î.  IIÏ 

Fidèles  une  troupe  de  malheureux  ,  qui  n'y  "^^^ 
rertoienr  que  p©ur  la  déshonorer.  ^  ç^^^ 

Ce  fut  alors  qu'Eiaii ,  au  lieu  de  cris  , 
pouffa  des   rugilïemens.  Chaque  coupable 
ayant  vu  dans  le  traitement  de  fon  voifm  ce 
qu1l  avoit  à  craindre  pour  foi ,  il  s'éleva  une 
nuée  de  voix,  qui  firent  de  Boudon  le  plus 
noir  de  tous  les  hommes.  On  le  traita  d'am- 
bicieux  ,  d'ennemi  de  la  paix ,  d^accufateur 
de  fes  Frères.  On  s'efforça  d'indilpofer  les 
peuples  contre  lui,  &  de  donner  un  air  de 
ridicule  aces  mêmes  dircours,que  Dieuavoic 
jufques-là  vifiblement  bénis.  Pour  lui ,  fans 
ceiler  jamais  d'aller  toujours  en  avant ,  il 
n'oppofa  que  le  devoir  &  la  patience  à  dts 
rraitemens  fi  peu  mérités  j  &  û  dans  ce  teuTS, 
qui  ne  fut  pour  lui  qu'un  premier  effai  de  dif- 
grâces,  il  déchut  un  peu  dans  l  efprit  de  quel» 
ques  perfonnes  ,  les  gens  de  bien  &c  d'hon- 
neur lui  confervercnt  toute  leur  cfiime.  En 
voici  un  exemple  afiez  fingulier. 

Un  gentilhomme  qui  avoir^  plbfieurs  Bé- 
néfices à  fa  nomination  ,  s'étant  un  jour 
trouvé  dans  une  nombreufe  afTemblée  de 
Curés,  la  converfation  tomba  fur  1  Archi- 
diacre. Dan  s  un  moment  elle  d."  vint  des  plus; 
-vives  :  &  tel ,  qui  dans  un  prone  auroit  parlé- 
de  Tenfer  d'un  ton  froid  a  glacer  ,  fe  trouva 
plein  de  feu ,  quand  il  fallut  parler  d'iHi  hom- 
me  abfent  &  innocent.  Tout  y  alloic  donc 
^ebon  train  ,  lorfque  le  Seigneur  dont  j'ai 
parlé  ,  dérouta  un  peu  la  pieufe  conférence. 
«  Meifieuts ,  dit-il  dune  voix  trà-fémiif^  » 


ÏT2  La    Vis 

^  "  je  ne  connoispointM.  TArchidiacre.  Jene 

1656.    "  l'ai  jamais  vu.  J'en  ai  feulement  entendu 

[SLimv,    j>  parler.  Souffrez  que  je    vous   demande 

*■  »  comment  il  fe  peut  faire ,  qu'il  foit  tel  que 

«  vous  le  dépeignez  ,  puifqu'une  infinité  de 

"  gens  d'honneur  &  d'une  vie  irréprocha- 

«  ble  en  difent  tout  le  bien  poifible.  Vous 

9'  en  faites  un  diable ,  ne  feroit  -  ce  point , 

"  parce  qu'il  veut  vous  faire  des  Anges.  «  A 

ces  mots  l'entretien  finit ,  mais  le  dépit  Ôc  la 

haine  ne  finirent  point. 

Comme  les  exhortations  ,  les  cenfures 
mêmes  ,  qui  tant  de  fois  ont  ramené  au  de- 
voir les  puiflans  du  fiécle  ,  font  de  foiblcs 
rcflburces  contre  un  Prêtre,  qui  s'eft  accou- 
tumé à  manger  ëc  à  boire  fon  jugement  : 
Boudon  connut  bientôt ,  que  pour  réfor- 
mer folidement  le  diocèfe  d'Evrcux ,  il  fal- 
loir &  former  de  nouvelles  plantes  pour 
remplacer  les  anciennes  ,  &  tâcher  de  nour- 
rir en  elles  l'cfprit  de  force  &  de  vigueur, 
qu'une  première  culture  leur  auroit  donné* 
Dans  cette  vue  il  fit  une  exaéte  recherche  de 
tous  ceux  qui  fecroyoient  appelles  au  faine 
Miniftere.  Il  examina  leur  vocation  &  leur 
talent.  Il  procura  à  ceux  qu'il  en  jugea  di- 
gnes, les  fecours  dont  ilsavoient  befoin  pour 
faire  leur  Séminaire  à  Paris.  La  piété  éclairée 
qu'ils  y  puiferent ,  vint  dans  la  fuite  à  l'appui 
de  fon  zélé ,  Se  fut  la  confolation  de  fa  vieil- 
lefle.  Il  auroit  bien  voulu  faire  quelque  cho 
fe  de  mieux  ,  c'eft  -  à  -  dire  ,  établir  dans 
Evreux  même  un  Séminaire.  Les  circon^ 


l6<6, 


Dî  M.  BouDON.  Liv.  I.  115 
fiances  du  rems  ne  le  permirent  pas.  Ce  ne 
fut  que  fous  TEpifcopar  de  M.  de  Maupas ,  ^ç^y^,, 
que  cette  grande  affaire  fut  exécutée.  Le  Pré- 
lat en  fit  les  frais ,  le  pauvre  Boudon  n'y  put 
contribuer  que  par  Ces  follicirations.  Ce  Sé- 
minaire fut  confié  aux  enfans  du  célèbre  M. 
Eudes.  Là  ,  comme  ailleurs  ,  ils  éclairent 
fans  falle ,  ils  édifient  fans  afïedlation. 

A  ce  premier  fecours^qui  faifoit  entrer  les 
jeunes  Minières  dans  la  voie  droite ,  l'Ar- 
chidiacre en  joignit  un  autre ,  qui  les  em- 
pêcha de  s'en  écarter.  Ce  fut  celui  des  Con- 
férences fpirituelles  ,  c'ell  à-dire  ,  de  ces 
entretiens  fimples  Se  familiers ,  où  plufieurs 
perfonnes  par  une  fage  direction  d'une  vertu 
ou  d'un  vice  ,  s'apprennent  avec  (implicite 
Se  fans  s'ériger  en  maîtres ,  les  raifons  &  les 
moyens  de  pratiquer  l'un ,  &  d'éviter  l'au- 
tre. Ce  projet  dur  naturellement  être,  &  fut 
en  efïetdu  goût  de  M.  de  Maupas, qui  ayant 
été  toujours  extrêmement  lié  avec  S.Vincent 
de  Paul  ,  devoir  connoître  mieux  que  per- 
fonne  les  grands  biens  dont  fes  Conférences 
avoient  été  l'inllrumenr.  D'ailleurs  celles 
que  le  pieux  Dominique  Georges  ^>  Abbé 

•  Dominique  Georges  naquit  à  Cuîtrl  proche  Longwi 
cniôij.  II  fut  fait  Curé  de  Circourt  aa  diocèfe  de  Toul 
en  16^7  Obligé  par  les  guerres  à  quitter  la  Paroiïïe  ,  il 
pafla  douze  ans  avec  Melîîe'irs  de  S.  Nicolas  du  Chardon- 
net.  Il  fut  dans  la  fuite  Curé  du  Pré-dauge  ,  &  puis  Abbé 
du  Val.-  Ficher  ,  où  il  établit  des  Conférences  ,  k  Tinftar 
de  celles  de  S.  Vincent  de  Paul ,  fon  intime  ami.  Il  fit 
par-tout  de  grands  biens  ,  &  mourut  plein  de  jours  &  de 
mérites  le  8  Novembre  1653.  ^"^  ^'^  ^  ^^^  écrite  par  JC 
l'çre  Buffier. 


î  1 4  L  A     V  I  î 

■  ôc  Réformateur  du  Val  Richer ,  commcn- 

*  ^  '  çoit  à  établir  enNormandiejavoient  un  û  heu* 
reux  fuccès ,  qu'on  crut  avec  raifon  ne  pou-  - 
voir  trop  les  multiplier.  Boudons'y  rrouvoît 
fouvenr,  foit  à  Evreux,  foit  dans  ks  vifires.  Il 
y  parloit  avec  autant  de  modeftie ,  que  le 
dernier  de  ceux  qui  y  afliiloienr.  11  les  exhor- 
toit  tous  à  s'y  rendre  exadlement  :  fes  yeux 
étoient  les  interprètes  de  la  joie  que  fon 
cœur  en  reflentoit  \  ôc  Ton  peut  dire  que  fcs 
larmes  ont  confacré  la  naiflance  de  ces  vé- 
nérables ailcmblées.  Mais  il  recueillit  enfin 
dans  la  joie  ,  ce  qu'il  avoir  femé  dans  les 
pleurs  ;  &  malgré  la  cabale  ôc  l'envie ,  il  fera 
toujours  vrai  dédire,  que  le  Diocèfe  d'E- 
vreux  lui  doit  en  grande  &  très -grande  pai- 
rie fa  rénovation  &  fon  luftrc, 
— —      Quelque  occupation  que  lui  donnât  fon 
^^7'   emploi ,  fur-tout  les  premières  années  ,  il 
'  s'en  falloir  beaucoup  qu'il  fuffît   à  l'ardeur 
&  à  rétendue  de  fon  zcle.  Ainfi,  après  avoir 
trouvé  en  lui  un  Prédicateur  tendre  &  véhé- 
ment ,  un  Diredcur  éclairé ,  un  Archidia- 
cre accompli,  la  fuite  de  fon  hiftoire  va  nous 
y  découvrir  un  Miflionnaire  infatigable.  Il 
■e(ï  vrai  que  le  défaut  d'un  plus  grand  nom- 
bre de  monumens  nous  réduira  à  un  dérail 
afiez  borné  s  mais  ce  détail ,  malgré  fes  bor- 
nes ,  nous  fera  connoitre  ,  à  n'en  pouvoir 
douter ,  que  la  main  de  Dieu  fut  par-tout 
avec  ce  vertueux  Prêtre,  &  qu'elle  y  fut 
d'une  manière  très-didinguée. 

Dès  qu'il  avoit  fini  fcs  vifites,  qui  étoient 


[6)7- 


DE    M.   BoUDON.    LiV.    L  IIJ 

h  feule  fondtion  qu'il  eût  à  remplir  en  ver- 
tu de  fon  ArchidiacoiK^ ,  il  fe  mertoic  tn  &"iuiv. 
campagne  pour  annoncer  de  B<juigade  en 
Bourgade ,  6c  de  Ville  en  Ville  le  Royaunte 
de  Dieu.  Pour  participer  aux  bénédictions 
que  Dieu  répandoir  dans  les  pays  étrangers 
ilir  le  travail  de  fes  anciens  AiTociés ,  il  n'y 
avoic  point  de  bonnes  œuvres  qu'il  ne  prati- 
quât pour  les  mérirer.  Une  retraite  de  pla- 
fieurs  jours ,  tantôt  dans  un  lieu  ,  tantôt  dans 
un  autre  ,  éroit  toujours  le  prélude  de  Ces 
Millions.  C  etoit-là  qu'H  prioit  Dieu  de  l'en- 
vover  où  l'intérêt  de  fa  gloire  vouloit  qu'il 
aliât  :  car  d'ordinaire  il  fortoit  d'Evreuxfans 
avoir  d'objet  déterminé  Un  fentiment  qui 
tenoit  de  l'infpiration,  le  fixoit  bientôt  j  à 
rinftant  il  pourfuivoit  fa  route,  fans  jamais 
dire  à  perfonneoù  elle  devoir  aboutir  ;  parce 
qu'il  avoir  remarqué ,  que  quand  fon  fecrec 
avoir  tranfpiré,  il  fembloit  que  les  démons 
priffent  le  devant  pour  indifpofer  contre  lui 
les  efprits  &  les  cœurs. 

Du  refte ,  il  parut  cent  fois  que  c'ctok 
Dieu  loi  même  qui  dirigeoic  les  pas  de  fon 
ferviteur.  A  peine  étoit-il  arrivé  dans  un 
lieu  ,  qu'il  y  trouvoit  un  nombre  de  perfon- 
nes,  qui  deftituées  de  tout  autre  fecours, 
fembloient  l'attendre  comme  l'Ange  de  la 
Pifcine.  En  voici  un  exemple  ,  qui  ne  peur 
être  ni  plus  sûr ,  ni  plus  convaincant ,  de  qui 
d'ailleurs  confirme  parfaitement  ce  que  nous 
avons  dit  de  fapreixuçre  vifite  à  l'Abbaye  de 
S,  Sauveur. 


11^  La    Vit 

— -  Une  Rcligîeufe  Carmélite  quî  ctoît  Prîcif- 
^^7'  rc  en  Bretagne  ,  le  trouvoit  dans  un  état  de 
trouble  Se  d'obfcurité ,  dont  elle  étoit  extrê- 
mement fatiguée.  Le  lieu  où  elle  faifoit  fa 
réfidence,  ne  nianquoit  ni  de  Prêtres  éclai- 
rés y  ni  de  Doéleurs  qui  fuflent  verfés  dans 
les  voies  intérieures  :  mais  tous  avoient  une 
fî  haute  idée  de  fa  vertu ,  que  leurs  décifions 
lui  paroifToient  fufpeâ:es.  Un  foir,  que  fa 
peine  ,  plus  vive  qu^à  l'ordinaire  ,  l'empê- 
choit  àe  repofer ,  elle  pria  avec  une  admi- 
rable fimpliciré  le  Fils  de  Dieu  ,  de  lui  en- 
voyer quelqu'un  à  qui  elle  pût  s'ouvrir  ,  & 
fur  qui  il  lui  fût  permis  de  compter.  «  Le 
»*  lendemain  ,  ceff  elle  qui  va  continuer  ce 
^  récit  y  on  vient  me  dire  que  M.  Boudon 
»>  me  demandoit.  J'en  fus  d'autant  plus  fur- 
i>  prife  5  que  je  le  fçavois  à  vingt- cinq  lieues 
«  de-là  ,  que  l'hyver  étoit  très-avancé  ,  que 
**  pendant  cette  faifon  les  chemins  font  im- 
w  praticables  en  ce  pays . . .  Après  donc  qu'il 
»  eut  achevé  les  adles  d'adoration  de  la  fain- 
"  te  Trinité ,  &  falué  les  SS,  Anges ,  comme 
>^  il  faifoit ,  quand  il  entroit  la  première  fois 
w  dans  une  ville  »  je  lui  demandai  d'abord  ce 
"  qui  pouvoir  l'amene'r  dans  ce  lieu  pendant 
''  une  telle  faifon.  Il  me  répondit  :  C'efl 
«  vous  qui  m'y  faites  venir.  Cela  me  parut 
"  aflez  furprenant  :  mais  ne  pouvant  tout  à- 
«  fait  le  croire,  je  lui  demandai  encore  s'il 
w  feroit  quelque  féjour  dans  le  pays  j  à  quoi 
"  il  répondit  :  Autant  feulement  que  vous 
»>  en  aurez  befoin  ,  car  je  ne  viens  que  pouy 


BE  M.  BouDON.  Liv.  I.         117 

wvous.  Ce  coup  de  la  divine  Providence  

•»  me  donna  moyen  d'expofer  avec  facilité  J^^^* 
»>  <k  ouverture  de  cœur  le  fujet  de  ma  peine: 
w  Ôc  j'en  trouvai  fi  pleinement  le  remède  en 
»  ce  vrai  fervireur  de  Dieu ,  que  depuis  cet 
»  heureux  jour ,  jamais  je  n'en  ai  reflentid'at»- 
«  teinte.  Ce  voyage  profita  encore  à  plu- 
w  fleurs  Maifons  religieufes ,  qui  s'empreflcf 
>•*  renr  de  le  demander  pour  conduire  leurs 
w  retraites,  &  qui  en  tirèrent  tant  de  fruit  Ôc 
«  de  confblation ,  que  M.  l'Evêque  lui  en 
V  marqua  fon  eftimc  ôc  fa  reconnoiflance.  w 
Or  ,  ce  que  dit  ici  cette  Révérende  Mère, 
c'efl:  précifément  ce  qu'ont  dit  dans  tous  les 
tems  les  perfonncs  de  fa  profeiïïon  ,  qui  ont 
eu  le  bonheur  d'entendre  rArchidiacrc  d'E- 
vreux.  "Je  ne  puis  ,  lui  écrivoit  une  vertueu- 
>■>  fe  Ui'fuline  de  Mombard ,  non  ,  je  ne  puis 
"  aflez  louer  la  divincPro  vidence,pour  le  bien 
"  qu'elle  nous  a  fait  de  vous  envoyer  ici. 
"  Vous  y  avez ,  M.  apporté  une  fi  grande 
^  bénédiction ,  qu'elle  s'efl:  répandue  fur 
"  toutes ,  mais  particulièrement  fur  mes 
"  fœurs  du  Noviciat ,  qui  fc  trouvent  plus 
»  ferventes,  plus  animées  qu'elles  n'écoienr.,, 
»  Depuis  que  vous  nous  avez  parlé  ,  il  me 
"  fcmble  que  je  n'ai  plus  de  peine  à  rien  ,  ôc 
*»  que  je  n'en  feaurois  même  avoir ,  parce 
>*  qu€  la  peine  même  ,  portée  en  vue  de 
5^  Dieu  ,  me  fembie  délicieufe.  Ce  n'eft  pas 
»j  que  j'y  fois  infenfible  :  mais  la  penfce  que 
»*  cela  plâit  à  Dieu  ,  l'emporte  fur  le  fenti- 
«  ment.  C'cd  un  des  bons  effets  de  votre 


riS  La     Vie 

-  "  Miiîîon  j  Se  j'efpere  que  la  fidèle  coircf- 

r657'  f*  pondance  à  la  grâce  de  notre  état  en  fera^ 
>»  un  de  vos  charitables  prières.  »* 

Mais  ce  n  etoit  pas  feulement  dans  dcs' 
terres fi  bien  préparées  ,  que  la  femence  jet- 
rée  par  le  fainr  homme  ,  donnoic  une  abon- 
dante récolte.  Le  fonds  le  plus  ingrat  deve- 
noit  fertile  fous  fa  main.  Il  parloit  avec  tant 
de  lumière  ôc  d'ondtion  ,  qu'il  étoit  fouvcnc 
obligé  d'interrompre  fon  difcours  ,  pour 
donner  à  fcs  Auditeurs  le  tems  d'arrêter  leurs 
fanglots  &  le  cours  de  leurs  larmes.  C'ert: 
<le  quoi  la  ville  de  Vannes  a  long- tems  rendu 
un  témoignage  auffi  confolant  pour  elle , 
que  pour  lui.  Quand  il  paflbit  quelque  tems 
dans  un  lieu  ,  on  n'y  voyoit  que  ConfelTions 
générales ,  que  rellitutions  de  toute  efpéce, 
que  converfions  finceres.  Laiffant  la  con- 
rroverfe  à  ceux  que  les  Supérieurs  jugeroient 
à  propos  d'en  charger  ^  il  ne  s'attachoit,  mê- 
me dans  les  lieux  infedés  dhéréfie,  qu'aux 
grandes  vérités  de  la  Morale  Evangélique  : 
mais  auflî  il  les  traitoit  avec  tant  d'énergie  , 
qu'on  ne  fe  lafibit  point  de  l'entendre.  A 
Mons  en  Hainaut ,  Dieu  donna  de  fi  gran- 
des bcnédiélions  aux  Sermons  qu'il  y  prêcha, 
que  le  concours  y  fut  toujours  égal ,  malgré 
les  incommodités  de  la  chaleur.  De  Mons 
la  Providence  le  conduifit  à  Anvers  ,  &  elle 
y  fît  en  lui  &  par  lui  fes  miracles  ordinaires. 

Au  refte,  ce  n'étoit  pas  feulement  le  menu 
peuple  ,  juge  aflcz  équivoque  ,  qui  fait  tou- 
jours le  gros  d'un  Audi  toircic'étoient  des  peC" 


DE  M.  BouDON.  Liv.  L  119 
formes  capables  de  décider  en  maîcres ,  quel-  ' 
quefois  même  engagées  par  un  intérêt  fecret  ^^H/ 
à  décider  moins  favorabkmenc  ,  qui  rcn- 
doient  juflice  à  fes  talens  pour  la  Chaire. 
Dans  une  MiiTion  qu'il  fit  à  Bourdeaux  , 
Miiïion  pendant  laquelle  il  prêcha  au  moins 
deux  foix  par  jour  ,  il  n'y  eut  ni  rang  ,  ni 
condition  ,  qui  ne  fe  fit  un  plaifîr  Ôc  un  de- 
voir de  rentendre,(Sc  cela  dès  le  grand  marin. 
Le  Provincial  d'un  Ordre  célèbre  le  fuivoic 
ôc  le  faifoitfuivrc  exactement  par  un  grand 
nombre  de  perfonnes,qui  étoient  fous  fa  con- 
duirc.lltouchoit,ilenlevoitfi  puiflammentlcs 
cœurs  ,  qu'un  homme  de  qualité  ,  qui  n'eni- 
ployoitfon  tcms  ,  fes  biens  ôc  fa  perfonnc, 
q-i'à  faire  des  charités  continuelles  au-de- 
dans  ôc  au -dehors  du  Royaume  ,  lavant  une 
fois  entendu  ,  s'écria  tout  haut  du  milieu 
de  l'Auditoire  :  N^ori  ,je  ?i' ai  jamais  ouï  par- 
1er  de  la  forte  ,  ra  mettre  les  vérités  dujaluù 
dans  un  fi  beau  jour  >  &  les  publier  avec  tant 
U'onciion, 

C'étoit  pour  honorer  de  û  beaux  talens  , 
3c  beaucoup  plus  encore  la  vertu  qui  leur 
fervoit  d'appui ,  que  les  plus  grands  Prélats 
Ôc  les  perfonnesde  la  première  condition  lui 
-donnoient  à  l'envi  des  marques  décifivcs  d'ef- 
rime  ôc  de  vénération.  Pendant  le  féjour 
qu'il  fît  à  Bordeaux ,  l'Archevcque  le  vitplu- 
fieurs  fois ,  ôc  le  mena  à  fa  maifon  de  campa- 
gne ,  pour  lui  communiquer  à  cœur  ouvert 
des  affaires  importantes.  A  peine  étoit-il  ar- 
rivé  dans  une  Ville  ,  qu'il  écoic  tout  furpris 


I20  La     Vie 

*'  d'y  trouver  un  appartement  déjà  préparc 

icijiy,  P^^^ ^^^  >  ^  ""^  io\i\ç  de  perfonncs  du  pre- 
mier rang,  qui  s'y  étoient  aflemblées  pour  le 
voir  ôc  pour  l'entendre  parler  de  Dieu.  On 
le  partagcoit  en  quelque  forte  ,  afin  de  l'a- 
voir quelque  tems  chacun  à  fon  tour.  Ceft 
ainfi  que  par  une  tranfadtion  de  douceur , 
l'Archevêque  de  Cambrai  céda  aux  RR. 
PP.  Carmes  le  plaifir  de  le  loger ,  &  que 
ceux  -  ci  cédèrent  au  Prélat  le  plaifir  de 
lui  donner  fa  table.  Il  n'y  avoit  vraifcmbla- 
blement  qu'à  gagner  au  change  j  mais  ce 
genre  de  gain  étoit  une  perte  pour  un  hom- 
me aulTi  pénitent  que  l'étoit  Boudon  :  &  il 
i'a  fait  connoirre  en  bien  des  occafions. 

Un  jour  après  avoir  prêché  chez  les  Ur- 
fiilincs  de  Laval ,  où  toute  la  ville  s'étoic 
rendue  pour  l'entendre  ^  on  lui  fervit ,  auffi- 
bien  qu'à  plufieurs  amis  de  la  Maifon  ,  tant 
Iccléfiaftiquesque  Séculiers  ,  un  repas  ma- 
gnifique. L'homme  de  Dieu  laifTa  aux  Con- 
vives ,  qui  n'y  étoient  venus  que  pour  kii  hi- 
fc  honneur  ,  une  pleine  liberté  de  manger  (Se 
déboire  :  pour  lui  ,  à  l'exemple  de  S.  Char- 
les Borromée  en  pareille  occafion  ,  il  ne 
vouiuttoucher  à  rien.  Seulement,  pour  n'y 
être  pas  tout-à-fait  fpeclareur  oifif,  il  fit  à  ia 
compagnie  undifcours  fort  touchant  fur  Té- 
dification  qu€  doivent  donner  les  perfonnes 
qui  fe  font  confacrées  à  Dieu ,  foit  par  la 
Religion ,  foit  dans  l'état  Eccléfiafiique.  Il 
ajouta  qu'après  avoir  prêché  la  mortifica- 
tion ,  on  détruifoit  foavem  par  une  forte  de 

fenfualité 


DE    M.    BoUDON.   LiV.    I.  12  1 

feiifuaîiré  tout  ce  qu'on  avok  dit  de  mieux 
en  faveur  de  la  pénitence. 

S'il  pratiquoit  fi  bien  fes  propres  leçons  en 
matière  d'abflinence  ,  il  ne  les  pratiquoit  pas 
moins  bien  en  matière  de  défuitéreffemenr. 
Sa  méthode  étoit  d'aller  en  million  un  bâton 
à  la  main  ,  &  de  ne  prendre  jamais  plus  d'ar- 
gent ,  qu'il  ne  lui  en  fàlloit  pour  la  dcpenfc 
d'un  jour.  Malgré  une  pauvreté  fi  exceiTive, 
on  paît  dire ,  à  parler  en  général ,  qu^il  ne 
manquoit  de  rien.  Il  a  même  avoué  plus 
d'une  fois  qu'il  eût  pu  aifémfnt  devenir  ri^ 
che  j  parce  que  quand  il  étoit  fur  fon  départ , 
on  lui  apportoit  de  l'argent  de  tous  les  côtés  » 
&  que  fouvent  il  crouvoit  fur  la  table  de  fa 
chambre  des  bourfes  remplies  d'or.  Mais  ce 
digne  enfant  de  la  Providence  s'en  remit  tou- 
jours à  elle  pour  le  lendemain.  Ainfi  tout  ce 
qu'il  avoit  de  trop  ,  étoit  fur  le  champ  âif- 
tribué  aux  pauvres  des  lieux  où  il  fe  crou- 
voit. 

Au  fonds ,  fi  quelquefois  la  Providence 
parut  l'oublier ,  pour  faire  éclater  fa  vertu  j 
clje  parut  bien  plus  fouvent  avoir  pour  lui 
l'attention  la  plus  finguliere.  Après  l'avoir 
traité  pendant  fon  féjour  dans  un  lieu  beau- 
coup mieux  qu'il  n'auroit  voulu  ;  on  s'em* 
prcfibit  d'adoucir  les  fatigues  de  f^s  longs  Se 
pénibles  voyages  j  les  ComtefTes  ,  les  Mar- 
quifes ,  les  Préfidentes  lui  procuroicnt  des 
voitures  :  quelquefois  même  malgré  Ces  in- 
ftances,  &  quand  une  fevere  bienféaiKe  ne 
s'y  oppofoic  pas  ,  elles  l'accompagnoiçnc 

F 


,  124  La    Vii 

1658.    vu  les  tranfporter  fur  fcs  épaules  au  milieu 
Se  fuir.  cj£s  fues  les  pi^j  ficquenrées  de  la  ville  de 
Caën  ,  jufqu'à  l'Hôtel-Dieu,  qui  ell  à  l'au- 
tre extrémiré. 

Il  dévoie,  après  Dieu,  ce  fonds  inépuifabic 
de  vertus  aux  leçons  &  aux  grands  exem- 
ples du  R.  P.  Jean-Chryfoftome ,  Religieux 
Pénitent  du  Tiers  -  Ordre  de  S.  François  j 
homme  fi  zélé  pour  la  difciplinc  régulière , 
qu'il  aima  mieux  rcfufer  une  fomme  confi- 
dérable  qu'on  lui  otfroit ,  pour  rebâtir  une 
àcs  Maifons  de  fa  Province  ,  que  de  man- 
ger avec  un  pieux  Séculier ,  oui  cependant 
n'a  voie  attaché  fon  aumônift  cette  condi- 
tion ,  que  pour  profiter  de  (gs  difcours  ;  Ci 
charitable  ,  que  pour  épargner  à  de  pauvres 
Eccléfiafliqucs  l'humiliation  de  la  mendicité, 
il  partageoit  avec  eux  le  bien  qu'on  faifoit  à 
un  Couvent  dont  il  étoit  Supérieur  ;  11  plein 
d'ardeur  pour  Tabiedliion  ,  qu'il  avoit  fait 
vœu  de  fe  faire  méprifer  autant  que  Tordre 
de  Dieu  le  lui  pourroit  permettre  j  Se  de 
jeûner  cent  jours  en  l'honneur  de  S.  Jofeph , 
fi  par  fon  interceflion  il  pouvoit  réuiïir  à 
n'eiïuyer  que  des  rebuts  &  des  mépris  de  la 
part  de  tous  les  hommes. 

Tel  étoit  celui  que  la  Providence  avoit 
donné  pour  directeur  à  M.  de  Bernicres.  Il 
en  profita  ,  &  pendant  la  vie  de  ce  faint 
homme ,  &  après  fa  mort  *.  Dans  le  tems 
que  Boudon  le  fut  vifiter ,  il  avoit  fait  bâtir 

•  Le  p.  Jeaa-Chryfoftomc  mourut  le  %i  Mar$  i64<, 
l^é  4e  5;»  ans. 


DI  M.  BOUDOK.    LiV.  I.  I2J 

dans  la  ville  de  Cacnune  efpéce  de  petit  her- 
mirage.où  renfermé  avec  un  petit  nombre  d'a- 
miSjil  paflbit  les  mois  entier  s  dans  la  contem- 
plation des  vérités  éterncUcs.La  vie  qu'y  me- 
noit  cette  troupe  d'élite ,  étoit  une  vie  toute 
de  filence  ôc  d'oraifon.  Si  la  nature  y  trou- 
voit  le  néceflaire  ,  elle  n'y  rrouvoit  rien  de 
fuperfîu.  De  Bernicres  ,  quoique  riche  ôc 
noble  ,  n'y  étoit  fervi  qu'en  vaifTel le  de  terre. 
Un  peu  de  pain  bis  &  une  nourriture  grof- 
fiere  faifoicnt  tout  l'entretien  du  corps.  En 
récompenfe  cette  aimable  folitude  étoit  une 
école  de  vertus  j^  Je  puis  aiïlirer  ,  dit  notre 
>■»  Archidiacre  ,  témoin  oculaire  ,  qu'ayant 
«  eu  le  bonheur  d'y  pafler  deux  ou  trois  mois, 
w  je  n'y  ai  jamais  ouï  pendant  ce  tems ,  d'au- 
»  très  entretiens  que  ceux  de  l'oraifon.  L'on 
»  n'y  parloir  d'autre  chofc  ,  même  durant 
w  la  récréation.  Et  ce  qui  eft  de  plus  mer- 
»  veilleux ,  e'eft  qu'on  ne  s'en  ennuyoit  ja- 
»  mais.  On  y  paffoit  les  fours,  les  mois .  les 
«  années  à  parler  toujours  de  la  même  cho- 
>'  fc  :  &  cette  chofe  unique  paroi ffoit  rou*' 
>' jours  nouvelle  ,  parce  qu'elle  ne  tendoit 
»  qu'à  Dieu  feul ,  qui  eft  le  centre  de  nos 
»  amcs ,  &  le  lieu  de  notre  repos.  Quand 
*•  M.  de  Bernieres  fortoit  de  cet  hermitage 
>*  pour  vaquer  aux  affaires  de  fa  charge  ,  ii 
y*  ne  perdoit  jamais  la  préfence  de  la  Majefté 
s>  divine  ,  &  il  s'en  rcvenoit  chez  lui  pour 
«  fe  plonger  encore  plus  dans  l'oraifon  ,  ôc 
"  s'unir  plus  étroitement  à  Dieu  qu'aupa- 
»  ravant,  » 

FUj 


T2r^  La    Vie 

II  avoîtnnc  fi  grande  eftime  pour  les  pcr- 
fonnes  éminentes  en  piété ,  qu'il  les  chcr- 
choit  par  -  tour.  Il  ne  faifoit  de  voyages , 
comme  il  l'a  quelquefois  dit  lui-même  ,  que 
pour  trouver  des  Saints.  Il  avoir  avec  tous 
les  vrais  Serviteurs  de  Dieu  une  union  fi 
intime  ,  que  s'étant  en  quelque  forte  appro- 
prié leur  grâce,  après  avoir  pafle  tous  les 
degrés  de  loraifon  ordinaire  ,  il  étoic  s'élevc 
à  ce  qu'il  y  a  voit  de  plus  fublime  dans  ce 
genre. 

Tout  Laïque  qu'il  ctoit ,  on  ne  peut  dire 
avec  quel  zélé  il  s'employoit  au  falut  des 
âmes ,  ni  comprendre  la  multitude  des  pcr- 
fonncs  de  tout  état ,  qui  s'adrefîbicnt  à  lui 
peur  avoir  fcs  avis.  Séculiers  ,  Ecclcfiaftt- 
ques ,  Religieux ,  tous  le  confultoicnt  j  & 
de  CCS  derniers,  il  y  en  avoir  plufieurs  de 
différcns  Ordres  ,  qui  airaoient  mieux  faire 
leur  retraite  chez  lui ,  que  dans  leurs  Mona- 
•fteres. 

Sa  confciencc  étoit  fi  puce ,  qu'il  fe  con- 
-fefibit  d'avoir  fenti  trop  de  joie  dans  un  pè- 
lerinage de  dévotion  ,  qu'il  avoir  fait  avec 
des  perfonnes  d'une  éminenre  vertu  :  c'eft 
qu'il  craignoit  que  la  nature  n'y  eût  un  peu 
trouvé  £on  compte  j  &  qu'il  n'y  avoit  dans 
fon  cœur  ni  angle  ,  ni  coin  ,  dont  il  ne  vou- 
lut la  chafler.  Il  avouoit  confidemmcnt  à 
fon  ami ,  notre  digne  Archidiacre  ,  que  la 
défolation  entière  d'une  Province ,  où  roue 
ce  qu'il  avoit  de  plus  cher  au  monde  feroic 
enveloppé ,  lui  fcroit  ,  en  n'y  confidéranc 


DE  M.  BouDON.   Liv.  I.  127 

que  le  mal  temporel  ,  beaucoup  plus  fup-  "^TT 
portable  ,  qu'une  adlion  indifférente  :  parce  &  fuiv', 
qu'il  n'y  a  rien  dans  les  opérations  d'un  Chré- 
tien ,  c'efl-à-dire ,  d'un  homme  qui  doit  nc- 
cefTairement  cire  animé  de  l'efprit  de  J.  C. 
qui  ne  doive  être  furnaturel  ôc  divin. 

Tels  étoient  les  fentimens  ôc  les  difpofî- 
tions  de  ce  grand  ferviteur  de  Dieu.  On  peut 
bien  compter  qu'un  homme  comme  Boudon 
ne  fervit  qu'à  les  fortifier.  Le  P.  Jean-Chry- 
foftome  ayant  dit  une  fois  à  M.  de  Bernieres , 
que  la  pauvreté  adluelle  ctoit  l'eflence  de  fa 
grâce  ,  ôc  que  jamais  il  n'auroit  de  repos , 
qu'il  n'y  fût  comme  dans  fon  centre  :  il  ne 
ceiTapas  depuis  ce  tems  de  foupirer  après  ce 
riche  tréfor ,  dont  la  penfée  en  effraye  tant 
d'autres.  Boudon  ,  le  pauvre  Boudon ,  «5^  qui 
avoir  faitvœu  de  l'être  toute  fa  vie  ,  charme 
de  ces  beaux  fentimens ,  l'exhorta  à  fuivre 
les  impreffions  d'une  grâce  fi  forte.  Il  lesfui- 
vit  en  effet ,  &  ce  fut  fans  réferve  qu'il  les 
fuivit.  Il  aida  de  Ces  aumônes  à  bâtir  des  Sé- 
minaires, des  Hôpitaux  ,  des  MaifonsReli- 
gieufes.  Il  fit  couler  dans  la  Chine  ,  ôc  dans 
toutes  les  contrées  du  Canada  ,  des  fommcs 
abondantes  pour  y  entretenir  la  foi  &  ceux 
qui  Tannonçoient^  Le  reffe  de  fon  bien  fut 
remis  à  ceux  à  qiji  il  apparrenoir  par  les  droits 
du  fang  5  ôc  dans  (es  dernières  années ,  de 
Bernieres  ne  vécut  plus  que  des  libéralités 
de  fa  famille.  Ainfi  ,  quoique  Boudon  n'aie 
pas  eu  la  gloire  de  contribuer  aux  premières 
vertus  de  ce  refpeclable   Seigneur  ;  il    eil 

Fiv 


iiS  La    Vu 

pourtant  vrai  que  ce  fut  lui  qui  le  conduî- 
fit  à  ce  haut  degré  de  juftice  où  il  arriva ,  & 
que  ce  fut  par  Ces  confeilsqu  il  fit  en  France 
&hors  de  France  ces  biens  de  toute  efpéce, 
qui  ont  rendu  fon  nom  û  refpedable.  Auifi 
avoit-il  pour  les  avis  du  faint  Prêtre  la  plus 
parfaire  déférence  :  Il  le  chargea  même  plus 
d'une  fois  dans  le  facré  Tribunal  du  foin  de 
fa  confcience  i  &  bien  loin  de  prendre  k 
change  fur  fon  compte ,  lorfque  la  calomnie 
commença  à  s'élever  contre  lui  à  loccafion 
de  fesvifites,  il  répondit  conllamment ,  que 
M.  le  grand  Archidiacre  d  Evreux  auroîi 
toujonrs  une  reflource  dans  fa  maifon  ,  Se 
qu'il  fe  trouveroit  heureux  d'être  calomnié 
éc  perfécucé  pour  lui. 

Au  refte ,  ôc  c'eft  une  cîrconQance  dont 
la  piété  du  leéteur  nous  imputeroit  l'omif- 
fion  ;  ce  vertueux  Thréforier  mourut  "^  com- 
me il  avoit  vécu.  Le  jour  qui  fut  le  dernier 
cîe  fa  vieil  n'avoir  eu  aucune  atteinte  de  mal. 
Un  Domeftique  chargé  de  Tavertir  tous  les 
foirs  ,  que  le  tems  de  fon  oraifon  étoit  fini, 
parce  que  fans  cette  précaution  il  eût  donné 
à  la  prière  le  tems  qu'il  devoit  donner  au 
fommeil ,  étant  entré  dans  fon  appartement 
pour  s'acquitter  de  fa  commiflîon  ,  Louvi- 
gni  le  pria  avec  fa  douceur  ordinaire  de  lui 
donner  encore  un  moment.  Ce  moment  , 

*  M.  de  Bernieres  mourut  le  }  Mai  itf'59.?.géde  57 
ans.  Ainfi  les  vifites  que  lui  a  rendues  M.  Boudon  ,  ont 
précédé  fes  grandes  perfécutions.  Celles-ci  ne  commen- 
cèrent que  vers  1666,  comme  nous  le  dirons  bicncOt. 


DE  M.  BoVDON,  Liv.  I.  119 

qtiî  félon  les  apparences  ne  fe  mefura  pas  a  — — 
la  minute ,  éranr  fini ,  le  Domeftique  rentre  g^^fî^y. 
ôc  trouve  fon  bon  Maicre  à  genoux  ,  mais 
fans  mouvement  Se  fans  vie  '^,  Son  ame  per- 
due dans  le  fein  de  la  Divinité ,  n'avoir  pu 
revenir  à  lui*  Son  corps  fut  enterré  aux  Ur- 
fulines  de  Caen.  Sur  fa  tombe  il  n'y  eut  de 
fingulicr  que  ces  mots ,  qui  y  furent  gravés 
félon  £çs  ordres  :  Jefus  Chrifl  efi  mort  -pour 
tous  les  hommes.  C'étoic  fa  devifc.  Ce  feul 
mot  :  Cefi  pour  mon  amour  que  le  Fils  de 
Dieu  s'efl  fait  homme  ,  &  quil  tfl  mort  fur 
la  croix,  rempliflbit  fon  cœur  de  la  plus 
douce  confolarion.  Il  s'en  fervoit  pournour^ 
rir  fa  foi ,  pour  animer  fa  confiance  r  pour 
enflammer  fon  amour.  Sçavoir  fi  dans  fon 
Chrétien  intérieur  il  n'a  point  préludé  aux 
Maximes  ^^  de  Villuftrc  de  Salignae  j  ou  fi  ^ 
comme  le  crut  Boudon  ,  bien  ou  mal  in- 
formé y  fon  Livre  ne  fut  fupprimé  à  Rome  , 
que  parce  qu'il  y  avoir  en  Italie  des  gens  qui 
€n  abufoient ,  c'efl  un  fait  dont  la  difeuflion? 

*  La  tradition  de  la  famiile  de  M.  de  Louvigni-  eft 
^'ayam  une  frayeur  extraordinaire  de  la  mort  ,  il  avoir 
loujours  demandé  à  Dieu  de  mourir  fubitemcnt.  On  me 
mande  de  Caën  ,  qu'«ne  Religieufe  Urluline  de  cç\x.z 
Ville  avoir  prédit  la  mort  de  M.  de  Bexnicres  trois  joai> 
avant  qu'elle  arrivât, 

**  Je  trouve  après  coup  dans  la  vie  de  TÂbbé  du 
■  Val-Richer  CCS  paroles ,  p.  185.  <«  Si  la  ▼erfion  Italiennç 
«  qui  fut  faite  de  ce  Livre  (  le  Chrétien  intérieur)  a  paruf 
»  trop  forte  en  quelques  endroits  au?:  Cenfeuride  Rome  * 
*a  cela  ne  regarde  aucunement  le  Livre  »  ni  la  pcr- 
»foruie  de  M.  de  Eernieres.  »  Ceft-à-dirs  que  k  trada- 
ilion  du  Chrétien  intérieur  aura  tté  altérée  ,  &  ceue  allé— 
HÙOQ  coj>danince« 


l'jo  La    Vie 

\^^  g     cft  étrangère  à  THifloire  que  j'écris.  Repre- 
^  fliiv.  nons  celle  du  grand  Archidiacre.  Nous  Tal- 
ions voir  comblé  de  gloire  ôc  d'honneur  ,  & 
un  moment  après  raflafié  d  opprobres  Ôc  d'i- 
gnominie. 
■  Gilles  Boutault  ,  Evêque  d'Evreux ,  Prc- 

&7uiV,  ^^^  ^^"'^  notre  vertueux  Prêtre  fut  toujours 
beaucoup  confîdéré  ,  étant  mort  le  1 1  Mars 
166^1,  la  Cour  lui  donna  pour  fucccfleur 
Henri  Maupas  du  Tour  ,  qui  avoit  déjà: 
gouverné  le  Diocèfe  du  Fui  en  Vêlai  avec 
autant  de  fagefle  que  de  bénédidion.  Un 
de  Tes  premiers  foins ,  dés  qu'il  eût  pris  pof- 
feflîon  de  fon  nouveau  Diocèfe  ,  fut  d'étu- 
dier le  génie  &  le  caradtere  de  fon  grand 
A  rchidiacr  e ,  dont  apparemment  on  lui  avoir 
dit  beaucoup  de  bien  ôc  beaucoup  de  mal. 
Il  l'eut  bientôt  approfondi ,  ôc  par  une  fuite 
naturelle  il  en  eut  bientôt  connu  le  prix.  11 
l'honora  de  toute  fa  confiance.  Il  voulut  que 
tant  que  Ces  fonâ:ions  ne  Tappelleroient  pas 
ailleurs,  il  n'eût  point  d'autre  table  que  la 
iienne.  11  regarda  Ces  confeils  comme  autant 
de  règles  de  conduite  pour  lui.  Il  fut  plus 
loin  encore  ,  ôc  perfuadé  qu'il  avoit  trouvé 
en  la  perfomie  de  M.  Boudoiice  dîfpenfa- 
teur  fidèle,  qu'un  bon  père  peut  établir  fur 
foi-même  ôc  fur  toute  fa  famille  j  il  fit ,  fans 
Fen  avertir  ,  un  vœu  particulier  de  lui  obéir 
en  tout  yôc  afin  que  perfonne  ne  doutât  de 
fes  fentimens ,  il  le  fit  fon  premier  Grand- 
Vicaire  ,  Supérieur  des  Carmélites    du  ^ 

*  C'eft-à-dire  que  les  Carmélkcs  du  Ponteau-de-Mer  le 


DE  M.  BouDON.  Liv.  I.  131 

Ponteau-dC'Mer ,  ôc  mairrc  de   drefTcr  de  * 

nouveaux  Statuts,  comme  il  le  jugeroicàpro-  ^^fuj>^ 
pos  pour  la  gloitede  Dieu  ,  ôc  pour  le  bien 
de  fon  Diocèfe.  En  un  mot  ,  il  lui  donna 
coup  fur  coup  tant  de  marques  d'eftime  ,  de 
tendreilCjde  refpect  même,  que  Thumble 
Boudon  en  étoit  tout  confus.  Des  commen- 
cemens  fi  beaux  devoient-ils  donc  avoir  une 
fuite  fi  déplorable  ! 

L'Archidiacre  s'acquitta  de  ces  différens 
emplois  avec  tout  le  fuccès  qu'en  pouvoir 
attendre  celui  qui  les  avoir  mis  en  œuvre. 

Pour  commencer  par  Ces  Statuts  ^  on  con- 
vient encore  aujourd'hui  qu'ils  fontfi  fages, 
fi  propres  à  rétablir  la  difcipline  ,  qu'ils  peu- 
vent fervir  de  règles  à  ceux  qui  travaillent  fur 
cette  pénible  matière.  On  y  prefcrittout  ce 
qu'un  parfait  Eccléfiaflique  doit  fe  prefcrire 
à  lui  même  :  on  y  défend  tout  ce  qu'il  doit 
s'interdire.  En  un  mot  on  y  bannit ,  on  y 
prévient  m.ême  tous  les  genres  d'abus,  qui 
peuvent  humilier  TEglife  ôc  dégrader  fes 
Miniflres. 

Ces  ordonnances  étoicnt  trop  raifonnf- 
blés,  pour  être  attaquées  direàement.  La 
malignité ,  qui  pour  ne  fe  pas  déceler  elle- 
même  ,  garde  quelquefois  des  mefures  ,  aa- 
roit  donc  peut-être  été  réduite  au  filencc  , 
fiTArchidiacre,  qui,  lorfqu'il  s'agifîbitdu 
bien  de  l'Eglife  ,  alloit  toujours  en  avant , 
n'eût  découvert  qu'il  fe  répandoit  en  Nor« 

lui  ayant  demandé  pour  Supérieur  ,  avec  la  pcrmiffion  de 
kur  propre  Evéque  ,  il  le  leur  aceorda  :  car  Ponreau-dt- 
Mer  n'eâ  pas  du  Diocèfe  d'Evreux, 

F  v) 


132.  L    A       V    I   E 

mandie,  &.  particulièrement  dans  le  Dio- 
cèfe  d'Evreux  une  fede  de  Fanatiques ,  que 
le  dangereux  commerce  de  nos  voifins  avoit 
infectes  d'une    bonne   partie   de  leurs  er- 
reurs. Sans  aller  aufll  loin   que  le  fameux 
Gomare  ^  &  fes  adhérans,  ils  adoptoieni  un 
aiïezbon  nombre  de  ics  erreurs  fur  la  grâce, 
fur  le  libre  arbitre  ,  fur  la  mort  de  J.  C. 
pour  le  falut  des  Elus  :  matières ,  qui  pref- 
que  dans  tous  les  tems  ont  été  Técueil  de  la 
curiofité  &  des  vaincs  fpéculations  de  l'ef- 
prk  humain.  On  les  méprifa  d'abord  \  & 
c'elt  une  faute  dans  laquelle  on  ne  fe  Ia(Tc 
point  de  tomber  :  mais  bientôt  un  exrériein: 
compofé  ,  des  aumônes  répandues  avec  art , 
un  commerce  doux ,  des  manières  infmuan» 
tes ,  des  manufcrits  bien  travaillés  ne  tardè- 
rent pas  à  multiplier  leur  nombre  ,  &  à  le 
rendre  formidable.  Ils  le  devinrent  encore 
plus  par  la  manière  dont  ils  fçurent  fe  dé- 
fendre. Ils  frapoient  d'une  manière  fi  dure 
quiconque  ofoit  les  attaquer ,  que  lorfqu'ils 
commençoient  à  s'établir  dans  un  Canton, 
l'innocence  même  n'ofoit  leur  jetter  la  pre- 
mière pierre. 

Boudon  aimoit  la  paix  *,  mais  il  ne  l'aimoît 
pas  au  préjudice  de  la  vérité.  Ainfi  dès  qu'il 
eût  reconnu  que  les  voies  de  la  douceur 

♦  Les  démêles  àç&  Gomariftes  avec  l<s  Arminiens  font  fi 
connus  desSçavans,  fi  inutiles  '■>  ceux  qui  ne  le  font  pas , 
c;je  je  ne  crois  pas  devoir  m'y  arrêter  plus  long-temps.  Le 
fyftèmc  des  pre  niers  ,  après  avoir  eu  le  defTus  avec  beau- 
coup d'éclat  ,  a  tant  perdu  de  terrein  ,  qu'il  n'eil  pref^ue 
|>h]s  fuivi  que  dans  les  £coies  de  Genève. 


I 


DE  M.  BoVDON.    LiV.  î.  1  35 

éroient  mutiles ,  ôc  que  la  contagion  com- 
mençoic  à  entrer  dans  le  Sanctuaire  ,  il  ré- 
foluc  d'éclater.  Il  le  fit  à  la  manière  du  faint 
Concile  de  Trente  ,  c'eft-à-dire ,  fans  nom- 
mer perfonne  :  mais  il  le  fit  en  même  tem^ 
d'une  manière  fi  forte ,  û  détaillée ,  qu'il  eût 
enlevé  à  Terreur  routes  fes  armes ,  fi  la  ré- 
volte &.  le  mépris  des  Puifiances  ne  lui  ea 
euflent  fourni  de  nouvelles.  Lettres ,  manu- 
fcrits,  ouvrages  faits  ou  à  faire  en  faveur  du 
parti,  tout  fut  interdit  fous  la  plus  rigour- 
reufe  cenfure  ^  6c  les  précautions  furent  en 
ce  genre  portées  à  un  point ,  dont  je  n'd 
point  vu  d'exemples. 

Si  ce  règlement  fut  applaudi  de  M.  dt 
Maupas  &  de  tous  les  vrais  enfans  de  l'E- 
glife  ,  il  déplut  horriblement  aux  parties  in- 
téreflées.  Dès-lors  Boudon  ne  fut  plus  qu'un 
ûirieux  du  premier  ordre.  Sa  perte  fut  ju- 
rée i  &  on  lui  prépara  plus  d'anathémes,qu'il 
n'en  avoir  décerné  contre  les  Partifans  du 
nouvel  Evangile.  Mais  avant  que  la  fuite  des 
années  nous  découvre  la  profondeur  du  Ca- 
lice amer  ,  dont  il  fut  enivré,  il  eft  jufte  , 
6c  l'ordre  des  tems  l'exige  ,  que  nous  faïTions 
çonnoirre  une  partie  des  fervices  qu'il  ren- 
dit aux  Carmélites  du  Ponteau  -  de  -  Mer  , 
aulTi-tot  que  fon  Evêquc  lui  en  eût  fait  ac- 
cepter la  direction.  Il  eft  beau  de  trouver 
dans  un  feul  homme  des  règles  de  conduite 
pour  des  états  fort  différens. 

Si  l'eftime  qu'on  fait  d'un  emploi ,  porte 
à  s'ea  bien  acquitter ,  le  grand  Archidiacre 


l6Cl 


Ï54  ^  La    Vie 

ducréufllr  en  celui-ci.  Quoiqu'il  aimât  tous 
^°ùv.  ^^^  ordres  de  TEglife  ,  il  avoir  pour  le  Car- 
mel  un  attrait  particulier.  Sainte  Thérèfe 
qui  l'a  réformé ,  fut  toujours  un  des  plus 
tendres  objets  de  fa  dévotion-,  ôc  jamais  il 
n'en  parloic  qu'avec  des  iranfports,  qui  rriar- 
quoientla  liaifon  de  fon  ameavec  lafienne, 
ôc  la  parfaite  confiance  qu'il  avoir  en  fa  puif- 
fante  interceflion.  Il  n'avoir  pas  moins  de 
tcndrefle  pour  le  fage  Ôc  zélé  coopérateur 
de  cette  grande  Sainte.  Au  nom  feul  de 
Jean  de  la  Croix  ,  fes  entrailles  étoicnt  pro- 
fondément émues.  Il  l'appelloit  ordinaire- 
ment le  Père  de  fon  ame.  Il  lifoit  fans  cefle 
i^s  fublimes  Ouvrages  :  il  l'invoquoit 
fouvent,  il  ctudioit  fa  vie ,  cette  vie  d'amour, 
d'oraifon  ,  d'auftérité  ,  de  travaux  Apoftoli- 
ques ,  &  il  s'efforçoit  de  l'imiter.  Il  le  pro- 
pofoit  pour  modèle ,  &  dans  (les  difcours  pu- 
blics ,  &:  dans  fes  entretiens  particuliers. 

De  l'amour  du  Père  naiflbit  une  fînccre 
te  conftanr e  affed:ion  pour  les  Enfans.  Dans 
its  voyages  H  logeoit  ordinairement  chez  les 
Carmes  Déchauffés ,  lorfqu'il  fe  trouvoit  à 
portée  de  leurs  Maifons.  Il  célébroit  fou  vent 
chez  les  Carmélites.  En  toute  occafion  il  fc 
fit  un  devoir  de  rendre  aux  uns  &  aux  au- 
tres tous  les  bons  offices  dont  il  étoit  capa- 
ble. 

C'en  fut  un  fignalé  aux  yeux  de  la  foi ,. 
que  de  maintenir  Tordre,  l'union,  la  fer- 
veur dans  le  Monaftere  du  Pontcau-dc-Mer, 
ê(.  d'en  écarter  jufqu'à  l'ombre  de  ce  qui  au- 


DE  M.  BOUDON.  LiV.  L  Ijj- 

roîf  pu  en  troubler  l'harmonie.  Le  plan  qu'il 
reforma  poury  réuiTir,  efl  auffi  beau  qu'il 
eft  naturel. 

Il  vouloir,  I*.  que  les  Rcligieufcs  enflent 
toujours  devant  les  yeux  de  la  fin  principale 
àe  leur  Inilitut ,  &  la  vie  de  ceux  que  Dieu 
avoir  employés  pour  l'établir.  CV/,  difoit-il, 
qu'une  cQpie  eft  toujours  plus  parfaite  ,  à  me- 
[ure  qu'elle  approche  plus  de  [on  original. 

1^.  Il  s'appliquoir  à  ne  recevoir  que  des 
Sujers,  dont  la  vocation  ne  fût  ni  fufpede  , 
ni  équivoque.  Ceft  pourquoi ,  lorfque  des 
parens  demandoient  pour  une  fille  le  voile 
de  la  Religion  ,  il  ordonnoir  exprefl'ément 
â  la  Supérieure  de  les  averrir  du  terrible 
anathême,  qu'a  porté  le  Concile  Trente  con- 
tre ceux  qui  forcent  leurs  cnfans  à  embraf- 
fer  un  état ,  dont  leur  cœur  eil  fouvent  bien 
éloigné.  Il  examinoit  lui-même  la  vocation 
de  celles  qui  fe  difpofoienr  à  eonfommer 
leur  facrificej  parce  que,  difoit-il ,  toute 
perfonne  qui  eil  bien  appellée&  fidèle  à  fcSr 
exercices ,  arrive  en  peu  de  tems  à  la  per- 
fedion  religieufej  &  que  fouvent  une  pau- 
vre Converfe,  qui,  par  déf^iut  d'induflrie 
ou  de  fanré  ,  paroît  inutile  à  la  maifon  ,  eft 
pour  elle  une  fource  de  grâces  ëc  de  Béné- 
didions  j  pendant  que  celles  que  leur  com- 
merce avec  les  grands  du  monde  font  re- 
garder comme  Tappui  d  une  Comimunauté  , 
lui  portent  un  coup  terrible  ,  en  y  faifanc 
entrer  la  diiïîpation  ôc  l'efprit  des  enfans  du 
ûcck,  V 


1^6  La    Vie 

■  "  5^.Pourncfe  pas  tromper  dans  uncaf^ 
iS.  ^^^^^  •^^^  décifive ,  il  fe  faifoit  rendre  un 
compte  exad  des  bonnes  &  des  mauvaifes 
qualirésde  chaque  pollulance  j  de  la  ma- 
nière dont  elles  avoient  fait  leur  Noviciat , 
&  fur-tout  de  la  pleine  ôc  entière  liberté 
avec  laquelle  elles  s'engageoieiit. 

4^.  Il  s'informoit  encore  fi  la  Poftulantc 
avoit  bien  confulté  Dieu.  Car  ,  après  tout , 
difoit-il  ,  une  affaire  fi  férié  ufe  mérite  êien 
qu'on  aille  au  confeiLCe/^  ici  ,  ou  jamais  y 
qu'il  faut  une  mïire  délibération^ 

5^.  Quand  la  Novice  avoit  bien  pris  fort 
parti ,  &  que  fa  vocation  avoit  toute  la  cer- 
titude qu'un  homme  fagc  peur  raifonnable- 
ment  exiger  ,  il  ne  manquoit  pas  de  la  con- 
firmer dans  fon  deflein.  Après  l'avoir  forti- 
fiée par  des  difcours  ,  à  qui  Tondion  du  S» 
Efprit  donnoit  toujours  un  grand  prix  ,  il  la 
recevoir  à  la  profeHîon  -,  mais  toujours  fous 
ces  deux  conditions  :  l'une  que  fa  dot  ne 
feroir  point  excelRvc  i  Tautre  ,  que  la  Mai- 
fon  ne  pr  endroit  jamais  plus  de  Sujers^qu'elle 
n'en  pourroit  nourrir. 

6**.  Dans  fes  vifires  ,  fon  plus  grand  foirr 
îî'éfoit  pas  de  s'informer  jufqu'à  la  dernière 
obole  de  l'état  du  temporel  \  mais  de  biert 
examiner  fila  clôture  étoit  exaétemcnt  gar- 
dée \  fi  les  parloirs  n'étoient  point  trop  fré- 
quentés i  fi  l'on  s'approchoit  des  Sacremens 
dans  l'ordre  &  félon  la  règle  -,  fi  VOf^ct  di- 
vin fe  faifoit  avec  piété ,  fi  la  règle  du  fi- 
knce  éioit  fidéleracm  obfervéej  fi  Ton  ne 


BE  M.  BouDON.  Liv.î.  137 

manquoitni  lemarin,  nilefoir  à  lOiaifon  •■*■ 
mentale  j  û  chaque  Religieufe  faifoit  tous  l^ç^\^ 
les  ans  les  exercices  fpirituels  ^  iï  par  de 
pernicieux  adouciflemenson  n'altéroit  point 
la  fainte  rigueur  des  Conftitutions  j  û  les 
vœux ,  &  fur-tout  celui  de  pauvreté  ,  fub- 
fiiloient  dans  toute  leur  vigueur.  Car  Tef- 
prit  de  propriété,  quelque  couleur  qu'on 
pût  lui  donner,  étoit  un  monftre  à  fcs  yeux: 
Ôc  c'eft  pour  cela  qu'il  ne  foufFroit  ni  pen- 
fions  hors  de  la  mafle  commune,  ni  dépen- 
fes  fuperflues ,  fur-tout  en  bârimens  fcmp- 
tueux  ,  ni  dettes  contractées  mal-à-propos, 
ni  procès  entrepris  fans  une  vraie  «ScpreJOTan- 
te  néceflité. 

7^.  A  tant  de  précautions ,  ce  digne  Su- 
périeur en  joignoit  une  autre  contre  les  li- 
vres curieux ,  ou  fufpedls  de  nouveauté.  Il 
les  bannifToif  tous  fans  miféricordc.  »  Que 
a»  fervent  à  des  filles  ,  dijoit  -  // ,  des  Traités 
9>  fur  la  grâce ,  fur  la  Préde/lination  ,  Ôc  fur 
i»  femblables  matières  de  la  plaus  haute 
»  Théologie  ?  Quel  fruit  retirent-elles  de  l'é- 
»>  tude  qu'elles  en  font ,  fi  ce  n'ell  une  vaine 
>•  fuffifancc  ,  un  efprit  de  révolte  ,  ôc  fou- 
«  vent  de  très- grandes  peines  d'cfprit  j  pei- 
>»  nés ,  dont  f  ai  vu  les  funeAes  effets  à  la 
»i  mort  de  certaines  perfonnes.  Non  >  ajou- 
»  toit-il  j  je  n'ai  jamais  compté  fur  une  fille 
>»  qui  fait  la  fçavante.  Sa  vainc  curiofitén'eft 
»»  bonne  qu'à  mettre  la  divifion  dans  un  Mo- 
si  nalkre ,  ôc  à  partager  les  cœurs-  en  parra- 
wgçanc  les  çfprics.  Sainte  Théièfe  l'avoic 


138         ^        La    Vie 

"  »  bien  prcvu ,  elle  ,  qui  ,  après  avoit  reçu 

&  fu/v.  "  ""^  Poltulante ,  la  renvoya,  parce  qu'elle 

«  la  vit  attachée  à  une  leéiurc ,  qui ,  quoi- 

»  que  très  bonne  en  foi ,  étoit  trop  élevée 

»  pour  elle.  » 

Telles  furent  les  maximes  que  fui  vit  l'Ar- 
chidiacre dans  le  gouvernement  fpiritucl  de 
£cs  filles.  La  grande  idée  qu'elles  s'étoient 
faite  de  lui,  les  avoit  portées  à  le  deman- 
der pour  Supérieur  i  les  progrès  qu'elles  fi- 
rent fous  fa  conduite,  leur  apprirent  qu'el- 
les ne  s'étoient  point  trompées.  Heureufes 
les  Communautés,  qui  pourroient  toujours 
avoir  de  guides  auiTisûrs:  la  paix  ,  la  grâce, 
la  vérité  y  regneroient  à  jamais. 

Mais  quoique  les  Carmélites ayent  eu  l'a- 
vantage d'avoir  ce  vertueux  Prêtre  pour  Su- 
périeur ,  on  auroit  tort  de  croire  que  fa  cha- 
rité fe  foit  bornée  à  elles  feules.  Depuis  fa 
difgrace ,  dont  nous  parlerons  bientôt,  juf- 
qu'à  la  fin  de  fes  jours  ,  il  eut  pour  règle 
dans  tous  les  lieux  où  la  Providence  le  con- 
duifoit ,  d'aller  de  Mona/lere  en  Monaftc- 
re ,  &  de  Communauté  en  Communauté , 
pour  y  répandre  le  feu  du  divin  amour.  La 
plupart  des  Maifons ,  foit  Religieu fes ,  foie 
Séculières  de  Paris,  ont  eu  pendant  plufieurs 
années  le  bonheur  de  profiter  de  (qs  con- 
feils ,  &  de  £ts  difcours,  ou  publics ,  ou  par- 
ticuliers. Les  Religieufes  de  la  Vifîtation  Ôc 
celles  de  Sainte  Claire  de  l'étroite  obfervan- 
ce  ,  les  RR.  Mères  Carmélites ,  Récolletes , 
Urfulines,  &  Feuillantines  j  \qs  Filles  de  la 


&  fuir. 


ri  M.  BouDOK.  Liv.  I.        13^ 
Croix, de  la  Providence ,  de  l'Union  Chré- 
tienne 3  &  un  grand  nombre  d'aurres  ,  ont   l^^l 
plus  d'une  fois  entendu  les  paroles  de  vie  , 
qui  fortoienr  de  fa  bouche. 

Ce  qu'il  faifoir  dans  la  Capitale  par  rap- 
port à  ces  âmes  d'élite,  qui ,  comme  le  dit 
S.  Cyprien ,  font  la  plus  noble  portion  du 
troupeau  de  Jefus-  Chrift ,  il  avoir  foin  de  le 
faire  dans  les  Provinces ,  lorfqu'il  en  trou- 
voit  i'occafion.  C'eft  ainfi  qu'a  Âietz  il  fit  des 
conférences  fpiriruelles  aux  Rehgieufes  de 
S.  Dominique,  ôc  defainte  Marie-,  à  Nan- 
cy ,  aux  Dames  du  Refuge  ;  à  Munick,  à  di- 
verfes  Communautés  *,  à  Scrafbourg  ,  aux 
Filles  de  la  Vifitation.  Si  dans  cette  dernière 
Ville  l'Archidiacre  édifia  beaucoup  toute  la 
Communauté ,  que  la  Supérieure  ,  qui  étoic 
une  Princefle  de  la  maifon  de  Bade ,  lui 
préfenta  en  corps  ,  il  en  fut  à  fon  tour 
beaucoup  édifié  i  &  dans  une  lettre  qu'il 
écrivit  à  ce  fujct ,  il  félicite  êc  la  Merc  ôc 
les  Filles  du  tendre  amour  qu'elles  avoicnt 
pour*  J.  C.  Se  du  parfait  mépris  qu'elles 
faifoicnt  du  monde  ôc  de  tout  ce  qui  lui 
appartient. 


L  A    V  I  E 

DE    M.    HENRI-MARIE 

BOUDON, 

GRAND  ARCHIDIACRE  DÉVREUX, 


LIVRE    SECOND. 

On  SIEUR  de  Mâupas  voyok 
ivec  unfcnfibleplaifir  les  grands 
jiens  que  fon  Archidiacre  fai- 
ibit  dans  tout  le  Diocèfe  d'E- 
vreux  ,  lorfque  le  Clergé  de  France ,  qui 
vouloir  obtenir  la  Canonifation  du  Bienheu- 
reux François  de  Sales ,  le  députa  à  Rome 
avec  TEvêque  de  SoifTons ,  pour  y  travailler. 
Avant  fon  départ,  il  crut  ne  pouvoir  rien 
faire  de  mieux  pour  k  falut  de  fon  trou- 
peau, que  de  donner  à  M.Boudon  une  auto- 
rité fans  bornes  pour  le  gouverner-,  &  il  dé- 
clara de  la  manière  la  plus  authentique,qu'il 
cntendoit  qu'on  eût  pour  fon  Archidiacre  , 
&  pour  les  Ordonnances  qu'il  jugeroit  à 


La  Vie  de  M.  Boudon.  Liy.  II.  141 
propos  de  faire  ,  le  même  rcrpect ,  la  mcme 
foLimiflion  ,  qu'on  auroic  pour  fa  propre 
perfonne  j  en  tout  &  par-tout ,  quelque  lon- 
gue que  put  êtrefon  abfence. 

Une  diftindion  fi  marquée ,  &  qui  peut- 
être  rétoit  trop ,  mit  de  mauvaife  humeur 
certaines  gens ,  qui  croyoient  la  mériter  da- 
vantage. Ce  fut- là  un  premier  grief  contre 
l'Archidiacre.  Il  s'y  en  joignit  bientôt  d'au- 
tres. Boudon ,  chez  qui  l'intérêt  de  Dieu 
l'emportoit  fur  tout  autre  intérêt,  frondoit 
avec  une  liberté  Apoilolique  des  perfonnes , 
qui  nées  pour  édifier ,  menoient  une  vie 
fcandaleufe.  Gens  de  ce  caradcre  ne  font 
grâce  à  perfonne ,  ^  ils  réfolurent  de  pouf- 
fer à  bout  un  homme ,  dont  la  feule  vue 
ctoit  une  cenfure  de  leurs  défordres.  Enfin 
fa  fermeté  à  n'accorder  des  Bénéfices  qu'à 
ceux  en  qui  l'on  trouvoit  les  qualités  nécef- 
fairespour  les  bien  remplir,  mit  le  fceau  à 
fes  prétendues  iniquités.  Il  en  refufa  un  à  un 
homme  ,  qui  comptant  fur  fon  nom  &  fur 
le  crédit  de  fes  amis  ,  n'avoit  pas  douté  un 
moment  qu'il  ne  dût  l'obtenir.  Il  en  refufa 
un  autre  à  un  Eccléfiaiiique  ,  qui  gâtoit  de 
beaux  taîens  par  un  attachement  invincible 
aux  nouvelles  opinions  ,  dont  nous  avons 
parlé.  Il  alla  plus  loin  encore  j  car  il  le  fît 
chailer  de  tout  le  Diocèfe ,  où  depuis  il  n'o- 
fa  jamais  rentrer. 

A  ces  nouvelles ,  le  parti  déjà  trop  fort 
jetta  les  hauts  cris ,  &:  les  mécontens  de  tou- 
te efpéce  s'y  réunirent.  Cent  voix  crièrent 


14^  La    V  I  I 

-  de  concert  qu'il  falloir  crucifier  ce  perturba- 

i'fufr  ^^^^  ^^  repos  publicLes  circonftancesparoif- 
foient  favorables:  TEvcque  d'Evreux  étoit  en 
Italie  i  &:il  n'eft  pas  difficile  de  fiirprendre  un 
Prélat ,  qui  ne  pouvant  fçavoir  que  ce  qu'on 
lui  écrit ,  apprend  chaque  femaine  par  une 
nuée  de  lettres  habilement  concertées ,  que , 
s'il  n'a  pitié  de  fon  Diocèfe ,  un  brouillon 
va  le  mettre  tout  en   feu. 

Quelque  fecret  que  fût  ce  manège  ,  Bou- 
don  en  fut  informé.  Il  apprit  en  même-tems 
d'une  perfonne  de  confiance  ,  que  fes  enne- 
mis vouloient  le  perdre  à  quelque  prix  que 
ce  fût  ;  qu'ils  ne  penfoient  à  rien  moins  qu'à 
Texpulfer  du  Diocèfe  i  que  dans  cette  vue 
ils  faifoient  faire  une  exadte  perquifition  de 
la  manière  dont  il  avoit  vécu  depuis  fon  en- 
fance dans  tous  les  lieux  où  il  avoit  demeuré. 
Comme  cette  lettre  marquoit  beaucoup 
d'inquiétude  dans  celui  qui  l'avoit  écrite  , 
Boudon  ,  par  fa  réponfe  qui  fuivit  de  près  , 
le  pria  en  peu  de  mots  d'être  tranquille  fur 
fon  compte,  parce  qu'il  avoit  mis  fa  con- 
fiance en  Dieu ,  oc  qu'après  tout  les  hom- 
mes ne  font  que  les  exécuteurs  de  fes  volon- 
tés. >»  Pour  ce  qui  e/l  des  recherches  que 
»  vous  me  mandez  qu'on  fait  de  moi ,  ajon- 
«  ta-t-il  5  fi  vous  voulez  fcavoir  le  fonds  de 
»>  ma  vie,  je  vous  dirai  fans  détour  qu'elle 
M  eft  plus  remplie  d'ingratitude  que  celle  des 
»>  démons  -,  6c  que  ce  qui  m'appartient  avec 
«'  jufticc ,  c'eft  l'enfer.  Je  ne  fçais  perfonne 
»'  fur  k  terre ,  qui  foie  indigne  des  grâces  de 


DE  M.  BouDON.  Lir.  IL         145 
a  Dieu  comme  je  le  fuis  ;  au  refte  il  n'y  a  ■* 

»  point  de  grâce  pareille  à  celle  d'être  cruci-  ^'^f^^^ 
M  fié  avec  J.  C.  De  quelque  part  que  la 
»>  croix  nous  arrive',  de  en  quelque  manière 
"  qu'on  la  puiile  fouffrir ,  on  ne  peut  jamais 
»»  aflez  bénir  la  divine  Providence  d'une  fa- 
»>  veurfi  particulière.  Bienheureux  celui  qui 
9*  peut  dire  ,  qu'il  eil  comme  la  balayeure 
»'  ôc  l'ordure  du  monde,  v 

Voilà  ce  que  penfoit  de  lui-même  ce  pré- 
tendu ambitieux  ,  dont  on  faifoit  à  fon  Êvê- 
que  un  û  terrible  portrait.  Cependant  com- 
me la  charité  n'exige  pas  qu'on  facrifie  ab- 
foliiment  la  réputation  à  l'impoflure  ,  & 
qu  il  efl  de  la  fageffe  de  prévenir  le  fcanda- 
le  :  Boudon  crut  devoir  inftruire  M.  de 
Maupas  de  l'état  des  chofes.  Il  le  fit  avec 
cet  air  de  candeur  qui  fied  bien  à  Tinno- 
cence  ,  &  avec  cet  efprit  de  défintéreflemcnt 
qui  n£  labandonna  jamais.  Après  lui  avoir 
rendu  un  compte  exact  de  la  conduite  qu'il 
avoit  tenue  ,  &  des  motifs  qui  l'y  avoient 
engagé  j  il  le  prie  de  lui  donner  fcs  ordres, 
foit  pour  continuer  à  fervir  fon  Diocèfe  , 
foit  pour  renoncera  fon  emploi  de  premier 
grand  Vicaire.  Quoiqu'il  laifie  l'un  ik  l'au- 
tre parti  au  jugement  du  Prélat ,  il  lui  fait 
cependant  entrevoir  qu'il  fc  forme  contre 
lui  un  orage  ,  dont  il  fera  tôt  ou  tard  la  vi- 
^ime  ,  fi  fa  charge  lui  efl  continuée. 

Cette  lettre  fit  l'effet  qu'elle  devoit  natu- 
rellement faire  fur  un  efprit  judicieux.  M, 
de  Maupas  redoubla  d'eflirae  pom  unhom- 


144  ^  ^     V  I  ï     ^ 

■■  me  qui  ne  chcrchoic  que  Ja  gloire  de  Dieu 

&£\nv,  ^  ^^  ^^^^^  ^^  ^^^  peuple.  Bien  loin  de  lui 
donner  fa  démiflion  ,  il  approuva  tout  ce 
qu'il  avoir  fait  j  de  juftemenr  perfuadé  que 
fon  Diocèfe  ne  fouffriroir  point  de  fon  ab- 
fence  ,  tant  qu'il  feroic  conduit  par  un  grand 
Vicaire,  qui  joignoit  la  prudence  à  la  fer- 
meté ,  il  lui  continua  fes  pouvoirs ,  en  1  af- 
fûtant qu'il  l'appuyeroit  en  tout^  occafion. 
Sur  ces  nouveaux  ordres ,  le  grand  Ar- 
chiacre  ne  penfa  qu'à  remplir  dignement  les 
fondions  de  fon  miniftere.  11  fuivit  fa  pre- 
mière route ,  fans  jamais  s'en  écarter  d'un 
pas.  Il  veilla ,  comme  auparavant ,  fur  les 
mœurs  des  Eccléfîaftiques  ;  Ôc  s'il  donna  de 
.  juftes  louanges  à  ceux  qui  en  raéritoient  , 
il  réprit  avec  une  fainte  liberté  ceux  qui  des- 
honoroient  la  Maifon  de  Dieu.  Son  zélé  ne 
iît  qu'aigrir  des  gens  endurcis  dans  le  mal. 
On  drefla  de  nouvelles  batteries  contre  lui  ; 
ôc  l'on  fit  jouer  tant  de  refforts ,  qu'on  eut 
enfin  le  malheureux  plaifir  de  le  voir  fuc- 
comber  fous  le  poids  de  la  calomnie  ,  de  le 
perdre  de  réputation  dans  l'efprit  d'un  des 
plus  vertueux  Evêques  de  fon  tems ,  de  le 
rendre  le  fcandale  des  gens  de  bien ,  la  fable 
&  l'opprobre  des  libertins.  C'eft  ce  trifie,& 
fune/le  événement ,  qui  n'a  prefque  pas  fon 
pareil  dans  l'hifioire  de  l'Eglife ,  que  nous 
allons  développer. 

Boudon  n'étoit  occupé  que  des  obliga- 
tions que  fon  état  &  fon  zélé  lui  impofoient, 
lorfqu'au  forcir  xi  une  Mifliofî,  Dieu  lui  fit 

voir. 


DF  M.  BouDON.  Liv.  II.  145 
Toir,  à  peu  près  comme  à  S.  Paul,  ce  qu'il  — 
auroit  à  fouffrir  pour  fon  nom.  Le  jour  me-  sci\l'v, 
me  de  faint  Taurin,  premier  Evêquc  d'E- 
vrcux ,  il  apperçuc  en  Tair  une  Croix  d'une 
longueur  extraordinaire.  Il  avoue  lui  même 
dans  une  lettre  écrite  à  Madame  de  Rouves, 
femme  d'une  éminente  vertu ,  que  fon 
cœur  en  fut  effrayé.  Cependant  il  fe  fournit 
au  moment  même  à  tout  ce  que  la  Provi- 
dence jugeroità  propos  d'ordonner. 

Les  defleins  de  cette  Providence  ,  deiTcins  , 
toujours  juftes  ,  &  quelquefois  bien  terri-  &  i^r, 
blés ,  fe  manifefterent  peu  à  peu.  L'Archi- 
diacre préchant  au  Neubourg  avec  tout  le 
zélé  poinble  ,  fut  faifi  au  milieu  de  fon  dif- 
cours  d*une  douleur  fi  violente ,  qu'il  fut  fur 
le  champ  obligé  de  defcendre  de  Chaire. 
Une  femme  de  condition  ,  &  d'une  probité 
reconnue,  qui  écoit  préfente  ,  crut  ne  de- 
voir rien  épargner  pour  fauver  la  vie  à  fon 
père  fpirituel  :  elle  le  fit  tranfporter  à  fon 
château  de  Fourneaux  ,  qui  n'étoit  pas  éloi- 
gné, &  dont  elle  portoit  le  nom.  On  eut  de 
lui  tous  les  foins  que  la  charité  &  la  recon- 
rioiflance  peuvent  infpirer.  Mais  le  mal  Ce 
déclara  fi  vivement  dès  le  troifiéme  jour, 
que  les  Médecins  jugèrent  qu'il  n'y  avoic 
plus  d'cfpérance  ,  de  qu'il  failoit  fans  délai 
lui  donner  les  derniers  Sacremens.  Cette 
nouvelle  qui  en  effraye  tant  d'autres  ,  n'al- 
téra point  fa  tranquillité.  Il  fit  une  Confef- 
fion  générale  au  Vicaire  de  la  ParoifTe  ,  qui 
depuis  a  alTuié  que  les  chofes  dont  il  s'accii- 

G 


144  ^  ^     Vie     ^ 

"  me  qui  ne  chcrchoit  que  Ja  gloire  de  Dieu 

iruîv.  ^  ^^  ^^^"^  ^^  ^"^^  peuple.  Bien  loin  de  lui 
donner  fa  démiflion  ,  il  approuva  tout  ce 
qu'il  avoir  fait  ;  ôc  juilement  perfuadé  que 
fon  Diocèfe  ne  foutiriroir  point  de  fon  ab- 
fence  ,  tant  qu'il  feroit  coiiduit  par  un  grand 
Vicaire ,  qui  joignoit  la  prudence  à  la  fer- 
roeté  ,  il  lui  continua  Ces  pouvoirs ,  en  1  af- 
furant  qu'il  Tappuyeroit  en  tout^  occafion. 
Sur  ces  nouveaux  ordres ,  le  grand  Ar- 
chiacre  ne  penfa  qu'à  remplir  dignement  les 
fondions  de  fon  miniftere.  11  fuivic  fa  pre- 
mière route ,  fans  jamais  s'en  écarter  d'un 
pas.  Il  veilla ,  comme  auparavant ,  fur  les 
mœurs  des  Eccléfîaftiques  :  &  s'il  donna  de 
.  juilcs  louanges  à  ceux  qui  en  raéritoient  , 
il  réprit  avec  une  fainte  liberté  ceux  qui  des- 
honoroientlaMaifon  de  Dieu.  Son  zélé  ne 
iît  qu'aigrir  des  gens  endurcis  dans  le  mal. 
On  dreffa  de  nouvelles  batteries  contre  lui  ; 
ôc  l'on  fit  jouer  tant  de  refforts ,  qu'on  eut 
enfin  le  malheureux  plaifir  de  le  voir  fuc- 
comber  fous  le  poids  de  la  calomnie  ,  de  le 
perdre  de  réputation  dans  l'efprit  d'un  des 
plus  vertueux  Evêques  de  fon  tems ,  de  le 
rendre  le  fcandale  des  gens  de  bien ,  la  fable 
&  l'opprobre  des  libertins.  C'ell  ce  rrifie,& 
fune/le  événement ,  qui  n'a  prefque  pas  fon 
pareil  dans  l'hiiloire  de  l'Eglife ,  que  nous 
allons  développer. 

Boudon  n'étoit  occupé  que  des  obliga- 
tions que  fon  état  &  fon  zélé  lui  impofoient, 
lorfqu'aufortirxiuneMiflion,  Dieu  lui  fit 

voir. 


DF  M.  BouDON.  Liv.  II.       145 
Toir,  à  peu  piès  comme  à  S.  Paul,  ce  qu'il  * 

auroit  à  fouffrir  pour  fon  nom.  Le  jour  mé-  sci\lv, 
me  de  faint  Taurin ,  premier  Evequc  d'E- 
vrcux ,  il  apperçut  en  Tair  une  Croix  d'une 
longueur  extraordinaire.  Il  avoue  lui  même 
dans  une  lettre  écrite  à  Madame  de  Rouves, 
femme  d'une  éminente  vertu ,  que  fon 
cœur  en  fur  effrayé.  Cependant  il  fe  fournit 
au  moment  même  à  tout  ce  que  la  Provi- 
dence jugeroit  à  propos  d'ordonner. 

Les  defleins  de  cette  Providence  ,  deficins  ^^  ~' 
toujours  juftes  ,  Ôc  quelquefois  bien  terri-  &  fujv', 
blés ,  fe  manifellerent  peu  à  peu.  L'Archi- 
diacre prêchant  au  Neubourg  avec  tout  le 
zélé  poiTible  ,  fut  faîfi  au  milieu  de  fon  dif- 
cours  d*une  douleur  û  violente ,  qu'il  fut  fur 
le  champ  obligé  de  defcendre  de  Chaire. 
Une  femme  de  condition  ,  &  d'une  probité 
reconnue,  qui  étoit  préfente  ,  crut  ne  de- 
voir rien  épargner  pour  fauver  la  vie  à  fon 
pere  fpirituel  :  elle  le  fit  tranfporter  à  fon 
château  de  Fourneaux ,  qui  n'étoit  pas  éloi- 
gné, Se  dont  elle  portoit  le  nom.  On  eut  de 
lui  tous  les  foins  que  la  charité  &  la  recon- 
noiflance  peuvent  infpirer.  Mais  le  mal  -fc 
déclara  fi  vivement  dès  le  troifiéme  jour, 
que  les  Médecins  jugèrent  qu'il  n'y  avoit 
plus  d'efpérance  ,  de  qu'il  falloit  fans  délai 
lui  donner  les  derniers  Sacremens.  Cette 
nouvelle  qui  en  effraye  tant  d'autres  ,  n'al- 
téra point  fa  tranquillité.  Il  fit  une  Confef- 
fion  générale  au  Vicaire  de  la  Paroiffe  ,  qui 
depuis  a  affuré  que  les  chofes  dont  il  s'accu- 

G 


i4<^  L  A  Vi  E 

fa  ,  éroîent  moins  des  fautes  que  des  vertus , 
àù  qu'il  ne  fçavoic  pas  trop  comment  lui 
pouvoir  donner  l'abfolution  ^.  Cepeixlanc 
cette  ConfeiTi on  fe  fit  avec  autant  de  dou- 
leur ,  que  s'il  eût  commis  les  plus  grands 
crimes.  Sur  le  foir  il  reçut  le  faint  Viatique 
avec  une  piété  qui  édifia  toute  Taflemblée, 

Comme  il  comptoit  toucher  à  fa  der- 
nière heure  ,  il  réfigna  fon  Archidiaconé 
au  plus  vertueux  Eccléfiaftique  '^'^  ,  qu'il 
connût  dans  le  Diocèfe ,  afin  de  ne  plus 
penferqu'à  bien  mourir. 

Si  le  bruit  de  fa  maladie  fit  plaifir  à  ceux 
qui  ne  Taimoient  pas  ,  il  affligea  fenfible- 
ment  les  gens  de  bien  ,  qui  voyoient  en  lui 
une  des  plus  belles  lumières  de  l'Eglife  prête 
à  s'éteindre,  Meflieurs  de  la  Cathérale  dé- 
putèrent quelques-uns  de  leurs  Chanoines , 
pour  lui  porter  la  précieufe  Relique  de  S, 
GaudjUn  de  leurs  premiers  Evêques.L'Archi- 
diacre  mourant  la  reçut  &  l'honora  avec  un 
profond  rcfpeâ:',&  plein  de  confiance  en  fon 
inrercefiion  ,  il  fit  vœu  d'aller  à  fon  tom- 
beau dans  le  Diocèfe  de  Coutances ,  fi  Dieu 
lui  rendoit  la  fanté.  Cependant,  pour  ne  fe 
priver  d'aucun  des  fecours  que  l'Eglife  ac- 
corde aux  Fidèles  dans  les  derniers  momens, 
il  demanda  l'Extrême  Onétion.  Four  la  re- 

*  Quoique  ces  fortes  de  déclarations  ne  foient  pas  fan$ 
exemple  ,il  y  a  des  gens  de  mérite  qui  ne  les  approuvent 
point  :  &  il  me  femble  qu'il  vaut  mieux  s'en  abftenir. 

*•  M.  du  Vaucel.  Il  étoit  aulH  grand  Vicaire  de  M,  d$ 
Mâupas.  Cettje  Réfignation  fe  ût  lç8  Février  i66^. 


DE  M.  BouDON.  Liy.  IL  ^jj 
c<îvoir  avec  k  plus  profond  fenrimcnt  de 
pénitence,  il  fie  étendre  de  la  cendre  fur  le 
plancher  de  fon  appartement ,  &  pria  qu'on 
le  mît  defllis. 

Ce  fut  alors  que  voulant  faire  connoîtrc 
qu'il  mouroit  parfaitement  foumis  à  TEglife, 
il  fupplia  le  Miniftrc  de  ce  dernier  Sacre- 
ment de  l'interroger  fur  les  principaux  My- 
fteres  de  la  Foi ,  comme  on  fait  les  enfans  , 
de  manière  qu'il  put  répondre  par  oui  &  par 
non ,  attendu  que  fon  mal  le  preflbit  trop 
pour  qu'il  lui  fût  polTible  d'en  dire  davan* 
tage. 

Ce  dernier  ac^c d'humilité ,  joint  à  la  con- 
fiance  que  Boudon  avoir  aux  mérites  de  S 
Gaud  ,  plut  Cl  fort  à  Dieu ,  que  ce  vertueux 
malade  fe  trouvant  à  Tinilant  même  failî 
d'un  nîouvement  extraordinaire  de  grâce 
parla  plus  d'une  heure  aux  afTiflans^de  h 
grandeur  &  de  l'importance  du  falut.  Il  le 
fit  avec  tant  de  feu  ,  tant  d'onclion  ,  qu'on 
avoua  unanimement  qu'il  s'étoit  autant  fur- 
paiîe  lui-m.ême  dans  ce  dernier  difcours 
qu'il  avoir  coutume  de  furpaflcr  ks  autres 
dans  fes  difcours  ordinaires.  Cependant  le 
Mcdecm  qui  craignit  que  ce  violent  effort 
ne  lui  otat  le  peu  de  vie  qui  lui  re/ioit 
i  ayant  prié  decefTer^il  obéit  fans  délai.  Mais 
il  Y  avoit  beaucoup  moins  à  appréhender 
qu'on  ne  l'avoir  cru.  Un  Médecin  ,  qui  fcaic 
des  routes  inconnues  à  tous  ceux  de  la  terre 
s'en  etoit  melé^  &  quand  celui  qui  aiF./loic 
fioudon,  voulue  par  le  mouvement  de  fon 

Gij 


14S  La  Vie 

pouls  juger  de  fa  fîcuadon  ,  il  fut  étrange- 
ment furpris  de  le  trouver  fans  fièvre.  Dés- 
lors  on  le  crut  hors  de  danger.  Mais  fa  ma- 
ladie, Se  les  travaux  immenfes  dont  elle 
ctoit  la  fuite ,  Tavoient  fi  fort  épuifé ,  qu'on 
lui  ordonna  de  prendre  les  eaux,  Ainfi  il 
féjourna  depuis  la  Purification  jufqu'à  Pâ- 
ques dans  la  maifpn  où  on  l'avoit  d'abord 
tranfporté. 

Comme ,  après  s  être  démis  de  fon  Ar* 
çhidiaconé  ,  il  reftoit  fans  titre  ,  il  pria  TEt 
vêque  de  Laon  ,  dans  le  Diocèfe  duquel  il 
ctoit  né  ,  de  vouloir  bien  l'en  difpenfer ,  ôc, 
de  lui  permettre  de  vivre  déformais  fans 
bénéfice ,  comme  un  pauvre  Prêtre ,  qui 
n'a  pour  tout  revenu  que  les  foins  amoureux 
de  la  Providence,  Cet  efprit  de  dénuement 
édifia  (i  fort  le  Prélat  ,  qu'en  accordant  cet- 
te difpenfe  ,  il  félicita  fon  Diocèfe  d'avoir 
donné  à  TEglife  un  Prêtrç fi  plein  de  mérite^ 
^ fi  détaché  des  biens  de  la  terre. 

Mais  Dieu  fe  contenta  de  la  bonne  vo-? 
lonté  de  fon  ferviteur.  La  réfignarion  qu'il 
fivoit  faite  de  fa  dignité  fe  trouva  caduque, 
parce  que  la  régale  n'étant  pas  clofc  àEvrcux, 
il  n'apparteuoit  qu'au  Roi  d'en  difpofer.Uii 
ami  de  Boudon  pria  le  P.  ConfefTeur  d'agir 
auprès  de  fa  Majeflé  en  faveur  d'un  homme 
qui  fervoit  fi  utilement  l'Eglife  depuis  plu- 
Heurs  années.  La  chofe  fut  bientôt  conclue  ; 
&  le  faint  Prêtre  ,  qui  ne  s'attendoit  à  rien 
moinSjfut  nommé  une  féconde  fois  au  grand 
^rchidjaconé  d'Evicux.Il  avoit  déj^  acquitté 


fcE  M.  BouDOK.  Liv.  IL      î^9 
le  vœu  qui  Tcngageoit  à  vifîter  le  tombeau        *" 
de  S.  Gaud.  ^        ^  ^    i,]^;^ 

Ce  grand  Eveque ,  après  avoir  gouverne, 
ou  plutôt  créé  en  quelque  forte  FEglife 
d'Evreux  ,  où  la  perfécution  avoir  prefque 
entièrement  éteint  la  foi ,  fe  retira  au  Dio- 
cèfe  de  Coutance  ,  dans  une  affreufc  foli- 
rude  fur  le  bord  de  la  mer.  Ce  fut  là  qu'a- 
près avoir  long-temps  édifié  S.  Pair  "^  ôc  les 
pieux  folitaires  qui  vivoient  fous  fa  con- 
duite  ,  il  termina  fa  courfe  ,  &  fut  enterré 
dans  fon  Oratoire. 

Son  corps ,  que  Dieu  avoit  comme  laififé 
dans  l'oubli ,  pour  le  fouflraire  à  la  fureur 
impie  des  Normands  ,  fut  découvert  en 
1 1 3 1 .  fous  le  Pontificat  de  Richard  de  Bruc- 
re ,  trente  -  huitième  Evêque  de  Coutance, 
Les  miracles  qui  s'y  firent  dans  la  fuite  des 
rems ,  Ôc  fur-tout  vers  le  milieu  du  XVIL 
fiécle ,  déterminèrent  Euftache  le  Clerc  de 
Lefleville  à  en  faire  la  Tranflation.  11  la  fit 
en  effet  en  1664.  fuivi  des  députés  de  fou 
Chapitre  ,&  de  ceux  du  Chapitre  d'Evreux, 
de  Ces  Archidiacres,  des  Religieux  du  Mont 
S.  Michel  ,  d'un  grand  nombre  d'autres 
Communautés,  &  de  plus  de  vingt  mille 
perfonnes  de  toutes  fortes  d'états ,  que  la 
nouveauté  de  ce  grand  fpectacle  avoit  atti- 

*  Si  s.  Gaud  eft  mort  à  ScifTy  en  491 .  comme  le  dit  M. 
Roault  dans  fon  Catalogue  des  Evêques  d'Evreux ,  ou 
même  dans  les  premières  années  du  fixiéme  fiécle  ,  com- 
me le  dit  le  même  Auteur,  pag  184.  de  fon  Abrégé  de 
la  vie  des  Evêques  de  Coutance  ^  il  ne  doit  avoir  vu  que 
très-peu  de  teinsS.Pair,que cerEcrivain  fait  mourir  €0565, 

G  iij 


i;o  La    Vu 

"^^^  récs  derous  les  lieux  circonvoifins.  Les  ot~ 
i.  fuiT.  démens  du  faint  Pontife  fe  trouvèrent ,  après 
plus  de  douze  fîécles  ,  aufli  vermeils  que  le 
feroienr  ceux  d'un  corps  qu'on  viendroit  de 
réparer  de  ks  chairs.  Ils  exhaloient  une 
odeur  fi  douce ,  qu'une  perfonne  de  qua- 
lité ,  mais  Calvinifte ,  la  regarda  comme  ab- 
folument  miraculeufe. 

Ce  fut  dans  ce  refpeâ:ableSancl:uaire,quc 
Boudon  fe  transporta  pour  y  rendre  grâces 
à  fon  Libérateur.  Il  y  célébra  les  divins  My- 
iîeres  j  ôc  quoique  pauvre,  il  réfolutde  don- 
ner ,  comme  il  fit  enfuitc ,  à  la  Cathédrale 
d'Evreuxun  Reliquaire  d'argent ,  pour  ren- 
fermer la  précieufe  parcelle  du  corps  de  fon 
deuxième  Evêque ,  qu'elle  avoir  demandée 
&  obtenue  dans  la  dernière  translation  ,  & 
qu'on  lui  avoit  appliquée  dans  le  tems  qu'il 
ctoit  aux  portes  de  la  mort. 

Comme  Thermitage  de  S.  Gaud  n'eft  pas 
éloigné  du  Mont  S.  Michel ,  lieu  f\  célèbre 
par  le  concours  des  Pèlerins ,  qui  s'y  ren- 
dent de  toutes  parts  pour  honorer  ce  Prince 
de  la  Milice  célcfle  i  Boudon ,  qui  eut  tou- 
jours un  profond  refpeét  pour  les  SS.  An- 
ges ,  crut  devoir  vifiter  un  Temple  qui  eft 
dédié  au  Seigneur ,  fous  l'invocation  de  Ces 
premiers  Minières.  Il  y  fut  tout  inondé  de 
confolations  :  &  perfuâdé  par  de  nouvelles 
lumières  du  Ciclque  l'heure  du  grand  com- 
bat s'avançoitjil  s'y  difpofa  avec  une  parfaite 
foumiflion  &  un  courage  à  toute  épreuve. 
Il  en  avoit  befoin  j  &  peut-çcre  n'a-t-on 


DE  M.  BouDON.  Liv.  IL        tp 
jamais  mieux  vu  qu'en  fa  perfonne  ce  que      '    '" 
peut  l'enfer  contre  un  homme  de  bien  qu'il  ^fy/y, 
veut  perdre ,  &  dont  le  corps   n  eil  pas , 
comme  celui  de  Job ,  laiiTé  à  fa  difpofirion. 

Le  premier  nuage  vint ,  comme  il  arrive 
affez  fou  vent,  du  côté  dont  on  l'attendoitle 
moins.  Le  féjour  que  l'Archidiacre  avoit  fait 
chez  Madame  de  Fourneaux ,  fut  la  fourcc 
innocente  du  mal.  Quelques  -  unes  de  ces 
perfonnes  ,  à  qui  le  monde  ne  donne  gueres^ 
le  nom  de  dévotes,  que  pour  décrier  la  vraie 
dévotion ,  foit  de  leur  propre  mouvement, 
foit  par  une  impreflion  érrangerc  ,  trou- 
vèrent mauvais  que  le  faim  Frêrre  eût  ab- 
folument  donné  la  préférence  à  la  maifon 
de  cette  illuflrc  veuve.  Bientôt  après  on  ré- 
pandit le  bruit,  qu  elle  fe  ruinoit  en  dépern 
fes  excefllves ,  pour  fournir  ,  difoit-on,  à 
ce  malade  imaginaire  ,  à  ce  dévot  apparent, 
les  mets  les  plus  exquis.  Infenfiblement  on 
ajouta  que  dans  le  cours  de  cette  maladie  il 
s'étoit  paffé  bien  des  chofes ,  qui  ne  pou- 
voient  donner  qu'une  idée  afTez  équivoque 
de  la  Pénitente  &  du  Dircdeur.  Ces  bruits 
groflircnt  peu-à  peu,  comme  il  eft  d'ufage  j 
&  ce  que  la  calomnie  même  n'avoir  d'a- 
bord débité  qu'en  tremblant ,  devint  bien- 
tôt une  vérité  inconteftable. 

Mais  ce  fut  bien  pis ,  quand  les  Partifans 
de  la  nouvelle  Doéirine  dont  j'ai  déjà  parle, 
fe  mirent  de  la  Partie.  Il  y  avoit  long-tems 
qu'ils  haiflbicnt  l'Archidiacre;  mais  quand 
ils  eurent  appiis  que  depuis  fa  convalcf- 

Giv 


iji  La  Vie 

■'  cence  il  avoît  informé  M.  de  Manpas  des  af- 

^^^Jy^  fcmblécs  fecrertes  qu'ils  faifoicnt  dans  fon 
Diocèfe  ,  ôc  reçu  de  lui  des  ordres  précis 
de  s'y  oppcferde  toutes  fes  forces ,  leur  hai- 
ne fe  changea  en  fureur  ,  &  ils  réfolurcnt 
de  le  faire  chafler  du  Diocèfe.  Dès-lors  on 
ramafTa  tout  ce  qui  jufqu'alors  s'ctoit  dit , 
ôc  fait  contre  lui.  On  empoifonna  de  la  plus 
horrible  manière  fes  démarches  &  ù  con- 
duite. On  compofa  contre  lui  àcs  libelles  û 
diffamatoires ,  qu'un  libertin  les  eût  défa- 
voués,  pour  peu  qu'en  perdant  Thonneur, 
il  n'eût  pas  encore  perdu  tout  fentiment 
d'humanité.  A  l'exception  du  larcin  ,  dz 
c'eft  lui-même  qui  le  difoit  deux  ans  avant 
fa  mort ,  il  n'y  eut  point  de  crime  dont  on 
jie  l'accufar. 

Comme  malgré  ces  premières  émotions 
l'Archidiacre  ,  qui  étoit  naturellement  fer- 
me, fur-tout  quand  il  s'agiffoit  de  la  gloire 
de  Dieu,  marchoit  toujours  fur  la  même 
ligne ,  6c  continuoit  à  dérouter  les  enne- 
mis de  TEglife ,  ils  dreffcrent  un  Libelle, 
qui  contenoit  plufieurs  chefs  d'accufation 
contre  lui ,  bien  réfolus  de  le  préfenter  à 
M.  de  Maupas ,  qui  ayant  heureufement 
terminé  l'affaire  de  la  canonifation  de  S. 
François  de  Sales  "♦' ,  étoit  de  jour  en  jour  at- 
tendu dans  fon  Diocèfe. 

*  s.  François  de  Sales  fut  canonîfié  le  19  Avril  j66<;, 
fclon  d^Avrigni  :  la  Chronologie  du  nouveau  Bréviaire  de 
i'arisdit  i666.c^eft  uncfaute.  M.  de  Maupas  étoit  de  re- 
tour à  Evrcux  le  14  Juillet  1665.  comme  il  p^oit  pa*  lç$ 
lî^natuies  du  Sécréuîiac» 


DE    M.  BOUDON.  LiV.   II.  IJ5 

II  y  arriva  enfin ,  quoique  plus  rard  qu'il 
n'avoi:  cru ,  parce  que  de  longues  &  impor- 
tantes affaires lavoient  arrêcé  a  Rome.  Sans 
prefque  lui  donner  le  tems  de  refpirer ,  on  le 
mir  fur  le  chapitre  de  Ion  grand  Vicaire.Des 
perfonnes  qui  portoient  un  nom  ,  Ôc  qui 
avoieni:  de  Taucoricé ,  lui  préfenterent  tous 
les  Libelles  qui  s'éroient  faits  contre  lui.  Il 
les  lut,  de  en  fut  auffi  frapé  que  les  Concy- 
royens  de  la  charte  Sufanne ,  quand  ils  la  vi- 
rent accufée  d'adultère  par  deux  Vieillards 
à  qui  l'on  ne  pouvoir  rien  reprocher.  Son 
chagrin  ôc  Ces  inquiétudes  redoublèrent  , 
quand  il  vit  tour  le  peuple  d'Evreux  ,  que 
tant  de  mauvaifes  hilloires  avoicnt  féduit , 
entièrement  foulevé  contre  l'Archidiacre. 
Chaque  jour  on  vcnoit  lui  en  raconter  de 
nouvelles  ;  Se  on  le  mettoit  comme  par  de- 
grés dans  cet  état  violent,  où  l'on  ne  peut 
abfoudreun  feul  homme ,  fans  en  condam* 
ner  un  très-grand  nombre  d  autres. 

Cependant,  pour  découvrir  au  jufle  ce 
qui  s'étoit  pafle  à  l'occafion  de  la  dernière 
maladie  ,  dont  Boudon  avoir  été  atteint  au 
Neubourg,  le  Prélat  pria  Madame  leFevre 
de  fe  rendre  chez  lui.  Elle  étoit  fous  la  con- 
duite de  l'Archidiacre.  La  calomnie  Tavoit 
refpectée  ,  &  M.  d'Evreux  honoroit  profon- 
dément fa  vertu*  Il  lui  lut  le  fanglant  Li- 
belle qui  avoit  été  fait  contre  fon  Directeur: 
ôc  bien  peifuadé  qu"elle  ne  le  juflifieroit 
pas  aux  dépens  de  fa  confcience ,  il  la  pria  de 
lui  dire  la  véricc. 

Gt 


IJ4  La   Vie 

Elle  prote/la  d'abord  en  général  que  eec 
injurieux  F^^7^;w  n'étoit  qu'un  tilTu  de  ca- 
lomnies i  puis  reprenant  en  détail  les  prin^ 
cipaux  chefs  d'accufation  qui  y  croient  con- 
tenus,elle  foutint  queBoudon  n'avoitfaitchez 
fa  pieufe  hôtefle  un  fi  long  féjour ,  que  parce 
que  les  Médecins  l'avoient  exigé  -,  que  bien 
loin  de  la  ruiner ,  il  lui  avoit  abondamment 
payé  fa  dépenfe ,  au  moyen  d*une  reftitutioii 
de  fix  cens  livres ,  qu'on  l'avoir  obligé  de 
recevoir  au  lieu  ik  place  de  feue  Madame  fa 
mère  i  qu'elle  connoiffoit  trop  le  grand  Ar- 
chidiacre ,  pour  voir  fans  douleur  qu'on 
foupçonnât  la  pureté  de  fes  mœurs  ;  qu'elle 
croyoit  avoir  l'honneur  d'être  aflez  connue 
de  celui  à  qui  elle  parloit ,  pour  ne  lui  être 
pas  fufpedc  de  ce  côté- là  ;  &  que  cepen- 
dant perfonne  n'avoit  rendu  à  Boudon  plus 
de  fcrvices  qu'elle,  pendant  le  temps  de  fa 
maladie. 

Un  témoignage  fî  précis  ôc  û  fur  ,  à  rai- 
fon  du  crédit  delà  perfonne  qui  le  rendoit  y 
£t  imprcflîon  fur  l'efprit  de  M.de  Maupas.I!- 
dit  plus  d'une  fois  que  fi  fon grand  Vicaire 
croit  coupable  en  quelque  chofe ,  c  étoji  d'a- 
voir trop  de  zélé  pour  la  vérité  ôc  pouc  le 
maintien  de  la  difcipline.  Ainfi  il  étoit  ait 
moins  difpofé  à  fufpendre  fon  jugement , 
îorfqnela  dame  deFourneauxle  força  d'aller 
beaucoup  plus  loin  qu'il  n'auroit  voulu. 

II  eft  fur  que  cette  Dame  avoit  de  la 
piété  qu'elle  aimoit  l'oraifon ,  ôc  que  lorf- 
^u'on  avoir  le  talent  de  lui  montrer  le  bica 


DE   M.    BOUDON.  LiV.  ÏT.  IJ5 

que  Dieu  atcendoit  d'elle  ,  elle  s'y  livroic  " 

toute  entière.  Mais  il  eit  fur  aufli ,  &  c'étoic  ^^^J'^^ 
moins  un  vice  du  cœur ,  qu'un  défaut  du 
tempérament  ,  il  eil  fur  qu'elle  étoit  ex- 
trêmement fenfible  j  que  le  feu  de  fon  ima- 
gination Tentraînoit  malgré  elle  j  &  que  fa 
tête  n'écoit  pas  faite  de  manière  à  porter  ces 
grands  coups ,  qui  font  plier  les  épaules  les 
plus  vigoureufes. 

Ce  fut  à  fa  campagne  qu'elle  apprit  l'in- 
digne &  cruelle  manière  dont  on  traitoic 
fon  Diredeur.  Elle  en  fut  touchée  ,  &  elle 
dut  l'être.  Mais  quand  elle  fçut  que  c'étoit 
de  fa  propre  maifon  ,  qu'on  datoit  une  par- 
tie des  crimes  de  l'Archidiacre  ,  elle  en  fuc 
au  défcfpoir  -,  &  fauflement  perfuadée  qu'el- 
le n'avoit  à  faire  qu'à  un  petit  nombre  de 
dévotes  jaloufeS;  elle  réfolut  de  leur  appren- 
dre avec  éclat ,  qu'il  falloit  y  penfer  à  deux 
fois,  quand  on  attaquoit  une  femime  de  qua- 
lité ,  ôc  qui  avoit  toujours  vécu  avec  hon- 
neur. Elle  fe  trompoit  j  &  peut-être  qu'avec 
un  efprit  plus  tranquille^  elle  eût  jugé,  com- 
me le  firent  dès  le  commencement  un  petit 
nombre  de  perfonnes  intelligentes ,  que  la 
dernière  maladie  de  Boudon  ,  ôc  toutes  fes 
circonflances  n'étoient  qu'un  prétexte ,  fous 
lequel rhéréfie  fécondée  du  dérèglement, 
couvroit  fa  manœuvre. 

Quoi  qu'il  enfoit,  cette  Dame  commença 
par  fe  plaindre  de  Boudon  à  lui  -  même  : 
elle  lui  écrivit  qu'on  étoit  furpris  de  le  voir 
ibuffrir ,  fans  rien  dire  ^  de  fi  noires  calom- 

G  vj 


î;^  La    Vie 

'"  nies  ;  que  fon  honneur  exigeoit  qu'il  fe  juP 

i^iulv.  ^^^^^  '  ^  qu'elle  l'en  conjuroit  rrès  -  inflam- 
lîient  j  que  le  rang  qu'il  tenoir  dans  l'Eglife 
ne  lui  permtrtoir  pas  de  facrifîer  fa  répu- 
tation ;  ôc  que  les  biens  qu'il  avoir  faits 
dans  le  Diocèfe  ne  pouvoient  fubllfter,  fi 
par  fon  fdence  il  laiffoit  à  chacun  la  liberté 
de  dire&  de  penfer  de  lui  tout  ce  qu'il  ju- 
geroit  à  propos..  Mais  ce  parfait  imitateur 
de  JefusChrift  avoir  desfentimens  bienop- 
pofés.  11  avoit  pris  fon  parti ,  &  ce  parti 
étoit  de  porter  fa  croix  à  l'exemple  du  Sau- 
veur. Ainfi  il  fe  contenta  de  lui  répondre , 
qu'il  falloit  qu'elle  &  lui  païufTent  crimi- 
nels, tant  qu'il  plairoic  à  la  divine  Provi- 
dence i  Se  que  fi  J.  C.  qui  étoit  1  innocencs 
même,  avoit  été  fi  outragcufement  traité,. 
ri  étoit  bien  jufie  que  le  pécheur  ne  fût  pas 
ménagé. 

Une  réponfe  fî  fublime  étoit  trop  forte 
pour  un  efprit  agité.  Bien  loin  de  s'y  reur- 
dre,  la  Dame  de  Fourneaux  parla  avec  plus 
de  chaleur  que  jamais.  Elle  écrivit  à  R  ouen, 
à  Paris  ,  &  dans  je  ne  fçais  combien  d'autres 
endroits ,  où  elle  fçavoit  que  la  calomnie 
avoit  pénétré.  Rien  de  plus  fage  ,  de  plus 
chrétien,  que  la  réponfe  que  lui  fit  la  Merc 
Meélhilde ,  dont  nous  avons  déjà  parlé. 
Elle  difoit  en  fubflance ,  qu'à  la  vérité  oa 
ne  po\.ivo\tfa?7s  étonnemcnt  voir  la  conduit e^ 
de  la  fr  évidence  fur  M,  Boudon  ;  qu'âpres 
tout.  Dieu  le  traitoit  en  favori ,  puifqu'il 
îwi  £aifoir  part  du  Calice  dont  il  a  enivré  foa 


666. 


BE  M.  BotJDOî^.  Liv.  IL  i;7 
propre  Fils  ;  que  ce  vertueux  Prêtre  triom-  ■-' 
pheroit  de  tcut  par  fa  patience  &  Ion  fi-  &^fuiy. 
lence ,  ôc  que  s'il  étoit  aàuellement  comme 
le  grain  de  froment  tombé  en  terre  pour  y 
être  anéanti ,  il  germeroit  un  jour ,  ôc  por- 
teroit  dans  PEglife  des  fruits  de  bénédidion. 
>■»  Ayez  ,  Madame  ,  pourfuïvoït  -  elle ,  ayez 
«cette  confiance  en  la  bonté  de  celui  qui  &fui^ 
«  prend  en  main  lacaufe  de  Tinnocent ,  & 
"  qui  fouffre  en  la  perfonne  de  £qs  Elus.  Que 
«  (i  Ton  divin  Efprit  vous  pouffe  à  faire  quel- 
«  que  diligence  de  votre  part  ,  que  ce  foir 
>'  avec  cette  paix  &  cette  douceur  qui  ani- 
«  me  Tefprit  des  Saints ,  ayant  toujours  un 
«  fingulier  refpect  pour  la  manière  dont 
^  Dieu  fandlifie  les  ficns.  » 

Des  avis  fi  faluraires,  fî  conformes  aux 
plus  belles  maximes  de  l'Evangile ,  auroient 
du  faire  quelque  impreffion  fur  celle  à  qui 
ils  étoient  donnés.  Mais  le  zélé  commen- 
çoit  à  fe  changer  en  pafTion  ;  &  la  paflîon 
n'efi:  pas  propre  à  écouter.  Le  langage  chré- 
tien de  fon  amie  parut  à  la  Dame  de  Four- 
neaux une  leçon  déplacée.  Elle  vouloir 
forcer  les  calomniateurs  à  faire  hommage  à 
la  vérité  ,  &  tous  Çts  efforts  n  aboutirent 
qu'à  fcrvir  leur  fureur. 

Elle  fit  un  grand  nombre  de  Mémoires 
apologétiques  pour  fe  venger  elle-mêm.e  & 
pour  venger  fon  Diredeur  ,  qui  lui  paroif- 
foit  trahir  fes  intérêts.  Boudon  les  lut ,  ces 
Mémoires,  &  quelque  folides  qu'ils  îuC- 
fenr  >  il  la  pria  de  les  fupprimer.  Mais  cette- 


IjS  L  A    Vl  E 

*  femme  aigrie  n*éroit  plus  allez  forre  pour 

1666.  ^  o  •  • 

&fuiv.  connoitre,  oc  moins  encore  pour  pratiquer 
robéiÏÏance.  Elle  envoya  de  tous  côcés  Ces 
apologies  ,  &  y  joignit  des  lettres  dont  bien 
des  gens  furent  touchés.  En  peu  de  tems  M, 
de  Maupas  en  reçut  une  foule  de  la  Cour 
ôc  d'ailleurs  ,  dont  il  n'avoir  pas  tout-à-fait 
lieu  d'être  content. 

Ce  fracas  fut  à  l'ordinaire  mis  fur  le  comp- 
te de  M,  Boudon,  qui  néanmoins  avoir  tout 
mis  en  œuvre  pour  l'empêcher.  Dès-lors  fa 
caufe  fut  jugée  plus  mauvaife ,  &  on  fe  crut 
obligé  d  en  venir  aux  dernières  extrémités. 
Cependant ,  pour  ne  rien  faire  qui  fentît  la 
précipitation  ;,  le  Prélat  aflembla  comme  en 
fynode  ce  que  fon  Diocèfe  fembloit  avoir 
de  meilleur  &  de  plus  expérimenté  dans 
l'un  &  l'autre  Ordre  du  Clergé.  Mais  il  s'y 
trouva  des  gens  d'autant  plus  dangereux  , 
qu'ils  étoient  moins  fufpeds-,  &  fur  -  tout 
un  de  ces  hommes  à  face  compofée  .  qui  ne 
difent  un  peu  de  bien  ,  que  pour  fe  rendre 
croyables  fur  beaucoup  de  mal,  &  qu'on 
regarderoit ,  à  entendre  leurs  foupirs  fimu- 
lés ,  comme  prêts  à  donner  leur  fang  pour 
im  malheureux  qu'ils  égorgent.  Cet  homme 
grave  ,  fouple  ,  infinuant ,  ami  public  ,  en- 
nemi fecret  -,  paiïionné  dans  le  cœur  ,  mo- 
déré, &  prefquc  infenfiblc  à  l'extérieur ,  ne 
pouvoir  porter  qu'un  coup  sûr  à  ceux  qu'il 
vouloir  perdre.  Le  réfultat  de  cette  affem- 
blée  fut  d'avertir  l'Archidiacre  qu'il  eût  à  fe 
içtirçr  de  lui-même ,  &  à  remettre  au  Pré; 


DE  M.  BouDON.  Liv.  IL         15-9 
lat  fes  lettres  de  grand  Vicaire  ,  de  les  pou-  -* 

voirs  qu'il  avoir  reçus  de  lui.  ecivlL 

Sa  réponfe fut  courte,  ô<.  telle  qu'on  de 
voit  l'attendre  d'un  homme ,  qui  ne  connoif- 
foit  d'autre  bonheur  que  celui  d"être  cloué 
à  la  croix  de  fon  Maître,  &  d'y  mourir  avec 
lui  ,  s'il  en  étoit  befoin.  11  écrivit  en  deux 
mots  au  Prélat,  qu'il  ne  pouvoir  fe  rendre 
à  l'avis  de  fon  Confeil  ^  qu'en  s'y  confor- 
mant ,  il  fcroitune  aciion  indigne  de  l'hon- 
neur qu'il  s'étoit  toujours  fait  d  être  me- 
prifé  ôc  anéanti  pour  J.  C.  ôc  que  fur  ce 
principe  Evangéliquc  il  avoit  pris  le  parti 
de  s'abandonner  fans  mefure  de  fans  réferve 
à  tous  les  deflfeins  de  la  divine  Providence. 

En  conféquence  de  cette  réponfe  il  fur 
dépofé  dans  les  formes ,  &  lafentence  lui  en 
fut  fignifiée  avec  tout  l'appareil  qui  pouvoir 
la  rendre  odieufe.  Ce  procédé  ne  l'ébranla 
point  ;  c'eft  trop  peu  dire  :  il  le  combla  de 
joie ,  &  le  même  jour  il  la  fit  éclater  devant 
un  ami  ndéle  ,  qui  ofa  lui  rendre  vifite. 
Car  dès  lors  il  n'étoit  pas  permis  de  le  voir , 
ni  de  le  plaindre. 

Quelque  grand  que  fût  ce  premier  coup ,  ■ 

ce  n'en  fut  point  allez  pour  l'implacable  fa-  l^^^r 
rcur  de  Ces  ennemis.  Leur  deiïein  éroit  de  le 
fuivre  de  porte  en  pofle ,  (?^  de  le  forcer  en- 
fin à  fortir  d'un  Diccèfe ,  où  ,  tout  méprifa- 
ble  qu'ils  l'avoient  rendu,  il  pouvoir  toujours 
leur  donner  de  Vinquiétude.  Ils  agirent  donc 
tncore  auprès  du  Prélat  -,  &  ils  l'engagèrent 
à  faire  figniâcr  à  l'Archidiacre  ime  défcnic 


&ruiif^ 


i6o  La  Vie 

■  de  confefler  la  Dame  de  Fourneaux.  Boudon 

d^My,  ^^^  ^^  connoifToit  à  fonds ,  ôc  qui  ne  l'avait 
maintenue  dans  un  érar  de  laifon  ,  que  par 
des  ménagemens  infinis  y  vit  tout  d'un  coup 
que  fon  efprit  déjà  troublé  par  la  calomnie , 
ne  foutiendroit  pas  ce  nouvel  aflaur.  Ce- 
pendant ,  pour  obéir  aux  ordres  qu'il  avoir 
reçus  ,  il  la  pria  par  lettres  d'entrer  dans  les 
fentimens  du  Fils  de  Dieu  anéanti  pour  fon 
amour  ;  &  de  ne  penfer  plus  ni  à  préfenter 
des  requêtes,  ni  à  obtenir  des  réparations 
d'honneur.  Il  lui  parla  plus  ferme  dans  la 
fuite ,  ôc  après  s'erre  plaint  à  jEJle  mcme  de 
fes  emportemens ,  il  la  conjura  au  nom  de 
la  plus  douce  Ôc  de  la  plus  obéiflante  des 
Vierges  de  facri fier  à  Dieu  &  fes  peines  ôc 
tous  £es  reflentimens. 

Ces  avis  étoient  trop  raifonnables  pour 
une  femme ,  qui  commençoit  à  ne  l'ctre  plus 
beaucoup.  Apres  avoir  eflayé  trois  Confef- 
i'eurs  qu'elle  ne  goûta  pas ,  ôc  qu'elle  n'é- 
toit  prefque  plus  en  état  de  goûter ,  elle  re- 
mua plus  que  jamais.  Son  dépit  la  tranfpor- 
ta  à  la  Cour.  Elle  demanda  juftice  au  Roi, 
mais  en  des  teimes  qui  annonçoient  moins 
l'excès  de  fa  douleur  ,  que  le  dérangement 
de  fon  efprit.  Cependant  elle  difoit  à  haute 
voix  que  M.  l'Archidiacre  étoit  fon  Direc- 
teur ,  ôc  que  jamais  elle  n'en  auroit  d'autre. 
Il  eii  vrai  que  c'eût  été  un  grand  bien  pour 
clic.  Tanr  qu'elle  avoir  été  fous  fa  conduite 
elle  avoir  édifié  route  la  ville  ,  ou  plutôt 
tout  le  Diocèfe  d'Evreux.  Plus  d^  foixante 


BE    M.   BoUDON.  Ltv.    II.  I^I 

lettres  que  Boudon  lui  avoit  écrites ,  6c  qui  ■ 
nous  relient  encore ,  font  voir  avec  quelle  &^f^^^ 
fageffe  ce  pieux  Directeur  la  garantilToit 
de  lillufion ,  Ôc  la  formoit  à  la  folide  piété. 
Il  eût  pu  encore  la  fervir  par  la  même  voie 
fans  donner  d'ombrage.  Mais  quand  il  vit 
que  rien  ne  pouvoir  la  fléchir,il  fut  contraint 
de  l'abandonner. 

Ses  ennemis  ne  crurent  pas ,  ou  voulu- 
rent ne  pas  croire  ,  qu'il  l'eût  fait.  Ce  que 
difoit  la  Dame  de  Fourneaux,  que  M.  Bou- 
don éfoit  toujours  fon  Direéleur  ,  fut  pris 
dans  le  fens  le  plus  rigoureux.  On  fit  enten- 
dre au  Prélat ,  que  malgré  la  révocation  de 
fcs  pouvoirs ,  TArchidiacre  continuoit  à  la 
confeiïer.  Aux  premières  nouvelles  d'une 
révolte  û  décidée  ,  ôc  d'un  facrilége  fi  fcan- 
daleux ,  M,  de  Maupas  ne  put  fe  contenir  : 
&  fans  perdre  de  rems  il  ôta  au  prérenda 
coupable  le  pouvoir  de  prêcher  ôc  de  con- 
fefler  dans  fon  Diocefe. 

Un  traitement  fi  dur  ,  &  qui  après  tout 
n'étoit  fondé  que  fur  l'expreiTion  équivoque 
d'une  femme  en  colère ,  ce  traitement  parut 
aux  ennemis  du  faint  Prêtre  un  ménagement 
cxcelTif.  Ils  firent  à  l'Evêque  un  crime  ,  de 
ce  qu'ils  appelloient  une  douceur  pernicieu- 
fe  :  &  de  cet  air,  qu'un  fcélérat  prend  mieux 
qu'un  homme  de  bien,  ils  lui  dirent,  que 
le  Sieur  Boudon  étant  perdu  de  réputation 
ôc  d'honneur ,  étoit  déformais  inutile ,  ôc 
plus  qu'inutile  à  Evreux.  Qu'il  n'y  avoit  pas 
d'apparence  que  les  Curés ,  ou  les  peuples 


1^1  La  Vit 

■  fouffrifTent  la  vilitc  d'un  homme ,  à  qui  Ùl 

^  £y^y^  mauvaife  conduire  avoir  mérité  une  puni- 
tiop  rigoureufc ,  Que  tant  qu'il  demeure- 
roit  ddns  le  Diocèfe,  fa  feule  préfence  y 
perpétueroit  le  trouble  &  le  fcandale  ;  Que 
pour  fe  procurer  une  bonne  fois  la  paix  ,  il 
n'y  avoir  plus  qu'un  pas  à  faire;  c'étoit  de 
le  dertiruer  de  fa  dignité  ,  &:  de  le  chafler 
fans  miféricorde. 

M.  de  Maupas  ,  qui  fçavoit  que  les  voies 
d'éclar  ont  leurs  inconvéniens ,  propofa  à 
l'Archidiacre  de  fe  démettre  de  fon  emploi. 
De  ce  peu  d'amis  qui  lui  revoient,  plufieurs 
furenr  du  même  avis,  perfuadés  que  fans 
cela  il  n'y  avoit  point  de  paix  à  efpérer  pour 
lui  -,  &  qu'il  n'étoit  plus  en  état  de  faire 
aucun  bien  dans  le  Pays.  L'efprit  de  Dieu 
qui  le  conduifoit ,  ne  lui  permit  pas  de  défé- 
rer à  ce  fentimenr.  •»  La  croix ,  répondit-il , 
3»  ne  nous  doit  pas  faire  quitter  les  lieux  où 
w  nous  la  portons.  C'efl:  tout  le  contraire  j 
9>  s'il  y  a  quelque  chofe  qui  nous  y  doive  ar- 
■»»  rêter ,  ce  font  les  fouffrances.  «  Ainfi  il 
refufa  de  fe  rendre  aux  ordres  de  M.  d'E- 
vreux.  Il  réfolut  même  de  faire  fcs  vifires 
avec  plus  d'exactitude  que  jamais  ;  quoiqu'il 
n'en  attendît  que  de  la  peine  ôc  de  la  confu- 
fion. 

Une  réfolution  fi  ferme  étonnaun  peu  les 
Partifans  de  la  nouveauté ,  que  le  Prélat 
fervoit ,  fans  le  fçavoir  :  mais  outre  qu'ils 
n'étoient  pas  gens  à  reculer ,  ils  avoient  déjà 
gagné  tant  de  terrcin,  qu'ils  crurent  qu'un 


DE   M.   BOUDON.    LiV.    II.  l'è^ 

nouvel  effort  les  mettroit  en  pofTeïïion  du  

relie. Ils  fe  trompèrent  pour  cette  fois. M.  de  s[f^^\ 
Maupas,après  avoir  confulté  un  grand  nom- 
bre de  Sçavans,  &  ceux  fur-tout  qui  étoient 
le  plus  au  fait  des  matières  bénéficiales ,  vit 
clairement  qu'on  le  jettoit  dans  un  labyrin- 
the, dont  il  auroit  peine  à  fortir.  Ainfi,  mal- 
gré qu'il  en  eut ,  il  lailTa  Boudon  en  place  : 
bien  réfolu  de  le  ponfler  û  vivement ,  qu'il 
Tobligeroit  enfin  à  lâcher  le  pied  de  lui 
même  ,  ôc  à  quitter  fon  pofte.  Ceit  ce  qu'il 
fît  avec  tant  de  chaleur,  que  ceux  qui  (lu- 
prirent  fa  confiance ,  mérireront  à  jamais 
l'indignation  de  tous  les  fiécles. 

Et  d'abord  ce  Prélat ,  qui ,  après  avoir 
fait  vœu  d'obéir  à  l'Archiciacre,  fembloir, 
comme  on  le  dit  alors ,  avoir  fait  vœu  de  le 
perfécuter,  prévint  contre  lui  ceux  qui  juf^ 
qu'à  ce  jour  l'avoient  le  plus  parfaitement 
honoré.  Comme  il  fçavoit  qu'il  avoir  à 
Rouen  un  grand  nombre  d'amis  refpeda- 
bles,  il  s'y  tranfporta  j  &dans  une  conféren- 
'  ce  qui  dura  trois  heures ,  il  fit  à  deux  Curés 
de  la  ville ,  un  portrait  fi  hideux  du  pauvre 
Boudon ,  que  ces  MefTieurs  à  qui  la  probité 
de  M.  de  Maupas  étoit  connue,  s'engagè- 
rent enfin  à  refufer  l'entrée  de  leur  maifon 
à  l'Archidiacre  d'Evreux  :  Se  à  l'exception 
d'une  ou  de  deux  perfonnes,  il  n'y  eut  dans 
cette  grande  Ville  qui  que  ce  foit  ,*  qui  ne  le 
regardât,  ou  comme  un  hypocrite  avéré, 
pu  comme  un  homme  très  fufpecl:  de  l'être. 

Ce  que  le  Prélat  avoit  fait  a  Rouen  ^  il 


11^4  La  Viî 

*  ■  crut  le  devoir  faire  à  Paris,  où  fon  Archî- 
ict^'r,  diacre  avoir  encore  des  parti  fans.  11  le  fit  en 
effet  j  Ôc  ce  fut  toujours  avec  ce  feu  d'exprcf- 
fîon  5  que  didte  à  un  homme  de  bien  la  dou- 
leur d'avoir  été  dupe  d'un  impofteur.  Il  faut 
avouer  en  pafTantquecetimpofteurde  nou-^ 
velle  efpece  penfoit  comme  les  Saints ,  & 
parloit  comme  eux.  «  Notre  bon  Prélat  y 
écrivait- il  dans  ce  mems  temps  aune  f cm' 
me  de  qualité ,  me  décrie  de  tous  cotés  dans 
«  Paris.  Il  faut  le  laiiïer  faire  ,  l'honorer 
3*  beaucoup ,  en  dire  du  bien,  &  demeurer 
9^  en  repos.  Notre  paix  fera  folide ,  fi  nous 
»  la  mettons  dans  la  Croix.  Il  eft  doux  d'y 
*>  vivre ,  il  eft  encore  plus  doux  d'y  mourir , 
«  &  nous  n'avons  plus  que  faire  au  monde , 
»>  quand  nous  cédons  de  fouflPrir.  »»  Quel 
langage  !  fur-il  jamais  celui  de  TimpcAure  ? 
Il  relloit  encore  à  l'Archidiacre  une  rcf- 
fource  dans  les  Pays  éloignés ,  où  fa  mâle 
&nerveufe  éloquence  ,  &  plus  encore  la 
pureté  de  fes  mœurs,  l'avoient  rendu  fi  cé- 
lèbre. Mais  cet  azile  lui  fut  fermé  comme 
les  autres.  On  écrivit  aux  Evéques  de  ces 
différentes  Provinces  du  même  ftyle  ,  qui 
avoit  fi  bien  réuiTi  à  Paris  &  à  Rouen.  La 
grande  &  juftc  idée  qu'ils  avoient  de  M.  de 
Maupas,  les  entraîna  dans  fon  fentimenr. 
Tous  s'engagèrent  à  interdire  au  Sieur  Bou- 
don  la  Chaire,  le  ConfeiTional ,  la  célébra- 
tion des  faints  Myfteres. 

On  juge  bien  que  ce  qui  fe  faifoit  ailleurs 
contre  l'Archidiacre ,  fe  faifoit  encore  plus 


deM.  BouDON  Liv.  ir.  16^ 

vivement  dans  le  Diocèfe  d'Evreux.  11  n  e- 
toic  permis  à  perfonne ,  &  moins  encore 
aux  Communautés  de  Filles ,  de  voir  le  cou- 
pable. C'écoit  un  féductcui  ,  un  homme 
fans  mœurs  ,  fans  probité ,  fans  Religion  ; 
en  un  mot,  un  athée  :  Car  quelqu'un  dans 
un  Difcours  public  en  vint  jufqu'à  cette  fié- 
triflante  dénomination.  11  eft  vrai  que  dans 
la  fuite  il  en  demanda  pardon  à  l'homme  de 
Dieu  :  mais  les  excufes  viennent  un  peu 
tard ,  quand  les  imprefTions  font  faites. 

Ce  fut  alors  que  Boudon  fe  vit  dans  l'état 
où  fon  divin  Maître  fe  trouva  pendant  fa 
paffion.  Toutes  les  voies  de  la  douleur  s'ou- 
vrirent pour  lui  i  toutes  celles  de  la  confola- 
tion  lui  furent  fermées.  Trahi  par  les  uns , 
abandonné  par  les  autres  -,  méprifé  de  tous , 
il  fut  un  but  que  nulle  flèche  n'épargna  -,  de  il 
faut  remonter  jufqu'aux  premiers  temps , 
pour  y  trouver  des  exemples  d'une  perfécu-» 
tion  auflî  générale.  11  ne  paroiflbit  dans  les 
rues  ,  que  ceint  du  honteux  bandeau  dç 
l'ignominie.  On  le  montroit  au  doigt  comme 
ces  hommes  de  fang ,  que  la  juilice  a  épar- 
gnés. On  lui  prodiguoit  les  plus  fanglantes , 
&  fouvent  les  plus  folles  épithetes ,  comme 
celles  de  forcier&  de  magicien.  Un  homme 
qui  en  public  auroit  fait  dix  pas  avec  lui ,  fe 
feroit  deshonoré.  Un  Eccléfiaftique ,  à  qui 
il  fe  joignit  pour  quelque  tem.s  dans  un  pè- 
lerinage de  dévotion  ,  en  fut  fi  humilié  , 
qu'il  n'ofoit  lever  les  yeux.  La  confolation , 
donc  Dieu  récompenfa  fa  charité,  quoique 


x66  La    Vie 

forcée ,  le  fit  bientôt  changer  de  fentîment. 
Mais  cet  exemple  fut  peut-être  unique:  ÔC 
Boudon  ,  à  parler  en  général ,  ne  fut  dans 
ce  temps  d  orage ,  qu'un  ver  de  terre ,  l'op- 
probre du  genre  humain ,  le  jouet  &  la  fable 
d'un  peuple  qui  l'avoir  tant  de  fois  admiré. 

Ce  qu'il  y  eut  de  plus  terrible  ,  Se  ce  qui 
effraie  encore  aujourd'hui ,  c'eft  que  l'humi- 
liation fuivoit  fcs  pas ,  de  quelque  coté  qu'il 
put  les  porter.  Quand  fcs  affaires  l'appel- 
loient  à  Rouen ,  où  il  étoit  aufTi  connu  qu'à 
Evreux  ,  ilfalloit,  pour  obtenir  une  mau- 
vaife  chambre  dans  une  Auberge ,  qu'il  y  fût 
incog-mto.  Il  n'y  avoit  point  de  Sacriftie ,  où 
on  ne  lui  refusât  des  Ornemens  -,  &  afin  de 
lui  faire  entendre  une  bonne  fois ,  qu'il  n'a- 
voic  rien  à  efpérer  de  ce  coté  -  là  -,  on  ofoic 
lui  dire  en  face ,  qu'un  homme  comme  lai 
étoic  indigne  d'entrer  dans  TEglife.  Pour  un 
Confefleur ,  je  ne  fçais  s'il  en  eût  pu  trouver 
dans  cette  grande  Ville  \  ce  que  je  fçais , 
c'cft  que  dans  tout  Evreux  ,  à  peine  y  avoit 
îl  un  Prêtre  qui  voulût  l'entendre.  En  un 
mot ,  dit  un  témoins  oculaire ,  on  le  trait  oit 
n  Rouen  avec  moins  de  ptié ,  qu^on  n  eût  fait 
une  bête  jettée  fur  un  fumier. 

Il  ctoit  difficile  de  le  perdre  auffi  abfolu- 
ment  à  Paris,  où  il  y  a  toujours  moins  de 
chaleur ,  plus  de  lumières ,  Se  un  bon  nom- 
bre de  pcrfonnes  ,  qui  ne  croient  ni  les 
grands  biens,  ni  les  grands  maux ,  qu'après 
y  avoir  bien  pcnfé.  Cependant  il  eft  sûr  que 
£a  léputatiojtî  y  fouifrit  un  échec  cçnfidéra- 


DE  M.  BOUDON.    Liv.    II.  1^7 

ble.  M.  de  Maupaslui  avoic  déjà  enlevé  une 
partie  de  les  amis-,  on  tacha,  &  on  réuflit  à 
lui  enlever  prefque  tout  le  relie  ,  par  la  ma- 
lignité avec  laquelle  on  commença  à  répan- 
dre alors  dans  la  Capitale  ,  l'Hilloire  d'une 
fille,  qu'on  difoit ne  s'être  traveftie  en  gar- 
çon ,  que  pour  fervir  mieux  la  pafllon  de  ce 
malheureux  Prêtre.    Comme  cette  événe- 
ment eil  curieux  ,  qu'il  a  mis  à  de  nouvelles 
épreuves  la  patience  de  notre  Archidiacre  y 
&  que  je  fçais  par  ma  propre  expérience  , 
que  plufieurs  de  ceux  qui  refpedlent  fa  mé- 
moire,en  font  très-mal  informés^  je  le  regarde 
moins  comme  un  épifode  ,  que  comme  un 
point  efientiel  àl'Hiftoire  que  jécris.Du  refle, 
je  n'en  dirai  rien  qui  ne  foit  appuyé  fur  dts 
monumens  certains  -,  ôc  j'ai  fous  les  yeux  la 
relation  imprimée  en  forme  de  lettre ,  qui 
fut  dans  le  tcms  même  adrelTée  à  M.  de 
Maupas  par  Antoine  de  la  Haie  ,  très- digne 
Curé  de  S.  Amand  à  Rouen  "^.  Voici  en  fub- 
fiance  ce  qu'elle  porte. 

Une  pauvre  fille  du  Diocèfe  d'Evreux  ; 
nommée  Marie ,  eut  dès  fa  jeunefTc  un  goûc 
décidé  pour  la  vertu.  Les  Vies  de  quelques 

*  Cette  relation  eft  datée  du  17  Dftobre  1665.  Elle  efl 
toute  tirée  d'un  ^Mémoire  qu'avoit  donné  le  Confefleur  dç 
tette  Fille.  Ce  fage  Directeur ,  qu'un  ami  du  pays  m'a  dit 
aveir  été  un  R.  P.  Minime  ,  avoit  mis  à  la  tête  de  l'on  écrit 
ces  paroi. s  de  S,  Paul  ,  2.  Corinth.  11.  Beus  &  Voter 
Dom-ni  nojlri  Jefu-ChriJl'L  ,  qui  ejl  bemdiUus  infacula  p 
§fj.t  quoi  non  mtntïor.  Ce  que  nous  y  ajoutons  ,  eft  peu 
confidérable  ,  &  tiré  en  partie  d'une  lettre  de  M.  Bofc- 
gucrard  ,  Curé  de  S.  Nicolas  de  Rouen,  parti?  d'^uprei 
pièces  également  certaines. 


i6%  L  A     V  I  I 

Saints  diflingués  qu'on  lui  lifoit  de  temps- 
en-temps  ,  pioduifirenc  en  elle  un  grand 
defîr  de  marcher  fur  leurs  traces,  Se  fur- 
tout  d'imiter  cette  pureté  fans  tache  ,  donc 
plufîeuis  d'entr'eux  ont  mérité  d'être  Mar- 
tyrs. 

Cette  fille  ayant  atteint  râge,où  les  perfon- 
nés  de  fon  état  fe  mettent  en  condition ,  vint 
à  Rouen ,  &  fut  reçue  à  titre  de  fervante 
dans  une  des  bonnes  maifons  de  la  Ville.  Elle 
prit  en  même  temps  pour  Direéleur  un  Re- 
ligieux d'un  Ordre  fert  aulkre  ,  ôc  d'un 
mérite  reconnu. 

Elle  eut  bientôt  bcfoin  de  fes  confcils. 
Jeune ,  bien  faite ,  d'une  taille  avantageufe , 
d'une  modeftie  qui  fuppléoit  à  la  beauté , 
fon  maître  la  regarda  d'un  œil  coupable  ôc 
la  follicita  au  crime.  Les  premiers  refus  & 
les  marques  d'horreur  dont  ils  avoient  été 
accompagnés ,  ne  l'étomiercnt  pas  :  il  redou- 
bla fes  pourfuites.  Marie  fit  alors  ce  que 
doit  faire  en  pareil  cas  une  Vierge  chrétien- 
ne ;  elle  eut  recours  à  fon  Confeffeur.  Celui- 
d  l'obligea  de  fortir  fur  iô  champ  d'un  lieu 
où  elle  étoit  dangereufe  ,  ôc  couroit  elle- 
même  du  danger. 

Elle  changea  donc  de  domicile  ;  mais  clic 
n'évita  un  écueil ,  que  pour  tomber  fur  un 
autre  :  elle  eut  le  malheur  de  plaire  à  fon 
nouveau  maître ,  comme  elle  avoit  plu  au 
premier  ;  Se  il  mit  tout  en  uftge  pour  la  fé- 
duire.  Touchée  ôc  vivement  touchée  de  ne 
prouver  par-tout  que  des  pièges  tendus  à 

fou 


DE  M.  BouDON  Lrv.  ïî.  i^5> 

fon  inr/occiKc ,  elle  réfolut  de  le  jetcer  en  — ^— 
quelque  porr ,  afîii  d'éviter  le  naufrage.  Elle  ^'(^{^^ 
demanda  avec  initance  Thabit  de  la  Reli- 
gion aux  Filles  de  fainte  Claire.  Elle  mie  en 
mouvement  tous  Ces  amis  pour  l'obtenir. 
Mais  leurs  efforts  de  les  Tiens  furent  inutiles. 
Dieu  permit  qu'elle  fiit  refufée. 

Dans  fa  douleur  elle  alla  trouver  une  veii* 
ve  qui  étoit  tante  de  fa  Maîtrefiè ,  &  lui  con- 
ta une  partie  de  £es  peines.  Cette  Dame  qui 
avoit  de  la  piété  ,  après  lavoir  beaucoup 
comblée  j  la  prit  à  fon  fervice  :  Marie  fe 
crut  enfin  à  l'abri  du  danger.  Elle  alloit  de- 
Eieurer  à  la  campagne  ,  chez  une  femme 
d'une  vertu  exemplaire ,  &  qui ,  pour  com- 
ble de  bonheur,  ne  fe  faifoit  fcrvix  que  par 
des  perfonnes  de  fon  fexe. 

Mais  cet  état  de  paix ,  dont  elle  étoit  fî 
charmée,  ne  dura  pas.  Sa  Maîtrefle  avoit  un 
fils ,  qui ,  après  avoir  achevé  à  Paris  Ces  étu- 
des ,  revint  fur  la  fin  de  l'année  dans  la  mai- 
ion  maternelle.  Il  étoit  dans  cet  âge ,  où  la 
piété  feule  peut  arrêter  les  pallions  j  Ôc  mal- 
heureufement  il  ne  la  connoiflbit  pas.  Ainfi. 
après  avoir  épuifc  en  pure  perte  les  promcf- 
fes ,  les  artifices ,  les  menaces  pour  féduire 
la  colombe  ,  il  forma  le  détertablc  projet 
d'obtenir  de  vive  force  ,  ce  qu'il  ne  pouvoir 
obtenir  autrement.  Un  jour  que  fa  m.erc 
ctoit  abfente ,  <^  que  cette  fille  étoit  feule 
dans  une  chambre  haute ,  il  y  entre  comine 
un  furieux  ,  Ôc  fond  fur  fa  proie  avec  la  plus 
ngire  Se  la  plus  infolente  biutaliié.  Malgré 

H 


I70  La     Vie 

les  piodigîeiix  efforts  que  fit  la  victime  pour 
brifer  les  liens  qui  renvironnoient ,  elle  étoic 
aux  abois ,  quand  le  ciel  fe  déclara  pour  elle* 
Cette  courte  prière  prononcée  à  voix  haute  : 
Ofaime  Vierge  yfcCJitrez.-moi:  ne  permettez^ 
pas  que  votre fervante  foit  deshonoré<i  !  cette 
prière  fur  un  coup  de  tonnerre  pour  le  fcé- 
lérat.  Il  tremble ,  il  palpite ,  il  tombe  par 
terre  fans  mouvement  &  prefque  fans  vie, 
Norre  vertueufe  fille  au  contraire ,  fent  à 
Vin\ta.nz  fa  foi  blejfe  diJJJpée  ,  fes  forces  réta- 
l^l'ies  i  fon  courage  fortijié  y  prend  la  fuite  ,  & 
fort  pour  toujours  d'un  lieu  ,  qui  avoit  pen- 
Ce  être  11  funeUe  à  fon  honneur  ôc  peut-être 
à  fa  vie. 

Elle  partit  par  un  dégel  affreux.  Les  che- 
mins croient  rompus  à  faire  trembler.  Mal- 
gré cela ,  elle  lit  quatorze  lieues  à  pied , 
n'ayant  d'autre  chauiTure  que  celle  des  plus 
pauvres  payfans.  Enfin  elle  arriva  à  Rouen 
dans  un  état  fi  tride  ,  que  fon  Directeur  eut 
de  la  peine  à  la  reconnoître.  Après  l'avoir 
entretenu  dans  le  Confeffionaûde  fa  dernière 
avanture  :  J'ai  réjolu  ,  lui  dit-elle ,  de  cacher 
monfexefoHi  des  habits  d'homme  y  puifque 
fat  éprouvé  le  da?iger  de  me  perdre  ^  erkmt 
faisant  connaître  pour  ce  que  je  fuis. 

Cette  penfée  furprit  le  Père ,  &  il  la  dé- 
faprouva  abfolumenr.  En  homme  fage  ,  ôc 
qui  prévoit  les  fuites ,  il  lui  repréfenta  les 
difficultés  qui  pourroient  furvenir  dan»| 
l'exécution  de  ce  deffein  *,  l'impoifibilité  oà 
elle  feroit  de  fubfiflcr  j  éc  enfin  le  fcandal^ 


DE    M.    BoUDON.   Liv.    II.  iji 

^.i^i^i^^ai^riveioitinfaillibiei-nent,  fi  elle  ve- 
noic  à  erre  reconnue. 

Mais  elle  répondit  à  fon  tour  qu'elle 
avoit  roue  prévu  j  Que  pour  l'exécution , 
clk  avoir  dès  la  veille  acheté  les  habîrs  d'un 
mendiant  j  Que  prétendant  vivre  en  pauvre 
dans  un  village  qu'elle  connoiffoit  ,  il  en 
couteroit  peu  à  la  Providence  pour  la  faire 
fubfiaer  ;  Que  pour  éviter  1  oifivcté ,  elle 
rempiiroît  un  chemin  qui  éroit  très -mau- 
vais ;  qu'enfxn  pour  fa  nourriture  elle  fe  con- 
tenteroit  d'un  peu  de  potage  par  jourj  & 
qu'elle  attendoit  de  la  bonté  de  Dieu,  qu'il 
infpireroit  à  quelqu'un  de  lui  faire'  cette 
charité. 

Quant  au  fcandale ,  elle  ajouta ,  qu'elle 
ne  craignoit  rien  de  ce  côté-là  ;  Qu'elle  étoit 
aiTurée  de  n'être  jamais  reconnue  pendant 
fa  vie  ;  que  Dieu  connoiffoit  fon  coeur  Se 
h  pureté  de  fcs  intentions  j  que  Sainte  Péla- 
gie en  avoit  fait  autant;  &  qu'elle  vouloit 
imiter  fa  pénitence  Se  fa  vie  depuis  fa  cou- 
verfion. 

En  parlant  ainfi ,  cette  vierge  affligée  fon- 
doit  en  larmes,  ôc  fon  Dirccl:eur  avoua  de- 
puis qu'il  en  fut  extrêmement  touché:  mai« 
comme  il  n'ofoit  prendre  fur  lui  un  chan- 
e:ement  fi  extraordinaire ,  Se  qui  de  lui-mcmc 
n'en  pas  dans  les  règles ,  il  la  pria  de  trouver 
bon  quil  prit  confeil ,  vu  que  l'affaire  étoit 
affez  importante  pour  n'ctre  pas  décidée  par 
un  feul  homme. 

Elle  y  confeniit.  Se  en  conféquence  fon 

Hii 


I7i  La  Vie 

Ml  '^  Directeur confulra leR.P.Godefroy, homme 
&'fuiv  ^'"necapaciré  reconnue  ,&  qui  après  avoir 
fait  d'une  manière  édifiante  les  fondions  de 
|;rand  Pénitencier  à  Lorette ,  faifoit  aduelle- 
ment  à  Rouen  celle  de  Redeur  du  Noviciat 
àçs  Jéfuites. 

Ces  deux  fçavans  Religieux  eurent ,  tête 
à  tête  y  une  longue  conférence  fur  cette 
matière  ,  qui ,  grâces  à  Dieu  ,  n'exerce  pas 
fouvent  les  Cafuilles.  Le  Recleur  ,  après 
avoir  encendu  le  principe,  les  motifs,  le 
progrès  ôc  toutes  les  circonftances  de  cette 
affaire ,  s'écria  en  prefTant  la  main  à  celui  qui 
le  confultoit  ?  »  Mon  Père ,  voilà  une  gran- 
»^  de  ame ,  il  la  faut  laiffer  faire  :  ce  deflein 
?j  eft  la  récompenfe  d  une  vertu  héroïque  ; 
"  aflfurément  Dieu  en  veut  faire  quelque 
?'  choie  de  grand.  "  Cette  décifion  foulagea 
beaucoup  1^  ÇonfelTeur ,  ,&  il  réfojut  àc  s'y 
tcnif. 

Quelques  jours  après ,  comme  il  fortoit 
du  Confeflîonal ,  il  vit  entrer  dans  fon  Eglife 
un  pauvre  garçon  tout  défiguré,  un  bâton  à 
la  main ,  des  jabots  aux  pieds ,  tel  que  pour- 
roit  être  un  pampre  convalescent  qui  for^ 
tiroit  de  fHcpital.  Ce  jeune  homme  alla 
faluer  le  tr.ès-faint  Sacrement ,  &  y  pafTa  un 
rems  confidéiable.  Au  fortir  de  rÈglife  il 
regarda  le  Père  avec  un  fouris  qui  l'étonna. 
Il  y  foupçonna  du  myftere  \  Ôc  ayant  jugé 
que  ce  pourroic  bien  être  fa  pénitente ,  il  fit 
courir  après.  On  ratteignit  fur  le  chemin  de 
$,  PauL 


DE  M.  BouDON.  Liv.   II,         173 
Le  premier  moment  ne  fur  pas  gracieux  ■ 
pour  elle.  Sa  précipitation  fembloit  mériter  g^^fujv' 
des  reproches  ;  elle  en  eiluya  d'alTez  vifs. 
«  Le  moins  que  vous  puiTiez  faire  ,  lui  dit  le 
i>  Religieux ,   c'étoit  d'attendre  ma  répon- 
"fe,  puifque  vous  fçaviez   que  je  n'avois 
»j  été  au  confeil  ,  que  pour  vous  donner 
«  une  décifion ,  propre  à  tranquillifer  votre 
"  confcience.  » 

Pour  adoucir  fon  Direcleur  ,  elle  répon- 
dit  avec  beaucoup  d'humilité  ^  que  fon  pre- 
mier defTein  avoir  été  de  ne  rien  faire  fans 
avoir  reçu  (es  derniers  avis  -,  mais  que  \^ 
crainte  de  quelque  nouvelle  infulte,  la  faifoic 
frémir  j  que  dans  fa  dernière  Communion 
elle  s'étoit  fentie  fi  vivement  preffée  de  finir 
cette  affaire ,  qu'elle  en  perdoit  le  repos  ; 
qu'au  relie  on  ne  devoit  avoir  aucune  inquié- 
tude à  fon  fujet ,  puifqu'étant  fous  la  pro- 
tection de  la  Sainte  Vierge  ,  elle  étoit  aiTurcc 
de  n'être  connue  qu'après  fa  mort. 

Le  Confefleur ,  qui  vit  que  c'éroit  une 
ihofe  faite ,  &  qui  d'ailleurs  en  conféquencc 
de  l'entretien  qu'il  avoir  eu  avec  le  P.  Go- 
defroi ,  ne  pouvoir  s'y  oppofer ,  l'anima  au 
bien  &  à  la  perfévérance.  11  lui  donna  une 
petite  méthode  de  conduite  ;  &  lui  recom- 
manda fur-rout  l'exercice  de  Toraifon ,  &  la 
fréquentation  des  Sacremens.  A  cette  occa- 
fion  il  eut  une  difficulté  ;  c'éroit  de  fçavoir 
comment  elle  fe  confefTeroir.  Mais  elle  avoir 
fi  bien  lié  toutes  les  parties  de  fon  fyllcme, 
qui!  n'y  avoit  point  de  difficulté,  qu'elle  ne 

Hîij 


174  ^  La  Vie 

flic  pi  ère  à  réfoudre.  Elle  répondit ,  que  Ton 
deffein  étoit  de  ne  fc  déclarer  à  pcrfonne  v 
qu'il  lui  fuffifoit  d'être  conue  de  Dieu  y  qu'elle 
efpéroit  de  fa  nûféricorde  de  ne  commettre 
aucun  péché ,  qui  l'obligeâr  à  fe  découvrir  ^ 
qu'ainfi  elle  Je  co^fejferoit  toujours  dans  le 
genre  mafculin  :  ce  fut  fon  terme ,  dont  ce 
Diredeur  fut  aflez  furpris.  Il  le  fut  encore 
plus  ,  lorfqu'il  vit  cette  fille  qui  ne  fçavoii 
pas  lire  ,  foutenir  une  longue  convcilaiioii 
fans  fe  méprendre  une  feule  fois  fur  la  diaé- 
rence  des  genres.  Au  rcAe ,  elle  fut  toujours 
d'un  fecret  inviolable  fur  ce  qui  rcgardoit 
fonfexe,  vu  même  qu'à  1  heure  de  la  mort 
elle  ne  voulut  point  fe  fiiire  connoître. 

Avant  que  de  quitter  fon  ConfcfTeur ,  elle 
lui  demanda  un  Crucifix  Ôc  une  difcipline# 
lln'ofa  lui  refufer  cet  in/irument  de  péni- 
tence ^  quoiqu'il  fçût  qu  elle  portoit  déjà  une 
haire  très  rude.  Il  joignit  à  ces  deux  préfens 
une  i -nage  de  notre-Dame  des  fepts  Dou- 
leurs, pour  qui  elle  avoit  uue  tendre  dévo- 
tion. 

Il  ne  rcfloit  plus  qu'une  diiïkulté  i  c'étoit 
de  fcâvoir  quel  nom  elle  fe  donneroit  dans 
le  public.  Le  Père,  au  choix  duquel  elle 
s'en  rapporta  ,  voulut  qu'elle  fe  fît  appel  1er 
Claude  Petit  >  Claude ,  parce  que  c'étoit 
le  nom  qu'il  portoit  lui-même ,  ôc  que  par- 
là  il  efpéroit  qu'elle  fc  fouviendroit  de  lui 
dans  fes  prières  j  Petit  ,  afin  qu'elle  ne  per- 
dît jamais  de  vue  fon  néant  &  fa  bafiefie.  Ce 
charitable  Direéleur ,  après  lui  avoir  donné 


DE  M.  BouDoN.  Liv.  II.        175 

fa  bénédidion  ,  1  abandonna  à  la  grâce  de  ^^^g  ' 
Dieu:  Bien  confus,  difoit-il,  de  voir  une&fuiv, 
£lle  foible  Ô:  naturellement  délicate ,  le  de- 
vancer dans  le  chemin  de  la  vertu  ,  &  courir 
les  rifques  de  l'indigence  &  de  la  dernière 
misère ,  pour  ne  pas  courir  les  rifques  de 
manquer  à  Dieu  &  de  perdre  fon  ame.  Ce- 
pendant dans  la  jufte  crainte  qu'il  eut ,  que 
les  rudes  travaux  auxquels  elle  fe  condan>- 
noit  elle  même ,  ne  padafTent  fcs  forces ,  il 
lui  donna  pour  dernier  ordre  de  recourir  à 
lui  dans  fes  bc feins.  Comme  il  pouvoit  man- 
quer lui  même  ,  il  fit  part  de  fon  fecret  à  la 
refpeétable  &  vertueufe  Madame  de  Bre- 
bion  5  &  il  en  tira  promejje ,  qu'en  cas  de  be- 
foin  elle  recevrait  chez,  foi  cette  fille  auiTî 
innocente  que  pénitente.  Peut-être  auifî 
qu'il  étoit  bien  aife  d'avoir  un  témoin  ,  qui 
déposât  en  faveur  de  la  vérité  ,  fi  par  hazard 
cela  devenoif  néccfiaire.  Quoi  qu'il  en  foir , 
cette  Dame ,  dont  le  nom  revient  plus  d'une 
fois  dans  notre  Hiftoire  ,  répondit  au  Père  , 
qu'elle  fe  prêteroit  très  -  volontiers  à  cette 
bonne  œuvre  ,  &  que  puifqu'elle  tâchoit  de 
ne  pas  abandonner  celles  qui  étoient  dans  le 
mauvais  chemin ,  il  étoit  bien  jufte  d'aiïïfter 
celles  qui  avoient  tant  d'amour  pour  Diea. 
Claude  Petit ,  car  c'eft  le  nom  que  nous 
lui  donnerons  déformais  avec  le  public  ,  & 
nous  prions  leLecleurde  s'y  faire  ^  Claude 
alla  donc  fe  confiner  dans  un  Village.  Mais 
il  reconnut  bienrot  qu'il  n'eft  ni  état ,  ni 
habit  q,ui  foit  à  l'abri  des  tribulations.  Il  en 

Hiv 


176  L  A  Vl  E 

■  eiîbya  une  ,  qui  ne  fera  pas  la  première  de 

&  fu?*,  ^^  genre  dans  l'Hiftoire  eccléûaftique.  Une 
iille  qui  avoir  eu  le  malheur  de  fe  laifieu  ré- 
duire ,  joignir  à  fon  premier  crime  celui  d'en 
charger  Claude  Petit.  Jamais  calomnie  ne 
fut  plus  aifée  à  confondre.  L'accufé  ne  prit 
point  le  change.  Il  fouffrir  en  paix  ,  ou  plu- 
tôt ,  comme  il  le  déclara  dans  la  fuite  ,  il 
fouffrit  avec  une  joie  qu'il  n'avoir  point  en- 
core éprouvée ,  cette  humiliation  toujours 
dure  par  elle-même,  mais  plus  dure  encore 
pour  ceux  qui  font  profcflîon  de  vertu.  Son 
innocence  fut  entin  reconnue,  de  vraifcm- 
blablement  par  l'aveu  d'un  des  deux  cou- 
pables. 

Ce  fut  peut-ctre  pour  éviter  la  gloire  qui 
couronne  eniin  l'humilité  ôc  la  patience, 
que  Claude  changea  de  domicile  ,  ëc  fe  fixa 
à  Evreux  ,  où  il  loua  deux  petites  chambres 
au  Fauxbourg  Sw  Gilles.  Sa  modclliie,  fa  ver- 
tu conltante  ,  fon  alTiduité  à  fréquenter  les 
Sacremens ,  fon  invincible  patience  dans  les 
cruelles  douleurs  d'une  gravelle,  qu'il  fouf- 
frit fans  remède  de  peur  d'être  reconnu  \  fon 
zélé  pour  l'inJtrudion  de  la  jeunefle  ,  à  qui 
il  faifoit  faire  des  lectures  édifiantes  :  un  air 
de  douceur  &  de  férénité  ,  que  fes  infirmi^ 
tés  prefque  continuelles  n'altérèrent  jamais, 
•le  firent  bientôt  pafler  dans  la  ville  pour  un 
Saint  du  premier  ordre ,  &  on  ne  lui  donna 
plus  que  le  nom  de  Frère  Claude. 

Plufieurs  Eccléfiaftiques  ,  de  fur  -  tout 
Meffieurs  Poitel,  Chanoine  de  la  Carhé- 


J 


DE  M.  BouDON.  Liv.  IL       Ï77 

^raîe ,  &  le  Roi ,  Confefleur  des  UiTulines , 7- 

foahaiterent  de  Tavoir  à  leur  fervice  :  mais  &  f^y* 
de  JLiftes  égards  pour  la  réputation  de  ces 
vertueux  Prêtres ,  chez  qui  la  mort  auroic 
pu  le  furprendre  ,  rempécherent  dy  con^ 
fenrir.  Et  quoiqu'il  fît  leurs  commiiTions , 
comme  il  faifoit  celles  d'un  grand  nombre 
d'honnêtes  gens,  il  fur  toujours  ferme  à  ne 
vouloir  loger ,  ni  même  manger  chez  eux. 

Pour  ce  qui  eft  de  M,  Boudon  ,  il  eil  vrai 
que  le  précendu  Claude  entendoit&  fervoit 
volontiers  fa  meflfe ,  parce  que  ce  faint  Prê- 
tre la  difoit  comme  un  Ange  ;  mais  ce  fut  le 
feul  rapport  qu'il  eut  avec  lui ,  &  û  TArchi^ 
diacre  l'entendit  quelquefois  en  confeiTion, 
ce  ne  fut  que  très-rarement  Ôc  au  défaut  de 
fon  Direéieur  ordinaire. 

Samorrfdt  auûï  fainte  que  l'avoit  été  fa 
vk.  Les  derniers  Sacremens  de  l'Eglife  re- 
çus avec  une  tendreiïe  ,  une  ardeur  dont  iî 
y, a  peu  d'exemples ,  lui  furent  un  ^age  de 
ia  récompenfe  qu'alloicn:  recevoir  [es  tra- 
vaux &  fes  combats.  Ce  fut  dans  cette  oc- 
cafion  que  les  femmes  qui  fe  préfenterenc 
pour  l'enfevelir ,  reconnurent  fon  fexe  .  de 
publièrent  par-tout  que  c'étoit  une  fille  tra- 
veilie  en  homme.  Dans  un  moment  ce  fut 
la  nouvelle  dii  jour  &:  de  toute  la  Ville.  Le 
bruit  en  pafia  bientôt  dans  les  lieux  circon-  . 
voifms ,  &:  ce  fut  à  la  campagne  que  Boudoa 
en  fut  informé. 

Une  découverte  fi  extraordinaire  n'affol- 
Wit  point  la    réputation  de  cette  illuûte 


lyS  La    Vie 

■?  Vierge.  Les  gens  Tages  jugèrent  qu'il  y  avoir 

1668.  là- de/Tous  un  miftere  qui  s'éclaiiciroir  aveSr 
'  Je  rems ,  Ôc  Von  fouhaitoit  qu'il  plût  à  Dieu 
de  le  manifeiler.  En  attendant  fon  heure  y 
on  fe  racontoit  à  l'envi  ce  qui  avoit  trans-- 
pire  des  vertus  de  cette  fameufe  pénitente  > 
fur-tout  de  fon  horreur  pour  l'impureté  , 
qu  elle  pourfuivoit  par  -  tout ,  ou  par  elle- 
même  ,  ou  par  l'autorité  de  ceux  quiétoienC 
capables  de  l'arrêter  ;  de  fon  zélé  pour  re- 
tirer du  crime  les  pcrfonnes  qui  s'y  étoient 
laiffé  engager  j  de  fon  attention  à  fournir  à 
leur  fragile  vertu  les  fecours  dont  elle  avoir 
befoin  pour  fe  maintenir  -,  de  fa  générofité , 
foit  à  parrager  avec  elles  le  peu  qu'elle  avoit 
pour  fa  fubfiiiance  ,  foit  à  leur  procurer  des. 
aumônes ,  qu'elle  acheta  plus  d'une  fois  par 
des  rebuts  humilians. 

Mais  en  parlant  ainfi ,  on  ne  connoiflbit 
encore  qu'une  partie  de  fes  mérites.  Nous 
en  pourrions  détailler  d'autres ,  qui  fuppo- 
fent  des  grâces  d'un  ordre  peu  commun. 
Mais  dans  un  fiecle  comme  celui  où  nous  vi^ 
vons,  on  a  prefquede  la  peine  à  écrire  ce 
que  Dieu  n'a  point  de  peine  à  opérer.  Après 
tout,  le  peu  que  nous  en  avons  dit ,  c(ï  plus 
que  fuffifant  pour  concilier  à  fa  mémoire 
une  jurte  vénération  ;  &  nous  nous  croyons 
en  droit  de  répéter  aujourd'hui ,  Ôc  d'adop- 
ter ces  paroles  qui  terminent  la  relation  du 
Curé  de  S.  Amand  6c  qu'il  adreffoit  à  M.  de 
Maupas.  »  Je  demanderois  volontiers,  Mon* 
«  feigneur  ^  il  ce  Père  Recleur  de  la  Çom- 


DE   M.    HOUDON.    LiV.   II.  179 

»  pagnie  de  Jefus ,  Ci  docte  ôc  û  fpiriruel ,       '     ■ 

»  n'a  pas  eu  raifon  de  dire  de  cette  ame  ,  que  &^i^i^ 

"  Dieu  en  vouloir  faire  quelque  chofe  de 

"  grand  j  &fl  les  effets  n'ont  pas  jullifié  ce 

"  fenrimenr?  Car  oà  trouve- 1- on  rien  de 

«  médiocre  dans  le  cours  de  cette  vie  ,  de 

"  dans  la  pratique  de  ces  vertus  ?  Quelle 

"  ardeur  célefte  pour  la  chaftcté  ?  Quelles 

"  flammes  du  faint  amour ,  qui  a  paru  vifi- 

«  biement  un  jour  qu'elle  entendoir  la  Mefle 

"à  Rouen? . . .  Quelle  patience  dans  une 

«extrémité  de  douleur?  Quelle  libéralité 

»•  au  milieu  de  la  difette?  Quelle  confiance 

"  en  la  bonté  divine  ,  &  en  la  protection  de 

»  la  fainte  Vierge  !  Quelle  forée  ôc  quelle 

«  conllance  de    perfévérer  dans  toutes  les 

sï  vertus  jufqu'à  la  fin  de  fa  vie,  Sec.  » 

Or  ce  que  penfoit  de  cette  fille  fi  extraor- 
dinaire en  tour  genre  ,  le  Curéde  S.  Am.and, 
c'eft  précifément  ce  qu'en  penfa ,  lors  de  fa 
mort,  toute  la  vilie  d'Evreux.  Bien  loin  de 
la  regarder  comime  une  perfonne  qui  eût 
joué  le  public  ôc  la  Religion ,  elle  fut  uni- 
vcrfellement  efiiméc  ,  comme  elle  méritoie 
de  rérre.  On  lui  fît  des  obféques  honora- 
bles 5  ôc  on  érigea  fur  fa  fofle  une  croix  de 
pierre  ,  pour  en  conferver  la  mémoire  ;  ôc 
nous  fçavons  pour  l'avoir  vu  ,  que  le  nomi  de 
Frère  Claude  carc'ell  ainfl  qu'on  a  toujours 
parlé ,  eil  encore  en  bénédidion  à  Evreux. 

Ce  fut  néanmoins  à  l'oecafion  de  cette- 

•Cette  Crois,  qui  auroic  du  êîre  coufeivée  ,  ne  futr- 
fifteplus, 

Hvj 


i8c  La   Vie 

■■  fille^queT  Archidiacre  fut  fi  indignement  traî- 

i66y.  ^^  j^yj^  ^^j^^  Evreux  même  ,  où  la  calomnie 
auroit  faute  aux  yeux,  mais  dans  une  partie 
du  Royaume.  On  y  publia  avec  une  impu- 
dence qui  tenoit  de  la  fureur  ,  qu'il  avoir  eit 
pour  fervante  une  perfonne  du  fexe ,  dé- 
guifée  en  hommes  mais  que  Dieu,  pour 
confondre  Thypocrifie  du  fcélérat  ,  avoir, 
permis  qu'elle  fût  reconnue  a  la  m'ort.  Le  faic 
eft  au  contraire  ,  que,  quoiqu'il  eût  pu  y 
être  innocemment  trompé ,  comme  l'cuflent 
été  ceux  qui  lui  offrirent  leur  miiilbn  j  Dieu 
^  ne  permit  pas  qu'il  le  fût ,  &  que  jamais  pen- 
dant tout  le  tems  de  fa  vie ,  fans  en  excepter 
celui  de  fes  plus  grandes  intirmités  ,  il  n*eut 
ni  valet ,  ni  fervante  ■^. 

Ceux  qui  ne  veulent  rien  approfondir ,  Se. 
moins  encore  quand  il  s'agit  de  juftificr  un 
Prêtre,  faifirent  le  dernier  morceau  de  la 
fable ,  &  enflèrent  le  rc/le  au  gré  de  leur 
pafTion.  Le  grand  Archidiacre,  à  qui  Tort 
2voit  déjà  porté  de  fi  terribles  coups ,  devine 
l'abomination  de  l'homme  grave  ,&  le  jouet 
delà  canaille.  On  le  chanfonna  fur  le  Pont, 
neuf  à  Paris.  Son  nom  courut  les  halles  avec 
les  vaudevilles-,  &  ce  qui  touche  plus  un  bon: 
cœur ,  il  fe  vit-  abandonné  par  des  perfon- 
nés,  à  qui  il  avoit  rendu  des  fer  vices  iîgna- 
lés.  Ainfi  de  quelque  côté  qu'il  allât ,  il  ne 
trouvoit  plus  que  des  croix. 

*  C'eft  donc  par  erreur  qu'on  a  dit  Je  contraire  dans  uri 
Mercure  de  1702,  quoique  l'on  escufeM,  Boudon  furfon 
%norance> 


&Luiv^ 


DE  M.  BouDON.  Liv.  II.  i8-r 
A  Evreux  ,  on  içprêchoitcn  fa  prélence  j 
Se  un  Religieux  qui  avoir  la  ilacion  du  Ca-  ^J^A^* 
rcme  ,  le  rraitoit  en  Chaire  d'hypocrite  ,. 
d'impofteur,  de  faux  Prophète.  Â  Paris  il 
rrouvoic  des  Satyres  contre  lui  jufqucs  chez^ 
hs  Libraires  qui  imprimoient  Tes  Ouvrages^ 
Un  grand  nombre  de  fes  amis  lui  tournèrent 
le  dos.  II  n'ofoit  prefque  voir  les  autres  dans 
la  crainte  de  les  compromettre.  Ainfi ,  com- 
me il  ne  tiroir  rien ,  ou  prefque  rien ,  de  fon 
Archidiaconc  ,  de  que  pour  fubfifter  il  n'a- 
voir d'autre  fonds  que  ceux  de  la  charité 
chrétienne,  il  fe  voyoit  dans  la  plus  triftc. 
fituation ,  lorfqu'il  éroit  obligé  de  fe  rendre 
en  cette  ville.  Il  y  pafia  une  fois  cinq  jours 
de  fuite  avec  la  fièvre  dans  le  grenier  d'un 
pauvre  railleur;  ôc  il  fut  alors  réduit  à  une 
fî  étrange  néceïïité  ,  qu'il  n'avoir  pour  tout 
fouîagement  qu'un  peu  d'eau ,  &  quelques 
miférables  bouillons  qui  ne  valoicnt  guéres 
mieux.  Cet  extrême  befoin  eût  pu  lui  coûter 
la  vie  ,  fi  les  Filles  de  la  Providence ,  qui 
par  hazard  en  fureur  informées ,  ne  rcuiTen: 
fait  prier  de  prendre  une  chambre  dans  le 
voiunage  de  leur  Communauté.  11  l'accepta, 
avec  bien  de  la  reconnoiiTance  ,  ôc  avec  des 
fentimens  d'une  humiîiré  fi  profonde  ,  qu'en 
entrantchez elles iibaifa  le  îcuil  delà  porte, 
&  s'écria  d'une  manière  infiniment  tou- 
chante :  *<  Efl  il  donc  vrai,  mon  Dieu  ,  que. 
«  votre  adorable  Providence  vueille  bien  en- 
3î  core  donner  un  lieu  de  retraire  à  ce  mi- 
«  férablc  pécheur ,  qui  ne  mérite  que  l'en- 


iSi  La  Vie 

*~—  »  fer ,  pendant  que  vous  n'aviez  pas  vous- 
&fuiv.  "  même,  étant  dans  le  monde,  une  pierre 
"  où  repofer  la  tête» 

Tels  furent  pendant  le  cours  de  cette  mal- 
heureufe  affaire,  ou  plutôt  pendant  toute 
fa  vie  ,  les  fentimens  de  ce  grand  ferviteur 
de  Dieu  y  mais  nous  manquerions  un  des 
plus  beaux  traits  de  fon  portrait ,  û  nous  ne 
les  développions  avec  plus  d'étendue  Rien 
de  plus  touchant ,  de  plus  noble  ,  de  plus 
chrétien, que  la  manière  dont  il  remplit  alors 
fcs  devoirs,  foit  par  rapport  à  Dieu  ,  dont  la 
main  fembloit  vouloir  l'écrafer ,  foit  par 
rapport  à  ceux  ,  qui  de  bonne  ou  de  mau- 
vaife  foi  le  perfécutoient  fans  égards  «^  fans 
miféricorde. 

Quant  à  ce  qui  regarde  fes  devoirs  en- 
vers Dieu ,  fon  cœur ,  qui  malgré  la  violen- 
ce de  l'orage  fut  toujours  inondé  d'un  fleuve 
de  paix,  fe  dévoua  au  fervice  de  ce  grand 
Maître  avec  une  fidélité  ,  une  ardeur,  que  le 
rems  des  grandes  épreuves  femblc  ne  pas 
comporter.  Chaque  jour  il  célébroit  les  di- 
vins mvfleies  à  Evrcux ,  où  Tan  n'avoit  ofé 
les  luiinterdire.il  faifoit  fesvifites  d'Archi- 
diacre avec  autant  de  zélé  que  jamais.  Il  s'y 
dédommageoit  par  des  difcours  vifs  &  en- 
flammés de  l'impuiffance  où  on  l'avoir  mis 
de  prêcher  hors  le  temps  de  fes  fondlions  y. 
&c  quoique  ,  eu  égard  aux  préjugés  des  peu- 
ples, fon  Auditoire  fut  aufll  défcrr ,  qu'il 
avoir  été  nombreux  quelques  années  aupara- 
vant ,  il  park?it  avec  toute  la  chaleur  d'ua 


DE  M.  BouDON,  Liv.  ÎI.         1S3 

homme,  qui  eft  prêt  à  donner  fon  fang  ôc    ^^^g^ 
fa  vie  pour  la  converfion  d'une  feule  ame.  &  iui?> 
11  faifoit  à  Tordinaîre  ces  pieux  &  laborieux 
pèlerinages,  qui  lui  ont  raéricé tant  de  grâ- 
ces. Sur-tout  il  réclamoit  du  milieu  des  flots 
où  il  étoit  comme  enfeveli,  la  protection  de 
celle  que  l'Eglife  nomme  l'Etoile  de  la  mer» 
Dans  cetce  vue  il  fit  le  vovage  de  Chartres , 
où  cette  Vierge  mère  eil:  û  particulièrement 
honorée  :  &  ce  fut  là  y  dit  fon  principal  Hif- 
torien  ,  que  nous  eûmes  le  bonheur  de  le  voir 
pour  la  première  fois  ,  &  et  apprendre  de  lia 
l'honneur  que  Dieu  lui  faifoit  defoujfrir  pour 
fa  gloire. 

Cétoit  efFedivement  en  ces  termes,  qus- 
Boudon  parloit  de  fes  humiliations.  Sa  croix: 
ctoit  pour  lui  unefource  intariflabîe  de  joie, 
mais  d'une  joie  iî  vive ,  fi  animée  ,  qu'elle 
éclatoit  au  dehors  mialgré  qu'il  en  eût.  Cefl 
que ,  comme  il  l'avoua  une  fois ,  il  avoir 
toujours  dans  l'efprit  ces  confolantes  paro- 
les du  Sauveur;  <*  Vous  ferez  heureux  quand. 
»  on  vous  chargera  de  malédiclions  ,  qu'on: 
»vous  perfécutera ,  qu'on  dira  faufiement;' 
>»  toutes  fortes  de  maux  contre  vous  à  cau- 
»  fe  de  moi.  RéjouiHez  -  vous  alors ,  &  tref- 
«  faillez  de  joie  \  parce  que  la  récompenfe 
>î  qui  vous  attend  dans  le  Ciel ,  e/1  grande.. 
y>  Heureux  donc  ,  difoit-il  encore  ,   &  bien- 
»>  heureux  ceux  qui  fouffrent  ,  mais  plusheii- 
>j  reux  ceux  qui  font  crucifiés  de  toutes  parts, 
»»  &  qui  ne  peuvent  ni  mettre  le  pied ,  ni 
»  repofer  la  tête ,  ni  appuyer  leurs  matus ,  ri 


184       ^  La     Vie 

■■         "  foutenir  leur  corps ,  que  fur  la  Croix  y 
&fuhv  "  ^^^  font  eux-mêmes  àcs  croix  vivantes, 
f>  ôc  qui  n'ont  au  corps  ou  à  refprit  aucune 
»  partie  qui  ne  ibit  crucifiée.  >» 

C'étoit  en  partant  de  ces  grands  principes, 
qui  après  tout  ne  font  que  la  fubflance  de 
l'Evangile  bien  entendu ,  que  Boudon  agréa- 
blement flatté  de  fes  fouffrances ,  s'en  hu* 
milioit  devant  Dieu,  comme  une  perfonne 
naturellement  modefle  s  humilie  à  la  vue 
d'une  diftinélion  trop  marquée.  «  O  mon 
'>  Seigneur  ,  s'écrim-ilfouvent ,  par  où  ai-je 
'>  mérité  que  vous  me  traitiez  comme  vos 
5>  plus  chers  favoris  !  Pourquoi  me  donnez- 
»  vous  en  partage  la  pauvreté ,  les  mépris , 
"  la  douleur  !  D'où  vient  cet  abandonnc- 
'•>  ment  intérieur  &  extérieur ,  qjuieil  la  por- 
'>  tion  chérie  de  vos  premiers  nés  !  ->' 

Ce  qui  le  tou choit  le  plus ,  &  ce  qui  re- 
doubloir  fes  actions  de  grâce,  c'eil:  que  Dieu, 
pour  le  faire  entrer  dans  ce  délicieux  fentier 
de  croix  &c  d'opprobres  ,  étoit  plus  ou  moins 
forti  des  loix  ordinaires  de  fa  conduite  : 
comme  iorfqu'il  avoir  amené  à  Evreux  cette 
iîlle  vêtue  en  garçon ,  qui  devoir  donner  lieu 
aux  calomnies  dont  il  fut  noirci  \  Iorfqu'il 
avoir  fermé  le  cœur  à  des  gens  qiiMui  a  voient 
les  dernières  obligations  j  Iorfqu'il  avoir  iî 
profondément  endormi  tous  fes  parens ,  qui- 
faifoient  a  Rouen  une  figure  diftinguée ,  que 
pas  un  d'eux  n'ouvrit  la  bouche  en  fa  faveur: 
enforte  qu'il  pouvoit  dire  avec  le  Prophète 
Roi  :  «  Mcsfrerçs  rriont  traité  aomm^  mt  . 


DE    M.    BOUDON.  LiV.    II.  I  Çj 

inconnu  ,  &  les  enfans  de  ma  mère  comme  un  — - 

A  la  vue  de  ce  renveriement  aordre  ,  qui 
fait  éclater  en  plaiiires  des  Chrétiens  mal  af- 
fermis 5  Boudon  éclatoit  en  rranfporrs  de 
reeonnoiffance.  Mais  cette  reconr.oifiancc 
ne  lui  fuffifoit  pas.  Il  s'étoit  allumé  dans  Ton  . 
cœur  un  feu  à  qui  les  croix  feules  pouvoient 
fervir d'aliment.  Et  ces  croix,  il  \qs  com- 
ptoit  pour  peu  de  chofe  ,  lorfque  par  leur 
pefanteur  elles  n'approchoicnt  pas  de  celle 
de  fon  divin  Maître.  Point  de  genre  d'é- 
preuves qui  ne  fiuTent  \ts  bien  venues  dai\s 
ce  grand  cœur.  Il  alloit  au-devant  avec  re- 
fpedt  j  il  les  recevok  avec  honneur.  «  Il  faut 
«  avouer  ,  difoit  -il ,  que  le  comble  de  ma 
»  joie  feroit  d'être  emprifonné  ,  chargé  de 
«  fers ,  faufTement  accufé  des  plus  grands 
>»  crimes ,  condamné  à  la  mort ,  exécuté  fur 
"  un  gibet ,  au  milieu  d'une  confufion  de 
"  peuple  plus  nombreux ,  s'il  étoit  poiïlble , 
»  que  celle  qur  à  la  mort  de  J,  C.  fe  rrou'/a: 
«  fur  le  Calvaire.  Je  fçais,  eontinuoÎMl  ^  que 
»  peu  de  perfonnes  goûteront  ce  genre  de 
"  mort  jmais  je  fçais  que  mon  Maître  & 
y*  mon  Dieu  Ta  goiîcé ,  &  qu'il  ne  fe  trompe 
w  point  dans  le  goût  dçs  chofes.  Je  fçais  que 
»  ce  qu'il  trouve  bon  eft  bon,  quoi  qu'en 
>ï  penfenr  &  qu'en  puiÏÏent  dire  les  créatu- 
»  res ,  dont  le  goût  ell  dépravé  par  la  corv 
*>  ruptîon  du  péché.  » 

Cette  ardeur ,  ou  cette  efpéce  de  faînte 
fureur  qu'avoir  l'Aichidiacre  pour  les  fouÊ- 


1Î6  La    Vu 

■ frances  ,  éroir  de  tems  en  rems  foutenne  par 

i«68.  clés  exemples  bien  propres  à  le  confoler.  Un 
homme  de  bien  qui  revenoit  d'Angleterre, 
loi  raconta  à  Paris ,  qu'un  grand  Seigneur  de 
ce  Royaume ,  avoir  été  dépouillé  de  tous  Ces 
biens,  parce  qu'il  éroit  Catholique  ,  &  que 
fon  château  avoir  été  donné  à  un  autre  , 
parce  qu'il  étoit  bon  Anglican  j  que  le  pre- 
mier ft  voyant  fans  reflburce  avoit  fupplié 
le  fécond  de  le  loger  dans  un  petit  coin  de 
fon  ancic  iMie  maifon  ,  ce  qu'il  lui  avoit  ac- 
cordé-,  q:e  réduit  à  n'avoir  pour  retraite 
qu'un  r.iicrable  trou  ,  &z  pour  nourritiire 
que  du  pain  noir ,  il  voyoit  dans  une  paix 
profonde  àcs  gens  qui  ne  lui  étoient  rien  , 
faire  tous  les  jours  grande  chère  à  fes  dé- 
pens ,  &  habiter  un  fomptueux  palais ,  dont 
il  avoit  fait  tous  les  frais,  pendant  qu'il  cou- 
choit  dans  l'ordure,  &  qu'il  vivoit  dans  îa 
mifere. 

«  J'ai  vu  ,  difoit  cet  Etranger  ,  j'ai  vu  ce 
»»  digne  Confeffeur  delà  foi.  Il  me  reçut  avec 
w  bien  de  la  charité.  Il  voulut  même  me 
«  traiter  j  mais  le  pain  &  l'eau  furent  tous  les 
»  mets  du  feftin  qu'il  me  fit  j  &  il  ne  pur  al- 
»'  1er  plus  loin.  Ce  qui  me  ravit,  c'eft  qu'il 
»  m'aïïura  que  jamais  il  n'avoit  été  fi  con- 
»>  tent.  » 

Ces  fortes  d'exemples  animoient  fi  puif- 
famment  l'homme  de  Dieu  ,  qu'il  ne  pou- 
voit  plus  regarder  (ts  ennemis ,  que  comme 
des  bienfaiteurs  ,  à  qui  il  devoir  toute  fa 
tendreffe  &:  toute  fa  reconnoiflance.  AulTi 


I 


DE  M.  BouDON.  Liv.  II.  187 
iît-il  pour  eux  ce  qu  un  bon  cœur  ne  fait  pas  ; 
toujours  pour  des  amis  éprouvés.  11  tendit  &^to. 
la  niain  à  ce  fouple  Ôc  dangereux  calomnia- 
teur ,  qui  lui  avoir  porté  le  dernier  Se  peut- 
être  le  premier  coup  ,  ainfi  que  nous  le  ver- 
rons dans  la  fuite.  11  eut  roujoursunefingulic- 
re  vénération  pour  1  Ordre  de  ce  déclamareur, 
qui  lavoit  fi  indignement  traité  en  Chaire  \  & 
pour  ce  qui  eu  du  Prédicateur  même  ,  il  n'en 
parla  jamais  qu'avec  eûime  -,  5c  depuis  C3. 
mort  :  «  Je  crois,  difoit-il,  que  Dieu  lui  aura 
3)  fait  miféricorde,  parce  qu'il  croyoit  bien 
>'  faire.  « 

A  regard  de  M.  de  Maupas ,  qui  afTu ré- 
ment lui  donna  beaucoup  d'exercice  ,  on  fe 
fouvient  qu'au  fort  de  ks  peines ,  il  vouloir 
qu'on  l'honorât  &  qu'on  en  dn  du  bien  ; 
mais  peut  être  qu'on  auroit  peine  à  croire, 
qu'il  ait  pu  s'acquitter  de  ce  double  devoir 
Il  pleinement  &  fi  conflammenr. 

11  étoit  à  Paris  chez  les  Dames  de  la  Vifi- 
tation  du  Fauxbourg  S.  Jacques ,  &  il  ne  fai- 
-foit  que  fortir  de  Chaire,  îorfqu'on  vint  lui 
annoncer  l'étrange  mort  de  ce  Prélat ,  qui 
avoit  été  à  demi  brifé  *  fous  les  roues  de  fon 
caroffe.  Après  les  premiers  momens,  qui 
fe  donnent  de  plein  droit  à  la  douleur  ,  ces 
Dames  qui  n'avoient  pas  oublié  les  bons  of- 

*  M.  de  Maupas  ,  qui  aimoit  à  donner  i^e  rémularion  à 
ion  Clergé  ,  Tcnoit  d'entendre  le  fermon  d'^un  de  fes  jeu- 
nes Ecciéfiaftiques  ,  lorique  fes  chevaux  à  une  defcente 
près  d'Fvreux  prirent  le  mors  aux  dents.  On  eut  le  tems  de 
le  tranfporter  à  TEvêché  ,  &  de  lui  donner  les  Sacre- 
mens^ll  y  mourut  le  lendemain  ,  Liuidi  12   Août  1680. 


.       îtg  La     Vie 

•^^^  fîcces  que  M.  de  Maupas  leur  avoit  rendus 
Stfmi.  ^  Rome  dans  TafFaire  de  la  canonifation  de 
S.  François  de  Sales ,  prièrent  le  grand  Ar- 
chidiacre de  leur  dire  un  mot  de  fcs  vertus. 
II  le  fie  pendant  près  d\ine  heure  -,  mais  avec 
tant  de  zélé  ,  tant  d'efFufion  de  cœur ,  que 
toute  la  Communauté    en  fut  enchantée. 

Mais  les  anciennes ,  &  fur-tout  Madame 
de  Lamoignon  ,  qui  fçavoient  ce  qui  s'éroit 
pafle  à  Evreux  entre  ces  deux  grands  hom- 
mes ,  ôc  qui  remarquèrent  que  dans  le  cours 
de  ce  long,  entretien  il  n  cchapa  pas  h  Bou- 
don  un  feulïota  qui  fentit  laplainrc  ,  en  fu^ 
rent  fi  édifiées  ,  que  plus  de  vingt  ans  après  , 
eelles  qui  re/loient  encore ,  n'en  parloient 
qu'avec  admiration. 

Mais  ce  ne  fut  point  parce  que  la  paix  étoîc 
faite  alors,  que  l'Archidiacre  louoit  M.  de 
Maupas.  Il  Tavoit  fait  dans  le  tems  même,  où 
une  vertu  ordinaire  croit  que  lefilence  ôc  la 
fuppreifion  des  murmures  font  le  feul  facrifice 
que  Dieu  puifie  exiger  d'elle  :  mais  il  l'avoit 
fait  avec  ces  traits  mâles  ôc  nourris  ,  qui  de 
la  part  d'un  autre  auroient  annoncé  un  ta- 
bleau d'idée,  ôc  qui  heureufement  ne  pou- 
voient  annoncer  de  la  fienne  qu'un  pinceau 
fidèle  ôc  Chrétien.  Nous  allons  préfcnter 
ce  portrait  -,  non  pour  faire  contrarter  l'Ar- 
chidiacre avec  l'Evcque:  mais  pour  faire  voir 
aux  Grands ,  que  la  vertu  Ôc  les  bonnes  in- 
tentions  ne  ks  mettent  point  à  l'abti  de  la 
furprife,  ôc  qu'ils  doivent  vingt  fois  reve- 
nir à  l'examen ,  quand  il  s'agit  de  juger  en 


DE  M.  BouDON.  Liv.  IL         189 
dernier  leiTorrun  MiniPcre  de  Jefus-Chrift. 

Henri  de  Maupas  du  Tour  ,  d'une  des 
plus  illu/lres  familles  du  Royaume  ,  pafTa  le 
temps  de  fa  jeunefle  avec  tant  de  piété  ,  qu'il 
en  ménageoit  tous  les  momens  avec  une  at- 
tention qui  alloit  jufqu'au  fcrupule. 

A  l'âge  de  1.3  ou  14  ans,  il  fe  dépouilla 
de  fon  droit  d'aînefo  pour  entrer  dans  la 
Cléricarure.  Sa  famille  fur  étonnée  d'une 
démarche  fi  généreufe  :  le  public  en  fut  édi- 
B-é  i  Dieu  la  récompenfa  par  une  de  ces  vi- 
cloires  que  l'homme  de  chair  méprife  ,  & 
que  la  Religion  f^ait  apprécier.  Une  femme 
plus  belle  que  vertucufe  tendit  un  piège  à 
fon  innocence.  Ses  difcours  libres  ôc  paflion- 
nés  la  décélèrent.  Le  jeune  Maupas  en  eue 
horreur.  Il  reçut  fes  premières  avances  de 
manière  à  la  difpenfer  d'en  faire  de  nouvel- 
les. Engagé  par  un  emploi  honorable  "^  à 
iliivre  la  Cour,  il  fçut  y  vivre  comme  il  eût 
fait  dans  lin  cloître.  Malgré  cela  il  fut  cruel- 
lement déchiré  par  un  libelle  qu'on  lui  mie 
en  main.  Il  s'en  vengea  fur  l'heure,  mais 
comme  fe  vengent  les  Saints  :  au  moment 
même  il  alla  offrir  pour  fon  calomniateur  la 
victime  de  paix  &:  de  propitiacion. 

Nourri  du  lait  &  des  maximes  de  S.  Vin- 
.centdc  Paul  ,dont  il  fit  le  panégyrique  fu- 
nèbre ,  fa  foi  éroit  fi  pure ,  qu'il  fut  toujours 
rintrépide  défenfeur  de  toutes  les  vérités 
catholiques.  Si  les  Novateurs  réulFirent  à 

*  Il  étoit  premier  Aumônier  de  la  Reine  Ai'me  d'AU)? 


I 

&IU1V 


î  90  L  A      V  I  E 

1  aliéner  de  fon  Archidiacre ,  ce  ne  fut  qu'à 
<^^^^j   la  faveur  d'un  mafque,  fous  lequel  il  étoit 
impoflible  de  les  rcconnoître. 

Son  amour  pour  Dieu  étoit  fî  ardent , 
qu'il  étoit  toujours  prêt  à  mourir  pour  fon 
fervice  j  &  fur  la  fin  de  fes  jours ,  quoique 
d'un  âge  déjà  fort  avancé  ,  lorfqu'il  enten- 
doit  jurer  fon  faint  nom  ,  il  faifoit  arrêter 
fon  équipage  y  ôc  fondant  fur  le  blafphéma- 
teur  3  il  k  reprenoit  avec  tant  de  force  ,  Se 
tout  à  la  fois  tant  de  bonté ,  que  chargé  de 
confufion  ,  l'impie  fe  jettoit  à  Ces  pieds  ,  Se 
Je  conjuroit  humblement  de  lui  pardonner 
fa  faute. 

Sa  tendrefïie  pour  la  faintc  Vierge  étoit 
auHTi  vive  qu'elle  étoit  lumineufe.  Il  avoir 
mis  fous  fa  proteéiion  fon  Dioccfe  ,  fa  fa- 
mille ,  faperfonne  ,  fon  falut.  11  fe  déclaroit 
publiquement  l'ennemi  des  ennemis  de  cette 
Reine  des  Anges.  Il  ne  pouvoit  fouffrir  ceux 
qui  affoibliffoient  fon  culte.  11  parloit  digne- 
ment de  fa  gloire  &  de  fes  grandeurs  -,  & 
quoiqu'on  ait  dit  de  lui,  que  de  fon  tems  il 
n'y  avoit  perfonne  qui  prêchât  d'une  façon 
plus  naturelle ,  plus  profonde ,  plus  tou- 
chante, il  fe  furpaflbit ,  quand  il  étoit  qiief- 
lion  de  la  Mère  de  Dieu. 

Son  affection  pour  les  pauvres  éroir  fi 
grande  ,  qu'il  alloit  les  chercher  dans  les  hô- 
pitaux ,  dans  les  cabanes  ,  dans  les  champs  . 
pour  les  indruire.  Il  fe  faifoit  honneur  de 
leur  apprendre  à  faire  le  figne  de  la  croix  , 
à  réciter  leurs  prières ,  à  connoîtrc  le  Sei- 


I 


DE   M.   BOUDON    Liv.   lï.  19 1 

gneur  Jcfus  ,  ëc  les  mviieies  delà  Religion. 
Dans  les  Villages  de  fon  Diocèie  il  alTem- 
bloit  au  fon  de  la  cloche  ks  habicans  du 
lieu.  Il  interrogeoit  lui  -  même  les  enfans , 
pour  voir  Ci  le  Pafteur  faifoic  fon  devoir ,  ôc 
s'il  avoit  foin  de  fournir  à  la  jeuneffe  le  lait 
dont  elle  a  befoin.  En  voyage  ,  dès  qu'il  étoit 
defcendu  en  quelque  hôceilerie ,  il  fe  fai- 
foic amener  ôc  ks  enfans  de  les  pauvres  pour 
les  catéchifer.  Tous  les  foirs  Boudon  ,  de- 
vant ôc  après  les  brouilleries  dont  nous 
avons  parlé ,  faifoit  par  fon  ordre  un  dif- 
cours  de  piété  à  Ces  domeltiques. 

Une  de  Ces  maximes  étoit  que  l'orgueil 
n'a  jamais  fait  que  des  démons.  Pour  l'évi- 
ter il  rcfufa  humblement  TArchevéché  de 
Touloufc.  La  Reine ,  qui  1  avoit  toujours 
regardé  comme  un  fujet  fidèle ,  informée  de 
fon  mériie  ,  voulut  l'avoir  pour  Père ,  &  le 
traita  comme  tel.  Ces  diilinclionsne  renflè- 
rent point.  L'idée  de  fon  néant  lui  fut  tou- 
jours préfente. 

-  Ses  voyages  n'ôtoienr  rien  ni  à  fa  piété , 
ni  à  la  pièce  de  ceux  qui  avoienc  le  bonheur 
de  l'accompagner.  Son  caroffe  ècoic  une  ef- 
péce  de  temple  mobile  ,  où  Ton  immoloit 
fans  cefTe  à  Dieu  des  facrifices  de  louanges. 
Evéque  du  Puy  en  Vêlai ,  il  avoit  travaille 
avec  une  application  infatigable  ,  foit  par 
fes  vifices  &  fe  s  Synodes  ,  foit  par  fes  Mif- 
fions  ôc  fes  Séminaires  ,  à  arracher  de  la  vi- 
gne du  Père  de  famille  les  épir.vi  qui  la  dé- 
figuroienr.  Eyêquc   4'^yi^^^x  ,  il  travailla 


ï^%  L  A     V  I  1 

—  avec  la  même  ardeur  à  défricher  un  champ 
Sc7idv,  ^'^^^^^^^^  P^"^  précieux  ,  que  le  fonds  en  étoic 
'  admirable.  11  mit  la  réforme  dans  les  Ab- 
bayes :  il  établie  des  Mi/Tions  &  des  Confé- 
rences i  il  diftribua  aux  pet-its  &C  aux  grands 
une  nourriture  proportionnée  ;  il  partagea 
fes  revenus  avec  l'indigent ,  de  par  fa  der- 
nière volonté  il  fît  les  pauvres  fes  légataires 
iKiivcrfels:  Ainfi  quelque  promptequ'ait  été 
fa  mort,  on  a  lieu  de  croire  qu'elle  ne  fut 
pas  imprévue. 

Tel  cil  en  raccourci  le  portrait  de  M.  de 
Maupas  >  &  c'eft  en  grande  partie  à  fon  Ar- 
chidiacre que  nous  le  devons.  On  a  peine  à 
n'ypas  voir  qu'il  ait  honoré  ce  faint  Prêtre 
d'une  amitié  contante  :  4vais  tant  qu'il  y 
aura  âts  hommes  fur  la  t-erre  ,  il  y  aura  des 
tiiéprifesi(i5<:  jufqu'à  la  fin  des  fiécles ,  il  fe 
li-ouvera  des  Conllantins  ,  qui  féduits  par 
la  faétion  Eufcbienne  ,  croiront  honorer 
Dieu  en  perfécutant  les  Athanafes.  Heu- 
reux encore  ces  Perfécuteurs  forcés  ,  quand 
à  l'exemple  de  M,  d'Evreux  ,  ils  découvrent 
enfin  le  piège  qu'on  leur  avoit  tendu ,  ôc 
qu'iJs  reviennent  entièrement  de  leurs  pré- 
ventions. 

Après  tout ,  il  n'étoit  pas  de  l'ordre  delà 
Providence,  qu'un  Prélat,  d'ailleurs  fi  refpe- 
étable  ,  ne  reconnût  jamais  la  vérité.  Il  y  eut 
même  toujours  en  lui  ,  après  les  premiers 
feux  ,  une  forte  d'incertitude  ,  &  un  fonds 
d'inclination  ,  qui  le  difpofoient  peu  à  peu  ■ 
à  fe  déclarçf  en  faveur  de  l'innocence.  La 

vue 


DH  M.  BOUDON.    Liv.  IL  193 

vûede  TArchidiacre  toujours  femblable  à  lui-  • 

même  j  fa  parience  invincible  ,  fon  zele  in-   ^^7^' 
fatigable  ,  fon  arrention  à  ne  dire  que  du        "** 
bien  de  Ces  ennemis  les  plus  déclarés ,  fa 
mode/îie,  cet  air  de  paix,  que  les  païïions 
ne  connoifTent  pas ,  ik  qu'elles  donnent  en- 
core  moins  -,  rout  cela  faifoic  fur  le  cœur  de 
M.  de  Maupas,  une  impreflion  qui  le  mer- 
toir  aux  prifes  avec  lui-même  ,  de  qui  le  for- 
çoit  de  revenir  au  jugement.  Je  ne  fçais ,  di- 
foit-il  quelquefois  à  M.  Boudon,  qui  s'a- 
drefToirà  lui  avec  uue  parfaire  confiance, 
quand  les  affaires  de  Dieu  le  demandoient , 
je  ne  fçais  comment  je  vous  ai  fait  de  la  pemei 
car  au  fond  s  je  vous  aime,  &  vous  eftime. 
Mon  Archidiacre  ,  difoit-il  dans  une  autre 
occafion,  ceflun  Ange  ,  ctftun  Archange. 
Cependant  comme   cet  Ange  avoir  été 
profcrit  dans  un  nombreux  confeil ,  où  f  E- 
veque  d'Evreuxne  fçavoit  point  encore  que 
l'iniquité  &  l'artifice  euffent  beaucoup  plus 
préfidé ,  qu'il  n'y  avoir  préfidé  lui  méme^  il 
y.  a  toute  apparence  que  les  chofcs  n'auroienc 
pas  changé  de  face ,  fi  Dieu  n'eut  fait  enten- 
dre fa  voix.  Elle  éclata  enfin  ,  ac  ce  im  par 
l'organe  de  deux  Eccléfiaftiques  auffi  difié^ 
rens  de  mœurs,  qu'ils  Tétoient  de  fentimens, 

^  Le  premier  étoit  un  homme  d'une  pro- 
bité  antique  ,  d'une  droiture  à  toute  épreu- 
ve. Celui  ci ,  après  avoir  examiné  à  fond  l'af- 
faire du  grand  Archidiacre ,  &  l'avoir  fuivic 
dans  toutes  fes  branches ,  démontra  au  Pré- 
lat ,  que  de  toutes  \^%  accufation<;  intentées 

I 


194  La    Vie 

*  "  '  contre  Boudon ,  il  n'y  en  avoit  pas  une  qui 
„^p.^'  ne  fut  le  fruit  de  l'envie  &  de  limpoilure, 
M.  de  Maupas,  fembldble  à  un  homme  qu'un 
bruit  auquel  il  n'eft  pas  fait,  tire  tout-à- 
coup  d'un  profond  fommeil  j  mande  fur  le 
champ  ce  vertueux  perfécuté.  11  le  force  de 
rompre  le  filence ,  que  le  defir  des  humilia- 
tions, &  la  malice  de  Ces  ennemis  lui  àvoient 
impofc.  11  l'entend  article  par  article.  Cha- 
que circonftance  éclaircie  devient  une  preu- 
ve de  fon  innocence.  Les  doutes  formés 
contre  lui  s  evanouifTent.  On  le  plaint  moins 
d'avoir  fouffert ,  qu'on  ne  fe  plaint  foi-même 
d'avoir  été  trompé  jufqu  à  le  faire  fouffrir  : 
&  Dieu  qui  veut  fermer  jufqu'à  l'ombre  du 
retour  ,  permet  que  fon  plus  violent  accu- 
fateur  devienne  fon  plus  sûr  Apologifle. 

Nous  avons  dit  ci-defliis  qu'entre  tous  les 
ennemis  de  l'Archidiacre  ,  il  y  en  avoit  un 
dont  les  coups  étoicnt  d'autant  plus  dange- 
reux ,  qu'ils  partoient  d'une  main  plus  me- 
furée.  Or  il  arriva  par  un  de  ces  terribles  ju- 
gemens  de  Dieu,  que  S.  Auguflin  ne  lailFe 
pas  de  regarder  comme  des  traits  de  mifé- 
ricorde  ,  que  cet  homme  fi  grave ,  fi  impor- 
tant, fi  accoutumé  à  être  l'oracle  de  fon 
Evêque ,  fit  une  de  ces  chutes  épouvanta- 
bles qui  ne  fe  pardonnent  point  ^  ôc  que  cette 
chute  lui  fut  reprochée  publiquement  par  la 
perfonne  qu'il  avoit  féduite,  ou  peut  -  être 
par  qui  il  s'étoit  laiffé  corrompre.  Dans  le 
trouble  énorme  ,  dans  la  confufion  que  cau- 
fe  un  coupfiafrommanc ,  ce  malheureux  fe 


DE  M.  BOUDON.  Liv,  II.  icjy 
foiivînt  des  maux  qu'il  avoic'fairsau  grand—— 
Archidiacre.  Les  bons  exemples  que  lui  avoir  i%l'^, 
donnés  ce  faint  Prérre ,  la  foumifllon,  la  joie 
mcme  avec  laquelle  il  avoir  fupporré  Tes  pei  • 
nés,  lui  revinrent  dans  refprii:.  Il  crut  qu'il 
trouveroir  dans  les  encrailles  de  fa  charité 
de  quoi  calmer  les  remords  qui  le  déchi- 
roienr.  Il  alla  k  trouver  ,  il  s'humilia  autant 
devant  lui,  qu'il  avoir  voulu  l'humilier  de- 
vant les  hommes.  Il  s'offrit  denétrader  par 
un  défaveu  public  les  calomnies  qu'il  avoic 
avancées  contre  lui.  Et  lur  ce  que  Boudon  , 
bien  éloigné  d'accabler  un  homme  qui  letoic 

'déjà  affez  ,  le  lui  défendit  ,  il  fçut  le  faire 
fans  l'ôffenfer.  Il  fc  mit  fous  fa  conduite.  Il 
lui  ouvrir  dans  le  facré  Tribunal  fon  cœuL* 
&fes  plaies.  Il  ajouta  de  nouvelles  péniten- 
ces à  celles  qui  lui  étoient  impofées.  Em- 
plois ,  Béncnces ,  Compagnies  ,  il  quitta 
rout  ,  pour  vivre  prcfqu'aufri  pauvre  que  le- 
toit  fon  Directeur.  Il  mourur  enfin  entre 
fes  bras,  plus  rempli  de  tendrefe  pour  lui 
par  la  venu  du  Sauveur  ,  qu'il  ne  l'avoit  été 

■  de  fiel  ôz  d'averfion  par  le  mouvement  de 

'  l'ennemi  du  falut.  ^ 

C'eflainfi  que  Dieu  juftifia  fon  ferviteur. 
Tous  les  gens  de  bien  prirent  part  à  fon 
triomphe  :  Se  ce  fut  avec  un  véritable  plai- 
fir,  que  ceux  qui  aimoient  la  Religion,  le 
virent ,  comme  avant  fa  difgrace  ,  exercer 
fon  zèle  ôc  dans  l'adminifl ration  de  la  Péni- 
tence ,  Ôc  dans  toures  les  Chaires  du  Dio- 
cèfe.  Son  Evêque  ne  fe  contenta  pas  de  lui 

lij 


T9^  La    Vie 

*  '  '  rendic  fes  premiers  pouvoirs  j  il  crut  devoir 
&fuiJ.*  ^^  dédommager  de  Ces  peines,  en  lui  don- 
nant des  marques  authentiques  d'efîime  & 
d'affedlion.  Il  honora  de  fa  préience  plufîeurs 
de  Ces  prédicationsi  ôc  il  voulut  que  tant  qu'il 
demeurcroit  à  Evreux,  il  n'eût  point  d'autre 
table  que  la  fiennc. 

Cette  réconciliation  dans  un  tems  où  le 
grand  Archidiacre  s'y  attendoit  le  moins , 
produifit  dans  fon  cœur  deux  fentimens  tout- 
à-fait  oppofes ,  la  joie  Se  la  trillefle.  Dévoué 
&  très  -  parfaitement  dévoué  à  fon  Evêque , 
il  fe  réjouit  en  Dieu  de  voir  la  fin  d'une  af- 
faire qui  faifoit  tort  à  ce  Prélat  dans  l'efprit 
de  bien  d'honnêtes  gens.  Altéré  de  la  foif  de 
fouffrir  ,  il  s'affligea  de  fe  voir  trouvé  trop 
foiblc  pour  porter  la  croix  jufqu'à  la  fin.  Ce- 
pendant il  adora  la  main  qui  le  relevoit  de 
l'opprobre  ,  comme  il  avoit  adoré  celle  qui 
récrafoit.  Dans  fon  premier  état  il  invita 
fes  amis  à  le  féliciter  du  bonheur  qu'il  avoit 
de  verfer  des  larmes:  dans  le  fécond  ,  il  les 
fupplia  de  remercier  Dieu  de  ce  qu'il  avoit 
daigné  en  tarir  la  fource  :  trcs-difpofé  à  en 
répandre  de  noi^^elles ,  fi  c'étoit  fa  faintc 
volonté. 

Cette  réconciliation  ,  dont  le  bruit  fe  ré- 
pandit peu  à  peu  jufqu'aux  extrémités  du 
Royaume  "^  mit  Ces  ennemis  en  fureur.  Leur 

*  M.  Boudon  travailla  avec  fon  fuccès  ordinaire  à  Bor- 
t^eaux  en  1(^79.  Ses  lettres  d'Approbation  lui  donnent  un 
titre  qui  ne  paroît  pas  de  ftyle  :  Henricus  miferatione  di- 
vinâ  ,  &c.  ycncrabili  Magijîro  Boudon  »  &c.dU  ij  Junii 


DE  M.  BOUDON.  Liv.  IL  197 

dépîr  augmenta  ,  quand  ils  virent  que  la  — — 
calomnie  n'avoic  plus  d'accès  aupiès  du  Pré-  ^^^Z^'^ 
la: ,  &  que  les  mefures  qu  ils  avoien:  prifes 
pour  achever  de  le  perdre,  ou  du  moins 
pour  le  dégoûrer  de  Ton  emploi ,  ne  leur  laif- 
foienr  que  la  confufion  d'un  projet  égale- 
ment odieux  &  frivole.  Malgré  leur  indigne 
manœuvre  ,  tour  plia  fous  l'autorité  légiti- 
me: Boudon  dans  fes  vifites  fut  reçu  par- 
tout avec  le  rcfpecl  qui  lui  étoit  dû.  Et  de- 
puis ce  tems  jufqu'à  fa  mort,  û  l'on  en  excep- 
te quelques-uns  de  ces  vieux  pécheurs  ,  donc 
la  converfionfe  met  au  nombre  des  mi  racles, 
le  ferviteur  de  Dieu  n'eut  plus  qu'à  fe  louer 
6c  des  Brebis ,  &:  des  Fadeurs. 

Ce  retour  inattendu  fut  un  nouveau  fujet 
de  chagrin  pour  ceux  qui  avoient  conjuré 
fa  perte.  Mais  ce  ne  fut  pas  la  dernière  mor- 
tification qu'ils  eurent  à  dévorer.  Malgré 
tous  leurs  efforts,  Jacques  Potier  de  No- 
vion  5  qui  fuccéda  à  iM.  de  Maupas  en  1 62 1, 
*  eut  pour  l'Archidiacre  les  mêmes  atten- 
tions qu'avoit  eu  pour  lui  fon  illuftre  Pré- 
déceffeur:  &  quelque  tems  après  l'Allema- 
gne lui  donna  une  marque  d'eAime  ,  qui  les 
mit  au  défefpoir. 

La  Duchefle  de  Bavière  ,  qu'il  avoir  au- 


*  tt  non  pas  en  1680.  comme  ledit  M.  Rouault ,  Curé 
Je  S.  Pair,  Louis-Joleph-Adeymar  de  Grignan  ,  qui  ne 
prit  jamais  pofTeflion  de  TEvêché  d^Evreux  ,  à  caufe  des 
brouilleries  qui  étoient  entre  la  Cour  de  Rome  &  celle  de 
France,  fut  nommé  au  Siège  de  Carcaffone  en  1681  & 
Jacques  de  Novion  ne  fut  nommé  qu'après  à  celui  «l'£- 
vreux.  Foyer  l'HiJîo'tre  du  Comté  (TEvreux  .p.  ^06, 

liij 


16S2. 
&  fuiv, 


loS  La     Vie 

■  ■•  '  trefois  dirigée,  lorfqu'écant  encore  Madf 
^^.^}'  moifdle  deBouiUon,  elle  faifoit  fon  fcjour. 
à  Evreux  ,  fe  trouva,  dans  le  fcin  delà  gloi-j 
re  <S<rdes  grandeurs  jé}  rouvéepar  quelques^ 
unes  de  ces  peines  inrérieures,  qui  livrent 
une  ame  affligée  au  trouble  &  à  la  perple- 
xité. Incertaine  fi  elle  marchoit  dans  les. 
voies  de  Dieu  ,  ou  dans  une  route  d'illii- 
fion  ,  elle  eut  recours  aux  plus  célèbres  Di- 
re'5i:eurs  qui  fiifTent  dans  Tes  terres.  Le  fuccèa 
ne  répondit  ni  à  Ççs  defirs ,  ni  à  Tes  efpé- 
rances.  Son  état  fur.  une  énigme  ,  dont  les 
Sngcs  du  Pays  ne  trouvèrent  point  la  clef. 
Il  lui  falloir  un  Danel ,  ce  fut  à  Evreux  &c^ 
dans  la  perfonnede  Boudon  qu'elle  lécher* 
cha.  Comme  deux  ou  trois  entretiens ,  dont 
l'un  peut  fuppléer  à  l'autre,  font  aifément 
ce  que  vingt  Lettres  ne  pourroienr  faire  , 
fon  AlteflTe  crut  que  la  préfence  de  rArchi-^ 
diacre  lui  étoir  abfolument  néceflaire.  Pour, 
l'obrcnir  à  coup  sur ,  elle  lui  dépêcha  quel- 
ques  uns  de  fes  Officiers,  avec  ordre  de  ne 
point  revenir ,  qu'ils  ne  lui  enflent  fait  pro- 
inerrie  qu'il  les  fuivroit  bientôt  après. 

Boudon  qui  fçavoit  que  les  Souverains 
méritent  d'aurant  plus  d'égards  ,  que  lorf- 
qu'ils  goûtent  en  paix  combien  le  Seigneur 
eil  doux  à  ceux  qui  le  fervent  ,  ils  ont  une 
grâce  finguliere  à^  le  fair^  goûter  au  nom- 
breux cortège  qui  les  environne  :  Boudon 
crut  devoir  fe  prérer  aux  defirs  d'une  ver- 
tueufe  Pri'icefle  ,  qui  ne  cherchoitque  Dieu. 
Mais  plus  l'aifaire  étoic  importante ,  plus  il 


I 


DE  M.  BouDON.  Liv.  IL  -199 
crut  âu/Ti  s'y  devoir  préparer  par  des  prières 
extraordinaires.  Il  la  recommanda  félon  fa 
coutume  ^  mais  fans  rien  fpécifier  ,  à  ce  pe- 
tit troupeau  de  pieux  amis  ,  qu'une  vertu 
confiance  mettoic  en  étar  de  tout  demander. 
Se  de  tout  obtenir.  Cependant  quelques  pré- 
cautions qu'il  eût  prifes ,  pour  dérober  aux 
yeux  mal  intentionnés  le  terme  de  le  deiTein 
de  fon  voyage  ^  Tun  Se  l'autre  ne  tardèrent 
pas  à  tranfpirer.  Ce  fut  un  coup  terrible" 
pour  ceux  qui  ne  penfoient  qu'à  le  dégrader 
dans  cous  les  efprics  de  dans  tous  les  cœurs. 
Leur  indignation  .s'exhala  en  murmures,  ÔC 
prefqueen  imprécations.  Ils  auroient  voulii 
cju'on  leur  donnât  la  préférence ,  de  Ton  ne 
s'avifoit  pas  même  de  penfer  à  eux. 

Pour  ce  qui  cftdu  grand  Archidiacre,  ce 
n'étoit  ni  fur  Ces  talens  ,  ni  fur  fes  lumieresr 
qu'il  comptoit  -,  c'étoit  uniquement  fur  la 
îpiféricorde  de  Dieu  ,  &  jamais  il  ne  parla 
de  lui  dans  âçs  termes  plus  humbles ,  que 
dans  ce  tcms  où  l'Allemagne  lui  donnoit  des 
"preuves  fi  marquées  d'eflime  de  de  con- 
fiance. Ce  fut  dans  ces  fentimens  qu'il  fe  mit 
en  marche.  Nous  le  fuivrons  pas  à  pas  dans 
fa  courfe.  Dans  les  voyages ,  comme  à  la 
ipaifon ,  l'Archidiacre  d'Evreux  ell  toujours 
l'homme  de  Dieu  feul,  toujours  édifiant. 

Les  premiers  jours  de  fa  route  ne  furent 
pas  heureux.  En  fortant  de  Paris,  d'où  il  de- 
voit  fe  rendre  à  Metz  ,  il  lui  furvint  au  doigt 
une  efpéce  de  panaris  fi  violenc ,  qu'il  n'a- 
voit  pas  un  moment  de  repos.  La  patience 

fi/ 


100  L  A    V  I  î 

.  ôc  un  remède  innocent  fiienr  en  trois  fours 
ce  quen'avoit  pu  faire  un  homme  du  métier, 
qui  avoit  inutilement  tâchéd  adoucir  Ton  mal! 

A  Metz  il  fut  reçu  avec  toutesles  marques 
poffibles  d'affedion  ,  &  par  un  Confciller 
du  Parlement  de  cette  ville  ,  &  par  TEvê- 
quc auquel  il  rendit  fes  devoirs,  commeil 
avoit  coutume  de  faire  en  femblables  occa- 
fions.  Il  n  y  eut  aucun  genre  de  pouvoirs  ec- 
cléfiafliques ,  que  ce  Prélat  ne  lui  confiât 
très  volontiers.  Boudcn  ,  qui  fçavoit  par- 
faitement que  Jes  perfonnes  confacrées  à 
Dieu  doivent  être  beaucoup  plus  cultivées 
que  les  autres  -,  ôc  qui  ne  fçavoit  que  trop  , 
q'i'en  fait  de  diredion  elles  manquent  fou- 
vent  de  bien  des  fecours ,  qu'on  ne  peut  re- 
garder comme  fuperfîus,  vifita  à  Metz,  fé- 
lon fa  pratique  ordinaire,  plufieurs  Com- 
munautés Religiaifes ,  ôc  les  entretint  de  la 
perfection  à  laquelle  elles  font  obligées  de 
tendre  par  les  engagemens  de  leur  état. 

Les  Filles  de  S.  Dominique,  à  qui  la  lec- 
ture de  Ces  premiers  Ouvrages  avoit  infpiré 
une  grande  vénération  pour  lui ,  le  trouvè- 
rent dans  In  converfation  tel  qu  elles  l'avoient 
trouvé  dans  fes  livres ,  plein  de  feu  pour  les 
intérêts  de  Dieu ,  pour  la  gloire  de  fa  fainte 
Mère,  pour  la  pratique  littérale  des  obfer- 
vances  régulières. 

Mais  il  faut  avouer  qu'elles  firent  avec  lui     m 
un  échangé  de  biens  fpiriruels  ,  où  il  crut  ga-    f 
gner  beaucoup.  Comme  elles  fçavoient  qu'il 
fenommoit  Henri,  de  qu'elles  ont  le  bon- 


i 


DE  M.  BOUDON.    LlY.  II.  201 

heur  de  pofleder  dans  leur  maifon  le  Chef 
de  ce  faint  Empereur ,  auflî  -  bien  que  celui 
de  fon  Epoufe ,  elles  lui  firent  voir  Fun  6c 
l'autre.  Plus  content  que  s'il  eût  trouvé  tous 
les  thréfors  de  l'Inde  ^  Boudon  contempla 
avec  une  refpedtucufe  avidité  ces  précicufes 
Reliques.  Après  les  avoir  profondément  ho- 
norées, il  prit  &  tint  long  -  tems  entre  Ces 
mains  le  Chef  de  fon  glorieux  Patron.  Il 
croyoit  encore  y  appercevoir  ce  Prince ,  fî 
continent ,  qu'il  aima  mieux  vivre  &  mourir 
vierge,  que  mourir  père  des  Empereurs  -,  lî 
dévoué  au  culte  de  la  Mère  de  Dieu ,  qu'à 
Rome  il  paflbit  les  nuits  entières  dans  l'E- 
glife  de  fainte  Marie  Majeure  j  fi  éminem- 
ment Chrétien ,  qu'il  l'emportoit  plus  fur  le 
re(^e  de  fes  Sujets  par  l'étendue  defes  vertus, 
que  par  l'éclat  de  fa  Couronne.  Ces  fenti- 
mens  cufient  mené  l'Archidiacre  bien  loin  , 
fi  la  bienféance  n'en  avoit  arrêté  le  cours. 
Cependant  dès  lors  il  augura  bien  du  fuc- 
ces  de  fon  voyage  y  de  il  crut  qu'un  Prince  , 
qui  avoit  été  Duc  de  Bavière  avant  que 
d'être  Empereur ,  daigneroit  favorifer  un 
Prêtre ,  qui  ne  parcouroit  une  portion  de 
l'Europe ,  que  pour  travailler  à  la  Cour  d'un 
de  Ces  SucceiTeurs. 

Il  fit  à  Nanci ,  où  il  pafifa  le  faint  jour  de 
la  Pentecôte,  quelque  chofe  de  plus  qu'il 
n'avoit  fait  à  Metz.  Entraîné  par  l'exemple 
d'une  multitude  de  Fidèles,  qui  alloient  en 
pèlerinage  à  un  quart  de  lieue  de  la  Ville  , 
il  les  fuivit  jufqu'à  la  Chapelle  de  Notre- 

Iv 


ta 


101  La     Vie 

Dame  de  bon  Secours ,  que  la  piété  de  Su- 
niilas ,  Roi  de  Pologne  Se  Duc  de  Lorraines 
a  de  nos  jours  rendue  fi  magnifique.  Il  y  cé- 
lébra les  faints  Myfleres  avec  ces  fentimens 
de  Religion  ôc  de  ferveur,  qui  lui  conci- 
lioient  la  vénération  de  ceux  mêmes  à  qui  ii 
étoit  inconnu.  11  pafla  l'après-midi  chez  les 
Dames  du  Refuge  i  &  ce  qui  fut  un  bon- 
heur que  le  public  a  partagé  avec  elles ,  il: 
s'y  engagea  à  écrire  la  vie  de  leur  illuftie 
Fondatrice  ,  Marie  de  Ranfain  ,  fi  connue 
dans  le  monde  fous  le  nom  d'Elifabcth  de  la 
Croix.  Quoique  les  réflexions  qui  la  cou- 
pent fans  ceflc  ,  ne  foient  pas  du  goût  de 
ceux  qui  ne  cherchent  dans  une  Hiftoire  que 
de  quoi  s'amufer i  on  ne  peut  nier  quelle 
n'ait  fait  des  biens  confidérables.  Les  pre- 
mières Dames  de  la  Cour,  les  Princefles 
mêmes  y  trouvèrent  des  règles  de  conduite 
Se  un  grand  modèle  de  perfedion.  Nous  en 
donnerons  un  précis  dans  la  fuite, 

A  Strafbourg  le  grand  Archidiacre  logea 
chez  les  RR.  PP.  Jéfui tes,  qui  le  reçurent 
avec  joie.  Ce  fut  charité  ôc  jufîice  :  Il  eût  été 
difficile  de  trouver  un  homme  plus  attaché 
à  leur  Compagnie ,  plus  reconnoiflant  de 
la  fainte  éducation  qu'il  en  avoir  reçue» 
Comme  il  n'y  avoit  qu'un  an  que  cette  Ville 
croit  fous  la  domination  du  Roi  "^  ,  ôc  que 

*  Strasbourg  fe  rendit  au  Roi  le  30  Septembre  1681. 
Ge  Prince  n*y  fit  fon  entrée  que  le  30  d'Oftobre.  Cela  me 
fcroit  croire  qu'il  faut  reculer  le  voyage  de  M.  Boudon  juf- 
^u'en  1685.  Il  eft  vrai  qu'à  ce  compte  il  y  avoit  plus  d'un 
an  que  la  Vilk  appait««)ii  à.  la  France  ;  mais  il  n'y  avoit 


i 


Di  M.  BouDON.  Liv.  IL         205 
les  erreurs  de  Luther  qui  }   avoient  régné  ■■ 

pendant  plus  d'un  iiécle  ,  commençoienç  ^^^^' 
déjà  à  s'y  affoiblir  ,  Boudon  crut  devoir  in-   " 
former  Ces  amis  de  l'état  où  fe  trouvoient 
les  chofes,  quand  il  y  arriva. 

Sa  lettre  porte  enfubflance^  que  la  Cathé- 
drale, qui  eft  une  grande  ôc  magnifique 
Eglife,  a  été  rendue  aux  Catholiques  fes 
anciens  maîtres  ,  par  les  ordres  de  Louis  le 
Grand  ,  toujours  victorieux ,  toujours  zélé 
protecteur  de  la  Religion  -,  que  chaque  Di- 
manche on  fait  dans  cette  augulte  Bafilique 
deux  fermons  ,  l'un  en  François ,  l'autre  en 
Allemand  j  Que  les  Luthériens,  à  qui  l'on 
avoir  fait  croire  que  TEglife  Romaine  en- 
feigne  les  plus  monflrueufes  erreurs ,  fonc 
furpris  d'apprendre  combien  nous  en  fom- 
mes  éloignés  -,  qu'il  s'en  convertit  tous  les 
jours  i  que  ce  n'ert  pas  le  peuple  feul  qui  ou- 
vre les  yeux  à  la  lumière  ,  mais  des  Minif- 
tres ,  des  Capitaines ,  des  Commandans ,  des 
Villages  entiers  ^  &  que  ce  qui  c(ï  plus  fra- 
pant  encore ,  cefi  que  plujieurs ,  tant  Offi- 
ciers que  Soldats ,  changent  de  mœurs  en 
changeant  de  Religion  ,  &  fe  convertijfent 
in  toutes  manières» 

XJw  fpedacle  fi  beau ,  fi  touchant  pour  un 

tout  au  plus  qu'un  an  q'je  les  Catholiques  y  travailloienr.  Ls 
Cathédrale  étoit  depuis  cent  cinquante-deux  ans  aux  Lu- 
khériens  .  ..Je  remarqué  après  coup  ,  que  M.  Eoudon 
étoit  à  Toul ,  &  qu'il  y  fût  approuvé  le  20  Mai  16 Si.  Mafe 
ks  voyages  ne  lui  coutoient  pas.  Son  approbation  porte- r 
Cujus  srudhio  &  pieras  nobis  Jam  di»  notafunc*  Jacohuf 
£.pifco^us  ^  Cornu  TuUtnJU,  •  ^-  -> 

ivj 


104  La     Vie 

cœur  fait  comme  celui  du  grand  Archidia* 
cre  ,  l'eût  occupé  plus  long-tems,  fi  un  ca» 
rofle  qui  ratrendoit  de  la  part  de  leurs  Al- 
teffcs  Séréniflimes ,  ne  l'avoit  obligé  de  pré- 
cipiter fon  départ.  Il  fe  mit  en  marche,  après 
s'être  muni  du  pain  des  Forts.  Ce  fut  une 
heureufc  précaution  j  bientôt  après  il  fe 
trouva  dans  un  pays  tout  hérétique ,  où  il 
€ut  la  douleur  de  ne  pouvoir  plus  célé- 
brer les  divins  Myfteres, 

Il  arriva  à  Ulm  la  veille  de  la  Féte-Dîeu; 
Comme  cette  ville  ne  lui  offrit  d'abord  que 
àcs  Luthériens  ,  dont  en  effet  la  Religion  y 
domine ,  il  fut  vivement  affligé  dans  la  pen- 
fée  qu'il  ne  pourroit  le  lendemain  ni  dire  , 
ni  entendre  la  Meffe.  Mais  on  lui  appric 
bientôt  que  la  Providence ,  qui  a  confervé 
en  Angleterre  une  Communauté  de  Filles, 
qui  depuis  Henri  VIII.  font  hautement  pro- 
feflion  de  la  vraie  foi,  avoit  confervé  à  Ulm 
tin  Monaftere  de  Religieufes ,  dont  TEglife 
cft  dédiée  à  Dieu  fous  l'invocation  de  S^ 
Michel  &de  tous  les  Anges.  Une  fi  bonne 
nouvelle  le  confola  fenfiblement.  Dès  le 
fo'r  il  rendit  vrfite   au  Supérieur  de  cette 
n  aifon ,  &  le  pria  d'agréer  qu'il  célébrât  le 
1  ^ndemaîn  dans  fon  Eglife.  Il  le  fît  de  grand 
matin  j  &  ce  même  jour  il  entra  dans  un 
pays  tout  Catholique.  Enfin  il  arriva  hcu- 
reufemcnt  dans    le  Diocèfe  d'Aufbourg  : 
leurs  Alteffes  Séréniflimes ,  qui  ont  à  Dyr- 
keim  un  raagni%ue  Palais ,  l'y  attendoicnt 
avec  une  fainte  impatience* 


DE  M.  BotIDON.  Liv.  II.        iOJ 

On  ne  peut  dire  avec  quelles  marques 
d'affeclion  &  d'honneur  il  fut  reçu  du  Prin- 
ce ,  de  la  Princeffe ,  &  à  leur  exemple  de  tou- 
te la  Cour.  Le  Duc  Maximilien  qui  aimoic 
tendrement  fon  époufe  ,  ôc  qui  avoit  une 
eftime  finguliere  pour  les  bons  Eccléfiafti- 
ques ,  ne  fçavoit  comment  reconnoîtrc  les 
peines  5  que  le  grand  Archidiacre,  naturelle- 
ment infirme  ,  avoit  prifes  de  venir  des  ex- 
trémités d'un  Royaume  étranger ,  pour  rerr- 
dre  la  paix  à  une  ame  affligée  ,  &  pour  fan- 
difier  fa  famille  par  Ces  prières ,  par  ks  dif- 
eours  3c  par  fon  exemple. 

Comme  Boudon  nous  a  lui-même  tracé 
le  portrait  de  ce  Prince,  &  de  fon  augufte 
Epoufe,  cen'eft  pas  fortir  de  notre  objet, 
que  de  dépeindre  l'un  &  l'autre  diaprés  luL 
S'il  fçut  bien  fupprimer  les  défauts  du  pro- 
chain,  il  fç  ut  auflî  bien  ne  lui  point  prêter 
des  vertus'qu  il  n'avoit  pas.  D'ailleurs  on  eft 
toujours  confolé ,  quand  on  voit  les  Grands 
de  la  terre  ne  monter  fur  le  throne ,  que 
pour  y  faire  afleoir  la  Religion  à  côté  d'eux. 
Voici  donc  ce  que  l'Archidiacre  nous  a  ap- 
pris du  Duc  Ôc  de  la  DuehefTe  de  Bavière. 

Le  Prince  Maximilien,  Frère  de  l'Eiedeur 
de  Bavière ,  étoit  un  homme  d'un  rare  mé- 
rite ,  d'un  efprit  étendu  ,  d'un  jugement  fo- 
lide.  Il  joignoit  à  toutes  les  qiialitcs  qu  on 
peut  fouhaiter  dans  une  perfonne  de  fon 
rang ,  une  autre  qualité  qui  ne  s'y  trouve 
pas  toujours ,  la  Religion  &  la  piété.  Dieu 
l'en  récompenfa  en  hû  donnant  pour  époufe 


loér  La    Viz 

iVIauricette  -  Fcbronie  de  Bouillon ,  qiie  le 
grand  Archidiacre  avoir  formée  à  la  plus 
fublime  vertu  dès  fon  enfance.  Elle  n'avoir 
que  feize  ans ,  lorfqu  elle  époufa  Maximi- 
lien  j  mais  dans  cer  âge ,  où  le  luxe  &  la  mol- 
leiTe  en  endorment  tanr  d'autres  qui  ne  la  va- 
leur pas,elle  avoir  déjà  tourc  la  maturiré  d'une 
heureufe  vieillefle.Une  des  premières  adlions 
qu'elle  firen  arivant  en  Bavière ,  fut  d'aller 
de  Munick  à  (Eting ,  lieu  célèbre  par  fa  dé- 
votion à  la  rrès  fainte  Vierge ,  afin  de  met- 
tre fon  époux ,  fa  perfonne  ,  (es  Vaflaux  ÔC 
fes  biens  fous  la  protection  de  la  Merc  de 
Dieu.  Le  voyage  eft  de  vingt  lieues ,  &  elle 
le  fît  à  pied. 

La  Cour  de  Munick  étoit  û  bien  réglée^ 
que  Boudon  ne  rappelloic  que  la  Cour  fain- 
te. On  l'eût  prife  pour  une  de  ces  grandes  Se 
vaftes  Communautés ,  où  la  prière ,  la  râ- 
ble ,  le  fervice  divin  &  tout  le  refle  a  (^s 
heures  réglées.  Le  Prince  avoir  fait  bâtir  dans 
l'Eglife  ParoifCale  de  Dirk^im  une  Chapelle 
en  l'honneur  du  faint  Evêque  Rennon  ,  pa^ 
rron  &  protedeur  de  la  Bavière.  La  Duchef- 
fe  à  fon  retour  d'un  pèlerinage  à  Norre- 
J)ame  de  Loretre ,  en  fît  conftruire  une  au- 
tre afTez  près  du  Château  ,  fur  le  modèle 
de  celle  qu'elle  venoit  de  vificcr.  Les  Pcre5 
Capucins ,  qui  en  ce  lieu  font  chargés  du 
foin  de  l'inftruction  du  peuple  de  la  campa- 
gne ,  le  furent  auffi  du  foin  de  deffervir  la 
nouvelle  Lorette  \  ôc  chaque  jour  oû  y  se- 
«itoit  les  Litanies  de  la  Viagc^ 


DE   M.  BOUCON.    LîV.    IL  2C7 

L'Eglife  ParoilTiale  érigée  fous  le  titre  de 
J'Immaculée  Conception  ,  a  fept  beaux  Au- 
tels, où  Ton  gagne  les  indulgences  des  Hâtions 
de  Rome.  Cette  Bafilique  eil  magnifique- 
ment ornée.  Quand  leurs  AkefTes  font  à 
Dirkeim ,  elles  afliflent  régulièrement  avec 
leur  nombreufe  Cour  à  tout  l'Office ,  depuis 
hs  premières  jufqu'aux  fécondes  Vêpres , 
qui  font  fuivies  de  la  récitation  du  Chapelet. 
Le  banc  du  Duc  &  de  la  DucheiTe  ert  dans 
la  nef  &  hors  du  Chœur ,  qui  de  règle  n'ap- 
partient qu'aux  Minières  de  l'Autel.  On  y 
chante  les  Dimanches  un  Cantique  fpirituel 
en  Allemand  -,  après  quoi  l'un  des  quatre 
Prédicateurs  de  la  Cour  monte  en  Chaire  3c 
fait  le  fermon.  Ce  difcours  eil  fuivi  d'une 
}^ic&  chantée  en  mufique  :  mais  cette  Méfie 
nefuffifoit  pas  à  la  ferveur  de  leurs  Alteiles, 
elles  en  entendoient  encore  pluiieurs  autres^ 

Boudon ,  qui  n'étoit  pas  homme  à  rien 
perdre  d'une  matière  auiîi  conforme  a  fon 
goût  y  parle  encore  Ôc  du  Chapelet ,  qui  fe 
dit  avec  une  dévotion  que  l'on  admire  juf- 
ques  dans  les  enfeis  -,  &  du  grand  nom.bre 
de  bougies  que  le  peuple  fait  brûler  pendant 
la  Méfie ,  par  refped:  pour  nos  Myûeres  j  Ôc 
de  la  piété  avec  laquelle  il  s'approche  de  la 
fainte  Table  -,  pieté  (i  touchante  qu'il  en  fuc 
attendri  jufqu'aux  larmes.  Et  voilà  ^.àiz-il  ^ 
en  réfléchiflant  fur  tant  de  biens,  voilà  ce 
que  'produit  le  bon  exemple  des  Grands, 

Parmi  tant  de  fujets  de  confolation  ,  le 
grand -Archidiacre  eut  toujours  une  fecrett^ 


2oS  La    Vir 

■  empreinte  de  rriftefle.  Maïs  quel  chagrin 

^^fuiV.  po^^voit  avoir  un  homme ,  qui  étoit  auïïi 
honoré  en  Allemagne,  qu'il  avoit  été  indi- 
gement  traité  en  Franee  ?  Point  d'autre ,  que 
celui  de  ne  trouver  fur  fa  route ,  au  lieu  de 
ces  croix  qui  lui  étoient  fi  chères ,  que  des 
preuves  confiantes  d'afFedtion  de  d'cftime  : 
car  en  ce  genre  chaque  jour  fembloit  enché- 
rir fur  le  jour  d'auparavant.  Ec  lorfqu'à  la 
prière  de  leurs  AltefTes  féréniflimes  on  l'eut 
entendu  prêcher  ,  ou ,  comme  il  difoit  lui- 
même  ,  irier  au  divin  amour ,  il  n'y  eut ,  ni 
Princes ,  ni  Seigneurs,  ni  aucun  de  ceux  qui 
fçavoient  afîez  de  François  pour  le  fuivre , 
qui  ne  le  regardât  comme  un  homme  ex- 
traordinaire. Et  quels  biens  n'eût-il  pas  fait 
en  dirigeant  une  Cour  vertueufe  ,  lui  qui 
avoit  gagné  à  Dieu  tant  de  perfonnes  ,  qui 
n'avoient  ni  penchant  ,  ni  goût  pour  la 
vertu? 

Mais  il  fallut  fe  borner  à  la  pieufe  Du- 
chcfle  5  qui  avoit  été  le  motif  de  fon  voyage. 
En  arrivant  en  Bavière  elle  s'étoit  mife  fous 
la  conduite  d'un  Religieux  très-vertueux  & 
rrès-éclairé.  Mais  Dieu ,  qui  la  difpofoit  à  ce 
haut  degré  de  perfedion ,  où  elle  eft  depuis 
parvenue ,  la  fit  pafTer  par  ces  voies  obfcures 
&  nébuleufes,  qui  ne  femblent  faites  que 
pour  les  grandes  âmes.  Son  Diredleur  perdit 
terre.  Ces  routes  d'épreuves  ,  de  délaifle- 
mens  intérieurs ,  furent  pour  lui  un  Pays , 
dont  il  ne  connoiflbit  point  aflez  la  carte. 
Ce  que  la  Princeâe  lui  difoit  de  Boudon  y  Ôc 


DE  M,  BouDON.  Lir.  II.  209 

de  la  manière  dont  il  l'avoit  conduire  dans  ^ 

des  états  aflez  femblables,  lui  donna  une  }ff*' 
jufte  idée  de  ce  grand  ferviteur  de  Dieu  : 
êc  ne  doutant  pas  qu'il  ne  duc  profiter  de 
fes  lumières ,  auflî  bien  que  fon  ilullre  Pé- 
nitente j  il  fut  le  premier  à  lui  confeiller  de 
le  faire  venir  auprès  d'elle.  Elle  le  fit ,  &  s'en 
trouva  bien.  Nous  Tavons  dit  plus  d'une 
fois,  ôc  rien  n'eft  plus  vrai,  l'Archidiacre 
connoiflbit  û  bien  les  différens  états  par  où 
Dieu  fait  pafTer  fes  Elus  ,  qu'un  mot  ou 
deux  de  leur  part  lui  faifoient  comprendre 
ce  qu'ils  ne  comprcnoient  pas  eux-mêmes. 

La  Ducheffe  l'éprouva ,  comme  bien  d'au- 
tres l'avoient  éprouvé.  Elle  .lui  développa 
toutes  ks  peines ,  quelquefois  en  particulier, 
ôc  fouvent  en  préfence  de  fon  ConfefTeur, 
Boudon  en  difcourut  en  homme  qui  a  des 
lumières  fupérieures.  11  fut  à  la  fois  &  le 
Diredleur  du  Diredleur-même,  &  de  celle 
qui  étoit  fous  fa  conduite.  11  leur  donna  des 
règles  fi  sûres,  que  pour  bien  faire  ,  chacun 
de  fon  coté ,  ils  n'avoient  l'un  6c  l'autre  qu'à 
les  fuivre. 

Il  encouragea  beaucoup  la  PrincelTe  à 
marcher  à  grands  pas ,  comme  elle  avoir  fait 
jufqu'alors  ,  dans  les  fentiers  de  la  vérité  ôC 
de  la  jullice.  11  lui  donna  tous  les  avis  donc 
elle  avoir  befoin  pour  faire  un  faintufage 
des  épreuves  parlefquelles  il  plaifoit  à  Dieu 
de  l'exercer.  11  lui  recommanda  fur-tout  la 
confiance  en  la  divine  bonté  ,  la  fidélité  aux 
mouvemens  de  la  grâce ,  l'humilité  profonde 


2IO  L   A      V   I    E 

-    ,    ■  au  milieu  de  toutes  Ces  grandeurs ,  le  faîne . 

&i"uiv,  exercice  de  Toraifon ,  &  le  fréquent  ufage^ 
des  Sacremens.  11  régla  fes  pratiques  de  dé- 
vption  ,  fes  devoirs  envers  le  Prince  fon, 
époux ,  fes  obligations  à  l'égard  de  fes  fujets, 
11  l'exhorta  à  entretenir  le  bon  ordre  dans 
fon  domeftique  -,  à  infpirer  l'efprit  de  piété. 
à  fes  Dames  d'honneur  y  à  n'en  fouffrir  point 
qui  ne  fuflcnt  dans  les  régies  de  la  plus  fevé- 
re  modertie.  En  un  mot ,  il  n'oublia  rien  de 
tout  ce  qui  pouvoir  conrribuer  au  vrai  bon- 
heur de  la  Duchefle  ôc  de  toute  fa  Cour. 

Ces  avis  furent  reçus,  comme  l'euflent. 
éfé  ceux  d'un  Ange,  avec  toute  la  foumiflion 
pofTible.  Mais  plus  ils  étoicnt  proportionnés 
aux  befoins  delà  verrueufe  Princefle,  plus 
cl^e  fenit  le  vuide  que  devoit  catdfer  chez 
elle  le  départ  du  grand  Archidiacre.  Elle  trou- 
voie  en  lui  un  homme  qui  enrcndoit  par- 
faitement fon  étar ,  qui  pouvoir  prévenir  fes. 
ch6res ,  ôc  l'en  relever,  éclaircir  fes  doutes, 
la  foutenir,  la  fortifier  dans  fes  peines:  L'i- 
dée de  fon  abfence  l'effrayoif.  Pour  remé- 
dier à  ce  mal ,  autant  que  la  diftance  des 
lieux  le  pouvoit  permettre ,  elle  le  pria  inf- 
tamment  de  vouloir  bien  continuer  à  lui 
rendre  par  Lettres  les  mêmes  Offices  de 
charité  ,  qu'il  lui  avoit  rendus  de  vive  voix  : 
en  l'aflurant  que  de  fon  côté  elle  fuivroic 
fes  avis  comme  un  enfant  docile  fuit  les  fa- 
ges  leçons  de  fon  père.  Boudon  y  confentit 
volontiers;  Ôc  depuis  ce  voyage  jufqu'à  fa 
oiort,  qui  ne  précéda  que  de  quatre  ans. 


DE   M.    BOUDON.  LiV.    II.  211 

crlle  de  la  Duchefie  ^ ,  il  J'aida  de  Tes  con- 
feils  avec  autant  d'application  que  de  lu- 
raiere. 

Dans  les  divers  entretiens  qu'eut  Ton  Al- 
teiïe  avec  1  homme  de  Dieu ,  elle  s'informa 
avec  bien  de  la  bonté  de  la  manière  donc  il 
vivoic  à  Evreux.  Son  extrême  pauvreté  l'édi- 
fia i  maii  elle  y  trouva  du  trop.  Une  vie  fi 
dénuée  dts  biens  temporels  lui  parut  ne 
quadrer  pas  tout-à-fait  bien  avec  la  dignité 
de  grand  Archidiacre,  d<  les  fatigues  qui  y 
(onz  attachées.  Elle  crut  qu'un  CaroiTe  mo* 
deile  n'iroit  pas  mal,  fur- tout  à^un  hom- 
me 5  qui  commençoic  à  n'être  plus  jeune ,  ik. 
que  Tes  travaux  joints  à  la  foibleffe  de  fon 
tempérament ,  avoient  déjà  épuifé.  Ainfi  elle 
le  pria  d'accepter  un  petit  équipage ,  s'enga- 
geanij^  au  dela,à  fournir  à  toute  la  dépenfe 
qu'il  faudroit  faire  pour  l'entretenir. 

Le  faint  Prêtre  la  remercia  très-humble- 
ment de  Toffre  qu'elle  daignoit  lui  faire  :  & 
de  peur  qu'elle  ne  revint  à  la  charge,  il 
lui  repréfenra  tout  fimplement,  qu'il  avoit 
fait  vœu  de  pauvreté  i  que  jufqu'ici  il  s'étoit 
rcpofé  de  fes  befoins  fur  la  Providence  ,  6c 
qu'elle  ne  lui  avoit  jamais  manqué  \  qu'en- 
fin il  ne  croyoit,  ni  devoir  être  infidèle  à 
Dieu ,  ni  qu'il  lui  fut  permis  de  fortir  de 
l'état  qu'il  avoir  embraflé. 

Il  fallut  céder  à  des  fentimens  fi  beaux  ,  à 
des  raifons  fi  preflantes.  Ainfi  la  Duchefie 
n'infilla  plus.  Seulement ,  ôc  peut  être  pour 

*  Elle  mourut  Cans  poflcriié  le  20  Juin  1700» 


112  La    Vie 

avoir  plus  long-tcms  le  bonheur  de  pcfTédcr 
l'Archidiacre ,  elle  voulut  le  conduire  à  Mu- 
nich. Mais  cet  homme  qui  ctoit  mort  au 
inonde ,  n'y  pafla  que  trois  jours  :  &  de  ces 
trois  jours  il  n'y  eut  pas  une  minute  qui  fût 
donnée  a  la  curiofité.  Il  ne  voulut  voir  ni  les 
appartemens  du  fuperbe  Falais  où  il  étoit 
loge ,  ni  les  jardins  qui  n'en  font  pas  le  der- 
nier ornement ,  ni  même  la  bibliothèque , 
ni  moins  encore  les  raretés  qui  fe  trouvent 
dans  la  Ville.  En  récompenfe  ,  il  vifita  une 
bonne  partie  des  Sanduaires ,  qui  pouvoient 
nourrir  fa  piéré.  De  ce  nombre  furent  la 
Chapelle  Eledtorale,  qui  pofTéde  quarante- 
fix  Corps  faints  ,  fans  parler  d'une  main  du 
S.Précurfeur,  &  d'une  autre  deS  JeanChry- 
foflôme  \  la  Chapelle  du  Duc  ,  qui  fe  glorifie 
d'avoir  dix  neuf  Chefs,  de  cette  prodigieufc 
foule  de  Vierges,  qui  à  la  fuite  de  fainre 
Urfule,  joignirent  la  couronne  du  martyre 
aux  palmes  de  la  virginité  -,  ôc  enfin  l'Eglife 
Cathédrale,  dont  lesChanoines  font  tous  les 
Samedis  libres  ,  l'Office  de  l'immaculée 
Conception,  Notre  Voyageur  remarque  au 
fujet  de  cet  Office,  que  le  fentiment  qui 
fou/Irait  au  péché  d'origine  la  Mère  de 
Dieu  ,  eA  fermement  crû  ,  &  joutenu  très^ 
régulièrement  par  tous  les  DoUeurs  Catholi- 
ques d'Allemagne. 

Boudon  fuit  toujours  ici  avec  complai- 
fance  les  fenrimens  qu'il  eut  toujours  pour 
les  PP.  Jéfuites.  Il  parle  du  magnifique 
Collège,  où  plutôt  du  Palais  qu'ils  ont  à 


DE  M.  BouDON.  Liv.II.  215 
Munich  i  de  la  grandeur  &  des  richeflcs  im- 
menfes  de  leur  Eglife  ;  de  la  mulrirude  de 
ceux  qui  font  fous  leur  diredion.  Il  ajoute  , 
en  finiflant ,  que  U  Qergé  vit  très-bien  avec 
eux  y  &  qu'ils  vivent  très-  bien  avec  U 
Clergé, 

Dès  le  premier  jour  de  fon  arrivée  à 
Munich ,  il  voulut  célébrer  dans  l'Eglife  des 
Théatins.  Car  il  eut  toute  fa  vie  une  Ipéciale 
dévotion  pour  S.  Gaétan  leur  fondateur, 
tant  à  raifon  de  fes  autres  vertus ,  qu'à  caufe 
de  ce  parfait  abandon  à  la  Providence ,  le^ 
quel  fait  fon  cara<^ere  particulier,  &  celui 
de  fes  Enfans. 

Comme  il  eut  appris ,  que  les  Filles  de  S, 
François  de  Sales  avoient  dans  leur  thréfor 
un  des  doigts  de  fainte  Anne  ,  &  qu'en  fait 
de  Reliques  il  ne  fçavoit  qu'honorer,  fans 
fçavoir  philofopher ,  il  leur  rendit  une  vifi- 
te ,  moins  de  bienféance  que  de  religion.  U 
les  entretint  à  fon  ordinaire  du  divin  amour. 
Cette  conférence  de  la  part  d'un  homme  , 
qu'elles  refpecloient  fans  l'avoir  jamais  vu  , 
fit  un  très-grand  eiTet.  Il  y  eut  le  lendemain 
à  fa  MefTe  une  communion  générale.  Après 
le  facrifîce ,  il  expofa  le  doigt  de  la  Sainte  à 
la  vénération  des  Fidèles.  On  conçoit  qu'il 
ne  fut  pas  le  dernier  à  s'acquitter  des  devoirs 
que  prefcrit  1  Eglife  en  pareille  occafion. 

Il  vit  auffi  les  Religicufes  Angloifes ,  dont 
rinftitut  a  beaucoup  de  rapport  à  celui  de 
nos  Urfulines  de  France.  Après  lui  avoir 
montré  leurs  Chafles ,  elles  lui  firent  un  dé- 


2T4  L    A      V    I    E 

*  rail  abrégé  de  la  manière  dont  elles  inflruîfent 

&ium  la  jeunefle.  II  en  fut  aufli  content  qu'édifié  : 
parce  qu'il  regarda  toujours  l'éducation  des 
enfans ,  &c  fur- tout  des  filles ,  comme  le 
principe  des  bonnes  mœurs,  ôc  le  fondement 
de  la  piété  chrétienne. 

Ce  fut  à  ces  objets  de  Religion ,  que  Ce 
termina  la  curiofité  du  grand  Archidiacre. 
'Vous  euffiez  dit ,  qu'il  ne  pouvoir  s'arracher 
'de  ces  temples  refped:ables  ,  où  les  corps  de 
tant  de  Martyrs  fervent  d'Autel  à  la  Viàime 
qui  s'cà  immolée  pour  eux ,  Se  pour  laquel- 
le ils  fe  font  eux-mêmes  immolés.  Sa  foi, 
qui  perçoit  bien  au-delà  de  leurs  maufolécs, 
les  découvroir  dans  le  fein  de  la  gloire  à  la 
fuite  de  l'Agneau ,  qui  fut  leur  force  pendant 
.  ja  vie ,  ôc  qui  ell  leur  lumière  dans  léternité. 
Touché ,  confus  de  ne  pouvoir  participer  à 
leurs  combats  ,  il  fe  propofoir  de  répandre 
par  fes  pleurs ,  ôc  par  Ces  macérations  ,  une 
'  parrie  du  fang ,  qu'ils  ont  répandu  par  le 
'  glaive  des  Néions  &  des  Domiciens.  Ce  fut 
prefque  la  feule  penfée  qui  l'occupa  pen- 
dant le  fijour  qu'il  fit  à  Munich.  L'or 
l'azur,  les  richefles  fans  nombre,  la  fym-, 
niérrie ,  l'élégance  du  Palais  Eledtoral ,  qui 
en  font  une  des  plus  belles  maifons  de  l'Eu- 
rope, ne  le  toucherenr  point  :  Ôc  il  ne  dai- 
gna pas  y  donner  un  coup  d'œil. 

Après  avoir  facisfait  fa  piété  >  le  faint 
Prcrre  ne  penfoir  qu'à  revenir  en  France, 
lorfqu'on  lui  parla  des  merveilles,  qui  de 
jour  en  jour  s'opèrent  à  Notre-Dame  d'Oe* 


DE  M.  BouDON.  Liv.  ir.  iiy 

dng.  Il  fouhaira  d'y  aller.  La  DuchefTe ,  qui 
comme  nous  l'avons  dic.avoii:  fait  elle-même 
ce  voyage  de  dévotion  ,  n'eur  gaude  de  sy 
oppofer.  Le  Prince  s'y  préra  auiTi  tiès- volon- 
tiers. Il  ajoura  d'une  manière  fore  obligean- 
te, que  M.  l'Archidiacre  écoit  fort  le  maî- 
tre d'aller  beaucoup  plus  loin  s'il  le  jugeoic 
à  propos ,  &  que  l'argent  ne  lui  manque- 
roic  pas. 

11  fe  mit  en  chemin  avec  quelques  Gen- 
tilshommes ,  que  la  princefle  lui  donna  pour 
raccompagner.  II  partie  un  Mardi ,  jour,  oà 
il  ne  manquoit  jamais  de  jeûner,  pour  ho- 
norer les  Saints  Anges  ^  &  en  eux  la  divine 
Providence  ,  dont  ils  font  les  fidèles  Minif- 
tres.  Le  defir  qu'il  avoir  de  connoître,  au- 
tant qu'on  le  peut  faire  en  fi  peu  de  tems , 
l'état  de  la  Religion  en  Allemagne ,  le  porta 
à  quitter  le  droit  chemin.  Il  fut  d'abord  à 
Aufbourg,  ville  qui  n  ell;  pas  moins  connue 
des  Sçavans,  par  la  confeïïion  de  foi  que 
Luther  &  Mélanchton  y  préfenterent  en 
1550.  à  l'Empereur  Charles  V.  qu'elle  efl 
admirée  des  voyageurs  pour  la  beauté  de  fa 
Police.  Il  y  vit  avec  une  fenfible  douleur  la 
Religion  mi-partie  :  les  Catoliques  mclés 
avec  les  LuJÉériens ,  qui  y  ont  jufqu'à  fept 
temples.  Comme  il  y  arriva  précifement  la 
veille  de  S.  Udalric,  qui  c(ï  le  Patron  du 
Lieu,  &  du  Diocèfe,  il  eut  la  confolarion 
de  célébrer  nos  faints  Myfieresdans  TEglife 
ou  repofent  les  précieufes  Reliques  de  ce 
faine  Êvêque, 


ii6  La    Vie 

Le  grand  Pénitencier  le  reçut  avec  une 
charité  vraiement  chrétienne.  Boudon  en 
parle  comme  d'un  homme  qui  joignoit  une 
piété  fînguliere  à  une  profonde  érudition. 
Le  Doyen  Ôc  le  Sous  doyen  de  la  Cathédrale 
ne  lui  firent  pas  moins  d  accueil.  Le  premier 
avoir  déjà  traduit  en  Alleniand  celui  de  Tes 
Livres,  qu'il  a  intitulé  Dieufeul.  Le  fécond 
rraduiibit  adluellement  en  la  même  langue 
fa  Dévotion  aux  neuf  chœurs  des  Anges,  Ces 
marques  d'approbation  ,  qui  en  auroienc 
peut  -  être  daté  un  autre ,  ne  touchèrent 
point  r>\rchîdiacre  d'Evreux.  Il  ne  fut  fen- 
fible  qu'au  plaifir  de  voir ,  qu'il  fervoit  d'in- 
ftrument  à  la  miféricorde  de  Dieu  ,  pour 
établir  fon  règne  dans  des  lieux  très-éloignés. 

Après  avoir  rendu  fes  devoirs  aux  pré- 
cieufes  Reliques,  qui  fe  trouvent  dans  la 
principale  Eglife  ,  il  adora  l'Hoflie  miracu- 
îeufe,  qui  depuis  tant  de  fiécles  s'y  confervc 
fans  corruption.  Une  malheureufe  créature 
l'avoir  prife  pour  s'en  fervir  à  <\qs  opérations 
abominables  :   mais  lorfqu'cllc  fut  fur  le 
point  d'en  faire  cet  ufage  facrilége,  au  lieui 
des  efpéces  du  pain,  elle  n'y   trouva  plusi 
que  des  apparences  de    chair.  Cette  cou-j 
leur  fi  étrangère  au  pain  Eucharillique  ,  dc 
qui  fe  voit  encore  dans  la  formule  dont  nous] 
parlons ,  effraya  la  coupable.  Elle  revint  fur 
l[ts  pas ,  avoua  fon  crime, '&  par  fon  aveu  , 
que  les  plus  sûrs  mcnumens  on:  rranfmis 
dage  en  âge  jufqu'à  nous,   elle  apprit  d'a- 
vance aux  Luthériens ,  qu'indépendamment 

de 


DtM,  BouDON,  Liv.  IL         217 

de  l'ufage  Jefus-Chrill  elt  dans  fon  Sacre- 

mène.  i'^-^^- 

D'Au/Bourg  Boudon  partir  pour  la  Saxe.  ^^"^''^ 
Son  deffein  éroit  de  voir ,  de  pleurer ,  de 
réparer  par  des  larmes  améres  une  partie 
â€s  ravages  qu'a  fait  Luther  dans  ce  Pays 
autrefois  fi  Catholique.  Il  alla  jufqu'à  Iflc-be , 
au  Comté  de  Mansfeld ,  ôc  entra  dans  h 
Chambre ,  où  e/1  né  ce  profane  ôc  fangui- 
naire  Réformateur  ,  qui  a  enlevé  à  1  Egliic 
une  partie  fi  confidérable  de  Tes  enfans  ;  ôc 
donné   naiflance  à  ce   prodigieux  nombre 
de  faux  Prophètes ,  qui  toujours  divifés  enr- 
tr'èux  ,  ne  s'accordent  que  dans  la  haii:Kî 
implacable  qu'ils  ont  contre  l'Eglife  Romai- 
ne. Notre  Voyageur  ne  pouvoit  guéres  voir 
de  plus  affligeant  fpeétacle ,  que  celui  que 
TEledorat  de   Saxe   offrit  à  Cqs  yeux.  De 
quelque  côté  qu'il  les  tournât ,  il  n'apperce- 
voit  que  les  déplorables  ruines  de  l'ancienne 
Sion  :  àts  Eglifes  renverfées  ,  des  Monafie- 
res ,  afyle  de  la  pureté  ëc  de  l'innocence  , 
détruits  de  fond  en  comble  j   des  peuples  > 
qui,  le  Livre  de  la  Loi  à  la  main,  difpu- 
toient  contre  la  Loi  même  ;  qui  fçavoient  y 
trouver  dans  un  Canton,  ce  qu'un  autre  Can- 
ton n'y  voyoit  point  -,  &  qui  n'y  rencon- 
troicnt  jamais    ce  que  l'antiquité  y  vit  fi 
confiammenr.  Ce  fut  alors  qu'entrainé  par 
l'excès  de  fa  douleur,  il  s'écria  comme  un 
«lutre  François  de  Sales  dans  le  Chablais  : 
«  Que  font  devenus  ces  Solitaires  qui  peu- 
»'  ploient  autrefois  ces  forêts,  ôc  qui  les  fai- 

K 


i,S  L  A      V    I    E 

»  fôient  retentir  nuit  &  jour  des  louanges  du 
»  Seigneur  ?  Où  font  aujourd'hui  ces  Vier- 
„ges,  quifuivoient  par  tout  l'Agneau  fans 
«  rache?  Quel  glaive  a  moiffonné  ces  Levi- 
3.  tes ,  ces  Prêtres ,  qui  dégagés  de  la  chair  ÔC 
».  du  fang  ,  n'étoient  occupés  qu'à  fon  fervi- 
»  ce  ?  Quelle  impitoiable  main  a  difperfé  les 
*,  pierres  du  Sanduaire  ?  A  qui  vous  compa- 
«  rerai  je ,  Fille  de  Jérufalem  ?  A  qui  dirai- je 
w  que  vous  êtes  devenue  femblable ,  ô  Vier- 
,,ge,  fille  de  l'infortunée  Sion?  Vos  Pro- 
3.  phêtes  n'ont  eu  pour  vous  que  des  vifions 
*^  faufles  &  infenfées  :  jufques  à  quand  aurez- 
«  vous  le  malheur  de  les  fuivre  ?  Après  tout, 
..  pourfuivoh  le  faim  Prêtre  ,  c'eft  à  nos 
«  péchés ,  c'eft  à  ceux  d'un  trop  grand  nom- 
,.  brc  de  Miniflres  de  l'Autel,  qu'il  faut  im- 
y>  puter  nos  difgraces.  Ils  vivoient  ici  dans  le 
«  défordre  ,  &  Dieu ,  le  jufte  Dieu ,  s'efl  re- 
>*  tiré  d'eux.  Ils  employoient  en  folles  dépcn- 
«  fes  leurs  riches  poflefllons  :  &  celui  qui  en 
».  efl  le  Maître  abfolu  ,  les  9  tranfportés  à 
9»  leurs  plus  mortels  ennemis.  »* 

Ce  fut  dans  ces  fentimens  de  douleur  que 
Boudon  parcourut  la  Saxe.  Son  efprir,  com- 
me celui  de  S.  Paul  chez  les  Athéniens  ,  étoic 
dans  la  gêne:  &  s'il  eût  feu  la  langue  du 
Pays,  il  n'auroit  pu  s'empêcher  d'annon- 
cer,aux  dépens  de  fa  liberté,  de  fa  vie  même, 
la  grandeur  &  la  beauté  de  la  Religion  Ca- 
tholique. Réduit  à  ne  pouvoir  prêcher  de 
parole,  il  s^cfforça  de  prêcher  d'exemple. 
Cette  manière  d'inftruire  ne  lui  coûtoit  pas. 


I 


DE    M.    BoUDON.   LiV.    IL  219 

Il  porroit  la  piété  peinte  fur  fon  vifage  :  & 
dans  tour  ce^  voyage  qui  fut  long ,  il  n'y  eut 
rii  lieu,  ni  hôtellene,  où  il  ne  fut  regardé  ôc 
honoré  comme  un  faint. 

Enfin  il  arriva  à  Oeting  :  c'étoit  autrefois 
une  grande  Ville  :  mais  les  Barbares  l'ayant 
réduite  en  cendres ,  il  n'y  eut  que  la  Cha- 
pelle, queS.Rupert,  Apôtre  delà  Bavière 
avoit  dédiée  à  la  Reine  des  Anges,  que  les 
flammes  refpederent.  Ce  premier  miracle 
a  été  fuivi  d'une  fi  prodigieufe  quantité  d'au- 
tres, que  ks  quatre  côtés  du  Cloître,  ne 
fuffifent  pas  pour  en  contenir  les  preuves 
autentiques.  11  s'y  fait  un  concours  furprc- 
nant  de  toutes  les  Nations.  Peu  de  tems 
avant  que  Boudon  y  arrivât ,  l'Empereur  3c 
fon  époufe  y  étoient  venus  rendre  leurs 
vœux  à  Dieu  :  ils  y  avoient  paflfé  plufieurs 
jours  ,  défrayés  avec  toute  leur  Cour  par 
l'Eledeur  de  Bavière. 

Le  thréfor  de  cet  augufle  Sanduaire  cfl 
un  des  plus  riches  qui  foient  au  monde.  On 
n'y  voit  qu'argent ,  or  &  pierres  précieufes , 
dont  les  Chafubles  même  font  couvertes! 
Ce  font  autant  de  monumens  de  la  recon- 
noiflance  ,  qu'ont  voulu  témoigner  à  la 
Mère  de  Dieu  les  Généraux  d'armées ,  ks 
Princes  ,  les  Rois ,  les  Empereurs,  êc  tout 
ce  qu'il  y  a  de  plus  grand  fur  la  terre.  La 
France  y  a  auffi  envoyé  Ces  dons  y  ^  l'on 
juge  bien  qu'ils  n'y  tiennent  pas  le  dernier 
rang.  Il  y  a  peu  de  Temples  en  Europe,  où 
Dieu  foif  plus  honoré.  Il  s'y  dit  chaque  année 

Ki; 


220  La    Vie 

plus  de  quatre-vïngt-ciix  mille  Meiîes,  8c 
c'e/t  pour  cela  qu'on  y  a  multiplié  les  Auiels. 
Le  grand  Archidiacre  vifita  plufieurs  fois 
ce  faint  Lieu.  Il  s'y  confacra  de  nouveau  à 
Tadorable  Trinité  ,  fous  la  protedion  de 
celle  qu'il  appella  toujours  fon  aimable  Maî- 
treffe.  Il  y  célébra  les  divins  Myftéres.  Il  y 
vénéra  les  faintes  Reliques  avec  une  piété  û 
édifiante  j  qu'un  Comte  Allemand  qui  en 
fut  frappé ,  voulut  lier  avec  lui  une  étroite 
amitié  ;  Ôc  afin  qu'il  ne  l'oubliât  jamais  dans 
fcs  prières ,  il  lui  donna  une  image  en  relief 
de  la  fainte  Vierge  ;  ce  qui  étoit  prefque  le 
feul  préfent  que  ce  vrai  pauvre  de  J.  C.  eût 
voulu  accepter.  Ainfi  pendant  qu'on  traitoic 
en  France  l'Archidiacre  d'Evreux  d'homme 
à  dévotions  populaires  i  ôc  qu'on  pouflbit  le 
fcandale  jufqu'à  dire ,  que  parler  en  bien  de 
'fes  neuvaines  Ôc  de  Ces  pèlerinages ,  c'étoit 
vouloir  canomfer  jufqu'à  fes  extravagances: 
en  Allemagne  les  Séculiers  mêmes ,  ôc  les 
Séculiers  du  premier  ordre ,  rendoient  jufti- 
ce  à  fa  vertu  ,  &  félicitoient  nos  Provinc*es 
du  bonheur  qu'elles  avoient  de  le  pofleder» 

Après  avoir  amplement  contenté  fa  dévo- 
tion ,  notre  faint  Prêtre  s'en  revint  à  Munich. 
Leurs  AltefTes  le  revirent  avec  un  nouveau 
plaifir.  On  ne  manqua  pas  de  lui  demander 
encore  quelque  tems  :  ôc  ce  tems ,  fi  la  pieu- 
fe  Ducheflc  n'eût  fuivi  que  fon  inclination , 
auroit  duré  autant  que  fa  vie.  Mais  outre 
que  les  honneurs  dont  on  l'accabloit ,  fans 
y  penfer ,  ctoieut  un  fupplicc  pour  lui ,  il 


I 


ï)E  M.  BotJDON.  Liv.  II.       'ni' 
reçut  en  ce  même  rems  des  Lettres  de  Lor-  ■       - 
raine ,  qui  le  preflbient  de  partir  fans  délai.  «^^^  ?*' 
11  le  fit  le  plutôt  qu  il  lui  fut  poiTible  ,  &  il  le  ^*^^' 
fît  encore  trop  tard ,  comme  nous  le  verrons 
dans  un  moment.  Ce  ne  fut  qu'avec  bien  de 
la  douleur,  que  la  Cour  de  Munick  vit  par- 
tir un  homme  qu'elle  regardoit  comme  fon 
^nge  turéiaite.  Elle  s'efforça  de  fe  dédom- 
mager ,  &  de  le  dédomrnager  lui-même  par 
de  riches  préfens  j  mais  il  les  refufa  avec 
une  confiance  que  rien  ne  put  ébranler.  On 
crut  5  Ôc  on  avoir ,  ce  femble  ,  raifon  de 
croire  qu'il  accepteroit  lepeu  d'argent^  dont 
il  avoir  befoin  pour  retourner  en  France  : 
mais  il  fut  encore  inflexible  fur  ce  point.  Il 
n'en  prit  qii'auranr  qu'il  lui  en  falloir  pour 
vivre  pendanr  un  jour.  Il  y  avoir  long-rems 
que  ce  confeil  de  l'Evangile  :  Ne  vous  met- 
tez point  du  tout  en  peine  du  lendemain^  étoît 
pour  lui  un  précepte  rigoureux. 

C'eft  ainfi  que  Boudon  forrir  de  la  Cour 
de  Bavière:  le  cœur  aufli  déraché  des  gran- 
deurs du  monde  ,  que  s'il  ne  les  avoir  jamais 
vues,  &  l'efprir  auffi  uni  à  Dieu  après  urt 
voyage  de  quarre  ou  cinq  cens  lieues ,  &  de 
plufieurs  mois,  que  s'il  eût  palTé  tout  ce 
rems  dans  une  oraifon  continuelle. 

Malgré  fa  délicareffe  narurelle  ,  il  s'a- 
vança à  grandes  journées  vers  le  lieu  où  il 
éroir  arrendu  ;  c'éroir  un  Monaflere  d'Ur- 
fulines  en  Lorraine. La  Supérieure  lui  avoir 
écrir ,  qu'elle  avoir  d^s  affaires  d'une  extrê- 
me importance  à  lui  communiquer  -,  mais 

Kiij 


HZ  La     V I b 

que  s'il  tardoit  tant  foit  peu ,  elle  n'auroit 
pas  la  confolation  de  le  voir.  Boudon  eut 
beau  faire  ;  cette  Dame  étoit  morte  ,  quand 
il  arriva.  Il  tâcha  de  confoler  la  Commu- 
nauté de  la  perte  qu'elle  venoit  de  faire  j  ôc 
s'il  ne  put  arrêter  ,  il  adoucit  au  moins  fa 
douleur.  On  eût  bien  fouhaité  qu'il  eût  en 
quelque  forte  reproduit  la  défunte ,  en  écri- 
vant fa  vie ,  dont  on  lui  dit  des  chofes  ad- 
ïtiirablcs.  Mais  comme  il  n'écrivoit  jamais 
pour  le  public,  à  moins  qu'il  ne  fe  fentît 
întérieuremenr  preflc  de  le  faire  ^  &  qu'il  ne 
vît  pas  que  notre  Seigneur  exigeât  de  lui  ce 
genre  de  travail ,  il  s'excufa  de  l'cntrepren- 
dre.C^mmeilneferepofoitqu'entravaillanta 
il  commença  la  vifite  de  fon  Archidiaconé  , 
prefqu'aulTi-tôt  qu'il  fut  de  retour  à  Evreux. 
Le  peu  de  loifir  que  lui  laifToient  £çs  oc- 
cupations ordinaires  &  fes  fréquentes  infir- 
mités ,  il  le  donna  tout  entier  à  la  compo- 
fîtion  de  la  Vie  de  la  Révérende  Mère  Ma- 
rie-Elifabeth  de  la  Croix ,  qui  fut  imprimée 
en  Flandre  par  les  foins  de  la  Princefle,  de 
Vaudemont  '*, 
j^g  Quoique  notre  plan  ne  nous  permette  pas 

&  luiT.  de  faire  entrer  dans  la  vie  de  M.  Boudon  , 
une  vie  très-différente  de  la  Tienne  j  &  que 
par  cette  raifon  nous  n'ayons  rien  dit  deplu- 
iîcurs  autres  Hifloires  de  piété  ^"^  ,  qu'il  a 


i 


*  Cet  Ouvrage  fut  approuvé  le  premier  d'Avril  1 6S4. 
lar  Nicolas  Dubois  ,  DoUeur  de  Louvain  ,  6*  premier 
^rofejfeur  des  fainres  Lettres. 

••  Les  principales ,  outre  celle  de  faim  Taurin  ,  font 


Dî  M.  BouDON,  Liv.  II.  215 
auiTi écrites,  il  y  a  néanmoins  dans  THif- 
toire  de  la  Mère  de  la  Croix  des  chofes  fi 
fingulieres  ,  fi  capables  de  faire  connoitre 
le  génie  &  le  caractère  de  celui  qui  Ta  com- 
pofée  '^  que  je  crois  devoir  m'y  arrêter  ua 
peu  de  tems. 

L'Archidiacre  a  intitulé  ce  L'iweleTriom' 
phe  de  la  Croix  ;  parce  qu'en  fuivant  Marie- 
Elifabeth ,  depuis  fon  enfance  jufqu  à  fa 
mort  ,  il  a  toujours  vu  le  figne  du  faluc 
triompher  en  elle&  par  elle. 

Cette  fille  naquit  à  Remiremont  en  Lor-   j.^ 
raine  de  Jean-Léonard  de  Ranfain ,  ancien  Novemb. 
Gentilhomme  du  pays ,  ôc  de  Claude  de  Ma-  *  5^»* 
gniére.  Elle  dédommagea  en  peu  d'années  fa 
Mère  ,  qui  n'étoit  plus  jeune,  des  cruelles 
douleurs  qu'elle  lui  avoir  fait  fouffrir  dans 
fon  enfantement.  Le  fiécle  dernier  n  a  rien 
vu  de  plus  accompli  que  la  jeune  Eiifabeth. 
Les  qualités  du  corps  fe  réunirent  en  elle 
aux  qualités  de  l'ame  ,  pour  en  faire  un  de 
ceschef-d'œuvres  que  les  Romans  imagi- 
nent ,  de  queTHifloirenc  rencontre  prefque 
jamais.  A  une  taille  extrêmement  avanta- 
geufe,  elle  joignoit  un  air  grave  ôc  ferein ,  un 

«ellfcs  du  P.  Seiirin  ,  dn  P.  Chryfoftome  ,  Religieux  du 
Tiers-Ordre  de  fair^t  François ,  du  Bienheureux  Jean  die 
la  Croix  ,  &  de  la  Sœur  Marie-Angélique  de  la  Providen- 
ce ,  connue  dans  le  monde  fous  le  nom  de  Madenioifelle 
Simon.  Cette  dernière  vie  a  été  imprimée  pour  la  pre- 
mière fois  en  1760.  à  Avignon  ,   chez  Ant.  Ign.  Fex. 

•  Ce  n'eft  donc  pas  moi  qui  parle  ici  ;  &  u»  Criiî(}u« 
plus  odieux  que  célèbre  ,  auroit  dû  y  faire  attention.  Au 
rcfte  ce  morceau  qui  lui  a  déplu  ,  a  été  e>  rrimement  ap- 
plaudi de  feu  M,  TAbbé  Sallier. 

KiT 


214  La    Vie 

porc  majeflueux ,  un  tour  de  vifagc  Ci  ébîouif- 
iant,  que  les  peintres  n'ont  jamais  pu  le  fai- 
fir ,  en  un  mot  une  beauté  fi  parfaire ,  qu'elle 
fut  rirene  *  de  fon  tems ,  ôc  que  dans  route 
l'Europe  il  n'y  en  avoir  point  qu'on  pût  lui 
comparer.  L'Archiduc  d'Autriche  ,  qui  ne 
la  vit  à  Remiremont  qu'à  peine  ferrie  de 
l'enfance  ,  en  fut  fi  frapé  ,  qu'il  la  demanda 
inllamment ,  en  offrant  toutes  les  cautions 
pofTibles ,  pour  lélever  à  fa  Cour ,  mais 
Dieu  avoir  d'autres  deflcins  fur  elle. 

Ces  grâces  extérieures  étoient  foutenues 
par  des  grâces  d'un  tout  autre  prix  ,  celles 
de  l'efprit  &du  cœur.  Pour  ce  qui  eflde  Tef- 
prit ,  elle  l'avoit  vif,  pénétrant,  droit ,  fim- 
ple  ,  ami  du  vrai ,  ennemi  de  l'équivoque  & 
du  déguifement  :  elle  penfoit  bien  ,  elle  ju- 
geoit  folidement ,  ôc  faififfoit  mieux  les  con- 
féquences ,  que  d'autres  ne  voient  les  prin- 
cipes. De  là  ce  mot  d'un  des  plus  grands  gé- 
nies de  fon  tems  :  Je  ne  fuis  qu'un  enfant  au- 
près d^elle.  De-  là  encore  cette  effufion  de 
louanges  ,  que  prodiguèrent  les  Cardinaux 
Romains  à  quelques-uns  de  fes  écrits ,  qui 
croient  arrivés  jufqu'à  eux. 

*  Irène  étoit  une  Grecq-.ie  d*une  illuftre  nai/Tance  ,  doni 
les  char.Ties  ,  après  la  prile  de  Conftantinople  ,  fc  firent 
feniir  imnérie'i'e.nent  au  cœur  farouche  de  Mahomet  II, 
Comme  (qs  afliduités  auprès  d'elle  faifoient  murmurer  fon 
armée  ,  ce  barbare,  après  Pavoir  fait  luperbement  parer  , 
la  prit  par  les  cheveux  d'une  main  ,  &  de  l'autre  lui  abba- 
rit  la  tête  ;  &  fe  tournant  vers  les  Grands  de  la  Porte  avec 
des  ytf'jx  phiis  de  Rireur  :  Ce  fer  ,  leur  dit-il  ,  quand  je 
yeux  ,  fcalt  couper  les  liens  de  l'amour,  Vertot  ,  Hiltoiie 
deMalthe,  Liv.  VI. 


ti  M.  BouDON.  Liv.  ÎL  ne 
Les  qualirés  de  refprir  le  cédoient  à  celles 
du  cœur.  Elle  l'avoir  grand ,  noble  ,  géné- 
reux, reconnoifTant  prefqu/à  l'excès  j  tou- 
jours prêt  à  faire  du  bien  ,  Se  toujours  âulïï 
ferme  qu'il  le  devoit  être  à  raifondu  rems 
du  lieu  ,  des  circonaances.  Qu'on  joigne  à 
c€s  précieux  dons  un  naturel  extrêmement 
doux,  une  prodigieufe  facilité  à  aporcndre 
tous  les  petits  ouvrages  qui  occupent  ks  per- 
fonnesde  fon  fexc ,  une  main  très- habile 
pour  les  exécuter ,  une  voix  des  plus  gra- 
cieufes  qu'on  ait  jamais  entendues  ;  on  tom-- 
bera  aifement  d'accord  que  Mademoifelle 
de  Ranrain  effaça  toutes  ks  jeunes  perfon- 
nes  de  fon  tems. 

Tant  &  de  û  beaux  talens  la  demnoientaa 
monde  ,  félon  les  idées  du  fiécle  ;  mais  Dkit 
fembloicPappeller  ailleurs.  A  peine  avoit- 
eiie  treize  ou  quatorze  ans,  qa'dk  devint 
un  modèle  de  vertu  ôc  de  pénitence  La 
prière  les  ^bonnes  ledures,  les  entretiens 
avec  Dieu  croient  fa  principale  ôc  fa  plus 
rendre  occupation.  La  nourriture  qui  la  ré- 
voltoit  davantage ,  étoit  précifément  celle 
qu  elle  choifiiïoir.  Une  difcipline  de  chaînes 
deferetoitdetems  à  autre  l'inftrument  de 
fa  mortification.  Elie  portoit  trois  fois  par 
femame  un  rude  cilice  en  forme  de  croix  de 
5.  André,  &  le  ferroit  û  fortement  fur  fa 
ehair  innocente,  qu'elle  en  tomboit  en  for^ 
blefle.  Sa  mère  qui  fondoit  fur  elle  ks  plus 
flatteufes  efperances,  autant  affligée  que  fnr- 
pnfe  delà  voir  infirme  de  fi  bonne  heure 

Kv 


2i6  La     Vif 

•— —  redoubloît  d'attention  pour  confcr/cr  ane 
•  ^/^'  fille  û  chère  ,  6c  qui  d'ailleurs  étoit  runiqt*c 
fruit  de  fon  mariage.  Elle  prenoit  elle-même 
la  peine  de  la  coucher  tous  les  foirs ,  d'ar- 
ranger fon  lir  ,  de  faire  tendre  devant  les  fe- 
nêtres de  fon  appartement  une  pièce  de  ta- 
piflTcrie  ,  pour  en  dérober  l'entrée  au  fouffle 
le  plus  léger.  Mais  l'amour  de  la  Croix  ren- 
doit  ces  précautions  inutiles.  Ehfaberh  ,  an 
jmoment  même  qu'elle  jugeoit  tout  le  mon- 
de endormi ,  fortoit  de  ce  lit  fi  bien  pré- 
paré ,  &  fc  couchoit  à  platte  terre  fur  le 
carreau. 

On  s'apperçut    enfin    qu'elle   foupiroit 
après  la  Religion:  un  cilice  trouvé  à  Técart 
la  trahit.  Dès  lors  elle  efiuya  tous  les  mau- 
vais traitemens  qu'on  put  imaginer  pour  la 
détourner  de  fon  deflein.  On  lui  enleva  tous 
fes  livres  de  piété  j  on  ne  lui  propofa  d'au- 
tre ledure  que  celle  des  Romans  l  toute 
Compagnie  qui  n'étoir  ni  dilfipée,  ni  dilE- 
pante  lui  fiit  interdite.  On  la  forçoir  de  pa- 
-    loître  dans  les  cercles  avec  un  ar  ri  rail  de 
parure  &  de  mondanité  ,  qu'elle  ne  détef- 
toit  pas  moins ,  qu'Efter  déteftoit  les  orne- 
mcns  de  fa  gloire.  Bientôt  après  ,  pour  pu^ 
nir  f^n  infenfibilité  à  toutes  les  bagatelles- 
du  fiécle  ,   on  la  revêtit  de  haillons.  Dans 
cet  humiliant  équipée  fa  propre  mère  lui 
fit  parcourir  une  partie  des  rues  de  la  Ville, 
&la  préfenta  kCcs  amis  comme  une  infen- 
fée.  A  la  mai  fon  on  lui  prodiguoit  les  ter- 
mes les  plus  offewfans ,  les  paroles  les  plus 


2>2  M.  BouDON.  Liv.  IL  217 
ourragcufes.  Mais  c'éroit  trop  peu  pour  une 
merefurieufe  ;  elle  y  joignit  les  coups  de 
poing  les  plus  violcns:  &  tout  le  monde  a 
%i ,  non  feulement  qu'elle  penfa  la  tuer  , 
niais  qu'à  fotce  d'efiTons  pour  la  battre ,  dis 
fe  elle-même  malade  pendant  deux  mois. 
-La  Croix  du  Sauveur  triompha  toujours 
dans  des  épreuves  û  longues  &  fi  dures  : 
Elifabethne  les  portoit  pas  feulement  avec 
patience ,  elle  lesgoutoit  avec  un  plaifir  dé- 
licieux. La  Providence  feplut  à  l'en  rafla- 
ficv  :  elle  lui  en  ménagea  de  nouvelles  dans 
le  mariage  que  fes  parens  la  forcèrent  de 
contradîier  avec  le  fieur  du  Bois  ,  Prévôt 
d'Arches.  C'etoit  un  homme  riche ,  &  àim 
un  porte  à  le  devenir  encore  davantage  ^ 
mais  qui  pofledoit  dans  un  haut  degré  tou- 
tes les  mauvaifes  qualités  qu'un  mari  peut 
avoir, 

La  douceur ,  la  complaifance ,  les  grâces 
de  fon  époufe  ne  touchèrent  point  ce  cœur 
indomptable.  Il  n'eut  pour  elle  qu'une  aver- 
fion  pleine  de  mépris  \  Il  donnoiî  à  d  au- 
tres, &  fous  Ces  propres  yeux  ,  les  marques 
de  tendrejTe  qu'il  lui  déroboir.  Il  lui  ôta , 
malgré  fon  habileté  connue  ,  la  conduire  de 
U  maifon  ,  pour  la  livrer  à  des  valets  ôc  à 
des  fervantes  ^  qui  à  la  vue  de  leur  Maî- 
trefle  faifoient   une   diiTipation    épouvan- 

*  Du  Bois  avoir  trois  enfânsd*une  première  femme.  Son 
a\errion  po-jr  cei'e-ci  vint  de  ce  que  Tayant  priée  avan^ 
fcs  noces  de  !ui  ,!i-e  ingénuement ,  s'il  étoii  vrai  qu'elle- 
n'eut  point  d'inclination  pour  le  mariage  ,  elle  lui  a^ii. 
avoué  qu  elle  laioit  en  horreur, 

Kvj 


128  ^      La  Vie 

"  .  -  rablc.Son  mépris  devint  colère,  ôc  fa  colère, 
&to.  ^^^^^^^  brutale.  Tantôt,  malgré  la  délicatefle 
de  fa  vidime  ,  il  lui  faifoit  faire  deux  ou 
trois  lieues  à  pied.  Tantôt,  ôc  prefqu'à  la- 
veille  de  fes  couches ,  il  la  faifoit  monter  fur 
des  chevaux  ,  que  de  bons  Cavaliers  n'au- 
roi  ent  eflay  es  qu'avec  précaution.  Une  fois,, 
pourpafïer  un  torrent  débordé  ,  il  lui  don- 
na une  monture  fous  laquelle  elle  devoit  na- 
turellement périr.  En  effet  elle  fut  bientôr 
entraînée  par  la  rapidité  des  eaux;  &  fon 
Miari  fe  contentant  d'éclater  en  injures  ,  c'en 
étoit  fait  d'elle  ,  fi  un  étranger  qui  fe  trouva 
préfent,  n'eut  expofé  fa  vie  pour  fauvcr  lai 
fienne. 

Le  refle  de  fa  maifon  regîoit  parrapporc 
a  elle ,  fa  conduite  fur  celle  du  Maitre.  Une- 
Belle- fille  la^traitoit  d'une  manière  fi  atroce,. 
que  je  crois  la  devoir  fupprimer.  Les  do- 
mcAiques  n'en  agiûbient  pas  mieux  avec 
elle.  Un  d'eux  lui  donna  du  poifon  ;  elle  en^ 
fut  réduite  à  rextrémitéi^  malgré  cette  extré- 
mité, fou  mari,  qui  joignit  enfin  lajaloufie 
à  fes  autres  défauts ,  voulut  qu'elle  montât' 
à  cheval  pour  le  fuivre. 

Mais,  &  cette  heureufe chute  reviendra 
toujours  ici ,  la  Croix  de  J.  C.  triompha  tou- 
jours dans  le  cœur  de  la  vertueufe  Eiifabeth^ 
Tourmentée  par  fon  mari ,  plus  que  Job  ne 
i'avoitété  par  fa  femme ,  elle  ne  pécha  point 
par  fcs  lèvres ,  ni  ne  tint  contre  la  Provi- 
dence des  difcours  capables  de  l'offenfer.  Ja- 
mais elle  ne  fe  plaignit  des  fureurs  de  fa. 


DE  M.  BounoNr  Lit.  II.  229 
Belle-fille.  Jamais  elle  ne  trouva  à  redire , 
ni  aux  mépris  de  fcs  dcmefliques,  ni  aux  ^  futy.- 
cmponemens  de  Ton  époux.  La  volonté,  ks 
infînuations  même  du  tyran  furent  toujours 
la  règle  de  fa  volonté  Ôc  de  fes  démarches. 
Elle  âvok  unattrait  infini  pour  les  auflérités, 
elle  n'en  pratiqua  que  de  fon  confentemenr. 
Sa  fanté  étoit ,  &  devoit  être  très  -  foible  y 
malgré  cela  ,  l'été  comme  l'hyver  ,  qui  eft 
très-rude  dans  les  Vôges ,  elle  le  fuivoit  par* 
tout  où  le  demandoient  Ces  affaires,  &  quel- 
quefois Ton  caprice.  La  goutte  le  retenoit 
}ufqu'à  des  cinq  ou  fîx  mois  au  lit  :  la  charité 
retenoit  fon  époufedans  fa  chambre,  &les 
fervices  les  plus  humilians  ne  lui  coutoient 
rien. 

Enfin  eîle  vint  à  bout  de  l'adoucir  y  âc  pat- 
elle la  Croix  triompha  de  ce  raonftre,  qui 
jufques-là  n'avoit  pas  connu  les  apparen- 
ces de  l'humanité.  Peu  à  peu  il  perdit  l'ha- 
bitude de  jurer ,  &  infenfiblement  on  trouva 
en  lui  un  modèle  de  patitrncejqui  fcuiFre 
tout  fans  émotion  s  un  homme  de  miféri- 
corde  ,  toujours  prct  à  foulager  l'indigence  ,. 
fans  permettre  qu^elle  languiffe  un  momenr 
à  fa  porte  ^  un  fervitcur  fi  dévoué  à  la  Mère 
de  Dieu  ,  qu'il  ne  fortoit  plus  de  la  maifon  , 
fans  faluer  ôc  invoquer  cette  augufle  Pro- 
tedlrice,  devant  quelques-unes  de  fes  ii-na- 
ges.  Ce  fut  dans  cet  état  que  Dieu  Téprou^ 
va  Ôc  fon  époufe  avec  lui. 

Ni  les  mauvais  traitemens ,  ni  les  morti- 
fications volontaires,  n'avoient  pu  akérer 


i^o  La    Vie 

"■  ■  ce  fonds  înépnifable  de  beauté ,  qu'elle  avoir 
&*^u1^.  ^^Ç^  ^^^  mains  de  la  nature.  Un  Seigneur  ac- 
crédité, fur  k  portrait  qu'on  lui  en  fit ,  en 
devint  paffionnément  amoureux.  Apres  mil- 
k  ôc  mille  efforts  inutilement  bazardés  pour 
l'entretenir  à  fon  aife  ,  il  réfolut  de  lui  fuf- 
citer  une  affaire ,  qui  devoit  natuiellemenc 
la  forcer  de  paroître  à  la  Cour.  Son  mari  fut 
accufé  de  concufTion ,  dépouillé  de  fon  gou- 
vernement ,  privé  par  confîfcation  d'une 
partie  de  fçs  biens.  Pour  remédier  à  tour , 
Une  falloit  qu'un  voyage  d'Elifabeth  à  Nan- 
ci  ou  à  Lunéville.  Cent  bouches  apoftées- 
le  lui  répétoient  fans  ceiïe.  Mais  elle  corir- 
noiffoit  le  piège  :  elle  aima  mieux  tour  per- 
dre que  d'en  courirles  rifques  y  ôc  fon  époux 
mourut  en  béniiïant  la  Providence.  Lui  ren- 
dit-elle la  vie  par  fcs  prières,  afin  qu'il  pur 
recevoir  les  derniers  Sacrcmcns  ?  c'eft  ce  que 
plufieiirs  perfonnes  dignes  de  foi  ont  affuré  r 
mais  des  faits  pareils  demanderoicnt  un  exa- 
men juridique.  Après  tout ,  une  vie  comme 
k  fienne ,  ne  la  mettoit-elle  pas  en  droit  de 
triompher  de  la  mort  ? 

Elle  avoir  été  un  modèle  de  vertu  dans 
ks  liens  du  mariage  \  elle  fut  un  n^odéle  de 
vertu  dans  fon  état  deviduité.  Enveloppée 
&  comme  perdue  à  l'âge  de  vingt  -  quatre 
ans  dans  un  labyrinte  d'affaires  épineufes, 
chargée  de  trois  filles  qui  commençoient  à 
croître  ,  pourfuivie  d'une  foule  d'adora- 
teurs ,  qui  par  un  fécond  mariage  vouloient 
partager  avec  elle  leur  crédit  &  leur  fortu* 


I 


DE  M.  FouDON.  Liv.  !!►         251 
ne  j  elle  eut ,  plus  que  perfonne  ,  befoin  de 
grâce  &  de  vigilance ,  pour  être  du  nombre 
^çs  veuves  que  S.  Paul  canonife^  La  piété  , 
qui,  félon  le  même  Apôrre,  ell  bonne  à 
tout ,  la  mit  en  état  de  faire  face  à  une  par- 
tie d€s  peines  qui  î'environnoient  ,  de  de 
fupporter  les  autres  en  efprit  de  paix  &  de 
foumifllon.  C'étoit ,  &  )e  ne  me  fers  de  ce 
mot  qu'après  elle,  c'éioit  â  coups  de  haton 
qu*on  l'avoit  forcée  de  prendre  un  premier 
mari  ;  la  noblefle  èc  les  biens  de  ceux  qui 
voulurent  le  remplacer  ,  ne  firent   point 
d'impreflîon  fur  elle  :    &  malgré   les  avis 
mendiés  de  quelques  Religieux  ,  qui  for- 
roient  des  bornes  de  leur  profefTion  j  J.  C* 
fut  le  feul  époux  qu'elle  voulut  avoir. 

Sans  fatiguer  (ts  filles  par  di^s  fermons 
continuels ,  elle  fçut  en  faire  des  Viergea 
chrétiennes  :  elle  leur  permit  d'être  pro- 
pres^parce  que  leur  condition  I  exigeoitimais 
jamais  elle  ne  leur  permit  d'être  moins  mo- 
deltes  ,  parce  que  TEvangile  le  défend.  Par 
fes  foins  &  parfesattentions  charmantes  elle 
fcur  fit  trouver  dans  fa  compagnie  une  joie 
kinocenre  &  pure  ,  qu'elles  ne  goûtoient 
point  ailleurs,  Jam>ais  d'entretiens  avec  le5 
▼alets:  très  rarement  avec  les  filles  de  fer- 
vice  :  pcMnt  du  tout  au  dehors  avec  les  jeu- 
nes pcrfonnes  de  leur  âge,  à  moins  qu'elles 
«efuflenr  d'une  vertu  exemplaire.  Faut  il 
s'étonner  après  cela ,  fi  ces  trois  filles  ont 
voulu  ,  fans  attendre  le  foir ,  confomme^ 
dans  le  Clorre  le  facrifice  qu'elles  avoienî 
commencé  de  fi  bon  maiin  ? 


iji  La     Yit 

•»  Les  Domeniques  de  notre  vertuenfe  EIh 

&kî  ^^^cth  ftirenr  y  aux  yeux  de  fa  foi ,  un  dé^KM 
dont  elle  devok  répondce.  Audi  n'omit-elie 
rien  pour  les  former  à  la  piété.  Elle  préfi- 
doit  à  leurs  prïeres ,  les  menoit  à  l'Eglifc  ,les 
difpofoit  à  approcher  d^s  Sacremens ,  les 
reprenoit  avec  douceur ,  &  toujours  en  très- 
peu  de  mots.  S'il  falloit  enfin  les  congédier, 
cWc  leur  payoit  l'année  entière  de  leurs  ga- 
ges :&  quand  c'étoit  à  l'entrée  de  Thyver, 
qu'elle  étoit  obligée  d'en  venir  à  cette  ex- 
trémité ,  elle  faifoit  quelque  chofe  de  plus , 
pour  leur  adoucir  une  partie  des  rigueurs  de 
la  faifon. 

Malgré  les  embarras  de  ce  nouvel  étar , 
k  pieufe  veuve  paroifToit  dans  unefituatioD 
bien  plus  douce  que  celle  qui  i'avoit  fi  long- 
rems  exercée  ,  foit  dans  la  maifon  paternel- 
le ,  foit  pendant  le  règne  de  fon  mari.  Mai» 
elle  étoit  née  pour  les  croix  du  premier  or- 
dre \  ôc  à  peine  y  avoit-il  vingt  mois  que  fon 
époux  étoit  mort ,  qu'il  lui  en  furvint  une  , 
dont  les  annales  de  l'Eglife  fournificnt  peu 
d'exemples.  C'eft  une  affaire  qui  a  tant  fait  de 
bruit  en  Lorraine  ,  qu'il  n'y  a  point  de  dan- 
ger à  en  rappellcr  la  mémoire.  Je  le  ferai 
avec  précifion  :  je  prie  qu'on  fe  fouviennc 
que  je  ne  dois  le  faire  qu'en  Hifiorien, 

En  t6i8.  le  20  de  Février  ,  quelques 
Dames  de  fes  amies  l'invitèrent  à  une  par- 
tie qu'elles  avoient  faite  d'aller  au  faint 
Mont ,  lieu  de  dévotion  qui  n'eft  éloigné  de 
Remiremont  que  d'environ  une  demi-lieue- 


Dt  M.  BouDON.  Liv.  II.        255 
La  pîenfe  veuve  ,  qui  ne  fçavoic  qu'obliger ,  * 

y  confenrir  volontiers  ;  à  condition  néan-  ^^^^' 
moins  qu'il  ne  s'y  trouveroit  point  d'hom- 
mes. On  le  lui  promit  j  &  plut  à  Dieu  qu'on 
lui  eut  tenu  parole. 

Lorfqu'clle  y  fut  arrivée ,  au  lieu  de  fe 
chauffer  ,  comme  firent  les  autres  ,  elle  par- 
courut ,  malgré  la  rigueur  du  froid  ,  les 
Chapelles  qui  font  fur  le  fommet  de  cette 
montagne.  Mais  elle  s'arrêta  fur-tout  devant 
une  image  de  la  Vierge  ,  qui  eft  très-  refpe- 
<ftéc  dansée  lieu.  Eiley  renouvella  le  vœu 
de  chaileté  ,  qu'elle  avoit  fait  depuis  la  mort 
de  fon  mari.  Elle  fe  mit ,  aulTi  bien  que  fa 
fille  aînée  qv.i  l'avoir  fuivie  ,  fous  la  prote- 
ction de  la  NIere  du  Verbe  incarné.  Elle  lui 
protefla  avec  toute  l'ardeur  dont  elle  ctoit 
capable  ,  qu'elle  ne  vouloit  plus  vivre  ,  que 
pour  glorifier  le  Fils  dans  la  Mère  ,  ôc  la 
Mère  par  le  Fils. 

Cependant  on  l'appelle  :  êc  elle  trouve  à 
table  3  contre  la  parole  donnée  ,  un  Méde- 
cin nommé  Poirot.  C'étoit  un  tour  qu'une 
Dame  de  la  Compagnie  lui  avoit  joué.  Elle 
en  fut  affligée  ,  parce  qu'elle  ne  voyoit 
dhommes,  queceux  qu'elle  ne  pouvoit  fe 
difpenfer  de  voir  :  mais  elle  diffimiila  fa 
peine.  Poirot ,  familier  avec  tout  le  mon- 
de, étoit  timide  à  l'égard  de  notre  Elifaberh. 
La  vertu  peinte  fur  fon  vifage  la  rendoit  im- 
pofante.  Le  libertin  même  avoir  pour  elle 
un  refpect  forcé  -,  ôc  de  routes  les  perfonnes 
qui  la  connoiflbient ,  il  n'y  en  avoit  point 
qui  osât  s'échapper  en  fa  préfence. 


234  L  A  Vr  E 

Pour  s'en  faire  aimer ,  le  Médecin ,  qui 
fans  avoir  jamais  ofé  lui  faire  l'aveu  de  fa 
flamme,  l'aimoit  éperduement ,  eut  recours 
à  la  voie  du  maléfice  y  ôc  pour  fe  frayer  un 
chemin  au  mariage ,  il  voulut ,  à  l'aide  de 
Tenfcr ,  comme  ce  fcélérat  dont  parle  S, 
Jérôme  dans  la  vie  du  grand  Hilarion ,  ob- 
tenir des  fcntimens  dont  la  nature  ôc  la  ver- 
tu lui  fermoient  l'entrée. 

Elifabcth  au  moment  même  fe  trouva 
<îans  une  fituation  qu'elle  n'avoit  jamais 
éprouvée.  Une  noire  vapeur  de  penfées  im- 
pures s'éleva  dans  fon  imagination  ,  &  elle 
fe  vit  comme  livrée  aux  fureurs  de  cet  Ange 
de  Satan  ,  qui  afflige  fi  cruellement  ceux  fur 
qui  il  lui  eli  donné  d'exercer  fon  empire. 
Mais  comme  le  démon  ,  quoiqu'il  puifle  dé- 
ranger les  organes,  ne  peut  rien  fur  la  vo- 
lonté j  &  qu'à  moins  qu'il  n'ôce  ia  raifon , 
il  laiiïe  au  cœur  la  liberté  du  confentement  : 
Elizabeth  ,  qu'une  longue  fuite  de  vertus 
avoit  préparée  aux  plus  rudes  combats ,  ren- 
dit inutiles  tous  Ces  efforts.  Elle  en  fit  mcme 
par  la  vertu  de  la  croix  ,  la  matière  de  fon 
plus  beau  triomphe.  Pour  éteindre  le  feu  qui 
la  dévoroit ,  fcs  yeux  verfoient  des  torrens 
de  larmes.  Elle  pafToit  en  oraifon  une  partie 
des  jours  (Se  des  nuits.  Sans  cefTe  elle  appel- 
pelloit  à  fon  fecours  la  Reine  des  Vierges, 
&  ceux  des  Saints ,  qui ,  comme  François 
d'Afllfe  ,  ont  le  plus  imité  fa  pureté  fans  ta- 
che. Elle  fe  confefibit  prefque  tous  les  jours, 
&  prefque  tous  les  jouis  elle  trouvoic  dans 


EE  M.  BouDON.  Liv.  îl.        23J 
k  pain  des  forts  de  quoi  braver  Tenfer ,  Ôc  '' 

tous  les  miniftrcs  de  fa  fureur.  Elle  fut  donc,  sl^uih* 
quoiqu'il  lui  en  coûtât  beaucoup  plus,  tout 
ce  qu'elle  avoit  été  jufqu'alors.  Son   cœur 
fut  à  Dieu,  ôc  il  ne  fût  qu'à  lui.  L'impie  put 
le  troubler ,  il  ne  put  y  avoir  d'entrée. 

Défefpéré  d'un  fi  mauvais  fuccès ,  Poirot , 
qui  peut  -  être  étoit  accoutumé  à  en  avoir 
de  plus  conformes  à  fes  vues  criminelles , 
voulut  du  moins  avoir  la  funefte  confola- 
tion  d'être  appelle  auprès  de  celle  pour  qui 
fa  pafiion  redoubloit  tous  les  jours.  Cela 
n'étoit  pas  difficile  ^  il  étoit  feul  Médecin  à 
Rcmiremont  :  il  n'y  avoit  qu'à  la  fraper  de 
quelqu'une  de  ces  maladies ,  où  il  eft  de  l'or- 
dre d'avoir  recours  à  fa  profefTion.  Il  le  fît 
par  de  nouveaux  maléfices.  Anne  Bouley  , 
pauvre  fille  de  Lorraine ,  dont  on  ne  fe  dé- 
fioit  pas,  &  qu'il  avoit  rendue  complice  de 
fes  fortiléges  j  le  fervoit  admirablemens;  bien 
dans  ces  occafions. 

En  coRféquence  de  la  nouvelle  opéra- 
tion ,  notre  pieufe  veuve  fut  bientôt  dans  un 
état  à  faire  trembler  ceux  qui  en  étoient  té- 
moins :  ôc  qui  efl-ce  qui  ne  le  fut  pas  d'un 
mal ,  qui ,  quoiqu'avec  des  accès  inégaux  > 
a  duré  fi  long-tems  ? 

Quelquefois  elle  avoit  la  moitié  du  corps 
gelée  &  fans  aucun  fentimenr^  pendant  que 
l'autre  éroit  fi  violemment  agitée  ,  que  quoi- 
qu'elle fût  très-fcible,  quatre  perfonnes  bien 
fortes  avoient  peine  à  la  retenir.  Quelque- 
fois on  vayoit  avec  la  plus  étrange  furprife  fa 


i^é  La   Vie 

'■  têce  s'entrouvrir ,  ôc  fe  refermer  un  peu  âê 

It^^'v.  tems  après  ■^.  D'autres  fois  cette  même  tête 
'  s'enfloif  àvued'œilj&devenoit  monftrueufe. 
Souvent  elle  y   fouffroit  des    douleurs  fi 
aiguës ,  que  tous  fes  fens  en  tomboient  dans 
la  ftupidité  :  elle  n'entendoit  plus  :  elle  voyoit 
peu-,  elle  n'avoit  ni  goût,  ni  odorat,  tjne 
gravelle  furieufc  ,  des  coliques  cruelles ,  le 
corps  fouvent  courbé  en  arc ,  un  aftme  ter- 
rible i  une  toux  très  -  violente  ,  une  veine 
rompue  qui  lui  faifoit  perdre  beaucoup  de 
fang  i  un  froid  qui  la  glaçoit  au  milieu  des 
ardeurs  de  l'été  •<,  Ôc  avec  cela  un  feu  inté- 
rieur 5  principe  d'une  foif  que  rien  ne   pou- 
voir éteindre  :  des  déchiremens  femblables 
à  ceux  des  rafoirs^  fes  membres  difloqués  de 
façon  qu'on  entendoit  craquer  fes  os  ;  la 
peau  de  fa  tête  confumée  par  la  violence  des 
remèdes ,  en  forte  qu'on  lui  voyoit  le  crâne  : 
tout  cela  n'eft  qu'un  foible  abrégé  des  peines 
que  fouffrit  cette  femme  de  douleurs. 

Mais  ces  peines  qui  n'attaquoient  que  le 
corps  ,  n'étoient  rien  en  comparaifon  de 
celles  qui  crncifioient  fon  ame.  Peu  fées 
abominables  dans  la  perfonne  du  monde  qui 
en  avoir  le  plus  d'horreur.  Doutes  contre 
le  plus  confolant  de  nos  myfteres ,  &  dou- 
tes fondés  fur  les  raifons  des  Calvinifles , 
qu'elle  iVavoit  jamais  lus  ;  Tentations  de 
blafphême  ,  de  fureur,  &:  du  plus  affreux 
défefpoiri  Langueur,  fécherefle ,  diftradion 

*  Voyez  fur  ces  fortes  de  Phénomènes  VÊxamen  critique 
de  fHiJioire  des  Diables  de  Loudun,  Entretien  VU. 


DE  M.  BouDON.  Liv.  II.       257 

dans  ces  mêmes  exercices  de  piété  ,  qui  juf-  * 

ques- là  av oient  été  fa  plus  confolanre  ,  ôc  ^^^JV, 
prefque  fon  unique  occupation  \  tels  étoient 
les  rigoureux  exercices  que  le  Ciel  lui  four- 
niflbir.  Les  eaux  de  la  mer  l'environnoienr , 
Se  elles  avoient  pénétré  jufques  dans  la  fub- 
fîance  de  fon  ame.  Tous  fes  flots  avoient 
paflé  fur  elle.  Elle  erroic  dans  la  folirudc, 
dans  cts  lieux  cbfcurs  ôc  ténébreux  ,  féjour 
éternel  de  ceux  qui  font  morts  pour  tou- 
jours. 

Mais  dans  cet  érar  ,  dont  nous  n'avons 
fait  qu'affoiblirla  double  horreur  ,  la  Croix 
du  Fils  de  Dieu  triompha  conflammenr.Eli- 
faberh  ne  fe  lafToit  point  de  bénir  le  nom 
du  Seigneur.  Elle   le  conjuroit  de  ne  pas     ^ 
permettre  qu'elle  eût  jamaais  d'autre  defir  » 
que  celui  d'être  dans  la  fituation  où  fa  Pro-» 
vidence  vouloit  qu'elle  fût  :  ôc  un  jour  qu'el- 
le foufïroit  des  tourmens  qui  cuffent  fuffi  à 
la  fainte  avidité  des  Martyrs ,  elle  dit  à  ceux 
qui  la  plaignoient ,  que  c'étoit  peu  de  chofe,i 
Il  eft  vrai  qu'elle  changea  enfin  de  lan^ 
gage  -,  mais  ce  langage  ,  joint  aux  f\  mptômes 
extraordinaires  de  fa  maladie,  fir  juger  qu'el- 
le étoit  poffédée.  Comme  c'eft-  là  1  endroit 
critique  de  fa  vie ,  ôc  de  celui  qui  l'a  écrite , 
nous  le  fuivrons  pas  à  pas  dans  une  matière 
auiTi  pleine  d'intérêt ,  qu'elle  ell  environ- 
née d'écueils. 

L'Archidiacre  commence  d'abord  par  p<> 
fer  pour  principe ,  qu'il  peur  y  avoir  des  per- 
fonnes  poffédées  par  Iç  démon.  Il  le  prouve^ 


&&UV. 


238  La  Vie 

— —  &  par  l'Evangile  qui  en  parle  dans  un  grand 
îJ?.tl  noiTibre  d'endroits ,  &  par  la  promefle  que  le 
Fils  de  Dieu  fit  à  fes  Apôtres ,  ôc  en  leur 
jDerfonne  ,  à  ceux  qui  dévoient  leur  fuccé- 
der  ,  qu'ils  chafTeroient  en  fon  nom  les  dé- 
mons du  corps  de  ceux  qui  en  feroient  in- 
fcdés  :  ôc  par  l'établiflement  d'un  Ordre 
d'Exorciltes  ,  que  reçoivent  encore  aujour- 
d'hui tous  ceux  qui  fe  difpofent  au  Sacer- 
doce i  6c  enfin  par  l'autorité  des  plus  an- 
ciens âc  des  plus  refpedables  Dodeurs  de 
TEglife  ;  qui,  comme  S.  Ignace  Martyr  ,  S. 
Juftin ,  Tertullien ,  S.  Cyprien ,  S.  Athanafc, 
S.  Jean-Chryfoilome 5  S.  Jérôme,  S.  Au- 
guftin,  ont  parlé  des  Hxorcifmes:  c*eft-à- 
dire  ,  d'un  minifiere  cflenticUement  relatif 
au  genre  de  vexation  dont  nous  parlons.  Il 
ajoute  que  les  fiéclcs  fuivans  n'ont  pas  penfé 
autrement  que  ceux  qui  les  avoient  précé- 
dés-, &  dès-là  il  a  fait  appercevoir  une  chaîne 
de  Traditions,  contre  laquelle  un  vrai  Chré- 
tien ne  peut  fe  roidir.  Il  cft  vrai ,  &  c*eft 
peut-être  un  défaut ,  qu'il  ne  cite  aucun  tex- 
te ,  ni  à  la  marge  ,  ni  dans  le  corps  de  fon 
livre  :  mais  s'il  ne  faut  que  cela  pour  avoir 
Ja  paix ,  nous  fommes  prêts  à  les  citer  pour 
lui. 

Il  prétend  enfuite  ,  qu'il  y  a  des'pojjeffîorts 
'dont  tes  caufesfont  innocentes  s  c'eft-à-dire  , 
qui  ne  font  la  punition  d'aucune  faute  qu'ai; 
commife  la  perfonne  poffédée ,  &  que  par 
conféquent  le  dejfein  de  Dieu  n'cfi,pas  tou- 
jours de  punir ,  quand  il  afflige.  Il  dit  d'à- 


DE  M.  BouDON.  Liv.  II.  25^ 
bord  j  mais  avec  beaucoup  de  préciûon , 
que  la  poflcfTion  n'efl  après  tout  qu'un  genre 
de  croix ,  &  que  Dieu  diftribue  les  croix  aux 
innocens  comme  aux  coupables.  11  cite  en 
preuve  l'exemple  de  l'ancien  Jofeph,  qui 
n'eût  été  ni  perfécuré  par  fcs  frères  ,  s'il  eût 
été  moins  vertueux  ;  ni  condamné  à  une  ri- 
goureufe  prifon  ,  s'il  eût  été  auffi  corrompu 
que  fon  infâme  maîtrefle.  A  cet  exemple  il 
joint  celui  du  faint  homme  Job ,  qui  de  l'a- 
veu de  Dieu  même  ,  n'avoit  pas  fon  pareil 
fur  la  terre  \  Se  qui  cependant  devenu  le 
jouet  des  enfers ,  n'eut  pour  rcflburce  dans 
l'excès  de  fes  difgraces ,  qu'une  femme  & 
àcs  amis  qui  y  mirent  le  comble.  Tobie  & 
l'aveugle  né  de  l'Evangile  viennent  à  l'appui 
de  ces  premières  preuves.  Boudonne  man- 
que pas  d'y  joindre  avec  fcs  tranfports  ordi- 
naires la  très-fainte  Vierge.  Jamais  vie  ne 
fut  plus  pure  ,  plus  innocente  que  la  Tienne  -y 
jamais  cœur  ne  fut  plus  fouvcnt  percé  du 
glaive  de  douleurs ,  que  Siméon  lui  avoit 
prédit. 

Ces  principes  ne  fuffifent  pas  à  notrcEcri- 
vain.  Il  vient  au  fait  précis  des  poffelTions. 
Il  foutient  avec  CaiTicn,  qu'ily  a  eu  des  per- 
fonnes  d'une  grande  fainteté  ,  dont  la  vertu 
a  été  exercée  par  ce  genre  d'épreuves.  Il  fait 
voir  par  l'autorité  de  Sulpice  Severe ,  qu'il 
s'efl  trouvé  des  Saints ,  qui  l'ont  demandé  à 
Dieu ,  pour  éviter  des  fautes ,  dont  l'humi- 
liation qui  y  efl  attachée  ,  pouvoit  les  ga- 
rantir. Enfin ,  il  ajoute  d'après  le  Chance- 


2.^0  La  Vie 

lier  Gcrfon»  qu'il  y  en  a  eu  d'autres  qui  Tont 
obcenue  par  grâce  ,  &  auxquels  le  bon  ufage 
qu'ils  en  ont  fait ,  a  beaucoup  fervi.  A  ce 
fujet  il  cite  l'exemple  de  la  vertueufe  Marie 
des  Vallées  "^  ,  qu'il  avoir  très  particulière- 
ment connue,  ôc  qui  fut  poffédée  prcf- 
que  toute  fa  vie  ,  non  pas  pour  avoir 
chanté  dans  fa  jeunefle  quelque  chofe  de 
trop  libre  ,  ainfi  que  l'ont  écrit  des  perfon- 
nesmal  inflruites^  mais  pour  prendre  fur 
elle ,  par  un  effort  de  charité ,  les  maléfices 
dont  un  grand  nombre  de  filles  ,  à  qui  leur 
peu  de  vertu  ks  rendoient  funeftes ,  étoienc 
affligées. 

Mais  enfin  de  ce  que  Mari«-  Elifabeth  a 
pu  être  pofTédéc ,  il  ne  fuit  point  du  tout , 
qu'elle  l'ait  été  effcdivcment.  L'Auteur  en 
convient.  11  n'ignoroit  pas ,  que  da^ns  THif- 
roire  il  y  a  cent  exemples  de  poileflions ,  qui 
n'ont  €u  de  réel  que  la  foiblefîe  ou  l'artifice 
de  ceux  qui  les  contrefaifoient ,  ôc  la  (lu- 
pidc  crédulité  de  ceux  qui  s'y  font  laiffé  pren- 
dre. 11  commence  donc  par  avertir ,  &  Dieu 

•M  Michauît.danslc  premier  Tome  de  fcs  Mêlangefi 
Hiftoriques  &  Philologiques  ,  p.  324  rapporte  un  Frag- 
ment ,  où  cette  fîr.e  eft  traitée  comme  n'ayant  ni  raifon  , 
ni  Religion.  On  y  'it  qu'on  propofa  de  fa  part  trente  an- 
nées de  vie  au  Cardinal  de  Richelieu  ,  fous  la  condition  de 
tlonner  dix  ou  douze  mille  livres  au  1'.  Eudes  ,  pour  fonder 
lacuîfinede  fa  Mijfion.  Onyaioute  que  J.  C.  lui  révéla 
la  damnation  de  ce  Miniftre.  Unhonme  inftruii ,  à  qui 
j'ai  demandé  ce  qu'il  penfoit  de  ces  pieufes  Anecdotes, 
m'a  prouvé  que  c'étoient  des  rêvciies  &  des  irppertinen- 
ces.  Au  r€Ûe^  fi  M.  Boudoiï  a  été  tmmpé  fur  le  coiiipte 
de  cette  fille  ,  il  ne  l'a  été  que  d'après  un  grand  nombre 
de  perfonnes  d' un  vrai  mériie.  . 

veuille 


DE  M.  BouDCN.'Lîv.  II.  -241 
veuille  qu'on  ne  1  oL.blie  jamais ,  qu'il  ciï  ■ 
d'une  exncme  conféquence  pour  la  gloire  gj'jufy^ 
de  Dieu  <^  pour  i  honneur  de  la  Religion  , 
de  ne  marcher  qu'à  pas  très  -  mellaes 
dans  un  l'entier  aufli  gliiTanr  que  l'ell  celui- 
ci.  Il  dit  que  certaines  maladies  ,  fur-tout 
quand  elles  font  jointes  à  une  imagination 
vive  ,  à  un  tempérament  robu/le  ,  6c  plus 
encore  à  une  volonté  ou  déterminée  au  mal, 
ou  féduite  par  l'apparence  du  bien  ,  peu- 
vent produire ,  ôc  produifent  les  plus  fur- 
prenans  effcis.  Il  foufient  que  l'ennemi  du 
genre  humain  entre  pour  beaucoup  dans  ce 
déteflable  manège ,  Se  que  comme  il  pro- 
cure quelquefois  à  d  hypocrites  fcéléracs  la 
réputation  de  gens  de  bien ,  pour  avoir  lieu, 
quand  il  aura  fait  tomber  le  mafque  ,  de  dé- 
crier la  véritable  vertu  ,  de  même  il  met  de 
rems  en  rems  de  faux  pofTédés  fur  la  fcêne  , 
pour  empêcher  la  gloire  qui  revient  à  Dieu 
ôc  à  fes  Saints,  des  véritables  pofTefTions. 
Il  démontre  enfuite ,  mais  par  des  faits 
épars  ça  &  là  ,  que  fi  la  pofTeffion  d'Eiifa- 
bcth  a  mérité  croyance  ,  ce  n'a  été  ,  ni  par 
un  principe  de  compalîlon  pour  elle ,  ni 
par  un  principe  d'averfion  pour  le  Méde- 
cin ,  qu'on  foupçonna  d'en  être  FAureur, 
Ce  dernier  étoit  eltimé  pour  fa  fcience  de 
fes  talens.  Il  avoit  depuiflans  amis  à  la  Cour 
de  Lorraine.  Un  air  de  fermeté  fembîoit 
dépofer  en  faveur  de  fon  innocence.  Il  trai- 
toit  hautement  la  poÛefTion  d'imaginaire  , 
6cdemandoic  jufticede  la  calomnieufe  in> 

L 


141  L^    Vil 

putation ,  qui  la  mettoit  fur  fon  compte. 

'^'4.  Pour  Elifabeth,  elle  fe  vit  abandonnée 
^  ^"''''  de  tout  le  monde.  On  la  traitoit  avec  la 
dernière  indignité.  On  étoit  infenfible  à  tous 
Ces  maux.  On  alla  jufqu'à  invediver  publi- 
quement contre  elle  dans  les  Chaires  -,  & 
afin  que  rien  ne  manquât  à  fes  humiliations, 
on  répandit  de  tous  côtés  des  libelles  diffa- 
matoires contre  fon  honneur.  //  riy  avoitm 
petits,  ni  grands  ,  ^ui  ne  fujfent  tmbus  des 
faux  bruits  qu'on  fit  courirpour  la  perdre  de 
réputation.  Elle  étoit  l'opprobre  du  monde. 
Chacun  parlait  contre  elle  ,  les  uns  par  mali- 
gnité ,  les  autres  par  ignorance  ,  quelques- 
uns  par  crainte  humaine  &  par  intérêt  ,d  au- 
tres par  un  faux  zélé  de  la  gloire  de  Dieu. 
Les  plus  modérés  croyoient  lui  faire  grâce  de 
ne  la  traiter  que  de  folle  &  de  lunatique. 

Poirot  s'étant  déclaré  partie  contre  elle  , 
obtint  à  la  faveur  de  quelques  Grands  de  la 
Cour  des  Commiffaires  pour  en  informer. 
On  entendit  à  ce  fujet  plus  de  quatre-vingt 
témoins.  On  tâcha  d'en    fuborner  par  ar- 
gent ,  Se  ce  furent  eux-mêmes  qui  le  depo- 
ferent.  Comme  tout  alloit  à  la  décharge  de 
la  fainte  veuve  ,  on  en  vint  jufqu  à  confpi- 
rer  contre  fa  vie.  On  l'a  empoifonnée  plus 
de  vingt  fois.  Sa  tête  étoit  à  prix  ,  &  mille 
piftoles  dévoient  être  l'inique  falaire  de  fon    , 
affafnn.Il  n'y  avoit  qu'une  protedion  des   1 
plus  fmgulieres  qui  pût  brifer  fous  fes  pas  les   | 
filets  qui  étoient  dreffés  pour  la  prendre.    , 
Gensûiconnus  6c  fans  aveu  l'ont  fuivie  le 


DE  M.  BouEON.  Liv.  IL  245 
pi/lolet  à  la  main  pour  la  tuer.  Ils  fe  trou- 
voient  attendris  au  moment  de  rexécution  , 
fans  fçavoir  pourquoi.  Cent  fois  l'on  a  voulu 
faire  entrer  de  nuit  dans  fon  appartement 
des  hommes  dévoués  au  crime  ,  pour  la 
poignarder.  De  vingt -quatre  heures  qui 
compofent  le  jour ,  il  n'y  avoir  pas  une  mi- 
nute ,  où  elle  pût  compter  pour  fa  vie  fur  la 
minute  d'après.  Ceft  ce  qui  obligea  la  Cour 
à  lui  donner  des  gardes  j  mais  c  eft  auiTi  ce 
qui  démontre  qu'une  favorable  prévention 
n'a  point  travaillé  pour  elle ,  &  que  ce  n'eft 
qu'à  force  d'innocence  qu'elle  n'a  pas  fuo- 
combé. 

Au  refle  rien  de  plus  fage  que  la  manière, 
dont  le  Sacerdoce  &  l'Empire  procédèrent 
dans  une  affaire  aufli  délicate  ,  qu'elle  étoit 
épineufe.  Jean  des  Porcelets ,  Evéque-Com- 
te  de  Toul ,  s'y  conduifit  avec  la  plus  haute 
prudence.  Lorfque  le  bruit  de  la  pofleffion 
eut  enfin  éclaté  ,  de  façon  à  invoquer  fon 
minirtere  ,  il  fit  tout  ce  qu'un  homme  de  fon 
cangdoit  faire  dans  une  femblable  occafion. 

Comme  les  pcfleflions  ne  peuvent  être 
conflatées  que  par  des  fignes ,  dont  les  uns 
confident  dans  de  certains  mouvemens  du 
corps,  qui  paHent  ks  forces  du  fujet  où  ils  fe 
trouvent  j  les  autres ,  dans  des  lumières  & 
des  connoiflances  ,  qui  fuppofent  néceflai- 
rement  1  opération  d'une  intelligence  fupé-^ 
ricure  i  le  judicieux  Fiélat  appcUa  à  fon  fe- 
cours  tout  ce  qu'il  y  avoit  de  plus  capable 
debien  ju^eidesuns&des  aurres.  Lesfignes 

Lij 


244  La  Vie 

• — ; —  du  premîeiv  ordre  éroient  de  la  compétence 
&.knv,  des  Médecins  j  on  en  fie  venir  fix  des  plus 
habiles  qui  fufiènr  alors  à  Nanci.  Les  fignes 
de  laurre  genre  étoienr  plus  du  reflTort  des 
Théologiens  :  on  choifit  dans  le  Clergé  Sé- 
culier &  Régulier  des  perfonnes ,  que  leur 
verru  Se  une  capacité  reconnue  mettoient  en 
état  de  les  évaluer. 

Les  Médecins ,  après  un  examen  férieux  , 
jugèrent  que  parmi  les  mouvemens  dont 
Marie-Elifabeth  étoit  agitée  ,  il  y  en  avoir 
qui  furpaflbient  les  forces  de  la  nature,  6c 
qu'ainfi  l'on  devoir  avoir  recours  aux  remè- 
des furnaturels.  Mais  lorfqu'ils  eurent  af- 
fligé aux  Ëxorcifnies  ,  mûrement  examiné 
tout  ce  qui  s'y  paflbit ,  conféré  plus  mûre- 
ment encore  Air  les  prodiges  dont  ils  avoient 
été  témoins  ,  ils  avouèrent  qu'ici  toute  leur 
phyfique  étoit  à  bout ,  de  que  ni  l'art,  ni  la 
nature  ne  pouvoicnt  être  le  principe  de  ce 
qu'ils  avoient  vu.  C'efl;  de  quoi  ils  donnè- 
rent rou«  une  attefiation  authentique. 

Les  Théologiens  parurent  enfuite  ,ôc  ou- 
tre plufieurs  Ecvléllaliiques  de  Science  ôc  de 
probité  ,  on  réunit  une  bonne  partie  de  ce 
que  les  différens  Ordres  avoient  de  plus  fa- 
ge  ôc  de  plus  éclairé.  Bénéd'idlins  ,  Carmes , 
Auguftins  ,  Cordeliers ,  Minimes  ,  Capu- 
cins ,  Jéfuires  ,  Prêtres  de  TOratoire  ,  tous 
furent  confultés.  D'ailleurs  rien  ne  fe  faifoic 
dans  l'angle  :  tout  étoit  marqué  au  coin  de 
la  précaution  ôc  du  refpeâ:,  qu'exigeoient 
très-fouvent  la  préfencc  du  Souverain  ôc  de 


DE  M.  BouDON.  Liv.  II.  245 

fa  Cour,  de  Henri  &  de  Charles  de  Lor-  — ;- 
raine  ,  rous  deux  Evêques, de  TEvêque  Dto-  ^^, 
céfain  ,  ôc  d'une  nob^efle,  qui  bien  inren- 
tionnée  pour  le  Médecin  Poirot ,  ne  devoir 
naturellemenc  céder  qu'à  Tévidence. 

Ce  fut  dans  ces  ciLXonllances  critiques 
que  les  Confulteurs  déclarèrent  fous  les 
yeux  de  Dieu ,  que  la  poflelTion  n'étoit  que 
trop  réelle ,  ôc  qu'après  les  preuves  con- 
vaincantes que  l'on  en  avoit ,  il  falloir,  pour 
la  nier ,  être  aufTi  téméraire  que  dépourvu 
de  raifon. 

Le  grand  Archidiacre  rapporte  quelques- 
unes  de  ces  preuves  ,  car  il  avoue  de  bonne 
foi ,  qu'eu  égard  à  fes  occupations ,  il  n'a 
pu  lire  qu'une  partie  des  Mémoires  qu'on 
lui  a  communiqués.  Il  remarque  principa- 
lement qu'Elifabcth  ,  ou  plutôt  le  démon 
en  elle,  a  connu  des  perfonnes qu'elle  n'a- 
voit  jamais  vues ,  qu'elle  a  révélé  leurs  ac- 
tions les  plus  fecrettes  ,  ôc  qu'ils  çonve- 
noient  avoir  été  faites  fans  témoins  j  qu'un 
Docteur  de  Sorbonne  lui  ayant  préfenré  un 
billet  Cacheté  ,  par  lequel  il  la  fommoit  de 
donner  de  nouvelles  preuves  defon  état, 
elle  répondit  brufquement  que  c'éroit  en 
vain  qu'on  lui  demandoit  de  nouveaux  fi- 
gues ,  ôc  qu'elle  en  avoit  affez  donnés  pour 
conllatercent  pofTefTions.  Du  reffe  ,  ajouta 
le  démon  ,  ton  billet  eft  en  latin  ,  &  tu  Vas 
mal  écrit  ;  ce  qui  fe  trouva  vrai ,  quand  le 
billet  eut  été  ouvert  ;,  ôc  relu  avec  atten- 
tion, 

L  iij 


24<5  La   Vie 

'  L'inreUigencc  des  langues  étrangères  eft 

&'lui?.  un  des  points  fur  lequel  Boudon  infifte  da- 
vantage. Il  étoit  de  notoriété  publique  qu'E- 
lifabeth  ne  fçavoit  que  le  François  :  cepen- 
dant elle  répondit  fans  héfiter  à  toutes  les 
queftions  qui  lui  furent  faires  en  Italien  , 
en  Anglois ,  en  Allemand  ,  en  Latin  ,  en 
Grec  ôc  même  en  Hébreu. 

Un  Religieux  Bénédidtin  lui  fit  en  Al- 
lemand un  grand  difcours  ,  qu'elle  entendit 
auffi-bien   qu'eut    pu   faire  une   perfonne 
élevée  en  Autriche.  Pour  rembarrafler  on 
recherchoit  à  grands  frais  ce  Latin  fier  Ôc 
inufité  ,  que  les   Sçavans  même  ,  s'ils  ne 
font  des  Huet ,  ou  des  Pétau  ,  n'entendent 
qu'à  la  faveur  d'un   Dictionnaire  :  ce  qui 
arrête  quelquefois  les  meilleurs  Humanif- 
tes  ,  n'étoit  qu'un  jeu  pour  elle*  Un  Doc- 
teur ,  qui  en  méritoit  bien  le  titre ,  l^inter- 
rogea  à  plufieurs  rcprifes  en  Grec  ,  ôc  non- 
feulement  elle  facisfit  cxaélemcnt  à  tout , 
mais  elle  badina  fur  une  faute  qu'il  n*avoit 
faite  que  par  précipitation. 
*  M.  de  Sanci ,  qui  pendant  plufieurs  an- 

nées avoit  été  Ambafladeur  pour  le  Roi  à 
Conllantinople ,  ôc  qui  de  Prêtre  de  l'Ora- 
toire devint  dans  la  fuite  Evêque  de  S.  Ma- 
lo  5  lui  fit  en  Hébreu  plufieurs  commande- 
mens ,  auxquels  elle  obéit  fans  délibérer. 
Un  Dodteur  de  la  faculté  de  Théologie  de 
Paris  fit  le  même  efiai ,  &  le  fit  avec  le  mê- 
me fuccès.  Un  Anglois ,  dont  elle  n'avoit 
jamais  entendu  parler ,  &  qu€  la  curiofité , 


©ï  M.  BouDON.  Liv.  II.  247 
peut-être  même  une  envie  fecrette  d'inful-  ' 
ter  à  la  Religion ,  entraîna ,  comme  bien 
d'autres,  aux  exorcifmes,  fut  tout  étonné 
de  la  voir  aufli  bien  inftruite  des  particula- 
rités de  fon  pays,  que  des  fentimens  d'une 
fede  dont  il  faifoit  profeiïion.  Il  fut  bien 
plus  furpris  ,  lorii^u'à  fa  demande  ,  elle  lui 
dit  le  nom  du  maître  fous  lequel  il  avoit  fait 
fpn  apprentiflage,  &  dont  il  n'avoit  point 
entendu  parler  depuis  long-tems.  Mais  ce 
qui  frapa  également,  de  les  gens  habiles, 
éc  ceux  qui  ne  1  ecoient  pas ,  ce  fut  de  l'en- 
tendre difcourirde  nos  Myfteres  avec  unç 
profondeur  ,  qui  n'appartient  qu'aux  grands 
Maîtres,  &  développer  les  plus  difficiles 
morceaux  de  l'Ecriture  avec  une  facilité  que 
rien  n'arrête. 

Ce  fut  fur  cette  fuite  de  preuves  (  fuite 
qui  d'ailleurs  n'étoit  pas  nécciTaire  ,  &c  qui 
ne  fe  trouve  pas  toujours  j  puifque  le  dé- 
mon ,  qui  de  fa  nature  eft  le  père  du  men- 
fonge,  après  avoir  malgré  lui  conftaté  fon 
œuvre  ,  s'efforce  quelquefois  pour  empê- 
cher le  bien  qui  en  réfulte  ,  de  l'obfcurcir, 
&  de  la  rendre  douteufe  )  ce  fut ,  dis  je ,  fur 
cette  fuire  de  preuves ,  ^  de  bien  d'autres , 
qu'il  faut  fupprimer  ici ,  que  plufieurs  Evê- 
quesqui  avoient  tout  vu  ,  tout  examiné  de- 
vant Dieu ,  plufieurs  Religieux  diftingués 
dans  leurs  Ordres,  &  parmi  eux  le  Provin- 
cial des  Capucins ,  le  premier  Déliniteur  des 
Minimes ,  le  Prieur  des  Carmes ,  le  Redeur 
du  Collège  des  Jéfuites ,  un  grand  nombre 

Liv 


k  tuiv. 


148  La   Vie 

de  Ledeurs  en  Théologie  ,  auxquels  il  faut 
joindre  le  Supérieur  de  lOracoire,  malgré 
le  penchant  connu  des  Seigneurs  de  iar  Cour, 
déclarèrent  par  un  ade  folemnel  ^  que  la 
pofleiTion  étoit  indubitable. 

Comme*  je  m'apperçois  que  cet  extrait 
grolTit  beaucoup  plus  que  je  n'avois  préten- 
du, je  ne  fui  vrai  le  grand  Archidiacre,  ni 
dans  rénumération  des  biens,  qui  malgré 
tous  les  efforts  de  l'enfer  ,  fuivent  toujours 
l'effrayant  fpeélacle  des  poffeiTions ,  &  les 
aveux  que  le  démon  efl  forcé  d'y  faire  ;  ni 
dans  le  fage  examen  qu'il  fait  des  raifons , 
qu'a  le  Dieu  Tout-  puiffant  de  permettre  , 
qu'il  en  coûte  tant  à  fes  Minières  pourchaf- 
fer  l'ennemi  de  la  maifon  où  il  s'cff  une  fois 
logé.  Je  dirai  feulement  que  les  Exorcifmes 
fervirent  au  moins  à  délivrer  Elifabeth  de  la 
plus  grande  partie  de  fes  maux  -,  que  Poirot , 
fur  l'avis  qu'on  eut ,  qu'il  vouloit  s'enfuir 
dans  un  pays  hérétique ,  fut  arrêté  j  qu'Anne 
Bouley  fa  confidente  ,  qui  s'étoit  évadée 
avec  des  papiers,  qui  développoicnt  fes  abo- 
minations &  celles  de  fon  maître  ,  fut  prife  à 
Paris ,  Se  ramenée  à  Nancy  ,  où  elle  rendit 
hommage  à  la  vérité  -,  que  le  Duc  de  Lor- 
raine Henri  II.  à  qui  la  bonté  qu'il  eut  pour 
fes  Sujets ,  a  mérité  de  leur  part  un  furnom 
qui  vaut  mieux  que  celui  de  Conquérant, 
chercha  &  dans  fes  Etats ,  &  hors  de  fes 
Etats ,  vingt-quatre  Commiffaires  pour  in- 
ffruire  le  procès  du  Médecin -,  que  malgré 
les  follicications  d'une  faction  puifîante,  ils 


CE  M.  EouDON.  Liv.  II.  249 
le  condamnerenc  au  feu  j  qu'aux  initantes 
prières  d'un  nombre  de  grands  Seigneurs  , 
cetArrérfut  encore  ramen^^  au  jugement; 
qu'il  fut  enfin  confirm.é  j  &c  que  fi  Poirot  &c 
h  Bouiey  eurent  le  même  fort  devant  les 
hommes ,  ils  en  eurent  un  bien  différent  de- 
vant Dieu  :  puifque  celle  -  ci  mourut  dans 
des  fenrimens  de  douleur  <5i  de  foumilTion, 
donc  tout  le  monde  fut  attendri  ^  ôc  que  ce- 
lui-là au  contraire  mourut  comme  il  avoic 
vécu. 

Pour  ce  qui  efl  de  la  vertueufe  Elifa^ 
beth  jcefutà  la  fainte  Vierge  ^ob'et  &  prin- 
cipe de  fa  tendrelTe  ,  qu'elle  dût  fa  pleine  & 
entière  délivrance.  Réfolue  de  gagner  à  la 
Mère  pour  l'amour  du  Fils  le  plus  d'ames 
qu'il  lui  feroit  poiTible  ,  elle  travailla  à  fou- 
flraire  au  danger  celles  des  perfonnes  de  fou 
fexe  ,  qui  y  étoient  les  plus  expofées  j  Se 
fans  fe  rebuter  de  la  grolliereré  ,  de  Tingra- 
tkude  ,  quelquefois  même  de  la  fureur  de 
ces  âmes  honteufement  vénales  j  elle  en  rr.f- 
fembla  peu  à  peu  jufqu'a  vingt  dans  fa  mai- 
fon ,  où  elles  éprouvoient  tous  les  ména^r 
gemens  de  la  charité  chrétienne.        ^ 

Les  grâces  que  Dieu  répandit  fur  cette 
petite  aflbciation  ,  firent  juger  à  l'Eyéquede 
Toul ,  qui  pour  lors  étoit  de  la  Maifon  de 
Lorraine,  que  pour  lui  donner  une  jutle 
confillance,  il  falloit  l'ériger  en  Commu- 
nauté Religieufe.  Notre  fainte  veuve ,  qui 
dès-lors  futappellée  Marie-Elifabeth  de  la 
Croix  de  Jefus ,  nom  qu'elle  ne  porta  pas  ï 

Lv 


i/o  La     V  I  I 

■  ticrc  gratuit ,  en  fut  la  première  Supérieure. 

&  fulv.  L'aînée  de  fes  filles  prit  le  voile  avec  elle , 
Ôc  les  deux  autres  la  fuivirent  avec  le  tems. 
Elifabeth  eut  toutes  *les  vertus  néceflaires 
pour  le  pénible  ôc  laborieux  Inftitut ,  dont 
la  Providence  l'avoit  rendue  fondatrice  ;  de 
pendant  vingt  cinq  ans  qu'elle  a  gouverné 
cette  Maifon  -^  ,  elle  y  a  donné  tant  de  mar- 
ques de  pureté  ,  d'obéiflance  ,  d'humilité , 
d'amour  pour  Dieu  ,  de  charité  pour  le  pro- 
chain, de  patience  &  de  douceur  à  l'égard 
du  troupeau  ,  fouvcnt  indocile ,  que  la  main 
d«  fon  Evêquc  avoit  confié  à  fes  foins,  qu'on 
n'a  point  de  peine  à  croire  avec  fon  Hiflo- 
rien ,  que  Dieu  l'ait  honorée  pendant  fa  vie 
&  après  fa  mort ,  du  don  des  miracles.  Mais 
un  plus  long  détail  nous  mencroit  trop  loin. 
Il  ert  tems  de  paHcr^ie  l'Hiftoire  de  Â4arie- 
Elifabeth  à  l'Hifloire  de  celui  qui  l'a  corn- 
pofée. 
,  L'Archidiacre  d'Evreux  avoit  fait  tant  de 

1685.  bien  dans  tous  les  lieux  où  il  avoic  travaillé, 
"^'  il  y  paflbit  û  univcrfcllement  pour  un  Saint, 
dont  les  vifitesrépandoient  par  tout  la  paix 
&  la  Jpie  de  TEfprit  divin ,  qu'on  fouhaitoit 
ardemment  de  l'y  revoir  encore  une  fois , 
-avant  que  fes  infirmités  le  miflent  entière- 
ment hors  de  combat.  Il  fut  donc  prié,  ôc 
par  un  grand  ncmibre  de  perfonncs  de  la  pre- 
mière condition ,  &  par  plafieurs  Commu- 
ta Communauté  du  Refuge  fut  établie  le  premier  Jan- 
vier 1614. Elifabeth  delà  Croix  la  gouverna  juftju'au  14 de 
Jftnviet  i(S^9.  jour&arviée  où  elk  moucjt. 


CE  M.  BouDON.  Lit.  II.  15 1 
naurésReligieufes ,  de  vouloir  bien  donner 
une  nouvelle  façon  à  des  terres,  quis'étoienc 
fi  bien  trouvées  delà  première. 

Sa  charité  toujours  active  parla  pour  le 
moins  auflî  haut  que  les  voix  multipliées  de 
ceux  qui  l'appelloicnt  à  leurfecours.  Ainfi 
il  ne  tarda  pas  à  fe  mettre  en  marche:  mais 
pour  fe  difpofer  par  fa  propre  fanctifica* 
tion  à  la  fandifîcation  du  prochain  ,  il  vou- 
lut commencer  par  une  retraite.  L'eftimc 
qu'il  eut  toujours  pour  le  faint  Ordre  des 
Chartreux  ,  lefilcnce  éternel  qui  règne  dans 
leurs  Cloîtres  ,  la  facilité  qu'on  y  trouve  à 
pratiquer  la  pénitence ,  foit  par  les  longs 
Offices  du  jour  &  de  la  nuit,  foit  par  une 
abflinence  inviolable  j  enfin  un  attrait  dé- 
cidé pour  la  folitude ,  le  déterminèrent  à 
donner  la  préférence  aux  enfans  de  S.  Bruno. 

Ce  fut  à  la  Chartreufe  du  Mont-Dieu , 
que  fa  pofition  met  encore  plus  à  l'abri  du 
tumulte  5  de  qui  d'ailleurs  Tapprochoit  des 
Provinces  où  il  étoit  appelle  ,  qu'il  pafla 
quelques  jours  à  fe  recueillir  devant  Dieu, 
S'il  édifia  beaucoup  fes  pieux  Hôtes  en  fui- 
vant  nuit  &  jour  leurs  exercices,  il  fut  beau- 
coup édifié  des  grands  exemples  de  vertus 
qu'ils  lui  donnèrent.  Tous  le  touchèrent 
par  réclat  de  cette  ferveur  primitive  ,  que 
tant  de  fiécles  n'ont  point  encore  altérée  : 
mais  ce  qui  k  frapa  davantage  ,  ce  fut  l'ad- 
mirable vertu  de  deux  vieillards  que  Dieu 
éprouvoit  chacun  à  fa  m.aniere,  ôc  qui,  cha- 
cun à  Tenvi ,  remercioiem  Dieu  de  la  ma- 
nière dont  il  les  éprouvoit.  L  vj 


1)2.  L  A       V  I  E 

'  '  ■  Le  premier  éroic  paralytique  ,  foiird,  Se 
„^^|^?'*  à  peine  poLivoit-il  parler.  Il  ne  vouloir  an 
monde  que  ce  que  Dieu  Veut.  Ses  Frères  , 
dans  les  momenj^  où  la  vertu  peur  &  doit 
s'égayer,  lui  dcmandoient  quelquefois  par 
le  moyen  d'un  alphabeth  fait  exprès  ,  ce 
qu'il  penleroit  fi  l'armée  ennemie  venoit 
fondre  fur  la  maifon  ,  ou  fi  un  feu  violent 
menaçoit  fa  cellule.  Mais  on  avoit  beau  le 
tourner  en  tous  les  fens>on  ne  trou  voit  en  lui 
qu'un  homme  qui  ne  craint  rien,  &  qui  ne 
defire  rien  fur  la  terre.  Sa  réponfe  toujours 
uniforme  étoit ,  que  ,  quoi  qu'il  d'ut  lui  en 
coûter  ,  il  feroit  ravi  que  la  divine  volonté 
s'accomplît  en  lui  de  en  Ces  Frères. 

L'autre  Solitaire  étoit  fi  affligé  dans  tou- 
tes les  parties  de  fon  corps  ,  que  Boudon 
l'appelle  un  honi'me  de  douleurs.  Cepen- 
dant, comme  il  pouvoit  encore  fe  traîner 
un  peu  fur  les  pieds  ,  il  ne  manquoit  pas 
aux  exercices  communs.  »  J'eus ,  dit  notre 
"  Archidiacre  ,  j'eus  le  bien  de  le  voir  af- 
»  fiiler  à  la  Pfalmodie  de  la  nuit  \  ôc  certai- 
''nement  quelques  petits  cris,  que  l'excef- 
Î-»  five  douleur  lui  faifoit' faire  ,  durant  Fin- 
5>  tervalk  des  verfets  que  l'on  ne  chantoit 
>*  pas  de  fon  côté  ,  au  lieu  de  donner  de  la 
«  diftraclion ,  portoient  merveilleufcment 
"  à  Dieu  i  &  je  puis  dire  avec  vérité  ,  que  le 
*  cœur  en  étoit  plus  touché ,  que  des  plus 
»  belles  voix  que  l'on  pourroit  entendre. 

Quelque  pbifir  que  prît  notre  vertueux 
Pictre  à  écouter  la  voix  de  Dieu ,  qui  pan- 


I 


DE  M.  BauDON.  Liv.  lî.  i)^ 
loit  à  fon  cœur  dans  la  Solicude,  il  fallut  en  ■ 
forcir.  Le  même  mouvement  qui  l'y  avoir  &i;i^v* 
porte' ,  comme  Jean  Baptiite ,  l'en  tira ,  com- 
me ce  faint  Précarfeur.  En  répandant  à 
droite  ik  à  gauche  de  fa  plénitude ,  il  arriva 
jufqa'a  Cambrai ,  où  la  grâce  fit  par  lui  fes 
miracles  ordinaires.  Une  illuitre  Comteffe 
A'oulut  avoir  avec  lui  une  longue  conférence 
fur  les  befoins  de  fon  ame.  Elle  en  fut  û  fatis- 
faite,  que  ne  pouvant  fe  réfoudre  à  le  per- 
dre fi  tôt,  elle  fe  détermina  à  le  fuivre  juf- 
qu'à  Anvers,  oùilétoit  invité.  Il  lui  donna 
pendant  une  bonne  partie  du  voyage  les  avis 
dont  elle  avoit  befoin  pour  fe  fanclifier.  Ses 
difcours  publics  purent  fuppléer  au  relie, 
&:  achever  ce  que  la  droite  du  Très  haut 
avoit  fi  bien  commencé. 

A  AnverSjUn  homme  de  qualité  ne  voulut 
jamais  fouffrir  que  l'Archidiacre  eût  d'autre 
maiforr  que  la  fienne.  L'humilité  fut  donc 
obligée  de  céder  à  la  charité;  mais  elle  eut 
fon  tour.  Boudon ,  comme  un  autre  Elle  , 
récompenfoit  toujours  fcs  hôtes.  l\  donna  à 
ce  Seigneur  &  à  toute  fa  famille  de  grandes 
leçons ,  &  il  les  foutinr  par  de  grands  exem- 
ples. Ce  genre  de  falaire  en  vaut  bien  un 
.^utre. 

D'Anvers, il  devoir  aller  à  Bruxelles,  ôc 
de-là  fe  rendre  à  Mons.  Pour  tant  de  voya- 
ges il  navoit  d'autres  refiburces  que  la  Pro- 
vidence ,  mais  on  eût  prefque  cru  que  la 
Providence  étoit  à  fes  ordres.  Une  PrinceflTe 
voulut  abfolument  le.  défrayer.  Il  ne  pof 


2J4  La    Vie 

*'■  doit  rien ,  &  il  ne  manqiioit  de  rien.  Ce  fut 
fc^fJv,  ^^^  ^^  même  fonds ,  qu'il  Ce  rendit  à  Namur, 
ôc  nous  connoiflbns  encore  aujourd'hui  des 
pcrfonnes ,  qui  dans  une  heureufe  vieillefTe, 
fe  rappellent  fon  nom  avec  joie ,  ôc  refpec- 
tent  fa  mémoire  "^. 

Mais  ce  fut  en  Lorraine ,  que  fon  zélé 
trouva  plus  d'occupation.  Il  avoue  lui- 
même  ,  dans  une  lettre  qu'il  écrivit  à  une 
Religieufe  ,  pour  lui  demander  le  fecours 
de  fes  prières ,  qu'on  Tarrêtoit  à  chaque  pas 
pour  l'entendre  parler  du  Royaume  de 
Dieu  i  ôc  qu'il  donna  en  différens  Dioccfes , 
les  exercices  de  la  retraite  à  un  grand  nom- 
bre de  Communautés.  Or  voici  en  abrégé 
le  plan  qu'il  fuivoit  dans  ces  fortes  d'occa- 
fions  i  «3^  qui ,  quoique  fîmplc  en  apparence , 
a  élevé  tant  d'ames  à  la  plus  haute  perfedion. 
Il  repréfentoit  à  celles  qui  avoient  déjà 
le  bonheur  de  s'être  folemnellement  enga- 
gées à  Dieu  5  que  cette  première  confécra- 
tion  ne  leur  fufïifoit  pas ,  mais  qu'il  falloir 
y  répondre  par  une  vie  vraiement  ôc  pleine- 
ment Religieufe  j' Qu'on  ne  fert  pas  Dieu 
comme  il  doit  l'être  ,  précifément  parce 
qu'on  fe  trouve  dans  un  lieu  où  il  eft  aifé  de 
le  fervir  j  Que  comme  ceux  qui  dans  le 
monde  meurent  à  eux  -  mêmes  ,  ne  font 
point  du  monde  ^  ceux  qui  dans  les  Monaf- 
tcres  fe  laifîent  aller  à  leur  humeur ,  à  leurs 
paflîons  immortifîées ,  à  leurs  inquiétudes , 
font  du  monde  hors  du  monde  j  Qu'il  faut 

•  C««ie  trouve  encore  vrai  en  176a. 


DE  M.    BOUBON.    LiV.   II.  2J-J 

donc  s'efforcer ,  à  Taide  de  la  grâce ,  que  ^^^ 
Dieu  répand  avec  libéralité  &  avec  mïféri-  &  fuiy, 
corde  ^  de  dompter  la  chair  &  de  mortifier 
rcfpric ,  en  modérant  fes  faillies  &  fa  viva- 
ciré  \  Qu'une  des  grandes  leçons  qu'on  doit 
tâcher  d'apprendre  dans  le  Cloître ,  eu  celle 
de  rhumilité ,  &  de  l'humilité  continuelle  ; 
puifque  c'eft  fur  les  humbles  que  rEfpric 
faint  fe  repofc  \  ôc  que  ce  n'eft  que  pour  eux 
qu'il  eft  le  Dieu  de  paix  ,  mais  de  cette 
paix  que  le  monde  &  la  nature  ne  peu- 
vent donner ,  Qu'après  tout  en  s'humilianc 
de  fes  fautes ,  il  ne  faut  pas  s'abattre  ^  ni  fe 
décourager  ,  en  gémiflant  de  [es  chûtes  > 
Que  les  âmes  qui  font  foncièrement  à  Dieu , 
vivent  à  la  vérité  dans  unefainte  confiifion^ 
dans  une  humiliation  anéantijfante  ,  dans 
une  douloureufe  componclion  de  leurs  péchés  s 
mais  qu^elles  ne  perdent  ni  le  courage,  ni 
la  confiance  qu'elles  doivent  avoir  en  l'ado- 
rable Jefus ,  leur  Sauveur  &  leur  Dieu. 

Pour  les  fortifier  dans  ces  fentimens ,  l'Ar- 
chidiacre prcfcrivoit  à  fes  Filles  fpirituelles, 
Ja  fidélité  à  l'oraifon ,  le  doux  &  tendre 
fouvenir  de  la  PalTion,  de  la  mort,  ou  de 
quelque  autre  point  de  la  vie  de  J.  C.  la  fré- 
quentation des  Sacremens  i  mais  toujours 
dans  les  règles  de  TobéifTance  &  d'une  jufle 
foumiiTion. 

Il  leur  apprenoit  encore  à  faire,  àcs  auf- 
térités  de  des  mortifications  du  Cloître ,  le 
faint  ufage  pour  lequel  elles  ont  été  établies. 
•«Elles  vont  ces  pénitences,  leur  di- oit-il , 


1685. 
&  fui». 


25Ô  La     Vie 

»  elles  vont  toutes  à  nous  unir  au  Sauveur , 
»  &  à  faire  par  cette  union  qu'il  régne  feul 
»&à  jamais  dans  nos  cœurs,  Jerus-Chrift 
5j  nous  a  appris  qu'il  ell  venu  apporter  le 
y*  glaive  fur  la  terre ,  pour  nous  apprendre 
»  qu'il  divife  les  unions  les  plus  étroites  j  Sç 
"  que  non  content  de  féparer  l'homme  du 
«  reite  des  créatures,  il  veut  encore  le  fépa- 
»  rer  de  lui-même.  Entrons  donc  dans  Ces 
5->  deileins  adorables.  Abandonnons- nous  à 
»  Con  divin  Efprit.  Quittons-nous  nous- 
-mêmes, &:  avec  nous  toute  vue  des  créa- 
>»  tures,  toute  idée  d'ellime  &c  d'amitié  , 
»  toute  ombre  de  refped  humain.  Telle  ell 
»  la  fin  des  pénitences  régulières.  »  Et  fans 
ces  mortifications  ultérieures,  en  vérité,  les 
plus  féveres  mortifications  extérieures  fer- 
vent de  bien  peu. 

Le  faint  homme  revenoit  fouvent  à  cetts 
mort  fpirituellej  parce  qu'il  la  regarda  tou- 
jours comme  le  terme  où  doit  tendre  ôc 
conduire  l'Etat  Religieux.  '>  Tenez  pour 
'j  maxime,  s^ecriou-H  dayisfes  entretiens  y 
»  que  pour  être  dans  un  véritable  repos,  il 
»  faut  que  notre  cœur  forte  des  créatures, 
"  qu'il  les  quitte  abfolument  d'afîeclion,  & 
»  qu'il  retourne  à  Dieu  feul  dans  l'union  du 
^y  Sauveur.  Les  liaifons,  qui  caufent  du  trou  - 
»  ble ,  de l'eippreflement ,  des  chagrins ,  font 
"  bien  humaines. Une  liaifon  qui  ne  vient 
»  que  de  Dieu,  ne  caufe  ni  ces  regrets,  ni 
"  ces  fenfibilités,  ni  ces  triflefles  défolantes 
5*  dans  les  féparations:  car  on  ne  fouffre  pas 


DE  M.  BouDON.  Liv.   IL         1-^y 
"  de  la  forte ,  quand  on  n'efl:  féparé  que  • 
»'  d'une  chofe à  laquelle  on  ne  dent  point.  Jr^.'^' 
»  Que  votre  cœur  ne  foit  donc  qu'à  Dieu 
«  feul ,  puifqu'il  n'eil  fait  que  pour  lui,  » 

Enfin  il  développoit  à  leurs  yeux  ,  de  les 
artifices  de  Tamour-propre ,  éc  les  ftrata- 
gemes  de  l'ancien  ferpent,  dans  les  diffé- 
rentes tentations  qu'il  nous  fuggere.  Il  leur 
préfentoit  des  armes  puiffantes  pour  les 
combattre ,  de  pour  les  vaincre.  0\\  juge 
bien  que  la  dévotion  à  la  Mère  de  Dieu  &c 
aux  S  S.  Anges  n'étoit  pas  oubliée.  Ort 
infîile  toujours  très-volontiers  fur  cet  arti- 
cle ,  quand  on  joint,  comme  lui,  la  convic- 
tion à  l'expérience.  »  Q!  difoic-il ,  fi  je  pou- 
»vois  faire  entendre  à  tous  les  hommes 
**  combien  la  finguliere  dévotion  à  l'imma- 
>»  culée  Vierge  eft  une  rare  faveur  de  notre 
»  divin  Maître  ;  combien  font  grands  les 
«  avantages  qui  en  réfultenr  ;  combien  il  eil 
^  doux  de  vivre  &  de  mourir  à  fes  pieds! 
'>  Mais  non ,  on  ne  l'expliquera  jamais  coui- 
"  me  il  faut  :  on  ne  l'entendra  jamais  allez 
«dans  cette  vallée  de  larmes. w 

Il  n'étoit  pas  moins  utile  à  ces  jeunes 
plantes  que  forme  la  Religion  ;  Se  qui  doi- 
vent tranfporter  à  celles  qui  viendront  dans 
la  fuite ,  le  fuc  de  vie,  qu'elles  tirent  de  cel- 
les qui  les  ont  précédées.  Il  proportionnoic 
fcs  avis  à  leur  fituation  préfente.  Il  commu- 
niquoit  à  celles  qui  étoient  chargées  de  les 
cultiver ,  l'efprit  de  fagefle ,  &  de  difcerne- 
mentj  dont  elles  ont  befoin,  pour  démélei: 


2;8  La  Vie 

^  la  tige  vîcîeufc  de  celle  qui  n'efl  que  fbible; 

&  fuiv.  ^  ^^^  '  quoique  languiffante  aujourd'hui , 
peut ,  à  force  d'eau  ôc  de  façons,  poufTer  de 
bonnes  racines  ôc  produire  de  beaux  fruits. 
Il  fçavoit  même ,  en  faifant  tomber  fur  elles 
la  roféc  du  Ciel ,  forcer  plus  ou  moins  la 
nature  j  rendre  excellentes  celles  qui  n'c- 
toient  que  bonnes  ;  &  donner  la  vie  à  celles 
qu'on  étoit  prêt  à  couper ,  parce  qu'on  les 
croyoit  mortes. 

Quoique  le  fpirituel  fût  fon  grand  objet , 
il  fe  prêtoit  dans  l'occafion  aux  foins  du  tem-. 
porel.  11  s'intérefToif  auprès  du  Chancelier 
en  faveur  des  Etabhflemens ,  dont  Dieu  pou- 
voit  tirer  fa  gloire.  11  apprenoit  aux  Com- 
munautés naiflantcs  à  foufFrit  tout  ce  que  la 
pauvreté  ôc  le  rebut  des  hommes  ont  de 
moins  fupportable.  Rien  de  plus  fenfé  que 
ce  qu'il  écrivit  aux  Dames  du  Refuge ,  qui 
furent  aflcz  mal  reçuc's  à  Befançon  ,  où 
cependant  elles  pouvoient  faire  de  grands 
biens.  Leur  premier  féjour  n*y  fut.  fîgnalé 
que  par  ladifettc,  Ôc  par  la  contradidion 
des  langues.  Boudon  les  fortifia  par  l'exem- 
ple de  ce  grand  Modèle ,  que  le  Père  éternel 
n'a  placé  fur  la  montagne ,  qu'afin  qu'il  fer- 
vk  de  régie  à  tous  les  Chrétiens.  «  Vous  me 
"  mandez,  leur  difo'n-it^  que  vous  êtes  dans 
5>  la  dernière  indigence  :  mais  qu'eil:  ce  que 
w  votre  indigence ,  fi  vous  la  comparez  à 
"  celle  de  ce  Dieu  Sauveur ,  qui  à  fa  naiflan- 
"  ce  n'eut  d'azyle  qu'un  antre  fans  porte  ,  Ôc 
»'  qu'un  peu  de  paille  pour  fe  repofer  :  vous 


»E  M.  BOUDON.    LiV.   II.  2/9 

>'  ères  aflurémenc  encore  mieux  logées  que 
w  lui.  Nous  avons  bien  des  contradiclions , 
^>  ajoutez-vouf.  Mais  c'eft  l'étar  que  Thom- 
»  me- Dieu  a  porté  j  &  la  première  Prophé- 
3>  rie  qu'on  ait  faite  de  lui ,  ôc  qui  fut  celle 
«  du  jufle  Siméon ,  ne  lui  annonça  que  des 
«  contradiâiions.On  parle  de  nous  renvoyer: 
"mais  l'adorable  Jcfus  n'a  til  pas  été  exilé 
»*  àès  fon  enfance ,  ôc  ce  qui  cfl  bien  pis , 
w  n'a  -  t-il  pas  été  crucifié  avec  une 
»>  infinité  de  douleurs  ?  Il  y  a  des  gens , 
«  qui  ont  de  l'envie  contre  nous  : 
«  Mais  les  premiers  des  Juifs ,  les  Prêtres  , 
"  les  Scribes ,  n'en  eurent-ils  pas  une  cruelle 
w  contre  le  Sauveur?  Si  donc  dans  votre 
9'  entrée  à  Befançon  il  veut  vous  faire  l'hon- 
»'  neur  de  vous  rendre  femblables  à  lui , 
w  avez-vous  fujet  de  vous  décourager  ?  Non  : 
»  tout  ce  que  vous  me  mandez  de  plus  affli- 
»  géant  dans  votre  Lettre ,  c'eft  ce  qui  me 
»  caufe  plus  d'efpérance.  Un  établiflement , 
«  qui  fe  fait  fans  contradidèion  ,  fans  paii- 
«  vreté,  fans  croix,  eft,  à  mon  fens ,  une 
w  œuvre  bien  pitoyable  j  ôc  il  n'y  a  pas  lieu 
»  d'en  efpércr  de  grands  fruits.  Regardez  la 
»>  divine  Providence  qui  agit  dans  votre 
«  état  5  la  main  invifible  de  Dieu ,  qui  le  con- 
»  duit  y  fa  divine  préfencc ,  qui  eft  plus  dans 
»  le  lieu  ou  vous  êtes ,  que  vous  n'y  êtes 
«  vous-mêmes  :  ce  vous  fera  une  bonne  oc- 
«  cupation ,  ôc  qui  vaudra  bien  l'Office  du 
w  Chœur,  que  vous  ne  pouvez  pas  encore 
-»^  récirer.  Grande  obfervance  que  l'accoin- 


i^o  La    Vie 

^  »  pliflement  des  oïdies  de  Dieu  !  »>  Telle 

&  ruiv!  ^^^^^  ^^  Philofophie  de  TAichidiacre  d'E- 
vreiix.  On  pourra  en  trouver  une  plus  bril- 
lante :  en  trouvera  - 1  -  on  de  plus  folide  ? 
'  Au  refte  ,  fi  les  Dames  du  Refuge  durent 

&  luiv.  t>eaucoup  à  la  tendre  charité  que  Boudon 
eut  toujours  pour  elles  ;  Boudon  dut  beau- 
coup à  la  pieufe  attention  qu'elles  eurent 
pour  lui.  Les  fatigues  d'un  long  voyage ,  les 
exercices  d'une  Miiîion  ,  qui  ne  finiflbit  dans 
nnlieu,  que  pour  commencer  le  moment 
d'après  dans  un  autre  y  les  efforts  de  zélé 
que  faifoit  un  homme,  qui  ,  lorfqu'il  s'a- 
gifToit  des  intérêts  de  Dieu  ,  ne  fe  ménagcoit 
point ,  accablèrent  enfin  la  nature.  En  ar- 
rivant de  MonsàNanci,  l'Archidiacre  fut 
attaqué  d'une  fièvre  fi  violente,  que  fa  vie 
parut  en  danger.  11  fe  traîna  ,  comme  il  put, 
jufqu'à  la  Maifon  du  Refuge.  On  le  logea 
au  dehors  j  mais  on  veilla  fi  bien  à  ce  qu'il 
fut  traité ,  comme  il  mérltoit  de  l'être  ,  qu'il 
ne  manqua  ni  du  néceflaire ,  ni  de  ce  qui  ne 
rétoit  pas  abfolument.  Médecins  habiles  , 
domeftiques  affectionnés ,  argent  ,  linge  , 
rien  ne  fut  épargné.  Ainfi  le  tertament  qu'il 
avoit  fait  dès  les  premiers  jours  de  fa  mala- 
die,devint  inutile.  11  ne  fervit  qu'à  faire  con- 
noître  fon  an-tour  pour  la  pauvreté  &c  pour 
les  pauvres.  Il  leur  donnoit  Ces  vêtemens , 
de  vouloit  être  enterré  comme  l'un  d'eux» 
Les  Religieufes  du  Refuge  ne  furent  pas 
les  feules,  qui  dans  cette  fàcheufe  conjon- 
clure  lui  donnèrent  des  preuves  d'attache- 


DE  M.  BouDON  Liv.  IL         261 
nxcm  Se  dellime.  Une  Dame  auiTi  connue  ■ 

dans  le  pays  par  fapiéré  ,  que  par  Ton  mé-    s^^J.'y^ 
rire  ,  ne  le  quitroir  prefque  point  j   6c  c'efl:      ^^^^^u^ 
elle  qui  depuis  a  fi  fouvcn»:  rendu  ce  rémoi-  me    de 
gnage  ,  qu'elle  avoir  été  fore  édifiée  de  la  ■'•"'S^^* 
paricncedece  faint  Prêrre -,  qu'elle  l'avoic 
toujours  trouvé    fcmblabie  a  lui-même, 
plein  de  reconnoififance  pour  les  plus  petits 
ïervices  qu'on  pouvoir  lui  rendre;  le  vilage 
riant  dans  fes  douleurs  les  plus  vives  j  de 
n'ayant  à  la  bouche  que  ces  paroles  :  Dieu 
foie  béni ,  [a  j aime  Mère  ,  les  SS,  Anges  & 
tous  les  Saints  '.voilà  une  bonne  croix  '^  0  ai- 
mable croix  ^  &  autres  femblables. 

Lorfqu'il  commença  à  fe  mieux  porter  , 
il  rendit  vifite  à  la  pieufe  Communauté , 
qui ,  après  Dieu  ,  lui  avoir  rendu  la  vie.  La 
crainte  qu'on avoit  eu  de  le  perdre,  jointe 
à  celle  qu'on  avoit  de  ne  le  revoir  que 
dans  l'éternité  ,  fembla  redoubler  la  julle 
confiance  ,  qui  étoit  due  à  fa  vertu  &  à  fes 
lifmieres.  C  étoit  à  qui  lui  ouvriroit  fon 
cœur,  pour  profiter  de  fes  avis.  Mais  per- 
fonne  n'en  profita  plus  que  la  Supérieure 
&  la  Maitreffe  des  Novices.  11  fur  leur  ora- 
cle dans  toutes  les  affaires  de  quelque  im- 
portance qui  leur  furvinrent  dans  la  fuite  ; 
«5c  il  régla  par  fes  lettres  ce  que  la  difiance 
des  lieux  ne  lui  permettoit  pas  de  régler  au- 
trement. 

Depuis  ce  tems  il  ne  fut  plus  en  état  de 
faire  ces  longs  &  pénibles  voyages ,  qui 
a\'oient  donné  tant  d'exercice  à  fon  zélé. 


i6i  L  A  Vi  E 

■  Les  années  qui  le  nuiltiplioîent   fcnfiblc- 

I  &7.  j^ient  une  deicente  affieufe  que  la  Chirur- 
gie  ne  put  ni  guenr  ,  ni  pallier  i  une  fuc- 
cefTion  de  maux  ,  qui  afFoibli fient  le  Cava- 
lier ,  fans  le  mettre  abfolumcnt  hors  de 
combat  -,  la  vieillefle  en  un  mot ,  qui  ell 
prefque  toujours  double  en  ceux  qui  ont 
outré  le  travail  i  tout  cela  réduifit  l'Archi- 
diacre à  des  occupations  ,  qui  ,  quoique 
continuelles ,  étoient  plus  modérées"*'.  J'en- 
rends  plus  modérées  pour  lui  :  car  ce  qu'il 
regardoit  comme  une  forte  de  délafiement  • 
il  eft  sûr  que  bien  d'autres  Icuflent  regarde 
comme  une  vie  très-laboricufe  Se  très-fati- 
gante. 

Boudon  faifoit  exadement  Ces  vifites 
d'Archidiacre  ,  &  il  les  faifoit  avec  une  fé- 
rieufe  application.  De  retour  à  Evreux ,  il 
mettoit  à  profit  tous  les  momens,  qu'une 
craifon  toujours  longue  ,  les  faints  Offices, 
la  célébration  des  divins  Myfteres  laifibienc 
à  fa  difpofition.  Tour  à  tour  il  compofoic 
ces  pieux  Ouvrages ,  que  Dieu  bénit  encore 
aujourd'hui.  Il  formoit  à  la  plus  haute  piété, 
non-feulement  ceux  qui  s'adrefibient  à  lui 
dans  le  facré  Tribunal  ,  mais  encore  un 
nombre  infini  de  jeunes  gens ,  qui  certains 
jours  de  la  fcmaine  venoient  le  trouver  dans 

•II  cft  fur  néanmoins  que  M.  BouHon  travailla  encore 
ilans  leDiocèfede  Cambray  en  1687.  puifque  le  19  Juin 
de  cette  même  année  il  obtint  de  Jacques  -  Théodore  de 
Bryas  ,  qui  en  étoit  Archevêque  ,  des  pouvoirs  trés-ho- 
rorables  d'y  prêcher  :  Pramonitis  tamen  Parochiarunt 
HéSonbiu  ,  aliorumvt  locorum  Superioribus» 


DE    M.    BOUDON.  Ll7.    IL  2^5 

fa  pauvre  chambie.  Le  refle  du  tems ,  ou  il  1687. 
éclaircilToit  les  doutes  des  perfonnes  qui  le  ^  f"i^« 
confukoienc  fui  les  maximes  fpiricuelles  j  ou 
il  répondoic  à  une  foule  de  lettres ,  qui  lui 
venoient  de  tous  les  coins  du  Royaume  ,  ôc 
aflez  fou  vent  des  Royaumes  étrangers.  Cha- 
que année  il  faifoit  un  voyage  à  Paris ,  pour 
entretenir  dans  de  fain tes  Communautés  le 
feu  du  divin  amour  ,  qu'il  y  avoit  allumé. 
De  tems  en  tems  il  fe  retiroit  à  l'écart ,  pour 
y  jouir  dans  la  folitude  de  la  prcfence  &  des 
faveurs  de  fonBien-aimé.  Le  penchant  qu'il 
eut  toujours  pour  les  lieux  féparcs  du  tu- 
multe &  du  commerce  des  hommes ,  s'ac- 
crût fi  fort  dix  ou  douze  ans  avant  fon  dé- 
cès, qu'il  prit  des  mefures  pour  finir  Ces 
jours  au  Mont-Valérien ,  ou  dans  la  forêt 
de  Sénar  :  fes  infirmités  habituelles  ne  lui 
permirent  pas  d'exécuter  ce  projet.  Si  fon 
attrait  y  perdit,  le  public  y  gagna.  Livré  aux 
douceurs  de  la  contemplation ,  le  faint  Prê- 
tre 5  perdu  en  Dieu,  auroit  oublié  les  hom- 
mes ,  Ôc  les  hommes  avoicnt  encore  bcfoin 
de  lui. 

Il  avoit  d'autant  plus  de  mérite  à  travail-  ' 

1er  pour  eux  ,  qu'il  ne  le  faifoit  jamais  fans  &\iùv,* 
efluyer  quelque  nouvelle  contradiclion.  Ses 
ennemis  ,  dont  la  calomnie  ne  put  trouver 
d'accès  chez  M.  de  Novion  ,  fon  Evêque  , 
s'efforçoient  de  le  décréditer  ailleurs  :  de 
la  flèche ,  qui  ne  frape  jamais  plus  sûrement 
que  quand  elle  frape  dans  les  ténèbres,  lui 
perçoit  des  coups  auiTi  imprévus ^  qu'ils 


1^4  La     Vie 

éroienr  peu  mérités.  Le  tetit  Livre  qu  il  vc- 
noit  de  compoier  ,  poui  taire  connoitie  le 
rcfpea  qi.i  elt  dû  aux  Egliits ,  ^  I  enormire 
des  profanaiions  qui  sy  commettent,  n  a- 
•voir  rien  qui  pût  effaroucher  perionne.  S'il 
étoir  venu  de  toute  autre  part  ,on  y  eut  ap- 
plaudi ^  mais  parce  qu'il  venoit  de  L Archi- 
diacre dEvieux  ,  il  fut  cenl€,  partir  d'une 
main  ennemie.  On  eût  voulu  effacer  fon 
nom  du  Livre  des  vivans  :  tout  Ouvrage  qui 
le  portoit  fur  Ion  fiontifpice  ,  étoit  ana- 
thcme  par  le  feul  fait.  Ainfi  une  brochure 
qui  pouvoir  s'imprimer  en  àtiw  mois  ,  fut 
arrêtée  pendant  plufieurs  années.  Sa  patieiv- 
ce  fes  prières  6c  celles  de  fcs  amis  forcèrent 
enfin  les  obftacles,  que  l'envie  ^  la  mali- 
gnité avoient  fait  naître.  Deux  illuff res  Cen- 
feurs  ,run  CurédeS.  Laurent,  l'autre  Théo- 
logal de  Rouen  ,  rendirent  juftice  ,  le  pre- 
mier à  la  fainte  véhémence  de  fon  zèle  ,  le 
fécond  au  tour  neuf  &:  intérefTant ,  qu'il  avoit 
fçu  donner  à  une  matière  rebattue.  ^ 

Lesoppofitions  que  notre  vertueux  l  re- 
tre  trouvoif  à  faire  ie  bien,  ne  l'empcchoient 
pas  de  s^y  porter,  de  d'y  porter  les  autres, 
avec  ce  fonds  dardeur ,  que  ni  la  difticukc 
desconjon6tures,ni  le  malheur  destems, 
ni  l'incertitude  du  fuccès  ne  peuvent  rallen- 
tir  Ceff  pourquoi  ayant  appris  que  les^  af- 
faires de  la  maifondu  Refuge  n'allant  gueres 
mieux  à  Rouen  qu'à  Befancon  ,  l'on  penfoit 
à  retirer  de  cette  première  ville  les  Religieu- 
fes  qui  y  avoient  été  envoyées  s  lArchi- 


UE  M.   BOUDON.  Liv.   II.  26j 

diacrcqui  fçavoit  qu  un  lieu  qui  fert  d'afyle 
à  la  vertu  ôc  aux  lai  mes,eft  par  tour,  Se  prin- 
cipalement dans  les  grandes  villes  ,  d'une 
confcquence  infinie ,  réfolut  de  faire  tous 
fes  efforts  pour  empêcher  ce  malheur.  Il  fie 
plus ,  &  plein  de  cette  confiance ,  au  moyen 
de  laquelle  il  avoir  tant  de  fois  fait  des  voya- 
ges de  trois  à  quatre  cens  lieues ,  (ans  pro- 
vifion  ôc  fans  argent ,  il  ofa  bien  prier  la 
Supérieure  de  Nanci  d'ajouter  de  nouvel- 
les  filles  k  celles  qui  y  ctoient  déjà. 

Ce  fut  fur  ces  mêmes  principes  d'une 
confiance  £an5  bornes  ,  qu'il  continua  de 
maintenir  le  Refuge  à  Befançon.  Hors  d'é- 
tat de  le  foutenir  par  ks  libéralités,  il  tâchoic 
au  moins  de  l'encourager  par  [qs  difcours, 
&  par  de  petits  préfens  de  piété.  Sa  foi ,  qui 
fut  toujours  d'une  fimplicité  admirable  ,  lui 
découvroit  dçs  thréfors  dans  une  infinité  de 
petites  chofes ,  que  les  prudens  du  fiécle  trai- 
tent de  puérilités.  Les  CarméUtes  d  Anvers 
lui  avoient  envoyé  quelques  eftampes  de 
Notre-Dame  deGiace,  en  l'afTurant  que 
Dieu  daignoit  y  arracher  une  bénedidion 
fînguiierc  ;  &  qu'en  conféquence  des  prières 
qu'un  Monaftere  ravagé   par  des  foldars, 
avoir  faites  devant  une  de  ces  images  ,  une 
fille  inconnue  avait  prefenré  à  la  Tourrierc 
trois  pains,  qui  avoient  fiiffi  pour  toute  la 
Communauté^,  &:  où  IcsReligieufes  avoient 
trouvé  un  goût  particulier.    Le  vertueux 
Prêtre  en  envoya  une  en  Franche  -  Comté. 
Je  nefçaisfila  fainte  Vierge ,  qui  fe  plaît 

M 


2^(5  La    Vie 

— —  quelquefois  à  éprouver  ceux  qui  la  fervent , 
^^/P-  différa  long-tems  à  déployer  fa  puiflance  en 
"'''*  faveur  d'un  Etabliflement  fi  orageux  ^  ce 
que  je  fçais ,  c'eft  que  la  Maifon  du  Refuge 
cft  aujourd'hui  une  des  plus  belles  qui  foie 
à  Befançon.  On  ne  lui  enviera  pas  fa  pros- 
périté, pour  peu  qu'on  fafle  attention  qu  elle 
fut  toujours  le  féjour  ,  ou  de  ces  vives  ac- 
tions de  grâces  qui  confcrvent  l'innocence  , 
ou  de  ces  gémiflemens  finceres,  qui  expient 
le  malheur  qu'on  a  eu  de  la  perdre.  Et  de 
quel  prix  n'a  pas  dû  être  devant  Dieu  le  fer- 
vice  que  Boudon  a  rendu  au  Public  ,  en 
s'oppofant  a  la  ruine  d'une  fondation  (i  fain-, 
te  &  fi  néceffâire  ? 

Mais  il  ne  falloit  pas  de  û  grands  objets , 
pour  mettre  en  mouvement  fa  charité  Ôc 
fon  zélé.  La  pacification  d'une  feule  amc 
lui  donnoit  des  ailes  dans  le  tems  même 
qu'il  étoit  déjà  courbé  fous  le  poids  des  in- 
firmités. Il  y  avoit  à  une  des  extrémités  de 
Paris  un  pauvre  Religieux ,  que  la  main  de 
Dieu  avoit  touché ,  ôc  qu'elle  avoit  réduit  à 
un  état  fi  affligeant ,  que  le  ciel  ôc  la  terre 
paroifibient  ligués  contre  lui.  Il  ne  voyoit 
prefque  plus ,  il  ne  pouvoit  faire  un  pas 
qu'avec  beaucoup  de  peine  -,  ôc  ce  n'étoit-là 
que  le  commencement  de  Ces  douleurs.  Son 
ame  étoit  plongée  dans  un  abyfme  ^^^mer- 
tume.  Le  démon  de  l'ennui  ôc  du  défefpoir 
Lobrédoit.  Il  ne  trouvoit  dans  fes  Frères , 
qui  ne  comprenoient  rien  à  fon  état,  que 
de  la  dureté  ,  6c  une  conduite  qui  appro* 


1 


DE   M.  EOUDON.    Liv.  II.         iGj 
choie  du  mépris.  11  avoit  rendu    aiurefois  ■ 

àt  bons  fervices  en  faifant  de^  leçons  de  ^'1^°'' 
Théologie  :  mais  fa  Théologie  &  fes  lervi- 
ccs  n'éroient  plus ,  5c  on  les  avoit  oubliés. 
On  fe  croyoit  prefque  quitte  à  fon  égard  , 
en  le  regardant  comme  on  homme  qui  avoir 
perdu  lefprit.  Souffrir  ,  fentir  fon  mal  , 
n'avoir  perfonne  qui  nous  confole  ;  c'ell  un 
état ,  qui  fe  trouve  dans  k  monde  &  hors 
du  monde  ,  mais  dont  on  ne  connoît  la 
rigueur  ,  que  quand  on  y  a  pafTé. 

Boudon  portoit  de  ce  vénérable  vieil- 
lard un  jugement  bien  oppofé  à  celui  qu'ea 
portoient  fes  Supérieurs.  Il  le  regardoir 
comme  un  Prédeuiné  ,  dans  lequel  la  faulx: 
des  croix  &  des  fouffrances  moiflonnoit  ce 
peu  de  paille  ,  qui  dans  les  Elus  mêmes  fe 
trouve  avec  le  bon  grain.  Et  il  comproic 
bien  qu'un  Religieux  ,  qui  avoit  joint  Texa- 
d:e  obfervance  de  fes  Règles  à  une  tendre 
dévotion  pour  la  fainte  Vierge  ,  ne  fouffroir 
dans  ce  fiécle,  que  pour  être  ménagé  dans 
l'autre.  Aufli  malgré  l'éloignemenr  des  lieux 
il  le  vifitoitavec  la  tendreûe  d'un  fils.  11  dif- 
fipoit  une  partie  de  fes  peines  :  il  le  fortifioic 
dans  l'autre  par  des  paroles  de  vie.  Sans 
vouloir  lui  diiRmuler  la  pefanreur  de  fa 
croix  ,  il  lencourageoit  à  la  porter  jufqu'aa 
bout  :  ^  il  avoit  la  confolati(  n  de  le  laiffer 
toi'ioiirs  plus  tranquille  ,  que  ne  le  compor- 
toii  la  nature  de  (^s  peines  Enfin  l'Aichi- 
diacieappri»-  par  une  Religieufe  que  cet 
homme  filons-tems  battu  de  l'orage,  étcit 


i6î  ^  La  Vie 

■  ^  '  arrive  au  port  dans  une  paix  profonde  ,  8c 
Si'iVi'f.  Q^'^^  avoir  vu  fes  derniers  momens  avec 
une  tranquillité  prefque  égale  à  [es  ancien- 
nes agitations. 

Pendant  que  Boudon  voloit  jufqu'au  bout 
de  Paris,  pour  conijplcï  un  Religieux  d'une 
vertu  folide  ,  quoiqu'un  peu  obfcurcie  j  il 
pourfuivoit  de  ville  en  ville  un  autre  Reli- 
gieux d'une  hypocrifie  certaine  ,  quoique 
encore  inconnue.  Celui-ci,  à  la  faveur  d'une 
attertation  qu'il  avoir  furprife  à  un  grand 
homme  de  bien  ,  fignaloit  fa  route  par  [c& 
crimes ,  &  laiffoit  par- tout  des  traces  hon- 
teufes  de  fon  apoftafie  &  de  fon  libertinage. 
L'Archidiacre  découvrit  le  loup  fous  la  peau 
étrangère ,  dont  il  s'étoir  couvert.  Il  ameuta 
contre  lui  les  Chefs  du  Troupeau  ;  &  on  fit 
de  routes  parts  fi  bonne  garde, que  ce  monftrc 
trave/li  fut  obligé  de  prendre  la  fuire ,  & 
d'aller  porter  ailleurs  fa  contagion  ôc  ks 
ravages. 

C'eft  ainfi  que  notre  digne  Prêtre  faifif- 
foit  toutes  les  occafions ,  grandes  ou  petites, 
d'avancer  le  Royaume  de  Dieu ,  ôc  de  parer 
les  coups  que  Ces  ennemis  lui  portoient.  Ce 
qu'il  ne  pouvoit  faire  par  lui-même  ,  il  tâ- 
choit  de  le  faire  par  le  moyen  de  fes  Livres  ; 
êc  il  remarque  dans  une  de  fes  lcttres,qu'une 
des  meilleures  chofes  qu'on  puifle  faire  ,  efl 
d'en  prêter  de  bons  à  ceux  qui  n'en  ont 
point ,  ou  qui  n'en  ont  que  de  mauvais.  Il 
envova  les  Tiens  jufqu'au  Canada  ,  &  il  eut 
la  confolation  d'apprendre  que  la  dévotion 


DE  M.   BOUBON.   LiV.   II.  2<^9 

qu'ils  avoient  infpirépour  la  faince  Vierge,  ■■ 
pour  S.  Jofeph  ,  ôc  pour  les  SS.  Anges ,    3^^'"- 
avoir  fauve  Québec  dans  une  occafion  où  il       "^^' 
devoir  naturellement  périr. 

Les  Anglois ,  fous  la  conduire  du  Cheva- 
lier Guillaume  Phips  ,  étoient  partis  de 
Bofton  avec  une  armée  navale  de  plus  de 
trente  vaifTeaux ,  Se  pour  le  moins  de  fepc 
mille  hommes  de  débarquemenr.  Dans  cet 
ordre  formidable  à  une  ville  qui  pour  lors 
n'avoir  que  rrois  cens  hommes ,  Ôc  pas  un 
feul  navire  à  leur  oppofer  ,  ils  s'éroienr  ap- 
prochés de  Québec  ,  &  avoient  fait  à  une 
lieue  de  fon  enceinre  une  defcente  de  plus 
de  deux  mille  hommes.  Mais  on  reconnut 
alors  5  à  n'en  pouvoir  douter,  qu'il  efl  un 
Dieu  des  combats  -,  ôc  que  ,  quoi  qu'en  dife 
Timpiéré  ,  il  ne  fe  met  pas  toujours  du  côré 
des  plus  gros  bataillons.  L'efprit  de  vertige 
faifit  l'ennemi  :  frapé  d'une  terreur  panique^ 
il  fe  rembarqua  pendant  la  nuit ,  ôc  aban- 
donna au  vainqueur  cinq  pièces  de  canon, 
ôc  deux  étendarts.  ^  Les  trois  vaifTeaux,  qiti 
»  de  dix  partis  de  France  ,  font  encore  les 
"  feuls  que  nous  ayons,  continue  l'Eve  que 
yt  de  Québec ,  qui  me  fournît  ce  détail^  n'ont 
«  pas  éré  protégés  moins  miraculeufemenr, 
"  Les  ennemis  ont  fait  pendant  cinq  jours 
»>  tous  leurs  efforts  pour  entrer  dans  un  lieu, 
»»  où  ils  s'étoient  réfugiés  y  mais  ils  en  ont 
5*  toujours  été  repouffés  par  les  vents  con- 
"  traires ,  qui  changèrent  à  Theure  même 
a*  que  les  nôtres  y  furent  entrés.  Enfin  le5 

M  iij 


27®  ^A    Vie 

"■"•^  "  mauvais  tems  &  des  tourbillons  de  ncige 
^1^7°'  "  ^^^  °"^  forcés  de  prendre  la  fuite. ...  Je 
w  ferai  toujours ,  le  peu  de  jours  qui  me 
«  re/lent  à  vivre,  tout  à  vous  ,  en  i'amoui: 
M  de  Jefus  ,  de  Marie ,  de  Jofeph  ,  de  tous 
w  les  SS,  Anges  ,  &  de  tous  les  Saints.  >» 
Ces  dernières  paroles  montrent  tout  à  la 
fois  ôc  l'amitié  contante  dont  M.  de  Mont- 
morency honora  le  grand  Archidiacre  ,  ôc 
l'ufagc  qu'il  faifoit  fur  Ces  vieux  jours  des 
pieufcs  leçons  qu'il  avoir  reçues  de  lui  dans 
ia  jeunefie. 

Mais  la  lettre  de  ce  refpedable  Prélat 
îi'e/1  pas  la  feule  par  laquelle  Boudon  ait 
appris  combien  fcs  Ecrits  faifoient  de  bien 
dans  l'Amérique.  Ce  feul  mot ,  Duufeul , 
<^  toujours  Dieu  feul  i  qu'il  mctroit  à  la  tcte 
de  toutes  Ces  lettres ,  rouchoit  fi  fort  unfaint 
Prêtre  ,  qui  travailloit  dans  ce  nouveau 
monde ,  que  de  fon  aveu  "^  il  n'y  avoir  point 
de  fcrmon  dont  il  (ùt  Ci  efficacement  péné- 
tré. Les  Séculiers,  je  dis  ceux  mêmes  du  pre- 
mier rang,  à  force  de  le  lire  ou  de  l'enren- 
dre  ,  fe  faifoient  à  fon  langage  ,  &  pré- 
voient fes  fentimens.  La  Princefie  de  Chi- 
mai ,  qui  avoir  en  lui  la  plus  parfaite  con- 
fance  ,  s'étoit  tellement  nourrie  de  fon  ftyle 
Se  de  fon  efprit ,  que  nous  avons  cru  le  lire 
lui  -  même  en  lifant  les  lettres  dont  elle  Tho- 
noroir.  Nous  dirons  en  paffant  qu'il  y  en  a 
une  5  où  cette  religieufe  Dame  ,  en  exhor- 

•  Lettre  de  M.  E.  BoularJ  ,  écrite  à  Beaupori  en  Câ-. 
nada  ,  &  datée  du  ao  Odobre  169c;. 


DE  M.  BoUDON.  Liv.  II.        271 

tant  l'Archidiacre  à  voir  Mademoifelle  de 

Rocheforc  à  la  Communauré  de  fainte  Ge-  ^J^.*^' 
neviéve  ,  fait  en  deux  mors  un  fort  bel  éloge 
de  Madame  de  Miramion  ^  &  de  toutes  fes 
Mes. 

Quoique  Boudon  ,  chez  qui  le  Grec  8c  le 
Gentil  ne  faifoient  qu'un  feul  peuple  en 
J.  C.  s'efforçât  de  fandifier  par  Cçs  pienx 
ouvrages  l'ancien  ôc  le  nouveau  monde  ,  il 
cfl  sûr  que  le  Diocèfe  d'Evrcux  étoit  en  quel- 
que forte  le  premier  objet  de  fon  zélé.  Ce 
fut  pour  le  fanclifîer  de  plus  en  plus,  qu'il 
tâcha  de  faire  rendre  à  S.  Taurin  ,  fon  pre- 
mier Evêque  ,  les  honneurs  qui  croient  dus 
à  fon  Apoflolar.  Ce  digne  ConfeiTeur  du 
Fils  de  Dieu  n'étoit  prefque  connu  que  de 
nom  de  la  plupart  de  ceux  à  qui  il  avoir  an- 
noncé la  foi.  L'Eglife  faifoit  fon  OiËce; 
mais  fon  tombeau  éroit  défert ,  ôc  on  n'y 
voyoit  rien  de  ce  faint  concours  ,  qui  en 
marquant  la  reconnoiffance  des  anciens 
bienfaits ,  en  auire  de  nouveaux.  Un  oubli 
aufTi  injurieux  bleila  la  piété  de  notre  ver- 
tueux Archidiacre.  11  invectiva  contre  dans 
fes  prédica- ions.  11  montra  dans  des  pané- 
gyriques pleins  d'ondlion  les  obligations  in- 
finies que  nous  avons  à  ceux  ,  qui  par  l'E-  . 
vangile  nous  ont  enfantés  à  J.  C.  de  l'on 

*  Marie  Eonneau  èe  Miramion  mourut  à  Paris  le  24 
Xlars  1^94.  à  66  ans,  Elle  s*eft  diftinguée  par  fon  zélc  , 
fa  pièce  &  fes  bonnes  œuvres  ,  fous  la  conduite  de  M, 
Joîy,  troifiéme  Supérieur  général  de  la  Congrégation  de 
la  Miflîon  :  Duquel  ,  dit  TAbbé  de  Choifi  ,  qui  a  écrit  la 
vie  de  ceue  vertueul'e  Dame  ,  U  nom  fcul  fnu  l'clogc. 

Miv 


i-j-L  La    Vit^ 

■     '  ■  '  convient  que  c'eft  à  fa  véhémence  &  à  fcs 
^'J^^;  larmes ,  que  le  Diocèfe  dût  la  grâce  de  rc- 
connoître  &  de  réparer  fon  indifférence. 

Pour  empêcher  qu'on  n'y  retombât ,  il 
crut  devoir  donner  au  public  la  vie  de  ce 
fainr  Pontife.  11  ne  l'enfla  ni  de  ces  differta- 
tions  fur  l'an  &  fur  le  mois ,  que  la  curiofi- 
té  aime ,  &  dont  la  charité  fe  foucie  peu  s  ni 
de  ces  recherches  critiques ,  qui  ne  fervent 
guéres  qu'à  rendre  l'efprit  plus  indécis.  En 
récompenfe  il  y  fit  entrer  à^s  réflexions , 
propres  par  leur  fimplicité  même  à  fortifier 
la. foi ,  à  nourrir  l'efpérance,  à  enflammer 
la  charité.  Il  y  joignit  une  relation  abrégée 
de  deux  miracles,  qui  s'étoient  opérés  de- 
puis  peu  par  rinî-erceflîon  du  faint  Evêque  , 
&:dont  le  premier  gagna  pleinement  à  la 
Religion  Catholique  le  fieur  Pacheq  ,  qui 
ne  pouvoit  fe  réfoudre  à  admettre  l'invo- 
cation des  Saints  \  c'eft-à-dire  ,  qui  combat- 
toit  un  dogme,  que  le  Miniflre  Aubertin,  fur 
le  témoignage  contant  des  premiers  fiécles , 
regardoit  comme  indubitable.  Boudon  ter- 
mina fon  petit  Ouvrage  par  des  pratiques  de 
piété ,  dont  il  eft  aifé  de  conclure  ,  que  fi  les 
vœux  que  nous  faifons  aux  Saints  ,  font  ra- 
rement exaucés ,  c'eft  que  nous  ne  les  faifons 
que  très  rarement  avec  les  difpofitions  qui 
devroient  les  accompagner. 
m  Cependant    1  Archidiacre    s'avançoit  à 

i^"^"^'  erands  pas  vers  ce  tems  lugubre,  où  la  vie 
de  1  homme  le  plus  vigoureux  ,  n  elt  plus 
qu'infirmité  &  que  douleur.  Mais  avant  que 


DE  M.  BouDON.  Lir.  II.  173 

d'entrer  dans  le  dérail  des  dernières  croix  ,  — 
fous  le  poids  defquelles  il  a  enfin  fallu  que  o^f''** 
h  nature  fuccombat  :  nous  croyons  devoir 
rapporter  ici  différents  traits ,  dont ,  à  l'ex- 
ception d'un  feul ,  nous  n'avons  point  d'é- 
poque certaine.  Le  Lecteur  y  reconnoîtra 
avec  plaifir ,  que  cet  homme  û  maltraité 
fur  la  terre ,  étoit  Tami  du  ciel  ,  ôc  qu'il 
puifoit  dans  le  fein  de  la  Divinité  des  lu- 
mières, que  la  prétendue  fublime  Philofo- 
phie de fes  ennemis,  ne  lui  auroit  alTuré- 
ment  pas  données. 

Un  jour  qu'il  préchoit  chez  les  Religieu- 
fes  de  la  Vifiration  de  la  rue  S.  Antoine , 
une  Préfidente  ,  qui  étoit  fa  coufme ,  3c  qui 
ncl'avoit  pas  vu  depuis  long-tems ,  lui  fie 
promettre  à  force  d'inftance  qu'il  accepte- 
roic  un  diné  chez  elle  ,  où  elle  vouloit  l'en- 
tretenir d'affaires  importantes ,  c'eff  à-dire , 
comme  on  l'a  cru,de  cellesde  fa  confcience, 
Boudon  s'étant  rendu  à  fcs  importunirés, 
elle  le  pria  ,  après  la  converfarion  qui  fuivic 
le  repas ,  de  vouloir  bien  faire  une  vifite  à 
M.  de  Gaumont  * ,  Confeiller  au  Parle- 
ment de  Paris ,  qui  étoit  aufli  parent  du  faine 
Archidiacre.  Boudon  y  alla  fort  volontiers  -, 
ôc  ayant  trouvé  à  la  fois  ôc  le  Magiilrat  Ôc 
fon  fils  qui  n'avoit  que  dix-fept  ans  ,  il  laiffa 
le  premier ,  &  s'adrefTant  au  fécond  :  Hé 

♦  Je  ne  mets  ces  noms  papres  qu'en  tremblant  ,  parce 
^uele  principal  MlT.  fur  lequel  je  travaille  ,  elt  extrême- 
ment défectueux  de  ce  cô;é-là.  Ce  MfT.  donne  le  nomde 
Monguien  à  la  Préfîiknte  ,  dont  je  viens  de  parler» 

M  y 


274  ^ '^     Vie 

bien  ,  mon  petit,  coiifin ,  lui  dit  -  il ,  aimor,j>'- 
'fious  It  bon  Dieu  :  ^enfons-nous  quelquefois 
quïl  fjut  mourir  ,  &  aller  au  ciell  à  quoi  ic 
jeune  homme  ayant  répondu ,  qu'à  fon  âge 
on  ne  penfoit  guéres  à  Tautre  vie  \  &  que 
cela  école  bon  pour  un  homme  comme  lui , 
qui  n'étoic  plus  jeune,  ^  qui  étoit  Prcirc  : 
Mais  y  mon  fils  ,  reprit  l'Archidiacre ,  nefça- 
vcL-vous  pas  quon  meurt  a  dix-fépt  ans ,  Ô* 
qu'on  va  paroitre  àtvant  D^eu  ,  comme  à 
joixame  ?  Cette  converfation  ,  qui  n'avoit 
rien  damu faut  pour  celui  avec  qui  elle  fe 
faifoit,  n'alla  pas  plus  loin.  On  patla  de 
toute  autre  chofe  \  ôc  Boudon  ayant  dit ,  ôc 
au  Confeiller ,  6^  à  la  Fréfidente ,  qui  s'étoit 
trouvée  chez  lui ,  qu'ils  ne  le  reverroient 
plus  dans  ce  monde  ,  il  fe  retira  à  l'inlîant 
dans  une  Eglife  ,  pour  demander  à  Dieu  la 
convcrfion  de  ce  jeune  Coufin  ,  dont  le 
cœur  commençoif  à  s'ouviir  aux  paflions. 
Sa  prière  fut  celle  du  julle  :  elle  eut  auprès 
du  Seigneur  tout  le  poids  que  peuvent  lui 
donner  la  fainteté  &  la  ferveur. 

Dès  le  foir  le  jeune  homme  fentit  les  at- 
teintes du  coup  ,  qui  devoit  enfin  l'immoler. 
Mais  5  en  fe  rappellant  au  moment  même  la. 
prédiâ:ion  qui  lui  avoir  étéfaiie,il  le  fentit  en 
homme  qui  conçoit  parfaitement  qu'on  peut 
mourir  à  tout  âge.  Il  rentra  en  lui-même.  Il 
verfa  des  larmes  finceres  fur  feséga remens. 
11  fit  au  fouverain  Arbitre  de  nos  deftinées 
un  facrifîce  abfolu  de  fa  vie.  Au  bout  de 
trois  mois  il  mourut  auffi  plein  de  confiance 


DE  M,  BouDON.  Liv.  n.  27/ 
dans  les  mifericordes  de  Dieu ,  que  plein  — — 
de  regret  de  Tavoir  offenfé.  Il  ne  fut  pleuré  &^fui"v, 
ni  de  fon  père,  ni  de  la  Préfidente  fa  cou- 
fiiie  :  tous  deux  avoient  été  enlevés  dans  le 
mois  même  ,  où  l'Archidiacre  leur  avoic  dit 
qu'ils  ne  le  rcverroient  plus.  Il  y  a  bien  de 
l'apparence  que  celui  qui  les  avoir  fi  bien 
inikuit  deleur  dernière  heure  ,  leur  obtint 
les  grâces  dont  ils  avoient  befoin  pour  s'y 
préparer. 

II  eût  bien  voulu  en  faire  autant  dans  une 
autre  occafion,  qu'il  ne  fc  rnppelloit  jamais 
fans  frémir  à  la  vue  des  jugemens  de  Dieu. 
Un  jour  il  fe  trouva  avec  un  Eccléfiafliquc 
de  la  première  condition  ,  qui  étant  tombé 
fur  fon  propre  chapitre  ,  difoit  avec  bien  de 
la  fatisfadion ,  que  pour  lui  il  étoit  le  plus 
fortuné  des  mortels  j  qu'il  n'avoit  eu  que  dn 
bien  Se  du  bonheur  pendant  fa  vie  j  ôc  qu'il 
ne  connoiiToit  ni  maladie ,  ni  fouci ,  ni  amer- 
tume. Boudon  ,  qui  voyoit  tout  d^s  yeux  de 
la  foi,  fit  ce  qu'il  put,  pour  lui  faire  con- 
cevoir que  Dieu  ne  traite  pas  ai  nu  fes  Elus , 
^  qu'une  profpérité  confiante  fur  la  terre 
cil  fouvent  la  marque  la  plus  aiTurée  de  fa 
colère.  Mai«  il  parloit  à  un  fourd  ,  qui  lui 
cédoit  volontiers  toutes  les  croix  du  mon- 
de, pourvu  qu'il  continuât  à  n'en  porter  au- 
cune. Dans  ce  moment  une  voix  forre  ôc 
diftincle  fit  retentir  ces  terribles  paroles  iuf- 
qu'au  fond  des  moelles  du  faint  Archidia-^ 
crc  :  Infenfé ,  cette  nuit  même  on  vous  de- 
•mandera  votre  ame  ;  &  qiie  deviendront  vos 

M  vj 


i7<^  La    Vu 

"   '  hiens  ,  vosplai/irs  ,  vos  hormetirs  ?  Deux  oa 
&i\iit.   trois  heures  après  on  vint  lui  dire  que  cet 
homme  ,  fi  content  &  de  fon  fort ,  &  de 
lui-même  ,  ctoit  mort  fubitement. 

Ce  qui  fe  pada  à  Nancy  immédiatement 
après  la  grande  maladie,  dont  le  faint hom- 
me y  fut  attaqué  en  1685.  fut  plus  confo- 
lant  à  tous  égards.  Les  vivies  étoient  cxtrc* 
mcmenr  chers  cette  année -là  j  &:  la  Supé- 
rieure du  Refuge  ,  dont  la  Maifon  eft:  tou- 
jours nombrcufe  ,    étoit  inquiète  ,    parce 
qu'elle  n'avoit  en  bled  &  enfariné  de  provi- 
fion  que  pour  Cw  mois.  Boiidon  à  qui  elle 
£t  part  de  fon  embarras ,  l'adura  que  Dieu 
pourvoiroit  aux  befoins  de  fa  Communau- 
té ,  &  qu'elle  pouvoit  demeurer  tranquille, 
La  Prophétie  fe  trouva  jufle  :  &  ce  fut  un 
miracle  éclatant  qui  la  vérifia.  Une  Maifon  , 
qui  avoit  eu  tant  de  charité  pour  l'Archi- 
diacre ,  méritoitd  être  traitée  comme  le  fut 
cette  picufe  veuve  de  Sarephta ,  qui  parta- 
gea fi  généreufement  avec  Elie  le  peu  de 
pain  qui  lui  reçoit.  Les  Provifions  du  Re- 
fuge fe  multiplièrent  :  &  ce  que  fix  mois  dé- 
voient confumcr ,  dura  une  année  «Se  demie. 
J' et  ois  pour  lors  an  Monaflere  ,  dit  celle 
dont  nous  avons  appris  ce  trait  important  ; 
0"  je  fus  avec  Us  autres  témoin  &  admira-^ 
trice  de  cette  merveille ,  qui  en  renferme 
deux  ,  Tune  de  prédiction ,  Tautrc  de  mul- 
tiplication. 

Du  relie ,  ajoute  cette  fille,  qui  pour  lors 
ctoit  Supérieure  ,  ce  nejl  pas  hfenU  graçe 


»eM.  BouDON.  Liv.il  277 

^ue  nous  ayons  reçue  four  la  charité  que  ■    '  ' '■ 
7J0US  avons  fane  à  M,  Boudon  :  &  qui  tour-  J  ^^^ 
roit  raconter  les  bénédictions  qui  nous  ont  ete 
accordées  par  fes  prières  î  Cefi  ce  qui  ne  fc 
verra  que  dans  l'Eternité. 

A  ces  faits ,  qui  donnent  une  grande  idée 
du  Serviteur  de  Dieu ,  nous  en  joindrons 
encore  un  autre ,   qui  eft  très  propre  à  la 
confirmer.  Un  Eccléfiaftique  leconfuka  fur 
un  cas  qui  i'embarraflbit.  Il  étoit  queilion 
de  fçavoir  fi  une  Demoifelle  qui  étoit  fous 
fa  conduite ,  devoir,  contre  la  volonté  pré- 
cife  de  (ts  parens  ,  entrer  dans  un  Mona- 
ftcre ,  ou  du  moins  fortir  de  la  maifon  pa- 
ternelle, où  fon  falut  n'étoit  pas  en  sûreté  , 
afin  de  s'aflbcier  à  d'autres  vertueufcs  filles , 
que  Boudon  connoifToit  fort  bien  ,  &  qui  ne 
dcmandoient  pas  mieux  que  de  la  recevoir, 
L'Archidiacre, après  s'être  déclaré  pour 
le  fécond  parti ,  revint  au  premier,  &  jugea 
en  dernier  refibrt ,  qu'il  falloit  laifTer  fuivre 
à  la  jeune  perfonne  le  penchant  qu'elle  avoir 
&  pour  la  Religion ,  &  pour  le  Monaftere 
dans  lequel  elle  vouloir  rembrafier. 

Ce  jugement  étoit  bien  alors  la  chofe  du 
monde  la  plus  incompréhenfible.  Tout  s'op- 
pofoit  à  fon  exécution.  Les  parens,  bien 
loin  d'y  confentir ,  en  étoient  au  défefpoir. 
La  Prétendante  n'avoit  ni  dot ,  ni  amis  qui 
voulufient  lui  en  fournir.  La  Maifon  qu'elle 
avoir  en  vue,  étoit  fi  pauvre,  qu'elle  ne 
pouvoir  y  fuppléer.  D'ailleurs  elle  étoit  ex* 
irêmemcnr  décriée.  Les  mauvais  exemples 


278  La    Vie 

d^une  AbbefTe  .   qui  regnoît  depuis  long- 
tems,&quin  étoir  rien  moins  qu'edifianre,y 
avoieminrroduit  rinobfervance  des  Règles, 
&  avec  elle  le  trouble  &  la  confufion.  Cha- 
que Religieufe  vivoit  à  fa  mode ,  &  cerre 
mode  étoit  un  relkhemenr  déplorable.  Une 
propriété ,  qui  peut-être  n'étoit  que  trop 
fondée  fur  l'indigence  commune ,  avoit  pris 
la  place  de  la  pauvreté,  qu'on  avoit  vouée 
aux  pieds  des  Autels.  Pour  comble  de  mal- 
heur ,  les  Supérieurs  de  l'Ordre  s'endor- 
moient  fur  le  double  bcfoindu  Monafiere. 
Le  temporel  étoit  en  décadence  ,  ôc  on  man- 
ouoit  de  fecours  fpiriruels. 
'    Toutes    ces    difficultés    s'applanirent. 
L'homme  de  Dieu  lavoir  prédit,  il  avoir 
prédit  de  plus  que  la  Propofante  réforme- 
meroit  tout  le  Monaftere  -,  l'événement  fie 
voir  que  c'étoit  Dieu  qui  avoit  ouvert  fa 
bouche  ,  comme. autrefois  celle  des  faints 
Prophètes.  La  jeune  perfonne  trouva  une 
dot ,  &  fut  reçue.  L'Abbeffe  éprouvée  par 
une  longue  &  dure  maladie  ,  rentra  en  elle- 
même  ,  &  y  rentra  û  bien ,  qu'à  la  vue  de  fa: 
propre  rénovation  clles'écrioit:  Oui ,  ilfaut 
^Jfurémem  que  qiielqumpriepour  moi  ;  car 
je  trouve  mon  cmir  tout  changé.  Comme  il 
n'y  avoir  pas  fur  le  lieu  de  Médecin  fpiri- 
tuel  affez  expérimenté  pour  un  mal  auflidif- 
êcile  à  traiter  ,  que  l'étoir  celui  de  cette  Da, 
me ,  qui  pour  être  de  qualicé  ,n  en  avoitpas 
été  meilleure  Religieufe  \  Dieu  ,  qui  cft  ri- 
che en  miféricorde ,  lui  envoya  de  fort  loin  > 


& laira 


DE  M.  BouDON.  Liv.  lî.  2757 
&  contre  toute  attente  ,  un  Directeur  éclai- 
ré, qui  au  moyen  d'une  bonne  confeffion  ,  l^^f^ 
calma  les  frayeurs  de  fon  ame  agitée.  Les 
douleurs  aiguës  qu'elle  fouffrit  long-tems  y 
devinrent  pour  elle  par  le  faint  ufage  qu'elle 
en  fit ,  la  matière  d'une  rude  ôc  falutaire 
pénitence.  Elle  mourut  enfin ,  après  avoir 
beaucoup  édifié  une  maifon  à  qui  elle  avoir 
donné  beaucoup  de  fcandales.  Hcureufe  ,  fî 
la  douleur  qu'elle  en  emporta  dans  le  toni- 
bcau  5  eût  pu  rétablir  Tordre  qu'un  long  de 
mauvais  gouvernement  avoir  renverfé:  mais 
la  plaie  étoit  faire  ^  &  il  efl;  rare  que  les  lar- 
mes des  mourans  fu^fent  pour  en  guérir  de 
fi  profondes. 

Celle  qui  lui  fuccéda  avoir  de  bonnes  in- 
tentions ,  ^  pour  faire  du  bien  ,  elle  n'avoir 
befoin  que  d'être  fécondée.  Notre  jeune 
Profeiïe  ,  qui  en  prenant  l'habit  ^  avoit  reçu 
pleinement  la  grâce  de  fon  état ,  fe  joignit  à 
elle  ;  &  ces  deux  en  ayant  gagné  une  troi^ 
iiémc ,  ce  petit  troupeau  forma  la  réfolii- 
tlon  d'obferver  exaàement  la  Règle.  Le 
vœu  de  pauvreté  étoit  à  peine  connu,  on 
commença  par  le  rétablir  j  &  malgré  les 
railleries  offenfantes  des  anciennes  ,  qui  ne 
pouvoient  digérer  ce  prélude  de  réforma- 
tion ,  il  y  eut  au  moins  trois  perfonnes ,  qui 
fçurent  ne  rien  pofléder  qu'en  commun. 

Boudon ,  qui  fut  inllruit  de  ces  heureux 
commencemens ,  exhorta  l'ancien  Direcleur 
de  la  jeune  Religieufe  à  fe  rranfporrer  fiiu 
les  lieux  ,  pour  tendre  la  main  à  celles ,  c^ui 


iSo  ^      ^        Là    Vie 
■  peut-être  ébranlées  par  le  bon  exemple  de 

Ï694.  trois  de  leurs  fœurs ,  voudroient  fe  rap- 
procher d'elles ,  &  marcher  fur  leurs  tra- 
ces. Ce  vertueux  Eccléfiailique  ne  balança 
pas.  Il  fe  mit  en  chemin  fans  délibérer ,  Se  û 
l'on  peut  croire  que  l'enfer  fe  bande  quel- 
quefois contre  ceux  qui  vont  attaquer  fon 
empire  :  il  y  a  toute  apparence  que  les  dé- 
mons fe  mirent  en  mouvement  pour  le  per- 
dre. Trois  fois  il  fut  en  danger  de  périr  : 
trois  fois  l'aimable  Providence  veilla  à  fa 
garde  ,  6c  le  délivra  du  mal,  L'Archidiacre 
ayant  fçu  que  fa  voiture  ,  au  moyen  d'un 
tour  de  roue ,  alloit  êtrç  abyfmée  dans  un 
précipice ,  que  les  ténèbres  d'une  nuit  épaif- 
fe  ne  permettoient  pas  de  découvrir  ;  que  le 
fécond  jour  elle  avoir  verfé  ,  fans  que 
perfonne  en  eût  foufFert  j  Se  qu'enfin  fur 
le  point  d'arriver  au  terme  ,  le  Cocher 
avoir  enfilé  ,  dans  une  foret  profonde  , 
une  route  inconnue  i  l'Archidiacre ,  dis-je , 
mit  une  fi  vifiblc  proredion  fur  le  compte 
des  bons  Anges  \  &  ne  douta  pas  qu'un  voya- 
ge û  traverfé  ne  dût  être  fuivi  d'un  fuccès , 
qui  avec  le  rems  en  ameneroit  encore  de 
jius  heureux. 

II  ne  fe  trompa  point  dans  fon  attente. 
Le  Diredeur ,  que  les  pouvoirs  de  grand 
Vicaire  rendoient  encore  plus  refpedlable , 
fortifia  la  Supérieure  ôc  les  deux  Coadju- 
tricesdcfon  zélé.  Il  entendit  la  confeiTion 
générale  de  la  première.  Plufieurs  autres  fui- 
virent  en  ce  point  fon  exemple.  Peu  à  peu 


»i  M.  BouDON.  Liv.  II.  281 
le  nombre  des  bonnes  augmenta.  11  en  mou-  '  * 
rur  de  mauvaifes ,  d'autres  fe  convertirent.  ^\uii*. 
Un  excellent  Provincial  voyant  les  chofes  fi 
bien  difpofées  ,  y  donna  la  dernière  main  , 
par  fa  fermeté  &  par  fa  prudence.  Peu  de 
tems  après  la  mort  de  notre  Archidiacre , 
cette  Maifon  étoit  fi  régulière  ,  fi  fervente , 
il  litréiale  dans  l'obfcrvance  de  fes  vœux , 
qu'il  n'y  avoit  peut-être  pas  un  Monaûere  à 
qui  elle  ne  pût  fervir  de  modèle.  11  cft  à  pré- 
fumer que  Boudon  ,  qui  Ta  fi  bien  fervie 
par  Çqs  confeils  pendant  qu'il  étoit  fur  la 
terre ,  la  fert  plus  puiffamment  par  fes 
prières,  aujourd'hui  qu'il  efldans  la  gloire. 
Je  ne  parlerai  ici ,  ni  du  pouvoir  qu'eut 
l'homme  de  Dieu  furies  démons,  qui  fré- 
miflbient  à  fa  vue,  &  qri  pc^r  la  bouche 
des  pofTédés  déclaroient  malgré  eux, qu'une 
incroyable  multitude  de  bons  Anges  vcil- 
loient  à  fa  garde  \  ni  du  don  fmgulier  qu'il 
eut  prefque  dhs  fa  jeuneflTe  ,  de  difcerner  les 
efprits  5  de  démêler  en  eux  ,  de  manière  à 
les  furprendre  ,  leurs  penfées  les  plus  in- 
fimes, &  leurs  mouvem.ens  les  plus  con- 
fus ^  de  calmer  leurs  plus  mortelles  alîat- 
m^es  j  de  leur  tracer  fi  diftinctemenc  la  route 
par  laquelle  ils  dévoient  marcher  ,  que  de 
ceux  qui  en  ce  point  ont  fuivi  its  avis,  il 
n'en  efl  pas  un  qui  n'ait  fait  de  très  -  grands 
progrès  dans  la  perfedion  :  ce  détail  nous 
meneroit  trop  loin  ,  &  il  ne  feroit  que  nous 
fournir  de  nouvelles  preuves  d'un  fait  que 
cent  autres  ont  amplement  conllaLé. 


I 


iZi  La    Vie 

> Il  ne  nous  rc/le  donc  plus ,  pour  fînîr  fon 

^97'  portrait ,  qu'à  donner  une  légère  idée  de  la 
patience  ,  ou  plutôt  de  la  joie  avec  laquelle 
il  a  fuporté  les  infirmités  de  Tes  dernières 
années.  Sa  complexion  naturellement  déli- 
cate n'étoit  pas  propre  aux  grandes  fatigues  : 
cependant  le  zélé  de  la  gloire  de  Dieu  ,  qui 
le  dévoroit  nuit  &  jour  ,  fon  ardeur  pour  le 
falut  du  prochain  ,  la  fainte  haine  qu'il  por- 
toit  à  cette  chair  de  péché  qui  nous  fuit  par- 
tout ,  lui  firent  tellement  oublier  la  foiblefTe 
de  fon  corps ,  qu'un  homme  qui  ne  fe  mé- 
nage que  dans  l'ordre ,  fait  moins  dans  un 
an  ,  qu'il  ne  faifoit  dans  un  mois ,  quelque- 
fois mcme  dans  une  femaine.  Il  ne  doutoit 
pas  que  tout  ne  dût  fe  retrouver  un  jour  : 
mais  il  doutoit  encore  moins ,  qu'en  fe  pré- 
parant des  foufïiances  pour  l'avenir  ,  il  ne 
fe  préparât  des  couronnes.  Ainfi  peu  con- 
tent de  Ces  travaux  excelTifs ,  il  y  joignoir 
tout  ce  que  les  auifices  de  la  pénitence  ont 
inventé  de  plus  terrible,  de  fur- tout  vn 
jeûne  prefque  continuel ,  ôc  des  veilles  qui 
ne  duroient  guéres  moins. 

Enfin  la  nature  plia  fous  un  fardeau  , 
qu'elle  n'avoir  fi  long-tcms  porté  que  par 
une  efpéce  de  miracle.  Le  grand  Archidia- 
cre devint  fur  fes  vieux  jours  fi  languiflant  , 
f\  deflféché  ,  qu'on  ne  le  prenoit  déformais 
pour  un  homme  ,  que  parce  qu'il  n'en  avoir 
pas  entièrement  perdu  la  figure.  Ce  qui 
l'affligea  davantage ,  fut  cette  terrible  dcf- 
cente ,  dont  nous  avons  déjà  yarlé  j  Ôc  qui 


m  M.  BouDON.  Liv.II.  2S5 
fut  le  fruit  de  la  véhémence  avec  laquelle  il  — — 
prêcha  le  Royaume  de  Dieu  dans  une  Mif-  g^f^r*. 
fion  qu'il  fit  à  Chartres  en  1688.  Ce  mal , 
que  les  plus  fçavans  Arti/les  ne  purent  ja- 
mais foulager  ,  eut ,  principalement  fur  la 
fin  de  Ces  jours ,  toutes  les  mauvaifes  fuites 
qu'il  peut  avoir.  L'atteinte  en  duroit  quel- 
quefois des  fix  heures  entières.  Par  tout  où 
en  éfoit  faifi  le  pauvre  Boudon  ,  il  dcmeu- 
roit  immobile  à  force  de  douleur  j  &  les  gens 
du  méfier  convenoient  que  dans  une  demi» 
heure  il  pouvoir  en  mourir. 

Mais  cet  état  fi  accablant,  il  le  portoic 
avec  des  fentimens,  que  les  anciens  Martyrs 
euffent  admiré.  Rien  de  plus  chrétien  ,  de 
plus  héroïque  ,  que  la  manière  dont  il  s'ex- 
primoit  à  cette  occafion.  «  Il  eit  bien  jufîe, 
écrivoic-il ,  la  femaine  même  où  il  fe  fentit 
blciïé  -,  c'efl-à-dire  dans  un  tems  où  la  nou- 
veauté du  mal  le  rend  plus  fenfible  Se  plus 
cfirayant  5  c<  oui ,  il  ert  bien  jufte  que  la 
«créature  foir  en  toutes  chofes  parfaire- 
>y  ment  foumife  à  la  Providence.  Qu'elle 
>}  fafie  donc  ,  cette  très- bonne  ôc  très  fidèle 
y»  mère  ,  qu'elle  faffe  tout  ce  qu'il  lui  plaira , 
«  je  la  bénirai  en  tout  tems  ,  Se  fa  louange 
jj  ne  fortira  jamais  de  ma  bouche.  Après 
Si  tout ,  c'eiten  Dieu  feul  que  fe  trouve  le 
»>  véritable  bien  :  &  c  ell:  par  les  maux  de 
"Cette  malhcureufe  vie  ,  que  l'on  arrive  à 
»^  la  vie  bienheureufe.  »> 

Ces  maux  que  le  vertueux  Archidiacre    jg^^/ 
regardoit  comme  le  chemin  d'une  meilleure  &  iuiu 


284  La    Vie 

"  vie ,  s'accrurent  confidérablemcnt  les  trois 
k*fuiv,  dcr^icres  années  de  fa  vie.  Tous  fes  mo- 
mens  portoient  la  vive  empreinte  de  la  dou- 
leur »  &c  fa  vie  n'étoit  plus  qu'une  complica- 
tion d'infirmités.  Malgré  cela  ,  dès  qu'il 
pouvoir  fe  traîner ,  il  reprenoit  Ces  fondlions 
accoutumées.  11  célébroit  les  divins  Myftè- 
res.  11  rendoit  au  prochain  tous  les  genres 
de  fervicc ,  dont  il  étoit  capable.  Il  écrivoit 
de  tous  côtés  pour  établir  le  Royaume 
de  Dieu  :  &  il  le  faifoit  tout  vêtu  fur  fon 
lit  ,  quand  la  force  du  mal  ne  lui  permet- 
toit  pas  de  le  faire  ailleurs.  On  eût  dit 
que  Dieu  ne  lui  montroit  les  portes  de 
la  mort  ,  que  pour  le  familiarifer  avec 
elle.  Nous  l'avons  vu  ,  dit  un  Ecclcfiafli- 
que  plein  de  probité  ,  &  témoin  oculaire  , 
recevoir  l' Extreme-Ontlion  un  Samedi ,  & 
faire  le  lendtmain  une  exhortation  aux 
Filles  de  la  C^oix  de  la  rue  S.  Antoine  *. 

Un  de  fes  foins  dans  cet  état  d  infirmité 
&  d'accablement ,  fut  de  difpofer  les  per- 
fonnes,  qui  étoient  fous  fa  conduire  ,  à  fou- 
tenir  en  efprit  de  paix  &  de  fermeté  la  perte 
qu'elles  croyoient  faire  à  fa  mort.  «  Je  vous 
écris,  difoit-ilà  une  Dame  de  qualité,  qui 
dans  l'idée  que  ce  fage  Directeur  venant  à 
lui  manquer ,  elle  n'en  trouveroit  jamais 
un ,  qui  put  la  connoître  &  la  conduire  com- 

•  M.  l'Abbé  Tamponnet  ,  Ccnfeur  de  cet  Ourragc  ,  fe 
fouvient  avec  plaifîr  d'avoir  aiîifté  à  ce  Difcours  ,  où  M. 
Boudon  prit  pour  texte  :  B^xti  morrui  ,  qui  in  Domino 
moriuntur.  Apoc.  14.  v.  ij. 


BE  M.  BOUDON.  Liv.  IL  18/ 

mt  lui ,  croit  prefque  incapable  de  confola-  •■  ■  ^ 
tion ,  >»  Je  vous  écris ,  ma  chcre  fille ,  pour  ^^^J^ 
vous  dire,  que  ce  ncil  pas  feulement  un  dé- 
w  faut  de  foumiflion  à  la  volonté  de  Dieu  , 
»*  mais  que  c'eft  une  folie  de  Te  tourmenter 
w  par  des  peines  qui  ne  remédient  point  à  nos 
w  maux.  Certainement  je  ferois  fâché  ,  que 
w  vous  allalTiez  en  l'autre  monde,  fans  avoir 
»^  fait  le  facrifice  de  ma  vie  entre  les  mains 
93  de  la  faintc  Vierge.  O  mon  Seigneur  ÔC 
s»  mon  Dieu ,  que  la  difpofition  contraire 
«  où  je  vous  vois ,  me  fait  de  peine  ?  Je  vous 
9J  ai  déjà  tant  exhorté  à  cette  foumiffion  au 
«bon  plaifir  de  Dieu.  Faites-le  donc,  ma 
»  chère  fille  ,  ce  facrifice  ,  &  faites-le  de 
îj  tout  votre  cœur?  Foulez  aux  pieds  la  natu- 
9i  re  ,  qui  viendra  s'y  oppofer ,  6c  vous  dire, 
»>  qu'un  autre  ne  prendra  pas  foin  de  vous 
V  comme  moi.  Eh  qui  me  donne  les  mouvc- 
9i  mens  de  charité  pour  vous  ,  ma  cherc 
5' fille,  finon  la  divine  Providence  ?  N'efl- 
9;  elle  pas  toute-puiflante ,  pour  les  donner 
93  a.  un  autre  ,  comme  à  moi  ?  Je  vous  ailurc 
93  de  fa  part,  fans  aucun  doute,  qu'on  aura 
93  foin  de  vous ,  comme  auparavant.  » 

Je  ne  fçais  fi  ces  dernières  paroles  furent 
la  dernière  prédidtion  de  notre  faint  Prêtre  : 
mais  je  fçais  que  l'événement  les  vérifia.  A 
peine  Boudon  eut-il  les  yeux  fermés,  que 
cette  Dame,  quifecroyoit  perdue,  trouva 
en  la  perfonne  d'un  des  amis  du  grand  Aiv 
chidiac*e,  un  homme  ,  qui  formé  à  fon 
çcolc ,  ÔC  nourri  de  fes  principes ,  faifitpac- 


zU  La    Vie 

...■  •    M  faitement  le  fore  ôc  le  foible  de  fa  nouvelle 
i6^9«   pénitente,  &laconduifît  par  la  voie  où  la 

&fiuT.  Providence  l'avoit  fait  entrer. 

Des  occupations  fi  ferieufes  ne  rétablif- 
foient  point  la  fanté  du  ferviteur  de  Dieu. 
Aufli  baiflbit-il  tous  les  jours  -,  ôc  vers  le  mois 
d'Odobrede  Tannée  1700  ,  il  fc  vit  réduit 
à  garder  la  chambre,  plus  qu'il  n'avoit  fait 
jufqu'alors.  11  avoit ,  comme  nous  l'avons 
dît ,  un  grand  attrait  pour  la  folitude ,  il  eut 
tout  le  loifîr  de  la  goûter  jufqu'au  dernier 
moment  de  fa  vie.  /<?  vis  à  Evrettx  comme 
nn  Hermite ,  écrivoit-il  à  un  Magiflrat  "*"  qui 
lui  donnoit  quelquefois  une  chambre  , 
quand  il  venoit  à  Paris  jy^  n*m  ni  ferviteur^ 
nifervame  :  à  Texception  de  ceux  qui  par 
charité  prennent  foin  de  mes  befoins  ,  pref- 
que  perjvnne  ne  me  vient  voir, 
^  Cette  profonde  folitude  ,  qui  de  quelque 
coté  qu'on  l'envifage  ,  ne  iaiflc  pas  d'être  af- 
fligeante ,  n'avoit  rien  d'ennuyeux  pour  lui. 
C  eft  que  fa  couver fation  étoit  dans  ce 
délicieux  féjouc  ,  où  il  n'y  a  ni  dégoût ,  ni 
amertume  j  ôc  qu'il  s'entietenoii  fans  cefle 
avec  ces  bienheureux  Citoyens  du  Ciel ,  avec 
lefquels  il  s'attendoit  de  chanter  les  louan- 
ges Ôc  les  miféricordes  de  fon  Seigneur.  A 
l'égard  de  fes  maux ,  il  ne  s'en  occuppoic 
que  le  moins  qu'il  lui  etoir  polTible.  Il  re- 
gardoit  comme  préjudiciable  au  corp<>  ôc  à 
i'ame  le  retour  fréquent  qu'un  malade  fait 

*  Ce  vertueux  Magiftrat  étoit  M.  Thomas  ,  Coiifeiilec 
au  Châtelet  ,  dont  on  a  déjaparré  plus  d'une  fois. 


DE  M.  BouDON.  Liv.  IL        2S7 
fur  lui-même  &  iUr  fcs  infirmités.  »*  Notre  ■■ 

fecours ,  difoit-il ^  cft  au  nom  du  Seigneur  :  }^p.' 
«  c'eû-là  que  nous  devons  le.  .r  les  yeux. 
»>  L'Oraifon  doit  erre  notre  refuge  en  tous 
»>  nos  befoinsj  &  Tentier  oubli  de  nous-mê- 
"  mes ,  la  grande  pratique  de  l'état  où  nous 
w  fommcs.  Ah  !  il  nous  faut  aller  avec  une 
«  fainte  joie  dans  le  pays  de  Dieu  feul:  de 
"  gré  ou  de  force  ,  tout  le  monde  recon- 
5i  noîtra  un  jour ,  qu'il  eft  le  grand  tout ,  & 
5»  Tunique  tout.  » 

La  vue  continuelle  de  l'érernité  où  il  al- 
loit  entrer ,  augmentoit  en  lui  le  mépris , 
qu'il  avoir  toujours  fait  du  monde.  «  O ,  /'/- 
•>»  crioitAL ,  queHe  grâce  d  en  être  féparé  !  O, 
5J  heureufe  mort ,  qui  nous  en  éloigne  pour 
»  toujours  !  O  5  qu'il  fait  bon  de  n'avoir  ja- 
"  mais  eu  de  commerce  avec  lui  !  Le  monde 
«  efl  tout  peftiféré-.il  eft  difficile  de  s'y  arrêter 
>3  fans  encontradler  la  contagion.  Pour  nous, 
5i  nous  dirons  &  nous  dirons  avec  le  Pro- 
"  phéte  :  llm'efi  bon  de  m  attacher  â  Dieu, 
9»  &  de  mettre  en  lui  toute  ma  confiance^  » 

Une  des  chofes,  qui  dans  ces  derniers  tems 
le  raffuroit  davantage  ,  c'étoit  le  fouvenir 
de  la  pauvreté  dans  laquelle  il  avoit  vécu  , 
des  opprobres  dont  il  avoit  été  enivré,  6c 
en  particulier  du  mépris  qu'il  avoit  effuyé  , 
pour  avoir  foutenu  la  glciic  de  la  Mère  de 
Dieu,  &  le  glorieux  privilège  de  fa  Coiv 
ccption  immaculée.  Ce  mépris  éroir  à  ît^ 
yeux  une  faveur  ineftirnah--  .S:  il  ^e  felaf- 
foit  point  de  le  répéter.  Quand  la  dévotion 


iSg  La    Viî 

•  à  la  faintc  Vierge  ne  ferviroît  qu*à  rendre 

iiùlv,  ^^^  rerviceurs  aufll  tranquilles  à  l'henre  de  la 
mort ,  que  l'a  été  notre  pieux  Archidiacre, 
en  faudroit  il  davantage  pour  s'efforcer  de 
la  nourrir  en  foi ,  &  de  linfpirer  à  tous  les 
autres  ? 

Cependant ,  comme  il  crut  que  fon  mal 
pourroit  traîner  en  longueur  j  Se  qu'eu  égard 
à  fa  violence  il  jugea  bien  ,  que  déformais 
il  lui  feroit  impoiTiblc  de  remplir  les  fonc- 
tions de  fon  Archidiaconé ,  il  penfa  à  s'en 
démettre.  Peut-être  auroit-ilpu  s*en  faire 
honneur  auprès  de  fa  famille ,  &  fe  choilîr 
fur  le  grand  nombre  un  fucceflcur ,  qui  au- 
roit  bien  valu  quelques-uns  de  ceux  qui  Ta- 
voient  précédés.  Mais  cet  homme  qui  n'étoit 
né  ,  ni  de  la  chair ,  ni  du  fang ,  ôc  qui  pen- 
dant toute  fa  vie  avoit  méconnu  l'un  ôc 
l'autre ,  étoit  bien  éloigné  ,  rout  prêt  à  pa- 
roitre  devant  Dieu  ,  d'en  fuivre  lesimpref- 
fîons.  Le  plus  digne  Ecclénaflique  qu'il  con- 
nut 5  fut  celui  fur  qui  il  jetta  les  yeux.  J  ef- 
pere ,  écrivoit-il  avec  fon  humilité  ordinai- 
re ,  que  M.  Guillaume  Amey  "^  ,  qui  veut 
bien  fe  charger  de  ma  place  ,  réparera  les 
fautes  que  fy  ai  faites. 

Il  fcmbloit  qu'après  un  fi  bon  choix  & 
tant  d'épreuves, il  ne  relloit  à  ce  digne  Prêtre 

•  Il  étoit  Prêtre  du  Diocèfe  de  Bayeux  ,  Dodeur  en 
Théologie  de  la  faculté  de  Caën.  M.  Boudon  ne  fît  faré- 
fignation  en  Cour  de  Rome  ,  qu'avec  Pagrément  de  M. 
l'Evâque  de  Laon,  dont  il  avoit  befoin ,  parce  que  fon 
Archidiaconé  lui  tenoit  lieu  de  titre.  Guillaume  Amey 
«nprit  f  OiTeffion  le  22.  Août  17C1. 

de 


DE  M.  BOUDON.  Liv.  II.  itfi 

cîc  J.  C.  qu'à  enrendre  ces  paroles  :  Courage      ' 
bon  &fidéleJerviteMr  ,  ilefi  tems   que  vous  ^^'j^q,. 
entriez^  dans  la  joie  que  votre  Maître  vous  a 
préparée.  Mais  il  avoir  encore  d^s  aflaiirs  à 
fourenir,  &  des  victoires  à  remporter.  Après 
avoir  fait  ,  fuivant  fa  pieufe  coutume ,  de- 
puis le  jour  des  SS.  Innocens  jufqu'à  TEpi- 
phanie  ,  une  neuvaine   pour  demander  à 
DieurérablifTement  de  fon  règne  dans  roue 
rUnivers,  il  fe  trouva  fi  mal  le  jour  dQS 
Rois ,  que  le  Médecin  lui  déclara  tout  uni- 
ment qu'il  étoit  en  danger  de  mort.  Cette 
nouvelle  ,  fi  terrible  pour  tant  d'autres ,  ôc 
qui  ne  doit,  ce  me  femble ,  s'annoncer  qu  a- 
vec  quelque  forte  de  précaution ,  ne  l'ef- 
fraya point.  Il  en  remercia  fur  le  cham^p  la 
divine  Providence.  Hélas  !  dit-il ,  que  Us 
maux  quelle  nous  envoyé ^  font  de  grands 
biens  ;  que  fon  f^int  nom  foit  béni. 

Il  nefalloit  rien  moins  qu'une  foumilTion 
comme  la  fienne  pour  porter  en  paix  l'é- 
norme  volume   des  douleurs     qui   l'acca- 
bloienr.  Des  rhumaiifmes  continuels ,  àz% 
fluxions  fur  les  yeux,  àts  coliques  fréquen- 
tes ,  ^  une  foiblelTe  à  ne  pouvoir  fe  foutenir  , 
fon  âge  de  près  de  80  ans ,  dont  environ  70 
s'ctoient  paffés  dans  la  peine  ,  les  mortifica- 
tions ,  &  un  travail  exceffif  :  tant  de  mifercs 
réunies,  eu  furchargeant  la  nature,  pou- 
voient  altérer  la  tranquillité  de  l'am.e.  Mais 
heureux,  &  trois  fois  heureux,  celui  qui 
pendant  fa  vie  a  été  fenfibîe  aux  befoins 
Ipiritueis  ^  temporels  du  pauvre  «S:  de  l'a^^ 

N 


49^  ï-^     Vit        ^ 

fligé  :  Dieu  le  foutiendra  au  )our  de  le- 
preuve  *  j  s'il  ne  l'en  délivre  pas ,  ce  ne  fera 
que  par  miféricorde  j  ôc  pour  la  lui  rendre 

falutaire. 

Boudon  en  fit  une  heureufe  expérience. 
Ses  douleurs  étoient  fi  violences ,  fi  conti- 
nuelles, qu'il  avouoit  ingénuement  que  fans 
une  fpéciale  protedion  de  Dieu  ,  il  fe  li- 
vreroit  à  l'ennui ,  au  chagrin  ,  à  rimpatien- 
ce  «  Mais  grâces  à  Dieu  ,  ajoutoit-tl ,  ]e  fuis 
>,  content  dans  ma  fituationJe  paffe  les  jours 
«  &  les  nuits  fort  paifiblement ,  fans  même 
«  que  les  heures  me  paroiffent  longues.  C'eft 
,,  par  votre  miféricorde  ,  ô  mon  Sauveur , 
y.  que  je  fuis  ce  que  je  fuis  i  c'eft  a  elle  que 
«  je  fuis  redevable  de  n'être  pas  perdu.  » 

Sa  vertu  ne  fe  bornoit  pas  à  la  patience  ; 
elle  alloit  jufqu'à  la  fainte  joie  des  enfans  de 
Dieu  jufqu'à  la  plus  tendre  reconnoifiTance. 
A  ces 'paroles ,  que  les  malades  entendent  fi 
fouvent  :  Et  bien,  mon  cher  Monfieiir , 
comment  allez.-vous  ?  il  répondoit  par  cel^ 
les-ci  :  Je  fuu  l'un  mal ,  Dieu  maci  ;  mais 
que  le  Seigneur  fitt  béni ,  fa  fainte  Mère 
Us  bons  Anges  ,  &  tous  les  Saints.  Expref- 
fions  qui  lui  étoient  fi  familières  ,^  qu  il  faut 
prefque  toujours  lesfuppofer,  ou  nous  nô 
ks  mettons  pas. 

On  lui  annonça  pendant  fa  maladie  là 
^ort  de  M.  de  Bernieres  Doyen  de  Qiie- 
bec,  &  neveu  de  cet  illuftre  &  refpcâiablc 

•  «  Beatus  ,  qui  intellîgit  furer  egenum  &  pauperem  s. 
piadiemalâ  libcrabit  eum  Dominus.  PjaLm.  4°. 


DE  M.  BOUDON.  Liv.  II.  29T 

Thréforier  de  France  ,    dont  nous  avons  -*—■•• 
pailé  ailleurs.  Hélas  ^  dit- il   à  cette  nou-  ^^^jq^ 
velle ,  nos  a-mi  s  s'en  vont ,   tous  ont  dfparH  , 
6"  J€  refte  encore  fur  i^  terre  ,  m'if érable  q^uç 
jejuis,  Mukùm  incola  fuit  anima  mea. 

Ce  qui  le  fortifioic  le  plus  dans  Tes  fouf- 
frances ,  c'étoit  d'un  côté  la  vue  continuelle 
de  Jefus-Chrill  crucifie  ,  &  de  l'autre ,  un 
à^Çir:  ardent  de  rendre  ,  autaiK  qu  il  le  pou- 
voit ,  fa  mort  conforme  à  la  Tienne.  «  Ahl 
»'  difoh-il  ,  s'il  m'éroit  donné ,  comme  au 
"  pieux  Henri  de  Suzo"^  ,  dont  je  porte  le 
»  nom,  qu'après  avoir  tant  de  fois  dit  :  Dieu 
>»feul ,  il  n'y  eut  plus  à  l'inflant  de  ma  mort 
«  que  Dieu  dans  ma  chétive  perfonne  j  que 
"  je  ne  vécufTe  plus  de  ma  propre  vie  ,  mais 
"  uniquement  de  celle  de  J,  C.  Vivit  ver 9 
»  in  me  Chriftus  \  quel  bonheur  ,  quelle 
»'  confoîation  !  O ,  l'heureux  état  que  celui 
»  où  J.  C.  eil  tout  &L  en  toutes  chofes  :  Chri- 
^fius  omnia  &  in  cmnibus.  Ah  1  que  f  écris 
>•  &  que  je  prononce  ces  paroles  de  grande 
»*  volonté  !  Faites ,  divine  Merc  ,  que  je  ne 
3'  compte  plus  les  jours  de  l'Homme-,  Diem 
»  hominis  non  defideravi.  Je  veux  le  dire  de 
"  toutes  mes  forces  -,  &  j'ajouterai  avec  un 
"  autre  Prophète  ,  que  comme  le  cerf  fou- 
»  pire  avec  ardeur  après  la  fource  des  eaux, 
»  mon  ame  foupire  après  vous,  ô  mon  Dieul 
»  Sitio  yjïtio  y/itio.  J'ai  une  foif  brûlante  de 

•  Henri  de  Snzo  ,  de  l'Ordre  de  S.  Dominique  ,  mourut 
le  15  Janvier  de  i'aanée  1565. 

Nij 


i/oz. 


l9i  La  Vu 

»  lepofledcr,  mon  Dieu  ,  &  cette  foif ,  je 

«  ne  veux  point  en  être  délivré.  » 

De  fi  beaux  fentimens  étoient  parfaite- 
ment foutenus  par  le  refîe  de  fa  conduite. 
En  revenant  de  l'Eglife  la  dernière  fois  qu'il 
y  célébra  les  faints  Myf^eres,  il  donna  fes 
fouliers  à  un  pauvre  qui  n'en  avoit  point.  Il 
y  avoitvingt  ans  qu'il  ne  mangcoit  point  de 
fruit ,  il  mortifia  ce  genre  de  mortification 
parobéififanccau  Médecin.  Vingt  fortes  de 
remèdes ,  qui  n'avoient  fervi  qu'à  l'arrêter 
au  lit  des  mois  entiers ,  ne  l'empccherenc 
point  d'en  prendre  de  nouveaux ,  précifé- 
ment' parce  qu'ils  lui  étoient  ordonnés.  Il 
communia  fept  fois  en  Viatique  pendant  fa 
maladie.  Il  craignoit  beaucoup  de  ne  le  pou- 
voir faire  dans  les  derniers  momens  à  caufe 
d'une  toux  violente,  dont  il  étoit  accablé. 
JUais ,  à  peine  le  faim  Sacrement  fut-il  en- 
tré dans  fa  chambre  ,  que  cette  incommodité 
cejfa  :  Se  il  communia  fort  tranquillement. 
11  eft  inutile  d'obferver  qu'il  le  fit  à  fon  or- 
dinaire ,  c'e/l-à-dire,  avec  ces  tranfports  d'a- 
mour ,  qui  font  la  fuite  naturelle  d'une  foi 
vive  de  lumineufe.  Ces  fentimens  fe  fuppo- 
fent  dans  un  homme  qui  voyoit  l'Invifible  , 
comme  s'il  fe  fût  montré  face  à  face.  Ils  pa- 
rurent ,  ces  fentimens  chrétiens ,  d'une  fa- 
çon fi  touchante ,  lorfqu'il  reçut  le  Viatique 
la  première  fois ,  que  plufieurs  des  Cha- 
noines ,  qui  l'avoient  accompagné,  en  furent 
attendris  jufqu'aux  larmes.  Et  voilà  cet 
homme ,  dont  un  calomniateur  ofa  rendre 


DE  M.  BOUDON.  Liv.  IL  l^i 

fiifpecte  la  foi  3c  la  piété  au  fujet  de  TEu-  -    ■■ 
charillie.  '^o^' 

Le  Médecin  lui  ayant  une  féconde  fois 
annoncé  que  fon  dernier  moment  s'avan- 
çoit  à  grands  pas,  cet  aimable  Se  vertueux 
mourant  le  remercia  du  foin  qu'il  avoit  bien 
voulu  prendre  de  lui.  II  en  ufa  de  même  à 
l'égard  de  quelques  autres  perfonnes ,  qui 
Tavoient  allillé  dans  fa  maladie.  Il  lit  écrire 
de  côté  &  d'autre  à  fes  amis,  pour  leur  fai- 
re part  de  cette  bonne  nouvelle,  &  fe  recom» 
mander  à  leurs  prières.  Puis  emporté  par  le 
torrent  du  faint  amour  ,  de  cet  amour  qui 
ctoit  plus  fort  en  lui ,  que  la  mort  même 
qui  le  pourfuivoit  de  fi  près  :  »  Ceft  à  pré- 
>»  fent,  s'écria-t'il ,  que  je  me  vois  entre 
«  les  mains  de  la  Providence,  ma  très- bon- 
«*  ne  ôc  très-douce  Mcre  :  c'eft  à  préfent  que 
»  je  dépends  d'elle  entièrement.  Ce  qui  me 
9>  donne  une  confoïation  ineffable ,  c'eil:  que 
»>  tous  les  moyens  humains  me  manquent. 
'y  Je  puis  dire  en  vérité  :  Dieu  feul ,  &  tou- 
»  jours  Dieu  feul ,  en  Tunion  de  notre  bon 
93  Sauveur,  le  Sauveur  de  tous  les  hommes." 

Il  récita  fon  Office  jufqu'au  Samedi  qui 
précéda  le  jour  de  fa  mort*  Pour  y  fuppléer 
en  quelque  forte ,  de  s'armer  pour  le  com- 
bat des  derniers  momens ,  il  fe  fit  apporter 
les  Reliques  de  quelques  Saints,  qu'il  avoic 
toujours  fpécialement  honorés  :  &  comme 
au  fortir  d'une  grande  foiblefle  ,  il  eut  ap- 
perçu  que  fa  chambre  étoit  pleine  de  mon- 
de ,  il  adreflâ  à  un  Eccléfiaftique  ,  qui  ccok 

Niij 


1^4  I-  A    Vie 

^  auprès  de  lui ,  ces  paroles  qu'il  ne  ponvoît 
^^**'  plus  faire  entendre  à  la  compagnie  :  ««  Dites 
»»  à  ces  MefReurs ,  que  je  les  exhorte  de  tout . 
*y  mon  cœur  à  fervir  &  à  aimer  Dieu  de  tou- 
»>  tes  leurs  forces  j  &  que  dans  la  Région 
•>  de  Dieu  feul ,  où  je  vais ,  on  reconnoît , 
>3  de  fouvent  trop  tard  ,  qu*ii  n'y  avoit  que 
«  cela  à  faire  dans  le  monde.  »*  Enfm  com- 
me on  lui  eut  demandé  s'iln'avoit  befoin  de 
rien  :  Non  ,  répondit-il  ,  je  ne  veux  plus  que 
Dieutoîitfeul  y  tomfeuL  Ce  furent  fes  der- 
nières paroles.  Un  moment  après  il  expira 
le  Jeudi ,  dernier  jour  d'Août ,  fur  le  midi. 
Il  étoit  dans  la  foixantcdix-neuviéme  année 
de  fon  âge. 

Dès  que  le  bruit  de  fa  mort  fe  fut  répan- 
du ,  on  vit  tout  Evreux  fondre  dans  fa  mai- 
fon  ,  comme  pour  réparer  par  un  hom- 
mage volontaire  ,  le  peu    d'égards  qu'on 
avoit  eu  pour  lui  dans  le  tems  de  fa  perfé- 
cution.  Les  grands ,  aufTi  bien  que  les  petits 
révérèrent  comme  un  faint  ,  cet  homme 
que  la  calomnie  leur  avoit  fait  regarder  com- 
me un  malheureux  ,  indigne  de  vivre.  C'é- 
toit  à  qui  lui  baiferoit  les  pieds  &:  les  mains , 
à  qui  pourroit  fe  faifir  de  quelque  chofe  qui 
lui  eût  appartenu  ,  à  qui  lui  feroit  toucher 
àts  linges  &:  des  Chapelets.  On  ne  fe  laflbit 
point  de  voir  ce  corps  ,  qui  étoit  le  tem- 
ple de  TEfprit  faint  \  Ôc  qui ,  à  peu  près  com- 
me celui  de  faint  Paul ,  portoit  encore  les  glo- 
rieufes  marques  de  J.  C.  Enfin  le  concours 
du  peuple ,  qui  venoit  à  flots  dans  fa  cham- 


DE  M.  BouDow.  Liv.  IL       195 
bre ,  fut  fi  grand  ,  qu'il  fallut  en  laiffer  la  — -^ 
porte  ouverte  jufqu'à  onze  heures  du  foir.    *7o»» 

Il  y  eut  entre  les  Chanoines  de  la  Ca- 
thédrale ôc  les  Directeurs  du  Séminaire  une 
picufe  conteflation  à  qui  auroit  fon  corps. 
Ceux-ci  dévoient  leur  étabUfTement  à  fes 
inftances  j  &  d'ailleurs  il  les  avoir  priés  par 
fon  teftament  *  de  l'enterrer  fous  les  degrés 
du  grand  portail  de  leur  Eglife.  Ceux-là^ 
Favoient  vu  occuper  pendant  plus  de  45 
ans  une  des  premières  dignités  de  leur  Ca- 
thédrale.C'étoient  des  droits  départe  d'au-* 
tre ,  ôc  la  cupidité  n'y  entroit  pour  rien  : 
Jacques  Potier  de  Novion  ,  qui  pour  lors 
ctoit  Evéque  d'Evreux ,  termina  le  diffé- 
rend. Il  adjugea  le  corps  au  Chapitre,  ôc 
le  cœur  au  Séminaire.  Les  obféques  du  dé- 
funt fe  firent  le  lendemain  avec  toute  la  fo- 
lemnité  pofTible.  Il  fut  enterre  dans  la  Cha- 
pelle dGS  SS,  Anges  "^  ,  au  pied  de  ce  même 
Autel ,  où  depuis  tant  d'années  il  célébroic 
fî  religieufement  les  divins  Myûcres.  Pour 
ce  qui  eft  de  fon  cœur ,  il  fut  placé  à  côté 
de  la  Chapelle  de  S.  François  de  Sales ,  dans 
un  lieu  élevé  j  d'où  il  femble  encore  an- 
noncer ,  &aux  jeunes  Eccléfiafliques  qui  fc 
forment  dans  cette  Maifon ,  ôc  aux  fîdéics 
qui  vont  y  prier,  qu'il  n'y  a  que  Dieu  fcul 

*  Ce  teftament  eft  du  13  Août  1702. 

**  On  la  nommoit  avant  M.  Boudon  la  Chapelîé 
Àe  S.  Jacques.  L'aiTociation  qu'il  y  a  établie  en  Thonneut 
^es  SS.  Anges ,  lui  a  fait  changer  de  nom.  Son  corps  y 
repofe  fous  le  marche- pied  de  TAute].  C'eft  dans  ccKC 
Chapelle  qu'il  ccnfe/Toit  ,  &  qu'il  dtfoi:  la  Meflè, 

Niv 


1^5  La    V I ï 

^^    ■  qui  mérîre  d'être  fervi  6c  d'être  aimé.  On  y 
'^°*'    a  depuis  quelques  années  mis  cette  infcri- 
ption, 

/.    M,   /. 
SOLI   DEO. 

Hic  quiefcit 
Cor 
Venerahîlh  Sacerdotis  Henrici  -  Marié 
B  o  u  D  o  N  , 
DoSioris  Theologi  ,  Archidiaconi 
Eh'oicenfîs. 
Cor 
Jifu  &  Mariit  immacuîatdt,  &  SS. 
Angelis  devotijjimum. 
In  variis  trihulanombus  patientijfimum  ^ 
In  caritateperfefiitmy 
Pretîofum  depofttum  , 
'Unie  Templo  facratifflmo  Cordi  dicato , 

Legavit  moriens  vir  jiixtà  cor  Dei. 
Cuifemper  in  mente,  in  ore  ,  infcriptis, 

Solus  DeiiSy  [dus  Deuf  ,  folus  Deits, 

Ohiit  pridie  Kalendas  Septemhris  anno 

M.  D,  ce,  IL  JEtatii  LXXIX, 

Cœur  de  M.  Boudon  ,  en  qui  l'Amour 
divin  a  triomphé  par  la  Croix, 

La  calomnie ,  qui  devroit  au  moins  s'é- 
teindre avec  ceux  qui  ont  été  l'objet  de  fa 
fureur  ,  ne  cefla  pas  de  pourfuivre  ce  ver- 
tueux Prêtre  après  fa  mort.  Il  eil  vrai  qu'un 
de  (es  perfécuteurs  demanda  les  lar- 
mes au;c  yeux  quelque  chofe  qui  eût  appar- 


Bs  M.  BouDON.  Liv.  II.  15^7 
tenu  à  ce  refpeclable  défunt  :  mais  il  cil  — 
vrai  auili  qu'il  y  ciu  des  gens  afTez  peu  fa-  ^^^*' 
ges ,  pour  dire  hautement  que  fi  f  on  tra- 
vail loir  un  jour  à  fa  Canonifation  ,  il  fe 
trouveroit  des  Contradicteurs ,  qui  fçau- 
roient  bien  Tempccher.  Qu'il  fe  trouvât 
des  Contradicteurs ,  qu'il  fc  trouvât  mém.e 
des  gens  capables  de  fe  faire  des  Saints  a  leur 
mode  ,  &  de  décrier  fans  pudeur  là  mémoi- 
re de  ceux  que  l'Eglife  leur  préfenteroit  ; 
c'ell:  de  quoi  nous  ne  doutons  point.  Mais 
que  ces  hommes  de  ténèbres  euffent  aflez 
de  crédit ,  ou  pour  fufpendre  Tœuvre  de 
Dieu  dans  les  miracles  ,  ou  pour  empéchex 
que  ces  miracles  ne  hlTent  imprelTion  fur  le 
Siège  Apoilolique  i  ceit  de  quoi  nous  dou- 
terons long  tem.s. 

Quoi  qu'il  en  foit  de  leur  projet ,  &  diî 
motif  qui  les  porter  oit  à  Texécuter ,  nou5 
pouvons  contrebalancer  leur  témoignage 
par  celui  d'un  nombre  de  perfonnes ,  à  qui 
ces  fiers  ennemis  de  l'Eglife  3c  de  la  vertu 
n'oferoienr  fe  com^^arer. 

Nous  ne  parlerons  ni  de  îa  Cour  de  Ea- 
viere  -^ ,  ni  de  la  DucheiTe  d'Orléans ,  ni 
même  de  la  Reine  de  Portugal ,  qui  l'ho- 
norèrent conilammentde  leur  affection  ,  Ôc 
dont  les  deux  dernières  prirent  la  peine  de 
s'intéreilerà  fa  difgrace.  Henri  deMaupas, 
fon  Evêque ,  &  l'homme  du  monde  qui  doit 

♦  Lar  Ducheffe  de  Bavière  démarra  le  Scapu-àire  de  hi. 
Foudon  après  fa  mort.  Plufieurs  autres  perfonnes  de  di-* 
ôinélion  le  firent  honneuj  d'avoir  que^ue  choie  qui  €ut  é;é. 
àfonulaffe, 


^9^  La  Vie 

■  êcrc  le  moins   fiifpcdl  fur  le   compte  du 

170a.  grand  Archidiacre  ,  fera  le  premier  que 
nous  cirerons  en  fa  faveur.  Nous  avons  die 
que  ce  pieux  Evtquc  reconnut  enfin  l'in- 
nocence de  M.  Boudon  -,  mais  nous  n'avons 
pas  ajouté,  que  lenfîblenicnt  affligé  de  fa 
conduite  pailée ,  il  publioit  par  -  tout  qu'on 
Tavoit  indignement  furpris  par  les  fauiletés 
qu'on  avoit  avancées  contre  fon  Archidia- 
cre j  que  c'étoit  un  des  plus  vertueux  Prê- 
tres ,  qui  cufleiit  jamais  été  dans  TEglife  ^  Ôc 
qu'on  ne  pouvoit  lui  faire  aflcz  d'honneur, 
pour  re parer  l'injure  qui  lui  avoit  ité  faire. 
Or  de  quel  poids  ne  doit  pas  être  une  ré- 
tradation  û  publique  ,  &  qui ,  eu  égard  aux, 
premiers  préjugés,  n'a  pu  être  fondée  que 
fur  l'évidence? 

Tout  le  Diocèfe  a  fçu  l'ertimcfinguliere 
que  M.  de  Novion  faifoit  de  lui  ,  lacon- 
£ance  qu'il  avoit  en  fes  lumières ,  Se  le  plai- 
fir  avec  lequel  il  l'admit  à  fa  table  ,  tant 
qu'il  fut  en  état  de  marcher. 

Jean  le  Normant ,  fon  fuceefTeur ,  qui 
d'un  des  plus  habiles  Officiaux  du  Royau- 
me, devint  un  des  plus  fçavans  Evêques. 
qu'ait  eu  TEglife  de  France ,  peut  être  en- 
core mis  au  nombre  de  ceux  qui  ont  rcnda 
juflice  à  ce  vertueux  Prêtre.  Cefl  de  lui 
qu'on  a  fçu  que  M.  de  Maupas  ne  pouvoir 
parler  plus  avan'-ageufement  du  grand  Ar- 
chidiacre ,  qu'il  le  faifoit  fur  la  fin  de  Cqs 
jours  ^  &  que  non  conten»-  d'é^rc  devenu 
fon  proredeur ,  il  s'ccoit  fair  fon  panégy- 
riHe. 


DE  M.  BouDON.  Cîv,  IL  299 
François  de  Ncfmond  ,  qui  pendant  plus  «a— 
c!e  cinquante  années  fut  rornement  de  l'E-  *7°*' 
glile  de  Bayeux  '>^ ,  écoit  trop  ami  de  la  ver- 
tu pour  ne  pas  admirer  celle  de  notre  faine 
Prêtre.  Comme  il  fçut  que  fes  infirmités  l'o- 
bligeoientà  garder  la  chambre,  il  voulut , 
au  forcir  de  rAlTembléc  de  1700.  pafler  par 
Evreux  ,  ôc  lui  rendre  vifite.  îl  entra  dans 
fon  miférable  réduit  avec  ks  Eccléfiafti- 
ques  -,  &  après  avoir  longrems  prié  à  ge* 
noux  auprès  de  fon  pauvre  grabat ,  il  Ten- 
couragea  à  fouffrir  fes  maux  avec  patien- 
ce j  à  fe  rappeller  le  touchant  exemple  de 
cettfAlere  de  douleurs,  qui  fur  le  Calvaire 
partagea  celles  de  fon  Fih  bien  -  aimé  ;  &c 
enfin  à  compter  beaucoup  fur  le  fecours  que 
donnent  les  SS.  Anges ,  à  ceux  qui  ont  ea 
de  la  dévotion  pour  eux.- 

Nous  fupprimons  les  témoignages  d« 
bienveillance  ,  d'eftime  ,  de  vénération^iié- 
me ,  que  lui  ont  donne  en  France  &  hors^ 
de  France  les  plus  grands  &  les  plus  reli- 
gieux Prélats  qui  fuflent  alors.  Je  remar- 
querai feulement ,  que  lorfqu'il  demandai 
M^  l'Abbé  Bignon  un  Cenfeur  pour  fon- 
dernier  Ouvrage  ,  qui  étoit  le  Chrétien  in^ 
connu  3  ce  Mécène  des  Sçavans ,  dont  tant 
de  plumes  ont  célébré  la  mémoire  ,  le  traita 
avec  une  diltindion  li  marquée  ,&  lui  parla 
en  des  termes  fiobligeans,  qu'un  bon  ami 
de  l'Archidiacre ,  qui  connoiffoit  fa  pro- 

*  Ilfutnoniiiié  ©iM65g,  imii  «n  366a.  &  moofui  ca 

'*^^'  ^T      - 


500  L  A    V  I  f 

"  -  ■  fonde  humilité ,  avoue  qu'il  en  fouffroît 
'^^**  pour  lui.  Boudon  en  fouffiic  bien  davanra* 
ge  i  &  cen  homme  qui  ne  relloit  jamais 
coure ,  lorfqu'il  falloit  remercier  d  une  in- 
jure ,  ne  répondit  à  une  politefle  ,  que  par 
lefiience  &  un  grand  air  de  confuAon. 

Mais  comme  les  louanges  qui  fe  donnent 
après  la  mort,  portent  un  caradtere  de  vrai, 
que  l'idée  de  Tadulation  &  de  l'intérêt  ne 
peut  affoiblir  ,  nous  ne  pourrions ,  fans  faire 
rort  à  fa  gloire ,  fupprimer  entièrement  cel- 
les qui  lui  furent  prodiguées  ,  quand  on  eue 
appris  que  Dieu  en  avoit  diîpofé.  En  géné- 
ral ,  le  premier  mouvement  fut  un  m^j-ive- 
ment  de  douleur,  mais  de  cette  douleur  , 
qui  ne  verfe  que  des  larmes  adoucies  par  la 
plus  folide  cfpérance.  La  Capitale  &  les 
Provinces  le  pleurèrent  ,  mais  comme  on 
pleure  les  Saints.  Tant  de  Communautés 
Séculières  ôc  Régulières  ,  qu'il  avoit  for- 
mées à  la  plus  folide  vertu  >  tanc  de  per- 
fonnesdela  premitve  condition,  à  qui  U 
avoir  appris  à  marcher  dans  l'étroit  &  ri- 
goureux fentier  qui  mené  à  la  vie  ,  ne  ver- 
ferent  fur  lui  que  des  pleurs  mêlés  d'éloges 
êc  d'admitanon.  Les  unes  gémifToient  fur  la 
perte  que  faifoit  lEglifej  les  au^  tes  fur  celle 
qu'elles  faiibient  elles  mêmes  d'un  Dire- 
éleur  fl  fage ,  il  éclairé  i  pludeurs  ôc  prcfque 
toutes  fur  lapiivadon  de  ces  difcours,qui 
poitoient  fi  puilTamment  au  divin  amour. 

Les  Carmélires  de  Ponreau  de-mer ,  dont 
îl avoit  éta  Supérieur,  placèrent  Ton  poi:- 


K^,. 


DE  M.  BouDOK.  Liv.  IL       501 

trait  dans  un  peric  Oratoire  ,  pour  Tinvo-  - 
quer  dans  leurs  belbins ,  &  lui  demander  ^^ 
que  dans  te  ciel  iljât  leur  Pcre  ,  comme  il 
l'avait  été  fur  la  terre.  Le  Supérieur  des 
Marhurins  ,  qui  le  connoilToit  à  fonds ,  en 
apprenant  (on  décès ,  regarda  fa  perte  com- 
me une  des  plus  grandes  que  l'Eglife  pÙE 
faire  Le  père  Dupuvs  ,zélé  Millionnaire  de 
laC.de  J.  bai  fa  par  refpect  le  pavé  de  la 
chambre  où  il  étoit  mort.  N.  de  Mélian  , 
ancien  Evêque  d'Aler  qui  avoit  étudié  avec 
lui,  fe  faifoit  un  plaifir  de  raconter,  que 
dès  ce  temps-là  il  n'enrretenoit  les  Condif- 
ciples  que  de  Dieu  [cul ,  &  de  la  dévotion  à 
lu  fainte  Vierge  :  W  ajouroit  que  ce  digne 
Prêtre  avoir  rendu  à  TEglife  de  grands  fer- 
vices.  M.  de  Laval ,  Evêque  de  Qucbec,  qui 
Lavoir  plus  pratiqué  qne  perfonne,  en  féli- 
citant un  pieux  Gonfeilîer  du  Châreier  de 
ce  qu'il  étoit  à  portée  de  vjfirer  à  Evreux  le 
tombeau  de  ce  cher  Défunt  ^  fait  de  lui  en 
deux  mots  un  éloge  complet  ,  en  difant  que 
fa  vie  a  été  une  surfaite  imitai  on  de  celle  de 
/.  C  Plaife  à  Dieu^  ajoute  r  il ,  de  me  f^ire 
la  grâce  deïiraiter  aitjfi  parfaitement  que  js 
l'honore. 

Un  des  plus  célèbres  Curés  de  Paris  ,  Do- 
<^enrde  Sorbonne  ,  ôc  ancien  ProfeiTeur  de 
Théologie  ,  ayant  lu  le  petit  éloge  qu^on  a 
mis  aa  bas  du  portrait  de  M,  Boudon  ,  die 
qu'on  V  avoir  oublié  une  louange  aulTi  jufîe 
qu'efTenrielle  ,  fçavoir  ,  Ton  inviolable  atta- 
-ckciuem  à  la  dodlrinc  de  l'Eglife  Catholi- 


^02  La    Vis 

■  que  ,  Apoftolique  ôc  Romaine.  Cefi  que 

*^°**  dam  le  tems  oh  nonsfommes  ,  pourfuivit-il  , 
c\fl  un  grand  mérite  pour  un  homme  an j]î 
éclairé ,  qu'une  foumijjion  comme  la  fienne 
aux  décifions  du  fa'int  Siège.  Mais  fi  cette 
foumiflfion  étoit  quelque  chofe  de  fi  grand 
par  rapport  aux  Iiimieies  de  Thomme  de 
Dieu  ,  quel  relief  ne  lui  doit  point  donner 
la  cruelle  &  fanglanre  perlecution  quelle 
lui  a  fafciréc  ? 

Un  excellent  Religieux  écrivant  à  une  de 
fes  parentes .  pour  la  confolcr  de  la  mort  de 
notre  digne  ]-rcrre  ,  qui  étoie  fon  Direc- 
teur: «Ce  (croit,  lui  difoif-il,  ce  fcroit ,. 
*»  ma  chère  coiifine ,  regretter  le  bonhcue 
«  &c  le  repos ,  dont  jouit  lame  de  M.  Bou- 
M  don ,  que  d'être  conrrifté  de  fon  décès. 
5»  La  perte  que  vous  faites ,  &.que  plufieur  j 
>»  font  avec  vous .  n'elî  rien  en  comparaifoil 
»  de  celle  que  fait  l'Eglife.  Mais  enfin  aptes 
«  avoir  confommé  fes  jours  pour  elle ,  il  eil 
y>  bien  jufteque  Dieu  l'en  récompenfe  ércr- 
»  nellement.  La  plupart  des  perfonnes ,  à 
9>  qui  j'ai  ordonné  de  prier  pour  le  repos  de 
*>  fon  ame  ,  m  ont  dit  qu'il  n'en  avoir  pàâ 
w  befoin.  Confolez  -  vous  donc  ,  ma  Cou-- 
55  fine  ,  de  votre  perte ,  quoiqu'elle  foit  gran- 
»  de  ;  &  efpérez  que  Dieu  fuppléera  à  fort 
»  défaut ,  -pour  vous  attirer  à  lui ,  quand 
>»  vou<:  aurez  achevé  vôtre  carrière.  »» 

A  ces  témoignages ,  qui  ne  furent  qu'une 
fôible  répétition  des  fuffrages  du  public , 
ïK)us  joindrons  encore  dciw  lettres ,  moin^ 


i 


ri  M.  BoucoN.  Liv.  II.        305 
pour  réloge  qu'elles  font  du  grand  Archi-  — — ^ 
diacre  d'Evrcux  ,  que  pour  les  fenrimens  de    *7''^»« 
piété  dont  elles  font  remplies.  La  première, 
qui  fut  écrite  de  Marreille  par  un  homme 
d'une  érudition  peu  commune  ,  ôc  d'une 
piété  encore  plus  rare,  éroitadreflee  à  M. 
Thomas  ,  dont  la  mémoire  eil  en  bénédic- 
tion. Elle  étoir  conçue  en  ces  termes. 

»*  On  a  coutume  ,  M.  de  faire  des  com-* 
*>  plimens  de  condoléance  à  ceux  qui  per- 
M  dent  leurs  amis  dans  le  monde  ,  parce  que 
»  ne  les  ayant  confidéré  qre  felcn  les  maxi- 
9>  mes  du  monde  ,  la  mort  leur  ravir  en  un 
»»  moment  tout  ce  qu'ils  aimoient  ôc  tout  ce 
'*  qu'ils  'îftiinoient  en  eux.  Mais  quand  on 
>'  vient  a  perdre  des  ferviteurs  de  Dieu, que 
»  l'on  avoir  confidérés   en  Dieu  ôc  pour 
»»  Dieu ,  c'ell  une  perte  précieufe ,  qui  ref-' 
»  femble  à  celle  dont  parle  le  Sauveur ,  lorf- 
>j  qu'il  dit  :  Quiconque  perd  fon  ame ,  la 
>9  trouvera.  Bien  loin  donc  de  perdre  de  tels 
»  amis ,  on  les  recouvre  plus  parfaitement  : 
w  car  fî  la  charité  chrétienne  perfeclionne 
s>  l'amirié  naturelle  ,  quel  acctoiflement  <?<: 
9>  quelle  excellence  ne  reçoit- elle  pas  par  la 
>i  gloire  ,  où  Tes  amis  font  élevés  î  Ainfi , 
»■  vous  pouvez  vops  aiTu rer ,  M.  que  com- 
y>  me  nos  amis  femblent  crie  nne  partie  de 
9t  nous  mêmes,  il  y  a  déjà  quelque  chofe  dé 
*>  vous-même  dan«?  le  ciel ,  qui  defirede  fe 
s»  conjoindre  à  vous ,  ôc  qui  vous  demande 
»  tout  entier.  » 
«  M.  Boiidon ,  quand  ù  ctoit  fur  la  tctre  ; 


^©4  Ia  Viif 

"■"  ■     ■  »  préfentoît  à  Dieu  vos  bienfaits  Se  rhofpi- 
'^^°**     »•  calice  que  vous  exerciez  à  fon  égaid ,  pour 
»  vous  accirer  les  grâces  célellcs  :  &c  comme 
«  fa.  reconnoiiïance  cft  maintenant  auifi  par- 
*>  faire  que  fa  charité,  il  vous  recomman- 
"  de  à  Dieu  de  toute  (a  force  j  d<  les  mains  de 
»  ce  pauvre  éminemmeiu  riche  ont  mis  dans 
»'  les  threfors  du  ciel  tous  les  fecours  ,  tous 
>*les  fouiagemens  ,  tourcs  lescarefles  &  tous 
>»  les  biens  qu'il  a  reçus  de  vous.  Il  lui  '"en> 
M  ble  qu'il  manqueroit  quelque  chofe  a  fa 
>»  félicité  »  fi  vous  n'étiez  pas  bienheureux 
9»  avec  lui  -,    ôc  il  prie  pour  vous  obtenir 
w  beaucoup  de  moyens  d'augmenter  la  fé^ 
»Wicirc  qu'il  demande  pour  vo-is.  Ce  font 
»»  des  vérités  que  la  charité  ,  l'Evang'le  Si 
«^l'expérience  nous  apprennent  ^  ôc  qui  doi- 
i»  vent  augmenter  notre  confiance  en  Dieu.« 
»  Pour  moi,  j'invoque  volontiers  ceux 
»  que  j'ai  aimé  dans  le  monde  ,  ôc  qui  font 
3>  morts  dans  une  grande  odeur  de  piété  :  &C 
»y  ce  m'ell  unemerveilleufeconfolarion  def- 
«  pérer  que  je  les  trouverai  un  jour  dans  le 
«  ciel.  Je  leur  dis  quelquefois  fort  naïve- 
«  ment  :  Quand  vous  étiez  fur  la  terre., 
>r  vous  ne  voyiez  rien  que  mon  extérieur, 
»  &  vous  pendez  plus  de  bien  de  moi,  qu'il 
«  n'en  étoit.  Je  prie  Dieu  qu'il  vous  faffe 
w  connoître  tous  mes  défauts  ôc   toute  ma 
f  corruption ,  afin  que  vous  ayez  compaf» 
^  fion  de  moi ,  ôc  que  vous  priiez  Dieu  qu'il 
9  me  fafle  miféricorde.  » 
«  Je  confcrverai ,  Monûcur ,  bien  pré- 


i 


DE  M.  BoxjDON.  Liv.  II.  305 
»  deufement  les  deux  Lettres  que  m'a  écri-  — 
5^  tes  ce  faine  homme  ,  ôc  le  Livre  que  vous  ^^^^ 
a*  m'avez  donné  de  fa  part.  Mais  je  prends 
'j  la  liberté  de  vous  demander  deux  grâces  , 
33  que  vous  pouvez  m'accorder  facilement. 
"  La  première  ,  de  le  prier  qu'il  demande  à 
«  Dieu  de  détruire  en  moi  tout  ce  qui  m'em- 
"  pêche  d'aller  à  lui ,  &  que  je  ne  mètre 
«  rien  au  jour  que  pour  fa  gloire.  Ce  bon 
"  ami  ne  refufera  pas  de  vous  exaucer  ,  &  je 
y*  l'en  fapplie  de  tout  mon  cœur.  L'autre 
a-»  faveur  que  je  vous  demande ,  eil  un  petit 
«  abrégé  de  fa  vie ,  dans  votre  plus  grand 
3i  loifir.  Vous  aviez  fa  contiance  ,  &c  per- 
5>  fonne  ,  à  mon  avis ,  ne  La  mieux  connu 
>j  que  vous.  M.  Gauthier  ne  m'écrit  qu'un 
9)  mot  de  cette  belle  vie.  Ce  qui  m'y  plaît 
3»  beaucoup  ,c'ell:  que  ce  grand  ferviceur  de 
«  Dieu  n'a  jamais  podédé  un  écu  vaillant, 
3j  Une  telle  pauvreté  dans  un  tel  Archidia- 
»  cre ,  &  même  dans  un  Eccléfiailique ,  qui 
y>  eil  obligé  de  garder  quelque  rang  dans  le 
«  monde  ,  eft  une  pauvreté  vraiment  évan- 
>*gélique,  qui  paiïe  celle  du  Capucin.  Ce 
«  font  des  pauvres  riches  des  dons  de  Dieu, 
3^  &  qui  acquièrent  à  leurs  amis  de  pareilles 
i>  richefles.  Je  fuis ,  ôcc,  » 

La  féconde  Lettre  ,  par  laquelle  nous  fi- 
nirons ce  deuxième  Livre  ,  ell  une  réponfc 
que  fît  à  une  Religieufe  de  Paris  le  digne 
Prêtre,  qui  eut  le  bonheur  d'aifuler  M.  Bou- 
don  à  la  mort.  «  Il  cil:  vrai ,  difoit-il ,  que 
3>  j'ai  reçu  un  honneur  de  un  bien ,  auquel 


17C». 


30(5  La    Vie 

»  je  ne  m'attendois  pas ,  Se  qne  je  n'ofoîs 
>f  pas  me  promet  ne  ;  parce  que  je  croyois 
»j  que  M.  le  Doyen  de  la  Cathédrale,  oU 
>»M.  le  Supérieur  du  Séminaire  d'Evreux  , 
>*ou  quelqu  autre  pcrfonne,  à  qui  de  droit 
53  j'eufle  dii  ie  céder ,  aiTifteroienr  M.  Bou- 
9>  don  à  fon  dernier  paflage.  Mais  la  Provi- 
»  dence  qui  règle  tout ,  m'a  accordé  ce  à 
y»  quoi  je  n'ofois  pas  même  penfer  \  me  pro- 
»  mettant  feulement  de  m'efForcer  d'ctre 
w  préfent  à  une  fi  belle  mort.  Ah  l  plût  à 
9»  Dieu  ,  dans  l'excès  de  fa  charité  envers 
*»  moi ,  que  j'eufle  reçu  Tefprit  qui  a  animé 
9»  cet  homme  de  Dieu  :  je  pourrois  dire  avec 
y»  vérité  ,  que  j'aurois  reçu  l'efprit  de  J.  C. 
>j  dont  il  a  été  mû  ôc  uniquement  animé  dans 
9»  la  qualité  de  membre  du  Sauveur  ,  qu'ont 
»  tous  les  Chrétiens.  Les  Lettres  qu'il  vous 
>*  a  écrites ,  difent  aflez  ce  qu'il  penfoit  Ôc  ce 
»  qu'il  croyoit  de  cette  divine  union  ,  darîfc 
*>  laquelle  il  vouloit  tout  dire  ,  tout  faire  ôc 
>j  tout  fouffrir.  ..  .  Je  voudrois  bien  prenT 
»  dre  la  devife  de  mon  bon  père  :  DieufeuL 
«Mais  mes  péchés  me  rendent  indigne  dé 
*>  ce  beau  caradere.  11  falloit  un  homme 
5»  comme  lui,  confacré  à  Dieu  tout  entier 
wdès  fa  jeunefTe,  pour  remplir  une  telle  dè- 
»•  vife.  Tout  ce  que  je  puis  efpérer ,  c'efl 
V  que  les  miféricordes  de  Dieu  ,  &  la  cha- 
»»  rire  dts  pcrfonnes  de'  votre  mérite  m'ob- 
»>  tiendront  au  moins  la  grâce  de  vivre  &  de 
»  mourir  dans  une  véritable  horreur  dé 
w  tout  ce  qui  peut  déplaire  à  la  divine  Ma- 
»>  jeflé.  »^ 


BE  M.  BouDOK.  Lir.  II.        307 
"Cependanr  nous  appellerons   ce  cher  — — 
>»  défunc  \ Homme  de  Dieu  f eut  tmiverfel-    *^^*' 
w  lement  &  fam  aucune  réjerve  ddm  Inmon  * 
w  avec  J.  C,  le  Sauveur  de  tou^  les  hommes» 
»  Si  jamais  on  écrir  fa  vk  ,  on  remarquera 
M  en  lui  parfairementcecaraclere.  Four  moi 
»  lorfque  quelqu'un  me  demande  fi  je  n'ai 
Si  pas  le  portrait  de  M.  Boudon  ,  je  prends 
»  un  papier  ,  j'y  écris  ces  deux  mors  :  Dux% 
ty  feul ,  je  dis  :  Venez ,  lifez  &  vo)ez  -,  voilà 
»  Ton  véritable  portrait.  Tachons,  ma  ré- 
w  vérende  Mère  ,  d'en  imprimer  quelques 
•>  traits  fur  nous  avec  le  fecours  divin  ,  fous 
»  la  protection  delà  très-fainte  Mère  de 
«  Dieu.  Celui  a  qui  rien  n'eil:  impolTible  , 
>i  fçaura  bien  ,  quand  il  lui  plaira ,  trouver 
w  les  moyens  de  faire  connoitre  fon  fervi- 
5*  teur  :  car  nous  fçavons  bien  qu'il  cfl  ja- 
«  louxde  la  gloire  de  fes  Saints  \  &  qu'il  ert 
9i  eft  lui  même  la  beauté  la  plus  magnifi.- 
»  que ,  quand  il  plaîr  à  fa  bonté  de  les  ma- 
9>  nifeiler.  Je  fuis ,  &c.  >» 

Ce  pieux  Eccléfiallique  ,  qui  reçut  lef 
derniers  foupirs  de  l'homme  de  Dieu ,  fut 
récompenfé  du  tendre  &c  refpedlueux  arra- 
chement qu'il  avoit  eu  pour  lui.  On  lui  avoic 
propofé  un  emploi  du  vivant  de  l'Archi- 
diacre :  mais  comme  celui  -  ci ,  fans  l'avis 
duquel  il  ne  faifoic  rien,  lui  dit  que  fon 
tcms  n'étoit  pas  encore  venu  \  il  crut  ne 
pouvoir  mieux  faire  ,  que  d'attendre  en  paix 
les  momens  de  Dieu.  Ils  arrivèrent  un  an 
apiès^  !k  d'une  manière  qui  eût  fait  levivre 


^oS  L  A     V  T  B 

— *—  la  mémoire  de  M.  Boudon  ,  fi  elle  avoîtétc 
'^***  de  nature  à  s'effacer  jamais.  Un  Magiflrat 
d'une  probité  connue  ,  s'étant  rendu  de  Pa^ 
ris  à  Evreux ,  pour  y  célébrer  rAnniverfaire 
du  grand  Archidiacre,  demanda  pour  l'Ec- 
cléfia/liquc  dont  nous  parlons  ,  &  à  fon  in- 
fçu  ,  une  Cure  importante  ,  &  très- difficile 
à  dejfervir  y  où  ,  pour  continuer  les  grands 
biens  qu'un  Paflcur  plein  de  zélé  y  avoir 
établis ,  il  ne  falioit  rien  moins  qu'un  Prê- 
tre aufTi  fage  &  auiTi  vertueux  que  lui.  Cette 
grâce  ,  fi  toutefois  un  Bénéfice  à  charge 
d'ame  en  cil  une,  lui  fut  rcfuféc  -,  &  le  Ma- 
gifirat  comprit  qu'on  avoir  jette  les  yeux 
fur  un  autre.  Mais  Boudon  ,  tout  mort  qu'il 
ctoit,  fçavoit  encore  faire  entendre  fa  voix, 
&  il  parloiten  faveur  de  ceux  qui  n'av oient 
été  fes  amis,  que  parce  qu'ils  étoient  les 
amis  de  Dieu.  Trois  jours  après,  le  Patron 
qui  ctoit  un  parfaitement  honnête  homme  , 
éc  Tun  des  premiers  du  Chapitre  d'Evreux , 
s'en  va  rrouvcr  notre  bon  Prctre  \  il  l'a- 
borde ,  les  yeux  mouillés  de  larmes  ^  il  lui 
déclare  qu'un  mouvement  intérieur  le  preffë 
de  le  nommer  à  cette  Cure  ,  &  qu'il  ne  peut 
y  réfifter.  A  ces  mots  le  vertueux  Eccléfiafii- 
que  ,  qui  n'avoir  pas  mcme  entendu  parler 
des  tentatives  qu'on  avoit  faites  en  fa  fa- 
veur, entafie  raifons  fur  raifons  ,  pour  £c 
foufiraire  au  fardeau  qu'on  veut  lui  impo- 
fer.  Maisila  beau  faire,  on  le  mené,  ou 
plutôt  on  le  traîne  par  force  chez  un  grand 
Vicaire ,  qui  l'examine  félon  la  coutume  : 


i 


DE  M.  BouDON.  Liv.  II.        309 

011  lui  expédie  fcs  provifions  \  &  le  jour  de  ■ 
la  Naciviré  de  la  Vierge  ,  c'ell  à-dire,  huit  ^^^** 
jours  après  Tanniverfaire  de  Ai.  Bondc.n  , 
on  lui  fait  prendre  poiTeflion  de  ce  Bénvficej 
où  il  a  fait  tous  les  genres  de  biens  qu'on 
doit  attendre  d'un  Miniitre  ,  qui  ne  s  eil 
rendu  à  la  vocation  divine ,  que  comme  le 
premier  Prêtre  de  la  Loi  ancienne ,  &:  le 
grand  Ponrifede  laLoi  nouvelle.  "^ 

Une  nous  reûe  plus ,  pour  obéir  à  Tufa- 
ge ,  que  de  tracer  le  portrait  de  Ihomme 
Apolioliquc ,  dont  nous  finiflbns  l'hiltoire. 
Il  étoit  d'une  taille  movenne  &  peu  fournie. 
Il  avoit  le  front  allez  large  j   l'œil  vif  en 
Chaire  ,  &  dans  les  entretiens  où  il  s'agif- 
foit  de  Dieu  -,  hors  de-là  prefqu'éteint ,  Se 
comme  infenfible  :  le  vifage  lerein  ,  mais 
moins  frapant  par  ia  douceur  ,  que  par  un 
air  de  pénitence  ,  qui  rappelloit  celle  des 
Antoine  ôc  des  Siméon  Stylite.  Son  efprit, 
quoique  richement  cultivé  ,  n  etoit  point  or- 
né à  la  manière  de  ceux  qui  ne  cherchent 
qu'à  plaire  par  un  frivole  enjouement.  Il  ne 
connoifToit  ni  les  hifloires  qui  amufent ,  ni 
les  faillies  qui   dilTipent.   Il    alloit  droit  à 
Dieu  :  mais  il  y  alloit  avec  une  ondion  qui 
lui  tenoit  lieu  de  ces  agrémens  par  où  d'au*. 

*  Ce  digne  Curé  fe  nommoît  M.  Chanoine.  Ce  fut  NT.' 
Eutcl  ,  qui  ,  -en  qualité  de  Théologal  ,  le  nomma  à  U 
Cure  de  Rully ,  gros  village  à  deux  lieues  d'Evreux  ;  où 
pendant  plus  de  quaranie-cinq  ans  il  a  fait  de  très-grands 
biens.  La  fimplicité  ,  la  dévotion  ,  Tamour  de  la  pauvre- 
lé  furent  les  principales  vertus  du  Difciplc  ,  comme  elles 
l'atoieni  été  4e  fon  Maître  ,  M,  Boudon. 


510  La    Vie 

»-  trcs  fe  ménagent  du  crédit,  &  quelquefois 

^7^»'  une  vaine  adjuration.  Pour  le  cœur,  en  fe 
rappeliant  une  partie  de  ce  que  nous  en 
avons  dit ,  on  verra  qu'il  l'avoir  généreux  , 
intrépide  ,  compatiflant  ,  aufïi  vallc  que  le 
monde  entier  qu'il  portoit  dans  fon  fein  ,  & 
pour  lequel  il  auroit  donné  mille  fois  fou 
iâng  comme  une  goutte  d'eau  ,  fi  la  Provi- 
dence ne  s  y  fût  oppofée.  A  parler  humai- 
nement ,  on  trouvcroit  quelque  chofe  de 
trop  ,  foit  dans  cette  affreufe  pauvreté ,  qui 
fît  de  lui  une  efpéce  de  mendiant  du  public  j 
foit  dans  la  fermeté  avec  laquelle  il  foutinc 
les  droits  de  fa  dignité  d'Archidiacre.  Mais 
le  premier  de  ces  deux  prétendus  défauts  lui 
fut  commun  avec  les  hommes  Apoftoliques. 
Le  fécond ,  qu'un  peu  plus  d'ufagc  du  mon- 
de auroit  quelquefois  corrigé ,  n'eut  pour 
principe  qu'une  vraie  &  folide  vertu.  Un 
homme  ,  qui  fans  ouvrir  la  bouche  pour  fc 
juflificr  ,  fe  vit  la  fable  &  l'opprobre  du 
genre  humain ,  n'étoit  attentif  fur  les  hon- 
neurs dûs  à  fon  rang,que  parce  qu'il  craignoic 
de  ne  pas  rendre  en  entier  à  Ces  fuccefleurs  le 
dépôt  qu'il  avoir  reçu  de  ceux  qui  l'avoient 
précédé.  L'orgueil ,  quelque  foin  qu'il  ait 
de  dérober  fa  marche,  fe  coupe  aifémenr  ;  ôc 
on  ne  l'alliera  jamais  avec  cette  fuite  con- 
ftante  de  vertus,  que  THiftoire  du  grand  Ar- 
chidiacre d'Evreux  nous  a  fournies  jufqu'ici , 
Se  dont  le  dernier  Livre  de  cet  Ouvrage  va 
nous  donner  une  idée  plus  nette  Se  plus  di- 
ftindte.  Mais  dès  ce  moment  difons  ,  fan^ 


DE  M.  BouDON.  Liv.  II.        311 

craindre  d'être  démentis ,  que  Boudon  fur  — — 
tel  ,  que  le  faint  Efprir  nous  a  peint  le  grand  ^^°*' 
Prctre  Onias  î  Vir  bonus  C"  hmignus  ,  vere- 
cundus  viju  y  modiftus  moribus  ,  eloquio  de- 
coriis  ,  &  à  pnero  in  virtutibus  exercitatus» 
II.  Machab.  15.  12.  Sa  nouvelle  Epiraphe , 
que  je  viens  de  recevoir  d'Evreux  en  Latin 
éc  François ,  le  fera  encore  mieux  connoître. 

D  E  O     S  O  L  I 

Se  ^fuaque  omnia  ,  dùm  viveret ,  dîcavît 
HENR.  MAR.  BOUDON  ,  Archid.  EhroUi 
Ab  infantïâ 
Pauperhm  Pater  &  Socius  , 
Divina  Providentia  alumnus  ^  prœco  , 
Immaculatcz  Vir^iKis  cliens  ,  deinde  vindex  y 
Angelorum  amulus  &  cultor, 
D  E  O     S  O  L  1 
Lûhoribus  ,  jcriptis  ,  fennonibus  ,  itineribus  ^ 
Ad  annos  usque   LXXIX. 
Per  ïnfamïam  6»  bonam  famam  , 

Ut  feduElor  6»  vtrax  , 
Zelo  ^elatus  efl  ,  &  immolât  us 
Suprà  facrificium  &  obfequium  fidei  fuœ. 

Spe  gaiidens  ,  orationi  inflans 
Obdormivit  in  Domina  die  3 1 .  Aug.M.  D.  CC  II» 
Et  in  hoc  Saceiloy  ipfius  decorato  Jiudiis 
DefunSîus  adhuc  loquitur , 
Librifque  pietatem  fpirantibus 
Docet  quàm  bonumfit  adhcerere, 
l>  "L  O    s  o  L  I. 


311  La    Vu 

A     D'TEU     SEUL 

Confacra  fa  perfoi^ne  ,  Tes  adions  &  toute  fa  vie. 

HENRY  MARIE  BOUDOM,  Archid.  d'Evicux. 
Il  fut  dès  Ion  enfance 

Le  père  des  Pauvres,  quoique  pauvres  comme  eux. 

L'élevé  &  le  Prédicateur  de  la  divine  Providence  , 

Le  Serviteur  de  l'Immaculée  Vierge  ,  &:  puis  fou 
Défenfeur  ^ 
Le  dévot  des  Saints  Anges  ,  &  leur  imitateur. 
A     DIEU     SEUL 

Par  fes  Travaux  ,  fes  Ecrits  ,  fes  Sermons ,  fcs 
Voyages  , 

jufqu'à  l'âge  de  79  années 

Dans  le  fein  de  l'infamie  ,  comme  dans  la  meil- 
leure répuraiion 

Regardé  comme  un  fédudeur,  quoique  toujours 
ami  du  vrai, 

Brûlant  d'un  zélé  pur  ,  il  s'immola  lui-même  , 

En  offrant  le  facrifice  &  1  hommage  de  fa  foi. 

Enfin  plein  d'efpérance ,  &  priant  fans  cefTe  , 

Il  s'endormit  dans  le  Seigneur  le  3 1  Août   1701. 

Dans  cette  Chapelle  où  il  repofe  ,  &  q^ui  lui  doit 
fa  première  décoration, 

Il  parle  encore  après  fa  mort  ; 

Et  par  fes  Livres  qui  refpirent  la  piété , 

Jl  apprend  combien  il  eft  bon  de  s'attacher 

A    DIEU    SEUL 


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LA   VIE 

DE    M.    HENRI-MARIE 

BOUDON, 

GRAND  ARCHIDIACRE  D'ÉVREUX; 


LIVRE  TROISIEME^ 

Ou  Von  traite  de  fes  Vertus, 

ANS  vouloir  prévenir  le  jugement 
du  Lecleur ,  nous  pouvons  TalTa- 
rer  d'avance  que  Boudon  ,  fous 
quelque  rapport  qu'il  Tenvifagc  , 
va  plus  que  jamais  mériter  fon  cflime  &  fa 
vénération.  Nous  allons  le  voir  éminem- 
ment Chrétien  dans  raccompliiïement  de 
fes  devoirs  par  rapport  à  Dieu  -,  dans  l'atten- 
tion qu'il  eut  à  remplir  toute  juftice  à  l'égard 
du  prochain  ;  dans  l'inviolable  fidélité  avec 
laquelle  il  rendit  à  fon  ame  tout  ce  qu'il  lui 
devoit  en  qualité  de  Chrétien  &  de  Miniflrc 
des  Autels. 

Q 


'^i^  La   Vie 

§.    I.  Sa  Foi. 

U  Foî,  5^j^5  îa  foj  ^  jjit;  le  grand  Apôtre  ,  il  eil 
impoflible  de  plaire  à  Dieu.  Elle  n'efi:  pas 
la  première  des  grâces ,  puifqu'elle  eft  fou- 
vent  précédée  d'une  infinité  d'autres ,  qui 
foUicitent  à  croire  ;  mais  elle  eft  la  première 
de  ces  vertus  folides ,  fans  lefquellcs  il  ne 
peut  y  avoir  de  juftification.  Ce  feroit  donc 
en  pure  perte  que  le  grand  Archidiacre  d  E- 
vreux  auroit  fourni  la  longue  &  pénible 
carrière ,  que  nous  lui  avons  vu  parcourir  : 
ce  feroit  inutilement  pour  fon  falut ,  qu'il  fe 
feroit  épuifé  par  les  rigueurs  de  la  péni* 
tence ,  par  les  travaux  des  MifTions ,  par  une 
patience  que  les  murmures  &  les  plaintes 
ne  foulagerent  jamais  -,  fi  tout  ce  grand  édi- 
fice n'eût  eu  pour  fondement  cette  foi  plei- 
ne ,  fur  laquelle  la  vie  du  Chrétien  doit  être 
appuyée. 

Or  cette  foi  qui  croit  tout ,  &  qui  agit  en 
conféqucnce  de  ce  qu'elle  croit ,  Boudon  la 
pofleda  fi  parfaitement ,  qu'au  rapport  d'un 
homme  de  vertu  qui  le  connoiflbit  bien  ,  il 
auroit  facrifîé  mille  vies ,  pour  la  défcnfe 
d'un  feul  dts  articles  que  la  fainte  Eghfe 
propofe  à  la  créance  de  fes  Fidèles. 

Pour  juger  fainement  de  fes  difpofitions 
fur  cette  importante  matière  ,  il  n'y  a  qu'à 
confidérer  avec  quelle  force  il  s'oppofa  aux 
erreurs ,  qui  de  fon  tems  commencèrent  à 
s'introduire  dans  le  Diocèfe  d'Evreux.  Af- 


DE  M.  BoUDON,  Liv.  III.  ^If 

fable,  doux,  modcré  à  i'cgard  de  tcus  les  SaFoi^ 
hoinmts ,  d:  peiic-érrc  plus  encore  à  l'égard 
de  fes  plus  implacables  ennemis,  il  enrroit 
dans  une  faince  colère,  dès  qu'il  s'agifloit 
de  nouveauté  en  matière  de  foi.  II  ignoroic 
cet  art  funefte  ,  qui  par  de  fouples  ôz  équi- 
voques circuits,  fçait  parler  comme  tout  le 
monde  ,  de  ne  jamais  penicr  comme  il  faut. 
Il  difoit  hautement  &  librement  au  fujet  de 
la  nouvelle  héréfie  ,  que  c'étoit  une  des  plus 
pernicieufes  qui  eût  paru  jufqu'alors  ;  ôc 
qu'il  n'y  en  avoir  point  de  plus  capable  de 
porter  un  coup  mortel  à  la  Religion. 

Il  n'ignoroitpas  que  le  parti'^qui  vouloit 
l'établir  ,  Ce  vantoit  de  faire  mourir  Jons 
la  preffe  ceux  qui  ofoient  l'attaquer  ,  &  qu'il 
avoir  la  mnlheureufe  adrelTe  de  trouver  ou 
l'iniquité  dans  la  maifon  du  jufte ,  ou  la  ftu- 
pidité  dans  la  maifon  de  Thcmme  raifonna- 
ble.  Mais  ,  ni  ces  confidérations  ,  qui  en 
amolliiïent  rant  d'autres,  ni  la  crainte  de 
paiTer  pour  un  homme  qui  aimoit  à  faire 
parler  de  lui ,  ne  ren)pêcherent  jamais  d'éle- 
ver la  voix,  quand  les  intérêts  de  la  vérité 
l'exigèrent.  Il  voyoit  toutes  les  fuites  de  fa 
fermeté  :  le  ciel  fembloit  même  les  lui  avoir 
annoncées.  Il  en  fentit  le  poids  énorme. 
Rien  ne  l'ébranla  ,  ôc  il  put ,  comme  Job  .* 
dire  dans  tousjes  rems  &:  dans  toutes  les 
chcon{lances:ia?7tq2{eje  vivrai^  je  ne  quitte- 
rai point  le  femier  de  ma  première  innocence. 
Je  conferverai  iufqii'à  la  mort  le  don  pré- 
cïçiix  qui  fut  la  four  ce  de  majujlificaticn ,  ^ 

Oij 


3ï^     ,    ^       L  A     V  I  E 

S^  Foi.  qui  ^oîc  être  ic  principe  de  mon  falut  *. 
«  Non  ,  écrivoit-il  q^uelq^iie  tems  avant  fa. 
3>  mort  y  il  ne  fuffit  pas  de  n'erre  pas  contre 
«  l'Eglife:  il  faut  encore  avoir  un  zélé  gé- 
«  néreux  pour  s'oppofer  à  Çqs  ennemis  -,  &: 
w  combattre  fortement  tout  ce  qui  peut  être 
«  contraire  à  la  pureté  de  fa  dodrine  ,  & 
«  cela  fans  aucun  refped  humain  &  fans 
«  réferve.  Ceux  qui  voient  une  maifon  bru- 
w  1er ,  ne  crient-ils  pas  au  feu ,  à  quelque 
t»  heure  de  la  nuit  que  cet  accident  arrive  ? 
V  Puis  donc  que  TEglife  eft  la  maifon  de 
«  Dieu ,  &  que  les  fed:ateurs  des  nouvelles 
»*  dodrines  s'efforcent  de  la  mettre  en  feu  , 
>>  les  Catholiques,  &  fur-tout  les  Supérieurs 
yi  doivent-ils  fe  taire ,  pour  çonferver  une 
«  fauffe  paix  ?  Certes  ,  difoit-iL  encore  ,  un 
*»  homme  en  place  doit  éloigner  de  fa  per- 
s^fonneceux  qui  fous  main  pourroienr  fa- 
w  vorifer  Le  parti  naiffant  \  fe  roidir  contre 
**  les  ennemis  de  l'Eglife ,  ^  crier  au  loup  , 
w  quand  il  eil  au  milieu  du  troupeau ,  de 
>»  qu'il  mange  les  brebis,  v 

Son  attention  fur  cette  matière  alloit  fi 
loin  ,  que  dans  la  crainte  qu'on  ne  paffât  de 
leftime  des  perfonnes  à  l'eftime  des  fenti- 
mens,  il  n'aimoit  pas  ces  éloges  inconfidé- 
rés  ,  que  quelques-uns  font  des  Novateurs , 
comme  s'il  n'y  avoit  rien  de  bienfait  que  ce 
qui  vient  de  chez  eux,  ou  que  leur  éloqucn- 

*  Donec  deficiam  ,  non  recedam  ab  innocenriâ  meâ, 
Jtiftificationem  meam ,  <]uam  cœpi  lenere  ,  non  deferam. 
/oè  j  17.  V.  )  &  6. 


DE  M.  BouDCN.  Liv.  m.  ^17 
ce  fût  une  preuve  de  la  vérité  de  leurs  (en-  Sa  F^v, 
timens.  «  Quoi  donc  ,  pourfuivoit-il ,  Tex- 
«  périence  de  tant  de  iiéclcs  ne  nous  a-t-el^ 
»  point  encore  appris ,  que  les  hérétiques 
»  n'ont  jamais  manqué  de  raifons  fpécieufes, 
?j  lubriles  ôc  fortes  en  apparence  j  qu'ils  fe 
»  fervoient  de  Tautorité  de  TEcriture,  qu'ils 
»  citoient  les  Pères  j  que  leurs  Ouvrages 
«  charmoient  les  efprirs  par  la  douceur  du 
»uyle&  la  beauté  de  Télccution  ;  qu'il  y 
»  en  avoir  même  plufieurs ,  qui  gagnoienc 
«les  cœurs  par  le  mépris  qu'ils  failbient  du 
»  fiécle  j  &c  par  une  vie  édifiante  :  mais  que 
'^  parce  qu'ils  manquoient  d'une  fincèiefoii- 
>'  milTion  pour  le  Chef  de  i'Eglife  ,  pour  Iqs 
3>  Conciles,  pour  l'autorité  qui  lescondam- 
»  noit ,  ils  fe  font  miférablemenr  perdus ,  ôc 
*■>  tous  ceux  qui  les  ont  fuivis.  Les  Luthériens 
»&  lesCalviniilescrioient  hautement  qu'ils 
*  vouloient  un  Concile  général.  Ce  Concile 
'>  ed  venu  :  mais  quand  ils  s'y  font  vus  con- 
>'  damnés ,  ils  ont  dit  qu'il  n'étoit  pas  légi- 
^>  time ,  à  caufe  des  brigues  du  Pape.  En  di- 
"  fant  cela ,  ils  fefonr  eifroyah  iemeut  trom- 
»>  pés  ,eux  ôc  leurs  adhérens  ,  qu'ils  ont  pré- 
»  cipités  dans  la  damnation  éternelle.  A\i 
»  lieu  que  ceux  qui  s'en  font  rapportés  au 
>i  fouverain  Pontife  &c  au  Concile  de  Tren- 
'^  te  ,  ont  confervé  la  foi  pour  eux  &:  pour 
>•  leur  poftérité.  II  faut  donc,  concluoh  le 
»  faint  Prêtre  ,  il  faut  en  matière  de  foi  fe 
>»  bien  donner  de  garde  de  raifonner. Croyez- 
«moi ,  fi  une  foi5  vous  en  venez  aux  mains 

O  iij 


Îi8  La  Vie 

$a  Foi.  «  avec  renncmi  par  le  raifonncment ,  vous 
w  ères  pris ,  Ôc  votre  perte  efl  comme  af- 
i»  fiirée.  »•» 

Tels  étoient  les  principes  fur  lefquels 
Boiidon  appuyoit  fa  foi ,  ôc  les  conféqueii- 
ccs  qu'il  en  tiroir.  Mais  il  donnoit  &  aux 
conféquences  ,  &  aux  principes  encore  plus 
d'étendue.  Tout  ce  qui  pouvoit  ou  nourrir 
le  dogme  ,  ne  fut-ce  qu'indireélcment  ^  ou 
témoigner  du  refpcd: ,  je  ne  dis  pas  pour  les 
-décidons  formelles  ,  mais  pour  la  fimple 
pente  de  TEglife  ,  faifoit  partie  de  l'objet  de 
fon  zélé.  Ce  fut  par  ces  motifs ,  que  pour 
affermir  Ôc  pour  rendre  utile  la  foi  de  la 
préfence  réelle  ,  qu'on  réduit  à  peu  de  cho- 
fc  5  en  excluant  prefque  tout  le  monde  de  la 
table  du  Seigneur  ,  il  compofa  fon  petit 
Traité  de  V  Amour  de  Je  fus  au  très-faint  Sa- 
crement ,  où  parmi  plufieurs  excellentes 
pratiques  pour  honorer  ce  divin  Myfterc,  il 
propofe  comme  la  meilleure  ,  la  plus  fainte  » 
la  feule  capable  de  remplir  l'attente  ôc  les 
defleinsdu  Verbe  incarné,  celle  d'une  di- 
gne «Se  fréquente  communion.  Ce  fut  aufïi 
par  cette  même  raifon  ,  que  voyant  que 
fous  prétexte  d'épurer  le  culte  de  la  très- 
fainte  Vierge ,  on  lui  difputoit  fes  plus  beaux 
privilèges ,  il  publia  en  fa  faveur  fon  Livre 
de  la  Dévotion  à  Vimmaculée  Mère  de  Dieu^ 
où  il  imit  à  fon  ordinaire  Tondiion  à  la  fo- 
iidité.  Mais  l'a6tivité  de  fa  foi  ne  fc  bornoic 
pas  à  ces  travaux  littéraires.  Onl'afouvent 
trouvé  chez  lui  à  genoux  dans  une  pofture 


i 


DE    M.    Bt)UDON    LiV.    IIÎ.  5T9 

anéantie  devant  laMajefté  fouveraine>conju-  Sa  Foi 
rant  le  Pcre  par  le  Fils  de  ramener  à  l'unité 
ceux  qui  s'en  ccartoient ,  Ôc  d'arrêter  le 
cours  dïin  mal ,  qui  ne  pouvoit  être  que 
funefte  au  Royaume  ,  û  Dieu  n'y  mettoit  k 
main. 

Tel  fut  le  zélé  qu'eut  l'Archidiacre  pour 
la  pureté  de  la  foi.  Mais  ce  zélé  fut  toujours 
auiTi  fage,  qu'il  fut  vif  ôc  animé.  Si  Boudon 
fçut  combattre  Terreur ,  il  fçut  n'en  char- 
ger perfonne  mal  à  propos.  Plus  l'accufa- 
rion  dhéréfie  eil  grave,  moins  il  fe  crue 
permis  de  la  prodiguer.  Il  alîoit  même  juf- 
qu'à  dire  ,  que  le  démon  ,  pour  empêcher  le 
bien  ,  porte  les  ennemis  d'une  pure  &  faine 
morale  à  ériger  en  Novateurs  ceux  qui  s'ef- 
forcent de  la  fui  vre.  Ce  qu'on  peur  dire  de 
Rioins  fort  fur  laflenne  ,  c'eil:  qu'elle  étoic 
nès-éloignéede  tout  cmbre  derclkhemcnr. 
Pour  s'en  convaincre,  il  fuffi:  de  jetter  l:s 
yeux  fur  fon  Traité  de  la  Sainteté  de  l'Etat 
Eccléfiaflique, 

En  général ,  il  étoic  perfuadé  que  pour 
ne  tomber  dans  aucun  excès ,  on  devoit  s'at- 
tacher fortement  aux  véritables  Difciples 
de  S.  Thomas,  qui  guidés  par  les  principes 
de  cet  Ange  de  la  Théologie,  ont  fçu  gar- 
der en  tout  genre  un  milieu  afiuré  :  &  c'ell, 
difoit  un  refpectable  Curé  de  Rouen  ,  c'effc 
en  ce  fens  qu'il  m'a  écrit  plufieurs  fois , 
pour  m'infpirer  une  vive  horreur  de  toute 
nouveauté  profane. 

Mais  pourquoi  recourir  à  des  témoigna- 

Oiv 


^19  La  Vil 

§>  Foi.  ges  étrangers  dans  une  matière ,  que  les  faits 
domeftiques  prouvent  fi  abondamment  ? 
Qu'on  fe  rappelle  que  Boudon  encore 
entant  inftruifoit  déjà  desenfans  comme 
lui  ,  &  bientôt  après  des  perfonnes  d'un 
âge  plus  avancé  i  que  dans  fa  jeunelTe  il  par- 
couroit  la  ville  &  les  campagnes ,  pour  faire 
germer  la  vertu  dans  des  cœurs ,  qui  fou- 
vent  y  a  voient  tres-peu  de  difpofition  j  qu'il 
regarda  toujours  comme  un  àçs  plus  grands 
malheurs  qui  lui  pût  arriver  ,  celui  de  relier 
en  Europe  ,  pendant  que  fes  pieux  Aflbciés 
alloient  au  de  là  des  mers  réveiller  ceux  qui 
dormoient  à  l'ombre  de  la  mort  j  que  pen- 
dant  quarante-cinq  ans  de  Prêtrife  ,  il  n'a 
rien  dit ,  rien  fait ,  rien  écrit ,  qui  ne  fe  rap- 
portât plus  ou  moins  directement  au  main- 
tien de  la  foi  j  Ôc  qu'enfin  jufques  à  fa  der- 
nière maladie  il  a  travaillé  à  prémunir  con- 
tre les  erreurs  de  toute  efpéce  ceux  qui  au- 
roicnt  pu  s'y  laifler  prendre-,  on  conviendra 
aifément  qu'il  fut  du  nombre  de  ces  juftes  , 
qui  vivent  de  la  foi ,  Ôc  qui  ne  croyent  être 
fur  la  terre  ,  que  pour  la  défendre  ôc  là 
multiplier. 

§.  II.  Sa  Confiance  en  Dieu. 

5a  Con-  La  confiance  ,  c'eft  à-dire  ,  comme  nous 
fiance,  l'entendons  ici ,  cerre  efpérance  forte  &  gé- 
néreufe ,  qui  ne  connoît  point  de  dangers  , 
parce  qu'elle  ne  voit  dans  les  plus  fâcheux 
événemens,  que  la  main  de  Dieu  qui  les 
opère,  fut  fi  conllammcm  une  à^s  vertus 


Bî  M.  BOUDON.  Liv.  III.        32.Î 
farvoiires  de  M.  Boudon  ,  que  depuis  fa  s^  Ccr.- 
tendre  jcunefle  jufqu'à  fa  mort  il  a  pu  dire 
a-vecle  Roi  Prophète  :  J'ai  efpéré  ,  &  plus 
qu'efpéré  en  vous ,  ô  mon  Dieu ,  &  in  vcr- 
bum  tuumj'uperfperavi.  En  Iç  fuivant  dans 
tous  les  états  de  fa  vie  ,  on  n'y  trouvera  pas 
un  moment  5  où  il  ne  fe  foit  abandonné  fans 
reflriélion  de  fans  mefure  à  la  Providence. 
Elle  étoit  le  plus  doux  ,  le  plus  continuel  ob- 
jet de  fcs  penfées.  Sans  cefTe  elle  revenoir 
dans  fes  Ecrits ,  dans  fes  lettres ,  dans  fes 
entretiens.  Son  ftyle  naturellement  exprcf- 
fif ,  avoit  quelque  chofe  de  plus  fort  quand 
il  célébroit  la  main  bienfaifante  ,    dont  il 
avoit  fi  fouvent  éprouvé  les  faveurs.  «  O  di- 
"  vine  Providence  ,  s'écrioh  il ,  que  vou3 
»  rendrai  -  je  pour   les  grâces  que  fai  re- 
"  eues  devons!  C'eftvous  qui,  pourpar- 
"1er  avec  le  Prophète,. m'avez  tiré  du  fein 
'^  de  ma  mère  \  qui  m'avez  pris  entre  vos 
"  bras  dès  mes  plus  tendres  années  -,  qui 
"  m'avez  tiré  de  la  gueule  du  lion,  &  des 
«mains  de  l'Ange  de  l'Abyfme.  Votre  mi- 
>»  féricorde  m'a  accompagné  tous  les  jours 
>i  de  ma  vie.  Ne  me  rejertez  pas  dans  le  tems 
«  de  ma  vieillelTe  ,  &  ne  m'abandonnez  pss 
«  lorfque  ma  force  s'affaiblira.  Je  me  fuis 
«  toujours  appuyé  fur  vous,  &  je  n'ai  ja^ 
5^  mais  manqué  de  rien,  Plufieurs  ont  dit, 
«  dans  les  cuifanres   afîliclions  que    vous 
w  m'avez  fait  fentir  :  Il  a  efpéré  au  Seigneur, 
»  qu'il  le  délivre;  qu'il  trouve  en  fa  Provî«- 
w  dcncek  falut  fur  lequel  il  avoit  compté- 

Oy 


322  L   A      V    I    E 

Sa  Con-  »j  Vous  VOUS  êtes  tourné  vers  moî ,  6  mon 
fiance.  ,,  diq^^  ^  yous  nVavez  rendu  la  vie.  Vous^ 
>*  m'avez  tiré  du  fond  de  la  terre.  J'ai  paru  à 
3J  pluiîeurs  comme  un  prodige  de  délaiiîc- 
«  ment  :  mais  vous  m'avez  puifTamment  slC- 
»  fifté.  Vous  avez  multiplié  votre  magnifi- 
«  cence  à  mon  égard ,  ôc  votre  regard  falu- 
»  taire  m'a  confolé.  Auiïi  vous  louerai-je  de 
»y  vos  miféricordes.  Je  chanterai  votre  gloire 
.  «  &  vos  grandeurs.  J'annoncerai  votre  puif- 
»  fance  ik  la  force  de  votre  bras.  » 

C'eft  fur  ce  bras  miféricordieux  que  le 
grand  Archidiacre  s'appuyoit  uniquement  : 
ce  n'étoit  que  lui  qu'il  rcgardoit  dans  tous 
les  bons  offices  que  les  créatures  lui  ren- 
doienr.  »*  J'avoue  ^  écrivoh-il  un  jour ,  qu'il 
?j y  a  des  gens,  dont  la  Providence  fe  ferc 
w  pour  m'afliller  dans  mes  befoins  :  mais 
9>  non-feulement  je  ne  voudrois  pas  y  avoir 
>'  de  la  confiance ,  mais   pas  même  le  plus 
»>  léger  appui.  L'appui  en  la  créature ,  telle 
«  qu'elle  puiffe  être  5  cft  un  défaut  de  par- 
>»  faite  confiance  en  Dieu.  Oeil  en  lui  feul 
"  qu'il  faut  regarder  toutes  chofes.  Quand 
5*  nous  aurions  toutes  les  créatures  avec  lui, 
"  nous  n'en  aurions  pas  davantage  ;&  quand 
3>  nous  l'aurions  feul ,  fans  toutes  les  créa- 
33  tures ,  nous  n'en  aurions  pas  moins.  Après 
9>  tout ,  c'eft  une  vérité  certaine  ,  que  rien 
aMi'arrive  fans  la  conduite  de  la  divine  Pro- 
»  vidence  ;  ôc  c'ell  ce  qui  nous  doit  établir 
*»  dans  une  paix  inviolable  ,  fi  nous  fommes 
»  véritablement  à  Dieu ,  car  que  deyoflSr 


DE  M.  BouDON.  Lit.  IÎI.       515 
9>  nous  vouloir  que  ce  qu'il  veut  î  Et  s'il  Sa  Coni 
»  veut  que  les  chofes  arrivent  d'une  certaine   °^°^** 
î^maniero,  comment  pourrions- nous  avec 
»  JLillice  ne  le  pas  vouloir  î  Ôc  fi  nous  le  vou- 
«  Ions  bien  ,  pourquoi  nous  en  inquiéter?  »* 

C'éroitfur  ces  règles  fi  fublimes,  fi  profon- 
dément ignorées  dans  la  pratique  ,  que  Boa- 
don  regardoit  ôc  les  biens  &  les  maux  comme 
âçs  dons  de  la  main  de  Dieu.  «Ily  en  SL^difoit^ 
5'  il  à  un  bon  ami ,  qui  fe  fcntant  attaqués 
i>  de  quelque  mal  ou  de  quelque  affliction  , 
»  penfent  d'abord  aux  créatures ,  d'où  leur 
#'  viennent  ces  peines,  &  puis  retournent  à 
^3  Dieu.  Mais  je  connois  quelqu'un  ,  &  ce 
i>  quelqu'un  étoit  lui  -  même  ,  qui  regarde 
«  abfolument  toutes  chofes  en  Dieu ,  èc  qui 
«ne  voit  en  rien  les  créatures,  que  comme 
>»  de  fimples  inilrumens  dont  Dieu  fe  fert 
w  pour  fon  plus  grand  bien,  s» 

Ces  fentimens  fi  purs  ,  fi  cbréticas ,  fi 
propres  à  nourrir,  à  élever  la  confiance, 
Boudon  les  infpiroit  à  tous  ceux  qui  avoicnc 
quelque  rapport  avec  lui ,  ou  qui  le  con- 
fuitaient.  Etant  arrivé  à  Paris  ,  pendant 
qu'on  y  délibéroit  fur  le  moyen  de  procu- 
rer des  fonds  fuffifans  aux  Ecoles  chrétien- 
nes ,  que  le  P.  Barré ,  célèbre  Minime,  avoic 
établies  5  parce  qu'on  craignoit  qu'après  la 
mort  de  M,  de  Montigni ,  qui  jufqu'alors  \gs 
avoit  fontenues  ,  elles  ne  vinfient  à  man- 
quer :  fon  avis  fut  qu'il  falloir  tout  fonder 
fur  la  Providence ,  qui  vaut  mieux  que  tous 
■ks  contrats  dç  cenftîtHtîQn>   Cette  idée  f«t 

Ovj 


K 


3  ^4  L  A    V  r  1 

Sa  Con-  fuivic  ,  Sc  Ics  Filles  du  père  Barré  en  fentî- 
*"^^'  rent  la  juîlefle  &  l'urilité  après  la  mort 
de  M.  de  Monrigni.  Il  auroit  fouhaitté  que 
le  monde  entier  n  eût  eu  des  yeux  que  pouK 
appercevoir  ce  premier  œil ,  qui  veille  fur 
tous  les  hommes ,  &  plus  particulièrement 
fur  les  julles.  «  C'ell ,  écrivoit  il  à  une  Du- 
»»  me  qiiiLaJJîfloit ,  c'eft  la  divine  Providence 
»*  que  vous  devez  regarder  en  ma  chcti- 
«  ve  perfonne.  C'efl:  à  elle  que  vous  avez 
>>toutes  les  obligations  ,  que  vous  penfez 
»  m'avoir.  Elle  n'a  befoin  de  perfonne  pour 
y*  vous  fecourir  ,  ni  de  moi  plutôt  que  d'un 
5'  autre.  Ne  vous  inquiétez  donc  de  rien. 
«  Quand  une  mère  feroit  ailez  dénaturée 
5j  pour  abandonner  fon  enfant ,  Dieu  pro- 
>'  tefte  qu'il  ne  vous  abandonnera  pas.  >* 

Ce  fut  par  les  mêmes  principes  qu'il  raf- 
fura  une  perfonne  ,  à  qui  la  crainte  de  le 
perdre ,  &  de  perdre  en  lui  le  plus  fage  Di- 
redeur  qu'elle  eût  jamais  trouvé  ,  donnoit 
de  mortelles  allarmes.  Il  étoit  fi  bien  ar- 
rangé en  matière  de  confiance,  que  par  un 
contrafle  que  la  grâce  feule  peut  bien  dé- 
mêler ,  quand  il  étoit  dans  une  pofition 
tranquille  il  efpéroit  dç^  croix  j  &  quand  il 
en  étoit  accablé  ,  il  efpéroit  que  Dieu  vou- 
droit  bien  l'en  décharger  ,  ou  cki  moins 
les  adoucir.  »  Ah  !  Seigneur  ,  difoit-il  à  un 
)  »>  ami  5  fi  je  regarde  les  peines  de  la  vie  com- 
9y  me  des  chatimens  ,  je  les  mérite  bien  : 
>'  mais  que  j'en  fuis  indigne ,  fi  je  les  regarde 
«  comme  des  dons  de  votre  miféricordc»  a> 


DE  M.  BouDON.  Liv.  ÎIÎ.  315 
AufTi  craignoit-il  plus  le  moment  où  il  ^?^°^^' 
dévoie  cefTer  de  fouffrir  ,  qu'un  Chrétien  ^*' 
foible  ne  foupire  après  lui.  Cependant  com- 
me il  connoiffoit  admirablement  bien  les 
routes  &  la  conduite  de  la  Providence  , 
ôc  qu'il  ne  vouloir  que  ce  qu'elle  vouloir 
elle-même  y  il  ne  doutoit  point  que  fes  plus 
vives  difgraces  ne  duffent  avoir  un  terme  , 
&  il  l'eipéroit  avec  une  pleine  confiance 
Dans  la  cruelle  guerre  que  lui  firent  ceux 
qui  avoient  animé  Ton  Evêque  contre  lui, 
il  difoit  hautement  à  fes  amis  que  cet  orage 
pafleroic ,  que  M.  de  Maupas  reviendroit  de 
fçs  préventions  -,  qu'il  rentreroit  dans  fes 
bonnes  grâces ,  de  que  les  pouvoirs  de  prê- 
ciier  &c  de  confeflcr  lui  feroient  rendus. 

Pour  ce  qui  cd  de  l'emploi  de  grand  Vi- 
caire ,  dans  lequel  il  ne  put  être  rétabli , 
parce  qu'on  l'avoir  donné  à  un  autre,  il  crue 
encore  >  &  on  a  cru  avec  lui ,  que  c'étoic 
un  coup  de  la  main  de  Dieu  ,  qui  lui  en 
avoit  fermé  la  porte.  Uniquement  borné  à 
la  conduite  d'un  feul  Diocèfe ,  il  n'eût  pa 
donner  à  l'Eglife  ce  grand  nombre  d'Ou- 
vrages folides ,.  qui  ont  édifié  la  France  ^  ou 
plutôt  l'Europe  toute  entière  ,  &  qui  éclai- 
rent encore  aujourd'hui  l'un  &  l'autre  hé- 
misphère. 

Sa  confiance  alloit  fi  loin  ,  qu'elle  ne 
eonnut  jamais  ces  timides  prévoyances ,  donc 
la  fageffe  humaine  croiroir  ne  pouvoir  s'é- 
carter fans  tenter  Dieu.  11  entreprenoit  fans 
argent  de  longs  voyages ,  avec  plus  d'aiïu- 


5i<^  La  Vie 

^\^^'fancequ*un  riche  Financier  dont  la  bourfe 
e/l  amplement  fournie.  Il  ne  s'inquiétoit  ni 
du  lendemain,  ni  du  moment  d'après.  Les 
befoins  du  prochain  ctoient  les  premiers 
qui  roccupaiTent  :  il  ne  fçavoit  pas  ce  que 
c  eroit  que  de  penfer  aux  fiens.  Un  jour  qu'il 
paflbit  par  la  Flandre  Efpagnole ,  la  femme 
d'un  Officier  lui  demanda  de  quoi  délivrer 
fon  mari  de  prifon.  11  lui  donna  tout  ce  qu'il 
avoir  d'argent ,  &  continua  fa  route  ,  bien 
pcrfuadé  qu'il  ne  mourroit  pas  de  faim.  Le 
jour  n'étoit  pas  fini ,  que  la  racmc  fomrae 
ôc  en  mêmes  efpéces  lui  fu:  rendue  par  une 
perfonne  qu'il  ne  connoifToit  point. 

Une  autre  fois  il  fortit  de  Bordeaux  fans 
avoir  une  obole  pour  faire  fa  route.  Son  in- 
quiétude,  s'il  en  eût  été  capable,  n'auroir 
pas  duré  long-tems.  Un  inconnu  fe  pré- 
ientaà  lui  avec  une  fomme  confidérable, 
&  le  pria  de  l'accepter.  Boudon  le  remer- 
cia félon  fa  coutume ,  de  ne  prit  que  le  peu 
dont  il  avoit  befoin  pour  fc  défrayer.  Ce 
peu  même  étoit  moins  à  lui ,  qu'au  premier 
venu  qui  en  avoit  befoin.  En  forrant  d'An- 
dely  ,  une  Dame  lui  glifîa  trois  écus  dans  fa 
poche  j  à  quelques  pas  de  -là  un  pauvre  lui 
demanda  l'aumône  ,  Boudon  lui  donna  ces 
trois  écus ,  ôc  la  Providence  voulut  bien  y 
fuppléer. 

Sa  vie  efl  pleine  de  traits  femblablcs.L'ef- 
prit  de  Dieu  lui  ayant  infpiré  un  voyage 
pour  fa  gloire  ,  il  Ce  mit  à  difpofer  fa  valife 
afin  de  partir  le  lendemain.  Il  n'avoit  pas 


DE  M.  BouDON.  Liv.  III.       517 

«n  fol  ',  mais  chez  lui  c'étoit  la  plus  pcrire  ^^  Con* 
choie  du  monde.  Le  foir  même  il  reçue  ^^"' 
deux  cens  livres  de  M.de  Bernieres.  Celui- 
ci  dans  Ton  oraifon  avoir  connu  que  le 
grand  Aichidiacre  en  avoir  befoin  ,  &  il  s'é- 
roit  fenti  pre/Iéde  les  lui  envoyer.  C'étoit  à 
la  vue  de  ces  faveurs  que  Boudon  difoic 
quelquefois  :  La  Providence  s'eft  engagée  à 
ne  nous  point  manquer  ;  &fes  promejjes  font 
un  contrat ,  qui  vaut  mieux  que  toutes  les 
êbligations  des  hommes  pajfées  pardevant 
Notaires. 

Il  faut  cependant  avouer  que  fa  confiance 
étoit  quelquefois  mifc  à  Pépreuve.  La  nuit 
l'ayant  furpris  avec  fon  guide  auprès  d'un 
Château  qui  appartenoit  à  une  de  fes  cou- 
fines ,  il  la  fit  prier  de  lui  donner  le  cou- 
vert. Maïs  cette  Dame ,  haute  &  fiere  ,  lui 
fit  dire  à  la  porre  qu'elle  neconnoiflbit  point 
de  gueux  pour  parens.  Un  compliment  fi 
dur  ne  l'émut  point.  Il  n'avoit  pu  loger 
dans  un  palais,  il  logea  dans  la  chaumine 
d'un  pauvre  charbonnier ,  qui  le  reçut  de 
fon  mieux.  A^ïh  tout,  la  Providence  en 
le  traitant  ainfi ,  le  fervoit  à  fon  goût.  Uns 
table  fomptueufe  lui  plaifoit  moins  que  dxi 
pain  bis  &  des  noix.  Sa  plus  grande  confo- 
lation  eût  été  de  manquer  de  tout ,  &:  de 
mourir  au  milieu  d'un  ruiffeau  ,  comme  une 
béte  de  rebut ,  que  tout  le  monde  aban- 
donne. C'ell  pour  cela  qu'il  avoit  une  ten- 
dre dévotion  pour  Tilluflre  Evcque  &  Mar- 
tyr S.  Vaiérien ,  qui  en  conféquencc  de  Tor^ 


32?  LaV^ie 

è^ccT  ^^^  ^^"^^  ^'^"  ^^^"^^  hérétique  ,  ne  pow' 
vant  trouver  ni  feu ,  ni  lieu ,  mourut  de 
faim  ôc  de  mifere.  «  Et  voilà  ,  difoic-il ,  les 
"  grandes  faveurs  de  la  divine  Providence 
»»  envers  Ces  Elus.  Elle  n'honore  pas  ainfî 
"  toutes  fortes  de  perfonnes.  O  que  l'on 
«  eft  heureux  d'avoir  quelque  part  à  la  vie 
9^  crucifiée  deJefus!  Cela  vaut  mieux  que- 
utons le^plâifirs,  3€  toutes  les  vaines  fa- 
*>  tisfadtions  de  la  terre ,  ôcc,  »>- 

Il  gémiffoit  de  Ces  fautes  ,  mais  fans  fe 
troubler ,  fans  fe  décourager ,  fans  douter 
un  moment  des  miféricordes  infinies  de 
Dieu.  «  Quoi ,  difo'u-il ,  nous  fçavons  que 
«  Jefus-Chrill  efî  notre  caution  ,  que  fon 
w  fang  efti  nous ,  ôc  nous  manquerons  d'ef- 
»'  pérance  ?  Si  nous  avons  de  grandes  dettes  ^ 
>*  n'avons-nous  pas  de  quoi  payer  ?  Le  Père 
"  éternel  nous  ayant  donné  fon  Fils  ,  ne 
«  nous  a-t-il  pas  tout  donné  avec  lui?  Ôc 
^>  ce  Fils  fe  donnant  foi.même  ,  peut-il  nous 
>>  refuferfon  Paradis,pourvuque  nous  nous 
«en  rendions  dignes  en  faifant  fa  très- 
»  fainte  volonté  ?  »> 

Telle  fut  toujours  la  confiance  du  grand 
Archidiacre  d'Evreux.  Tout  étoit  de  fon 
refibrti  le  bien  ôc  le  mal ,  le  tems  ôc  l'éter- 
nité ,  les  befoins  de  l'ame  ôc  les  befoins  du 
corps.  Plein  d'efpérance  ,  lors  même  que 
tout  paroifibir  défefpéré  ,  il  voyoit  toujours 
àfadroire  un  Dieu  qui  l'empêchoit  de  s*é- 
branler  -,  Ôc  la  Providence  qui  l'expcfoic 
aux  vents  les  plus  orageux ,  ne  lui  paroifToiv 


DE  M.  BoUDOK.  Liv.  m.  32^ 
pas  moins  aimable  ,  que  celle  qui  le  con-  S|  Com 
duifoit  au  port  à  pleines  voiles.  De  -  là  ces  ^"'^** 
paroles  qu'il  a  fouvent  répétées  ,  &  par  lef- 
quellesnous  hniians  cette  matière  :  «  O  di- 
«  vine  Providence,  quand  je  penfeaux  foins 
»  que  vous  prenez  de  moi ,  qui  fuis  le  der- 
»y  nier  des  hommes ,  je  ne  fçais  plus  que  de- 
»  venir.  Mes  forces  s'affoibliiTent ,  je  ne  dé- 
«  couvre  de  toutes  parts  qu'un  abyfme  d'a- 
M  mour  ,  où  il  faut  que  je  me  perde.  »  Mais 
il  ne  fe  perdoit  dans  cet  abyfme  qu'à  la  fa- 
çon des  Saints ,  je  veux  dire ,  qu'en  rendant 
amour  pour  amour  ^  autant  qu'il  lui  étoic 
polTible.  C'eft  de^quoi  Tartick  fuivam  ne 
nous  permettra  pas  de  douter. 

§»  IlL  Son  Amoîtr  pour  Dieu, 

J'avoue  de  bonne  foi  avec  un  des  meil-     ^°" 

1  .1  /<  .        A      I  .  1  amour 

leurs  amis  de  notre  faint  Archidiacre,  que  pour 
rien  ne  m'effraye  dava.nrage  ,  que  l'obliga-  ^^«^ 
tion  eu  je  fuis  d'expofer  ici  le  défintérefiTe- 
ment ,  la  fuWimité ,  ôc  toutes  les  dimen- 
fions  de  la  charité  qui  dé-vora  fon  cœur.  Ce 
que  la  folie  desamans  profanes  leur  fait  ima- 
giner en  fa  ver  r  de  l'objet  qui  les  atrachc  , 
n'efl  rien  en  comparaifon  de  ce  que  la  vraie 
fageffc  luiinfpira  par  rapporta  fon  Bien- 
aimé.  Il  n'y  auroit  qu'un  deecsEfprits  donr 
le  Dur  amour  fait  l'aliment,  cui  pût  nous 
bien  développer  ce  qui  fe  paiToit  en  lui.  Au 
défaut  de  ces  expreffions  toutes  de  feu ,  que 
notre  folblcfe  ,  &:  plus  encore  notre  lan- 
gueur nous  iziccrdifent  ,nous  cmpruntcrcnj 


330  L  A   Vie 

Son  les  fiennes  propres.  Boudon  fera  le  feuî  à 
7o°u"/  paï^lcr  ici.  Le  défordre ,  les  répétitions  mé- 
Dieu.  mes  qu'on  pourra  trouver  chez  lui ,  le  ren- 
dront mieux  que  nous  ne  pourrions  faire  ; 
ôc  quelque  vif  que  fût  fon  langage ,  on  fcn- 
rira  bien  qu'il  fut  toujours  beaucoup  au- 
de  (Tous  de  fes  fentimens. 

Et  d'abord  par  une  de  ces  grâces  qui  tien- 
nent du  privilège  ,  à  peine  eut  -  il  l'ufage 
de  la  raifon  ,  que  fon  cœur  commença  à 
brûler  des  flammes  du  faint  amour.  «  Je  loue 
"&:je  remercie  la  divine  Providence,  di- 
>i  fou-il  un  jour  ,  de  ce  que  par  une  miféri- 
»>  corde  ineffable  ,  elle  m'a  prévenu  de  fes 
»'  divins  attraits  pour  fon  amour.  Elle  me 
"  faifoit  demander  à  Dieu  cet  amour  des 
"  ma  jeuneflfe  par  des  prières  réitérées  avec 
^  inf^ance.  Déjà  ,  fans  trop  entendre  ce  que 
«»  jedifors,  jecrioisaudivin  amour  j  6«:  dans 
»  la  fuite  du  tems  à  l'amour  de  Dieu  feuI. 
»  Ces  grandes  3c  furprenantes  miféricordes 
»  ont  toujours  continué ,  &  même  augmcn- 
i>  té  malgré  toutes  mes  infidélités.  « 

Et  en  effet  depuis  Tâge  de  neuf  ans ,  où  it 
iÎL  fa  pren.lere  communion  avec  une  fer- 
veur qui  ne  fe  trouve  guères  dans  la  plupart 
de  ceux  qui  difent  leur  première  Mcfle  i  il 
n'eut  que  Dieu  feul  dans  fon  cfprit ,  dans 
fon  cœur  ,  dans  fes  paroles ,  dans  fes  ac- 
tions. «  Dieu  feul ,  difoir-ilfans  fe  lafler  ja- 
mais ,  6c  fans  examiner  s'il  ne  laflbit  point 
les  autres ,  »  Dieu  feul  dans  l'union  de  Je- 
»>  fus-Chriil ,  notre  aimable  Sauveur ,  c'ed 


DE  M.  BouDON.  Liv.  m.        551 
w  tout  ce  que  j'ai  à  dire ,  de  tout  ce  que  je     ^^^ 

j.  •  .  5-1     »  T>'         amour 

9'  puis  du*e  :  car  je  vois  qu  il  n  y  a  que  Dieu  p^^r 
»j  feul  :  je  ne  trouve  que  Dieu  feul  par  tout  -,  Dieu. 
»  je  vois  qu'il  efl  le  grand  tout  :  je  vois  que 
93  les  créatures  ne  font  rien.  Ah  !  iî  toutes  les 
»  créatures  ne  font  rien  ,  comment  donc 
f»  peut  -  on  s'y  artêrer  ?  Quelle  illufion  de 
»■>  chercher  leur  amitié  ,  de  s'y  plaire ,  d'y 
»j  mettre  fa  confiance  ,  d'y  décharger  fou 
yy  cœur  ?  Quelle  extravagance  de  quitter 
>'  celui  qui  cÛ  tout ,  pour  courir  après  ce 
»>  qui  n'eft  rien  j  de  s'affliger  de  rien  ;  de 
«  s'appuyer  fur  rien  ^  de  fe  peiner  de  la 
"  privation  de  rien  ,  de  fe  tourmenter  des 
i»  contradidlions  du  rien  ?  Ah  !  n'ayons  plus 
i>  d'autre  plaifir ,  que  le  bon  plaifir  divin  j 
»  d'autre  confolation  que  Dieu  feul ,  d  au- 
u  tre  volonté  que  la  fienne  ^  fans  être  jamais 
3>  affez  téméraire  pour  vouloir  éplucher  un 
»  feul  moment  les  raifons  de  fon  aimable 
«  Providence.  Et  que  peut  oppofcr  ,  le 
»  rien  à  la  conduite  du  grand  Tout  ?  Eft- 
»  ce  au  malheureux  néant  à  vouloir  péné- 
»*  trer  les  impénétrables  defleins  de  l'Etre 
«  infini  ?  Qu'il  n'y  ait  donc  pas  en  nous  le 
>•  moindre  petit  mouvement  de  la  plus  lé- 
«gère  oppofirion  à  (es  ordres.  Ce  qui 
»  doit  faire  notre  unique  occupation  au 
»'  milieu  de  toutes  nos  occupations ,  notre 
*>  emploi  dans  tous  nos  emplois  ,  notre 
w  grande  ôc  feule  affaire  dans  toutes  nos  af- 
»  faires ,  c'efl  de  vivre  ,  d'agir  ,  de  fouffrir 
M  pour  ce  Dieu  feul.  Ah  1  Dieu  feul  tous  les 


33i  I-A  Vie 

Son  »  momens  de  la  vie  -,  Dieu  feul  à  la  mort  : 
^pout'  "  ^^^"^  ^"^^^  érernellemcnt  après  la  mort.  >» 
Vicu,  Des  fcntimens  fi  vifs  ,  û  enflammés  ne 
fuffifoient  pas  à  la  vafle  capacité  de  fon 
cœur.  Comme  TEpoufe  du  Cantique  ,  il 
fuccomboit  fous  le  poids  de  fon  amour  -,  & 
ce  poids  il  le  trouvoit  toujours  trop  léger. 
Ce  n'éroit  ni  de  fleurs  ,  ni  de  fruits  qu'il 
vouloit  être  appuyé  dans  fa  défaillance.  L'a- 
mour 5  le  feul  amour  étoit  capable  de  le 
foutenir.  »^  O  mon  Dieu  !  difoit-il  dans  ces 
pieux  élans ,  qui  ne  peuvent  naître  que  de 
la  charité ,  «  c'eft  votre  amour  que  je  cher- 
»  che ,  c'eft  vorre  amour  que  je  veux  ,  c'ell 
»  votre  amour  que  je  demande  j  je  n'afpire 
»  qu'après  cet  amour.  » 

Ce  n'étoif  ni  par  intervalles  ,  ni  par 
bonds ,  fi  j  ofe  m'exprimer  ainfi  ,  que  ces 
pieux  mouvemens  fortoicnt  de  fon  ame. 
Il  les  fentoit  le  jour  &  la  nuit.  Le  divin 
amour  avec  lequel  il  s'étoit  endormi ,  le  ré- 
veilloit  ;  &  la  première  penfée  qui  l'occu- 
poit ,  étoit  celle  de  ne  refpirer  que  pour 
fon  Dieu  Tout  le  rcfle  étoit  frivole  à  fes 
yeux  i  de  il  n'aaroit  pas  fait  un  pas  pour 
voir  Salomon  dans  route  fa  gloire  ,  û  l'efpé- 
rance  d'apprendre  à  fon  Ecole  l'amour  du 
Dieu  des  vertus ,  ne  l'y  eût  invité.  Nous 
avons  dit  qu'à  Munick  il  ne  daigna  pas , 
quoiqu'on  l'en  prefTàt  beaiicoup  ,  entrer 
dans  le  Palais  Eledtoral  ;  nous  ajourerons 
ici ,  que  quoiqu'il  ait  logea  Paris  des  mois 
entiers  chez  M^  le  Prince,  il  ne  voulut  ja- 


©I  M.  BouDON.  Lrv.  lîL       55 J 
mais  voir  fa  riche  ôc  luperbe  bibliothèque.     ^^ 
«  Ccd ,  difoit-il  en  rendant  compte  de  cette    ^^^J? 
conduite ,  qui  au  premier  coup  d'œil  paroît    Dieu, 
un  peu  farouche ,  »»  c'eft  que  des  perfonnes 
yi  confacrics  à  Dieu ,  comme  nous  le  fom- 
5^  mes  3  ont  bien  d'autres  chofes  à  voir  que 
9>  tout  cela.  O  !  combien  de  chcfcs  admira- 
9i  blés  êc  divines  à  confidérer  daiis  le  monde 
»  intérieur  de  la  grâce  -,  &:  que  ce  qui  éclate 
>y  le  plus  dans  ce  monde  vifible ,  e/tpeu  de 
9i  chofe ,  Se  même  n'eft  rien ,  fi  on  le  com- 
>^  pare  à  ce  qui  fe  pafTe  dans  le  monde  da 
y»  nouvel  homme.  Que  la  terre  me  déplaît , 
y»  difoit  S.  Ignace  ,   quand    je  regarde  le 
9>  Ciel.j^» 

Un  homiT^e  Ci  univerfeHement  mon  à 
tous  les  êtres  créés ,  fi  conflamment  atta- 
ché à  Dieu  ,  devoir  marcher  comme  de  lui- 
même  en  la  préfence  de  fon  Seigneur,  ôc 
trouver  en  lui  cette  paix  &  cette  tranquillité 
qui  vont  toujours  à  fa  fuite.  Boudon  jouit 
de  l'un  &  l'autre  avantage.  Sa  douleur  étoit 
de  voir  ,  qu'un  Dieu  plus  préfenr  à  notte 
ame  ,  que  rotre  ame  ne  l'eft  à  elle-même  , 
fût  û  oiibL.  'e  fes  créatures.  «  Eft-il  pofll- 
"ble  ,  àifou  !  ,  que  Dieu  qui  fera  toute 
y>  roccupatioii  ^es Bienheureux  ,  &  par-là 
3> toute  leur  fciivité,  feroit  ainfi  méconnu 
«  dans  le  monde  .  5era-t-il  vrai  que  nous  ne 
3J  pourrons  nous  nouvoir  qu'en  Dieu,  que 
yy  nos  regards  rr  pourront  fe  faire  qu^au 
*j  travers  de  Di  a  ,  que  fi  nous  refpirons, 
w  ce  fera  en  Dieu  :  fera-t-il  vrai  que  l'Etre 


354  L  A    V  I  I 

"Son  i>  de  Dieu  efl  infiniment  préfent  à  notre 
*^ur"^  "  ^^^^  '  ^^^  ^^  ^^  péncrre ,  qu'il  l'anime  ,  qu'il 
jpicu.  "  le  foucienc ,  qu'il  lui  donne  la  vie  Se  l'o- 
»  pération  ,  &  qu'avec  tout  cela  nous  ne  le 
«  regarderons  pas ,  &•  que  nous  ne  penfe- 
»*  rons  point  à  lui  ?  Si  Dieu  eft  un  feu ,  ajou- 
«  toii-il ,  il  faut  que  puifque  nous  fommes 
*>  toujours  en  lui  ,  nous  foyons  toujours 
«  dans  le  feu  ôc  dans  l'amour  :  quel  moyen 
w  donc  de  ne  pas  brûler  Ôc  de  ne  pas  aimer  ? 
»Par  quel  prodige  le  fer  fera-t-il  long-tems 
»  dans  une  fournaife  ardenre  ,  fans  prendre 
»  bientôt  les  qualités  de  l'élément  qui  l'en- 
»>  vironne.  Le  feu  efl  dans  nos  poitrines  » 
3' comment  donc  fommes -nous  toujours 
»^  glacés  ?  Il  me  prendroit  envie  d'aller  par- 
>' tout  crier  au  feu,  non  pour  l'éteindre, 
w  mais  pour  l'allumer  où  il  ne  bruleroic 
^  pas ,  &  pour  appclier  au  fecours  tous  ceux 
«  qui  aiment  véritablement ,  afin  que  tous 
"  enfemble  nous  le  filTions  brûler  encore 
»  davantage.  Ah  !  fi  nous  confidérions  dans 
»  un  profond  recueillement  ces  paroles  de 
>»  notre  grand  Maître:  Je  fuis  venu  apporter 
»»  le  feu  en  terre  ,  &  que  veux-je ,  finon  qu'il 
»3  brûle  ?  nous  entrerions  dans  les  defleins  de 
»»  ce  Dieu  d'amour  ,  &  nous  ne  penferions 
9>  qu'à  le  faire  aimer  de  tous  les  hommes,  » 
Cette  pente  '^ers  Dieu,  qu'un  exercice 
fuivi  rendoit  cciT;me  invincible,  étoit  ac- 
compagnée de  certe  joie  fainre  ,  qui  n'eft 
propre  que  des  vrais  enfans  j  de  cette  paix 
invariable ,  que  le  monde  ne  donne  point  ^ 


I 


DE  M.  BOUDON.   LlY.    IIÏ.  m 

Se  qu'il  ne  peut  ôter.  »  Il  eil  vrai ,  difoit  le  Son 
i>faim  homme  y  ôc  il  ell:  bien  vrai ,  quccom-  ^-^^°"^ 
"  me  i^œii  ne  peut  fouffrir  la  plus  petite  dùh» 
»i  pouïïîere  ,  fans  en  être  incommodé ,  de 
»>  même  le  cœur  ne  peut  admettre  le  moin- 
i*  dre  mêlante  d'amour  étranger ,  fans  en 
"  redentir  de  la  peine.  C'cd  pourquoi  on 
"  trouve  peu  de  perfonnes ,  je  ne  dis  pas 
"  chez  ks  mondains  ,  je  dis  chez  les  gens 
»  de  bien  ,  qui  ne  vivent  que  dans  une  jufti- 
>'  ce  commune  ,  qui  polTédent  d'une  nia- 
»  niere  conitaiite  cette  paix  ,  laquelle,  corn- 
»y  me  le  dit  S.  Paul ,  furpaiTe  tout  fenriment, 
w  ôc  qui  pour  n'être  pas  toujours  appcrçue 
>'  de  la  partie  inférieure  ,  ne  laifie  pas  de 
»j  réfider  avec  plénitude  dans  le  centre  de 
>■»  l'aiiie  ,  au  milieu  de  toutes  les  agitations 
»j  &  de  toutes  les  tempêtes  qui  peuvent  s'é- 
»  lever  contre  elle.  » 

Ot  ce  portrait  d'une  ame  ,  qui  à  force  de 
s'être  accoarumée  à  ne  vouloir  que  Dieu  , 
relie  en  quelque  forte  immobile  au  milieu 
des  orage: ,  comme  l'eft  un  rocher  au  milieu 
des  flots  ,  qui  fc  biifent  follement  contre 
iui3  ce  portrait,  dis  je,  eil  la  vraie  image 
du  j,Land  Archidiacre  d'Evreux.  Dans  quel- 
que fifuanon  qu'il  fe  foit  trouvé ,  quelque 
a  (faut  qu'il  ait  eu  à  fou  tenir  ,  Ôc  peu  de 
Saints  en  ont  eduyé  de  p^js  violcns ,  fon 
cœur  fut  toujours  inondé  â\m  fleuve  de 
paix:  &  cette  paix  éroir  fi  pleine,  fi  abon- 
dante .  qu'elle  rejaiHinoit  far  tout  fon  exté- 
rieur. Aulli  a-t-on  die  de  lui ,  comme  Sui- 


35<^  L  A   Vi  E 

Son     pice  Sévère  die  du  grand  S.  Martin  ,  qu'il 


amour        y 


pour  ^^  y  ^vo^^  ^"i^^^  ^^"^  ^^  bouche  que  J.  C.  rien 
Dieu,  dans  fon  cœur  que  la  piété  ,  la  miféricorde , 
Ja  paix  &  la  douceur  -,  que  comme  cet  ad- 
mirable Pontife  ,  il  portoit  fur  fon  vifagc 
une  joie  célcfle  j  &  qu'aufTi  éprouvé  que 
lui ,  &  peut-être  plus  que  lui ,  il  fçut ,  à  fon 
exemple,  ne  juger  mal  de  perfonne  ,  ne 
condamner  perfonne,  ne  rendre  jamais  le 
mal  pour  le  mal  à  perfonne  i  &  être  fi  con- 
ftamment  femblable  à  lui-même  dans  tous 
\^s  états  par  où  il  a  plu  a  Dieu  de  le  faire 
paffer  ,  qu'on  l'eut  pris  pour  un  homme 
d'une  efpécc  différente  de  la  notre. 

Pour  entretenir  cette  paix  qui  naît  de  la 
parfaite  dileétion  ,  Se  pour  redoubler  de 
plus  en  plus  cette  dileàion  fainte ,  notre 
vertueux  Prêtre  écartoit  de  lui  avec  une  at- 
tention extrême  tour  ce  qui  auroit  pu  y  dé- 
plaire à  Dieu.  Les  taches  les  plus  légères 
l'effray oient ,  &  il  ne  concevoit  pas  com- 
ment un  Chrétien  ,  qui  aime  èc  qui  craint, 
peut  de  propos  délibéré  offenfcr  Tobjet  de 
fa  tendrelTe.  Mais  il  ne  febornoit  pas  a  fnir 
le  péché  &  fes  fauflès  douceurs ,  il  faifoit  à 
fon  Maître  un  facrifice  perpétuel  de  fes  pi  'S 
innocenres  fatisfaélions.  Il  ne  connoiffoir  ni 
récréations,  ni  aucun  de  ces  délaffemens, 
que  la  nature  épuifée  par  un  long  Se  péni- 
ble travail ,  fe  croit  nécelTaircs.  Jamais  on 
ne  l'a  vu  à  Paris  refpirer  l'air  &  les  parfums 
du  printems  dans  ces  jardins  fuperbes  ,  qui 
font  ladmiration du  Citoyen  &  de  l'Etran- 
ger. 


LV.    Aî.    BOUDON.  Liv.    lîT,  327 

ger.  Janîais  on  ne  Ta   vu   entrer  clans  ces     ^on 
conveilations    prcfanes  ,   eu  tout  ell    de   ^'^*'"' 
n-iiic ,  excepté  Dieu  6c  Tes  intérêts.  Un  joli    Dku, 
dans  une  voiruic  publique  ,  eu  par  nulle 
bagatelles  qui  fe  fuccédoienr  avec  vivacité, 
onchaimoit  lennui  du  vo)age,  Themme 
de  Dieu  feul  jctta,  fans  le  vouloir,  un  grand 
cri,  dont  la  compagnie  fut  efirayée.  On  lui 
en  demanda  la  raifcn.  «  Hélas  I  répliqua- 
"r-il,nous  nous  occupcns  en  p ure  perre 
•  ->  de  niaiferies ,  pendant  qu'il  y  a  un  Dieu  , 
"  qui  pourroit  fi  folidement  occuper  nos 
"  cœurs,  &  être  la  matière  de  nos  entre- 
"  riens.» 

Ce  qu'un  mouvement  îndélibére  3c  fubit 
iîr  dire  ôc  faire  à  Boudon  dans  cette  conjon- 
durejlla  fait  &  dit  tous  Iqs  joins  de  fa 
vie.  Il  n'éfoit  pas  de  ces  amans  oififs  ,  à  qui 
les  fentimcns  fuffifent.  Sa  charité  fur  adive, 
'  Jaborieufe  ,  anifi  incapable  de  repos  qi.e  le 
feu  ,  qui  en  eft  le  f\  mbcîe.  Nous  l'avons  vu 
jufquici  :  il  fut  daPiS  les  plus  féricux  travaux 
dès  fa  jeuneiTe  j  ^  fes  travaux  qui  avoienc 
pour  principe  la  charité,  n  avoienr  qi  e  la 
charité  pour  fin.  Il  avoir  un  àcûr  ,  rne  faim 
infatiablede  faire  connoitre  à  tout  le  mcnde 
le  bonheur  qu'il  y  a  d'aimiCr  Dieu.  «  Ma 
»  joie  ,  dîfou-il ,  ç{ï  de  pouvoir  crier  à  l'a- 
>»  mour ,  au  pur  amour  de  Dieu  feul  en  trois 
"  Perfonnes ,  &  de  di,  e  à  tous  les  hom.mes  : 
«  Aimons  Dieu,  &  aimons-le  généralement, 
"Aimons-le  dans  roures  nos  actions,  dans 
"  toutes  nos  fouffrances,  dans  tout  ce  que 

P 


5  3^  La   Vie 

»*  nous  fommes.  Aimons- le  dans  tons  le» 
Amour  "  ii"iomens  de  norre  vie,  dans  rinftant  de 
pour  t>  notre  mcrr,  pour  ne  jamais  cefler  de  Tai- 
piçu.  „  nier  après  notre  mort.  Aimons  Dieu  Se 
"  Dieu  feul ,  quoi  qu'il  nous  en  coure  ,  ôc 
93  ne  foyons  pas  afiez  malheureux  pour  par^ 
w  rager  nos  cœurs  .&  nos  affections ^  dcc.  » 
Mais  l'amour  faifoit  chez  lui  quelque 
chofe  de  plus  fort ,  que  de  le  faire  crier  à 
l'amour.  Il  l'uniiToit  parfaitement  à  toutes 
les  volontés  de  Dieu  \  Se  les  ordres  les  plus 
amers  de  ce  grand  Maître  n'avoient  pour  ce 
fervireur  fidèle,  que  la  douceur  du  miel  le 
plus  délicieux."  Pourquoi,  s' écrioit-il y  pom- 
«  quoi ,  ô  mon  Dieu  ,  ne  pas  voler  au  pre- 
"  mierfignede  votre  volonté?  O  Dieu  de 
»j  mon  cœur  ,  que  votre  volonté  fe  fade  en 
"la  terre  comme  au  ciel.  Courage,  mon 
»>  ame  ,  tirons  toujours  du  côté  de  la  vo- 
w  lonté  de  Dieu  :  que  fon  bon  plaifir  foit  à 
•>  jamais  notre  unique  plaifir.  Dieu  de  l'é- 
"  tcrniré  ,  difoïî-il  encore  ,  quand  vousm'ac- 
»>  câbleriez  de  miferes ,  je  vous  trouverai 
V  toujours  infiniment  aimable.  Je  veux  em- 
9>  brafler  avec  amour  votre  divine  main , 
>j  quand  elle  ne  feroit  pleine  que  de  foudres 
»*  pour  m'écrafer.  Ah  !  main  infiniment  ado- 
??  rable  ,  je  vous  baiferai  toujours ,  quelques 
9>  coups  que  vous  puifliez  me  porter.  »* 

Tels  étoient  les  fentimens  de  l'homme  de 
Dieu  :  en  eft-il  de  plus  nobles ,  de  plus  gé- 
néreux ?  Oui ,  à  fon  avis,  il  y  avoit  encore  uri 
pas  à  faire,  ç'étoit  d'aimer  Dieu  uniquement 


DE  M.  EouDON.  Lîv.  ÎIL      5^9 
pour  lui,  ôz  fans  aucun  retour  fur  foi-mcme  :     sofi 
E:  c'€{ï  ce  quil  s'eifoiçoic  de  faire.  AufTi  Airoar 
quand  il  vit  quelques  Théologiens  difputer    ^'\'^' 
à  l'occafion  du  Livre  de  AL  de  Cambrai ,  û    ^'''"' 
on  pouvoir  aimer  Dieu  ,  fans  avoir  égard  à 
la  récompenfe  :  Je  ne/fais  ,  dit  il ,  comment 
ces  Mcjfieurs  lente/ident  i  maisjefcais  bien 
que  f  aime  Dieu  purement  -pour  V amour  de 
lui-même.  Ce  n'e'll  pas  ,  die  un  de  Çqs  meil- 
leurs amis,  qu'il  air  jamais  prérendu  exclure 
i  acle  ouïe  motif  de  refpérance  chrétienne; 
puifqu'il  fçavoit  comme  un  autre ,  Se  mieux 
que  bien  d'autres,  que  David  5iS.  Paul  ont 
fervi  Dieu  dans  la  vue  de  la  récompenfe. 
Maisc'eft  qu'il  étoit  perfuadé  de  deux  cho- 
ies ,  l'une  que  Tamour  pur  eft  très-poffibîe  ; 
l'autre,  qu'il  fait  partie  de  cette  voie  excel- 
lence ,  que  TApôtre  nous  a  montrée  \ 

$.  IV.  So'a  Oraifofi. 

Si  l'amour  de  Dieu  efl  tout  à  la  fois  î'ef-  Soa 
fet  &c  le  principe  de  l'efprit  d'oraifon ,  on  ne  Orahon, 
peutguères  fe  rappeller  ce  que  nous  venons 
de  dire  de  l'amour  du  grand  Archidiacre  , 
fans  tomber  d'accord  qu'il  a  dû  erre  un 
homme  d'une  très-éminente  oraifon  L'ex- 
cellent Ouvrage  qu'il  a  compofé  fur  cette 
matière  ,  efl  une  preuve  qu'il  en  connoiiToic 
parfaitement  la  théorie  &  la  pratique.  Elle 
lui  étoit  devenue  fi  familière  ,  fi  habituelle  , 
qu'on  pourroitdire  de  lui ,  comme  du  faine 

*  Amu'aminiautemcharifmatameliora,  Et  adhuc_ex-    • 
pcUenuorem  viam  vobis  demonftro  /.  Corintk.  12,  31, 


Oailon 


340  La    Vie 

Son^  Evêque de  Tours,  que  fon  efprît  en  éroîc 
toujours  occupé  :  Invidum  ab  orationefpi- 
ritum  nunqiiam  relaxabut. 

Tout  ce  qui  fe  préfentoir  à  Ces  yeux  étoît 
pour  lui  une  matière  de  réflexions ,  &  ces 
réflexions  ne  manquoient  point  d'élever  Ion 
cœur  à  Dieu  -,  ce  qui  fait  la  fubftance  de 
Toraifon.  Il  rencontroit ,  par  exemple ,  fur 
fa  route  un  jeune  Prince  ,  âgé  de  vingt-trois 
ans ,  qui  ne  penfoit  ni  à  fon  falut ,  ni  aux 
exemples  de  vertus  que  lui  av oient  lai fle  fes 
Ancêtres.  «  Mon  Dieu  ,  s'écrioit^il ,  quel 
S'  malheur  pour  l'autre  vie  que  d  être  grand 
»  dans  la  vie  préfcnre  !  O  qu'il  fait  bon  être 
»*  petit  dans  ce  monde ,  oc  n'y  être  rien  àa 
»  tout  t  Faites-moi  la  grâce ,  ô  mon  Sau- 
»*  veur ,  d'être  méprifé  t  de  vivre  ôc  de  mou- 
w  rir  dans  la  douleur.  »*  Il  voyoit  en  Alle- 
magne une  Eglife  confidérable ,  où  l'on  exa- 
ininoit  auflî  peu  les  mœurs  d'un  nouveau 
Chanoine  ,  que  Ton  examinoit  févcrement 
fes  preuves  de  noblefle.  «  Quel  aveugle- 
9»  men  ,  mon  Dieu  ,  difoit  il  en  gémiffant, 
♦«  Hélas ,  que  fouvent  les  nobles  devant  le 
>»  monde  ,  font  méprifables  devant  Dieu  î 
>'  Que  ceux  que  les  hommes  choififlent , 
«  font  rarement  ceux  que  Dieu  appelle.  »> 
Il  fe  rencontroit  dans  un  pays  hérétique  ,  où 
les  habitans  étoient  bien  logés ,  meublés  fu- 
perbement ,  &  regorgeoient  de  biens.«Mon 
»>  Dieu  ,  d'ffotMl ,  que  vous  faites  peu  de  cas 
9»  des  richefles  de  ce  monde  ,  puifque  vous 
«^  les  donnez  à  vos  ennemis  î  au  lieu  que 


Oraiioa* 


DE  M.  BôUDON.   IlV.  ITT.         54Î 

«  VOUS  réfervez  a  vos  véritables  amis  des  _^o^ 
»  croix  ,  des  tribulations  ,  âcs  peines  conti- 
»  nuelles.  C'efl  que  vous  leur  préparez  dans 
9'  le  ciel  un  torrent  de  délices.  Ah  Seigneur  ! 
3>  que  l'indigence  de  Tafflidion  foient  mon 
5'  partage  r  ie  renonce  aux  biens  du  fiécle  ^ 
11  examinoit  les  précautions  fans  nombre  , 
que  prenoit  la  Police  ,  foit  contre  ^les  in- 
cendies en  certaines  villes  de  Bavière  ,  ou 
chaque  nuit  plufieurs  perfcnnes  font  la 
ronde  ,  ôc  crient  de  routes  leurs  forces , 
qu'on  prenne  garde  au  feu  \  foit  contre  la 
pefte  ,  pendant  qu'elle  étoit  à  Rouen  ,  en 
mettant  à  Evreux  ,  ôc  dans  les  villes  voifines 
des  fentinelîes ,  qui  ne  laifToient  entrer  per- 
fonnefansun  certificat  de  fanté  en  bonne 
âc  dueforme.  «  Hélas!  difoit-il,ces  pauvres 
«  gens  font  ce  qu'ils  peuvent  pour  fe  préfer-, 
«  ver  d'un  feu  pafTager  ,  pour  fe  garantir  de 
"  la  contagion  ;  de  prefquc  perfonne  d'entre 
«  eux  ne  penfe  à  éviter  les  feux  éternels ,  ou 
>y  à  fe  fouilraire  au  péché  ,  qui  efl  le  plus  fu- 
«  neUe  de  tous  fes  fléaux.  " 

C'efl  ainfi  que  le  bien  &  le  mal  rappeî- 
loient  Boudon  à  Dieu.  Mais  il  n'avoir  pas 
befoin  des  objets  étrangers  pour  s'y  porter. 
Ce  grand  Maître  luf  croit  û  préfent ,  que 
feul ,  ou  en  compagnie ,  en  repos  ou  en  ac- 
fion ,  en  voyage  ou  chez  lui,  il  fembloit  ne 
le  point  perdre  de  vue.  La  moindre  dillra- 
dion  de  cette  adorable  préfence  "^  lui  eût  été 

*  Ces  espreiïions  &  autres  femblables  ne  peuvent  avoir 
^u'^uiisgéaéralité  morale.  Les  hommes  les  plus  faims  ent 

P;ij 


O  rai  ion. 


541  '  L  A  Vl  E 

^0^  plus  rude  ,  que  la  diflocation  d'un  de  fef 
membres  :  celle  -  ci  n'eiu  déplacé  qu'un  os  : 
celle-là  auroic  mis  fon  ame  hors  de  Ion 
cenrre.  Cell  ainfi  qu'il  raifonnoit  ,  parce 
que  c'cllainfi  qu'il  éroir  affecté.  Je  fens  qu'on 
aura  peine  à  le  comprendre  j  mais  je  fens 
aufli  que  Dieu  e/t  admirable  dans  Tes  Sainrs, 
^  qu'ils  peuvent  tout  en  celui  qui  les  forti- 
fie. \m  jour  qu'il  éroit  fur  l'eau  avec  un 
grand  nombre  de  paflTagers  ,  il  gémjflfoit  fé- 
crecemenr  de  voir  qu'ils  ne  s'occupaient  que 
du  fpeélacle  que  leur  ofTroit  la  nature ,  fans 
jamais  remonter  à  celui  qui  en  ell:  l'auteur  ; 
cette  réflexion  l'ayant  rendu  tout  penfif, 
quelques  perfonnes  qui  s'en  apperçurenc^ 
lui  en  demandèrent  la  caufe.  ««  Je  penfois  , 
^>  leur  dît-il  ^  que  Dieu  par  fon  immenfité 
»j  remplit  tout  Tunivers  ,  <Sc  même  ce  ba- 
30  teau ,  &  que  perfonne  n'y  penfc.  »  Ce  qui 
Taiiligeoit ,  c'efl  que  ces  fortes  de  difcours  » 
fi  propres  à  rameiier  à  Dieu,  étoient  fou- 
vent  inutiles.  «  îl  faut,  difoit-il  en  lui-même 
i>  à  cette  occafion  ,  il  faut  que  l'efprit  ôc  le 
j>  cœur  de  l'homme  foient  étrangement  dé- 
ii  rangés.  On  lui  dit  :  Voilà  des  bêtes ,  des 
«  maifons ,  des  atbres  j  il  les  regarde  ,  il  en 
3i  parle  ,  il  en  fait  la  matière  de  fon  entre- 
"  rien.  On  lui  dit  :  Voilà  Dieu  ,  il  n'y  fait 
3i  point  d'attention  ,  il  n'en  dit  pas  un  mot.» 
On  le  plaignoit  un  jour  de  ce  qu'il  fe 
trouvoit  feul  dans  une  voiture  publiques 
mais  il  plaignit  encore  plus  ceux  qui  le  phi-? 

d€S  diilxadions  :  ils  pèchent  par  furprife  >  &c, 


deM.  BouDON.  Liy.  IIL       343 
gnoîcnt  fi  à  concretems.  «  Pauvres  aveugles,     Son 
tj  difo't-ile/7  fon  cœur,  j'ai  bien  une  aurix  ^'^^''^"^ 
»  compagnie  que  celle  que  vous  me  fou- 
"  haicez.  Bien  loin  d'avoir  du  plaifir  de  celle 
»  des  créarures  ,  elle  me  donne  de  la  peine  , 
"  parce  qu'elle  ne  Terr  qu'à  divertir  Tappli- 
i3  cation  amoureufe  que  je  dois  avoir  à  mon 
"  Créateur.  O  hom^me,  fi  ru  fçavois  quel 
»  honneur  il  nous  fait ,  en  nous  permettant 
"de  converfer  avec    fa  grandeur    infinie, 
»  que  ne  ferois-tu  pas  ,  pour  jouir  d'un  bien 
«  fi  précieux  ,  fi  divin  l  » 

Ces  vives  afpirations  ,  cerre  atreniioii 
coniuuelle  à  la  préfence  de  Dieu  ,  ne  fai- 
fi^ient  qu'une  partie  de  fon  oraifon.  Nous 
avons  vu  au  premier  Livre  ,que  dès  fa  plus 
tendre  jeunefic  il  y  paflbit  une  partie  des 
nuits ,  ôc  fouvent  les  nuits  toutes  entières. 
Cette  première  ferveur  ne  fut  ralentie  ni  par 
rage  ,  ni  par  les  affaires.  Plus  l'Archidiacre 
vit  fon  compte  s'augmenter  avec  les  em- 
plois ,  plus  il  comprit  la  force  de  ces  paroles 
de  J.  C.  Il  faut  prier  fans  ceffe ,  &  ne  Je  re- 
lâcher jamais  :  &  on  peut  dire  qu'il  tendic 
à  les  pratiquer  dans  le  fens  le  plus  rigou- 
reux. Il  donnoit  Je  marin  un  tems  réglé  à 
l'oraifon.  Il  y  en  donnoit  un  autre  devant 
&  après  la  Méfie.  Il  recommençoit  le  foir, 
&  la  nuit  même  ne  pouvoir  l'arrcter.  Cha- 
que année  il  prenoit  furfcs  occupations  dix, 
quinze  ou  vingt  jours  ,  pour  jouir  à  l'aife 
des  entretiens  du  bien  aimé  de  fon  cœur. 
C'étoit  là  que  plongé  dans  le  fein  de  Dieu  , 

Piv 


O  difon. 


^44  L  A   V  I  E 

Son  co'iime  un  poi:Von  i  eit  dans  les  eaux  de 
i'  >cciii ,  les  femaîiics  pafToien'  poar  lui 
avec  plus  de  rapi  lire ,  que  les  heures  ne 
paî!*en  aux  mondains  au  milieu  des  faufles 
jo'fs  qui  ies  enivrent.  «  Non  ,  difoit-il  en 
9»Ciihj}.ince  ^  W  n'y  a  point  d'txercicc  plus 
do.ix  ,  plus  c^n'olant  ,  plus  lumineux  que 
sioeiiide  lafainie  oraifon.  Elle  diifipe  les 
P>  ténèbres  q'ù  nous  environnent  -,  elle  ou- 
*y  vre  les  veux  aux  plus  bcUes  lumières  du 
3*r!iC'  eî^e  nous  découvre  les  rhrcfors  de 
»  la  grâce  ,  elle  nous  procure  l'union  divine, 
«  elle  nous  rend  invincibles  contrerons  nos 
»>  ennemis  ,  elle  nous  comble  de  toutes  for- 
»>  -es  de  Di  PS.  » 

W  par(^r  que  roraifon  palTive ,  qu'il  a  fî 
bien  décrire  dins  Ton  Livre  du  Kcgne  de 
Di€î4,éum  celle  qji  lui  rc\'enoir  davanta- 
ge Mai<î  H  ne  s'y  livroir  pas  a  une  inaction 
flupide  .  qui  a^rçnd  rour  de  Dieu  fans  raifon 
d'a*rendre.  S  il  fc  preroit  à  l'opérarion  de  la 
grâce,  cé'!)ir  en  homme  qui  fçait  qu'elle 
agit ,  &  qu'el  e  fait  agir  "^  A  i/Ti  ne  vifoic-il 
dans  Toraifon  ,  qu'a  ne  plus  voir  que  Dieu , 
qu'à  ne  plus  aimer  que  lui ,  qu'à  ne  plus  agir 
que  pour  la  gloire ,  qu'à  ne  plus  fouffrir 
qiie  pourvu} ,  qu'à  s'unir  intimement,  fidè- 
lement ,  tendrement  aux  adorables  difpofi- 
tîonsdu  cœur  deJ.  C.  Et  c'efl  pour  cela, 
fans  doute  ,  que  l'oraifon  a  produit  en  lui 

*  M.  Boudon  corrigea  dans  ce  Livre  beaucoup  d'expref- 
fions  ,  de  crainte  que  les  nouveaux  Quiétiftcs  ,dont  le  S» 
Siège  avoir  condamné  la  faufle  fpiriiualité  ,  n'en  abufatf- 
fenc  contre  fon  intention. 


DE   M.  Boue  ON'.  Liv.  III.       54J 
tous  les  cffers  qu'elle  a  coutume  de  produire      -"^J^  . 
^ans  les  plus  grands  Saints. 

Elle  lui  donna,  1°.  une  paix  fi  profonde, 
fi  confiante ,  que  les  nuages  les  plus  fombres 
n'étoient  pas  capables  de  l'altérer  :  2°.  une  fi 
grande  foumilTion  au  bon  plaifir  de  Dieu , 
qu'il  le  béniflbit  également  dans  la  joie 
éc  dans  les  peines  les  plus  ameres:  3^.  un 
amour  û  ardeni  pour  Dieu ,  qu'on  ne  pou- 
voir convcrfer  avec  lui ,  entendre  fes  Ser- 
mons 5  lire  fes  Lettres  ou  fes  Livres  de  piété, 
fans  fe  fentir  atteint  de  la  fiamme  qui  le  dé- 
voroit  :  4^.  un  détachement  fi  univerfel  de 
tous  les  objets  créés,  qu'il  n'eût  pas  voulu 
que  fon  cœur  s'attachât  aux  perfonnes  les 
plus  faintes.  <i  O  qu'il  efl  rare^  difoit-il,  de 
»>  trouver  fur  la  terre  des  âmes  à  qui  Dieu- 
î'  feul  fuffife  !  Qu'il  y  a  peu  de  perfonnes 
»'  qui  puifient  dire  en  vérité  avec  Thumble- 
5'  ôc  dégagé  Saint  François  d'AlTife  :  Mon 
»  Dieu ,  &  mon  tout  !  Quand  on  s'eil  dé- 
>•  fait  de  l'attache  aux  perfonnes  du  fiécle, 
iy  l'on  fc  prend  ,  &  quelquefois  prefque* 
3*  fans  s'en  appercevoir ,  à  celles  qui  fonc  à 
9>  Dieu.» 

Pour  lui  il  gardoît  une  conduite  abfoîa- 
ment  différente.  Il  aimoit  tous  les  hommes , 
Se  fur -tout  les  gens  de  bien:  mais  il  les 
aimoit  fans  attachement,  fans  emprelTement 
pour  leur  eftime  &  pour  leur  amitié.  Il  les 
aimoit  en  Dieu  &  pour  les  feuls  intérêts- 
de  Dieu.  «--O  mon  ame?  fe  difoit-il  à  Im- 
i>  mêiïi€>  donnons  toucç  notre  atre^tioa'i^ 


34^  I-A    Vie 

Son     »  Tadorable  Jcfus.  Contemplons- le  dans?. 

*^"^  ^"'  »  cet  écat  douloureux ,  où  il  fouffre  une  ex^* 

»  trême  privation  de  toutes  les  créatures , 

»  pour  nous  apprendre  qu'il  n'y  a  que  Dieu 

»>  ïeul,  à  qui  nous  devions  nous  arrêter. 

»  Jefus  ell  fi  peu  aimé  des  hommes ,  qu'on 

»  voit  un  peuple  nombreux  demander  fa 

»  mort,  &  crier  à  haute  voix  -.Qu'il  foit 

»  crucifié.  Les  Magiilrats  &  le  Gouverneur 

'>  le  condamnent.  Un  Roi  le  méprife  avec 

'>  dédain ,  &  le  traite  d'infenfé.  Le  grand 

î>  Prêtre  le   déclare    digne   de  mort.   Ses- 

w  propres  Difciples  prennent  la   fuite  Se 

»  l'abandonnent.  Le  plus  zélé  d'encre  eux 

>•»  le  défavoue  avec  imprécation  devant  une 

>'  malheureufe  fervante.  O  mon  aimable 

>'  Sauveur  !  quel  part  aviez- vous  pour  lors 

«  dans  l'efprit  &  dans  l'e/iime   dts  créa- 

»  turesî  Après  un  exemple  fi  touchant  ofe- 

»>  rions  -  nous   encore    defirer  l'eftime  & 

a>  l'affcclion  des  hommes  1  Allons ,  mon 

.»>  ame  ,  quoi  qu'il  puifle  nous  en  coûter , 

«  fanté,  vie,  réputation,  amis ,  allons  fur 

w  le  Calvaire  avec  notre  adorable  Roi  : 

5^   tenons-lui  compagnie  avec  fa  tres-fainte 

>j  Mère  5cle  Difciple  bien  aimé.  Allons  & 

"  mourons  avec  lui.  Mourons  au   point 

"  d'honneur,  au  defir  des  biens  temporels, 

ii  aux  plaifirs  des  fens,  à  nos  amis,  à  nos 

«  plus  proches  :  mourons  à  tout ,  afin  que 

5>  ne  vivant  plus  à  nous-mêmes,  ni  pour 

w  nous-mêmes ,  nous  ne  vivions  plus  que 

«  de  la  vie  de  Jefus ,  vie  cachée  eiiDieu  & 

«  en  Dieu  fcul.  î*^ 


Di  M.  BouDON.  Liv.  îlî.       347 
Ce  n'etl-  là  qu'une  foible  efquiiTe  des  fen-     Son 
timens ,  que  Thomme  de  Dieu  puilbic  dans  ^^^^^ûm 
i  oraifon.  Mais  ce  ne  lUC  pas  le  dernier  avan- 
tage qu'il  en  remporta.  S'il  y  trouvoic  de 
quoi  former  en  lui  ,  de  quoi  perfectionner 
rhomme  nouveau ,  il  y  trouvoic  des  lumières 
sûres  pour   la  fanclification  du  prochain. 
C'étoic-Ià  qu  il  découvroit  les  artifices  de 
Ihom.me  ennemi,  la  corruption  de  la  na- 
ture, les  remèdes  les  plus  propres  à  guérir 
les  maladies  de  l'efprit  &  du  cœur  ,  d<.  cette 
fage  variété  de  leçons  Ôc  d'avis,  dont  avoienc 
befoin  ceux  qui  de  toutes  parts  s'adreflbienc 
à  lui  pour  avoir  fes  décifions.  C'étoit  -  là 
qu'il  voyoic  les  plaies  de  l'Eglife ,  qu'il  gé-> 
miiToic  de  fes  maux  ,   qu'il  prioi:  rEfpric 
faintde  former  dans  fon  cœur  ces  foupirs 
ineiïables  qui  font  exaucés.  C'étoit-là  qu'il 
fe  revétoit  de  cet  efprit  de  force  qui  lui 
éroit  nécefifaire  ,  foit  pour  remplir  fes  em- 
plois malgré  les  contradiclicns  j  foit  pour 
embellir  la  mai  fon  de  Dieu  ,  malgré  les 
obilacles  de  l'enfer  «5c  de  fes  minières -,  foie 
pour  méprifer  les  dangers  ôc  les  peines  fins 
nombre  ,  dont  les  voies  de  fon  zèle  éroienc 
parfemées.  C'étoit-là  qu'il  pleuroit  avec  des 
larmes  de  fang,  l'inaction,  ôc   quelquefois- 
les  défordres  de  cette  multitude  d'Ecclélla- 
iiiques,  qui  ne  penfent  à  rien  moins  en  fe 
mettant  fous  Us  étendarts  de  J,  C.  qu'à  le 
prendre  pour  la  portion  de  leur  héritage; 
&  que  fon  efprit ,   comm.e  celui  de  faine 
Paul  3  écoit  dans  la  déireiTe,  en  voyant  des» 


54S  7.A     Vie  ^    ^ 

^.°"  Clercs  fans  vocation  ,  des  Bénéfîcicrs  fans^ 
^'^^°"'  autre  deffein  que  celui  de  vivre  plus  à  leur 
aife ,  des  Abbcs ,  des  Prieurs ,  des  Curés 
fans  zèle  pour  ks  inrérêcs  de  Dieu ,  fans 
attention  aux  befoins  de  leurs  frères ,  fans 
amour  pour  les  régies  &:  pour  la  difcipline. 
Enfin  c'étoit-là,  &  ce  ne  put  ctre  que  là, 
qu'il  fçut  amafter  ce  thréfor  de  vertus ,  qui, 
quoi  qu'en  aient  pu  dire  l'erreur  ôc  la  ca- 
lomnie, onr  fait  de  lui  un  des  plus  vertueux 
Prêtres,  que  Dieu  ait  donné  à  fon  Eglife 
dans  ces  derniers  temps. 

Nous  finirons  cet  article  par  une  re- 
marque, qui  peut  -  être  de  quelque  utilité. 
M.  Boudon  ne  blâmoit  pas  la  pratique  éta*- 
blie  en  plufieurs  Communautés,  de  rendre 
compte  de  fon  oraifon  :  mais  il  en  blâmoit 
l'abus.  «  Autre  chofe  cfi:  ,  difoit  -  il ,  de 
"  rendre  fimplement  compte  de  ce  qu'on 
>^  a  penfé  dans  fon  oraifon  ;  autre  chofc 
>'  de  s'occuper  de  ce  compte  durant  l'orai- 
w  fon.  Cependant,  pourfuivoit-il ,  cet  abus 
>j  eil  fort  ordinaiie,  particulièrement  par- 
>■>  mi  les  jeunes  perfonnes ,  qui  n'ayant  pas 
»  grande  facilité  de  s'expliquer,  où  n'étant 
^>  pas  encore  foi-t  verfées  dans  l'exercice  de 
w  l'oraifon  ,  dans  la  crainte  qu'elles  ont  de 
^>  la  confufion,  11  on  les  oblige  de  parler, 
»'  pafTent  une  partie  du  tems  delliné  à  la 
«  méditation  à  fe  préparer  à  cctre  reddition 
»  de  compte.  En  forte  qu'au  lieu  de  s'occu- 
»  per  de  Dieu,  ou  des  Myfleres,  ou  de 
^  quelques  vérités  Chrétiennes  par  amour 


DE  M,  BouDON%  Liv.  HT.  545? 
^  de  Dieu,  elles  font  routes  occupées  de  q^^^. 
»  leur  Supérieur  ou  de  leur  Directeur. 
«  Ceux  qui  gouvernent  les  Novices  dans 
"  les  Maifons  Religieufes,  ou  qui  ont  foia 
«  des  jeunes  perfonnes  dans  les  autres  Conv 
w  munautés  ,  doivent  veiller  à  empêcher 
«  cet  abus  ,  en  ne  les  prelTant  pour  ces 
>'  fortes  de  répétitions,  qu'avec  une  mode» 
"  ration  qui  leur  lailTe  la  liberté  de  s'occu- 
'^  per  de  Dieu. 

«  Le  faint  homme  ajoutoit,  que  le  de^ 
»  mon  ne  s'oublie  pas  dans  ces  rencontres^ 
«  qu'il  fait  tous  fes  efforts  pour  défoccupe^ 
»  les  âmes  de  Dieu  ,  &  les  occuper  de  la 
w  créature ,  quoique  fous  de  bons  prétextes^ 
S'  parce  qu'il  fçait  qu'il  n'y  a  rien  de  grand , 
»  rien  de  folide  à  attendre  d'une  Commu- 
>j  nauté ,  où  il  y  a  peu  d'occupation  affec- 
»  tueufe  ic  cordiale  de  Notre  Seigneur 
^  Jefus-Chrift.  -^  Si  cela  eft  ainfi ,  que  pour- 
roit  -  on  attendre  de  celles  ,  où  la  vraie 
méditation  feroit  prefqus  entièrement  in- 
connue  ? 

§.  V.   Sa  Religion >- 

La  religion,  c'eft-à-dire,  cette  première  ^a 
des  vertus  morales ,  qui  porte  l'efprit  &  le  ReiigicTi 
cœur  à  rendre  à  Dieu ,  comme  au  Souve- 
rain Maître  de  toutes  chofes ,  le  culte  & 
l'honneur  qui  lui  font  dus  ,  devroit  être 
comme  naturelle  à  tous  les  Eccléfiailiques* 
Dévoués  par  état  au  minitlere  des  Autels, 
rien,  de  ce  qui.  concerne  la  gloire  de  l'Etre 


'5P^  La    Vie 

Itciflo  ^"P*^^^"^^^  ^  ^"^  '^^  ^o'"^^  érigés  ,  ne  peut 
'^^^*  leur  paroîrre  indifférent.  Ce  fut  de  ce  prin- 
cipe f{  fécond  en  conféquences ,  que  partit 
le  Taint  Prêtre ,  dont  nous  tâchons  d'effleu- 
rer les  vertus.  La  foi ,  qui  lui  rendit  Dieu 
préfent ,  ne  lui  infpiroit  que  des  fentimens 
dignes  de  fa  Majeîté  infinie.  De  quelque 
côté  qu'il  portât  fcs  regards ,  il  ne  vovoic 
que  ce  grand  Arbitre  de  l'univers.  L'idée 
de  fa  gloire  ,  de  fa  magni^cence  ,  de  fes 
intérêts ,  du  profond  refpeél  qui  lui  efl  dû  5, 
le  fuivoit  en  tous  lieux  ,  &  principalement 
en  ceux  où  il  veut  être  honoré.  Ecoutons-le 
difcourir  fur  cette  niatiere  ic'efl  notre  mé- 
thode ,  de  la  piété  y  gagne  toujours. 

«  Je  connois ,  dit  il ,  &C  nous  femmes  sûrs 
que  c'eft  de  lui  même  qu'il  parle,  quoique 
fon  humilité  s'efforce  de  donner  le  change  5 
3»  je  connois  des  perfonnes ,  qui  dans  une 
3»  vue  pénétrante  de  la  Majefté  de  Dieu , 
î>  ont  pour  tout  ce  qui  regarde  fon  culte 
«  une  vénération  inconcevable.  Tous  les 
'>  lieux  &  toutes  les  chofes  confacrées  au 
3>  fervice  de  Dieu,  comme  les  Temples 5. 
->  les  Chapelles,  lesOrncmens,  les  Cime- 
«  ticrcs  ,  les  Images  ,  les  Chapelets  ,  les 
»'  Scapulaires,  &  généralement  tout  ce  que 
>>  TEglife  approuve ,  font  pour  elles  l'objet 
^>  d'un  refpeét  inexpliquablc.  Elles  fe  don- 
"  neroient  bien  de  garde  de  faire  de  nos 
»>  Eglifes  unpafïage,  elles  n'y  entrent  que 
->  pour  rendre  leurs  adorations  à  la  Majellé 
^»  fuprcme.-Si  elles  font  voyage ,  ôc  qu'eiL^s^ 


SE  M.   BOUDON.  IlV.  in.  5JI 

9>  pafTenc  devant  nos  facrés  Temples ,  elles     ^5^    , 

a  ne     manquent     pas    de   deiccndre    de  ^^^^5^^**'^ 

w  cheval  ,    pour  donnera  J.  C.  réfidanr 

53  en  ces  fainrs  Lieux  des  marques  de  leur 

«  vénération  pour  lui.  Elles  font  faifies  de 

V  frayeur  au  moment  qu  elles  y  entrent  :  Se 

53  fi   elles  font  obligées  d'y  dire  quelques 

53  paroles ,  elles  le  font  à  voix  baffe  ,  ÔC 

>3  d'une  manière  qui  marque  affez  combien 

53  elles  font  pénétrées  de  la  prelencc  de 

w  Dieu.  Quelque  part  qu'elles  fe  trouvent, 

53  n  elles  entendent  dire  quelque  chofe,  qui 

5»  regarde  fa  grandeur ,  dans  l'inllant  elles 

53  fe   fentent  précipitées  dans  un  abyfme 

53  d'anéantiffement  devant  cet  Etre  intîni  : 

3>  &  c'eîl:  en  quoi  elles  ont  le  bonheur  d'être 

53  bien    éloignées  de  ces  perfonnes ,  qui  ^ 

>3  quoiqu'elles  falTent  profeîTion  de  piété  ^ 

5»  parlent  de  Dieu  en  certaines  occafions 

>*  avec  fi  peu  de  refpecl:,  fi  peu  d  attention, 

53  le  faifant  même  entrer  dans  leurs  badi- 

»5  nages,  que  vous  diriez  qu'elles  ne  le  con- 

55  noiffent  pas.  » 

C'ert  ainfi  qu'en  iiofrc  pieux  Archidiacre 
le  refpecV  pour  la  Divinité  en  produifoit  un 
autre  pour  tout  ce  qui  a  rapport  à  elle.  Il  ne 
regardoic  les  Sacremens  qu'avec  une  fainte 
frayeur.  Il  ne  les  adminillroit  qu'avec  crain- 
te. Saifi,  déconcerté  du  peu  de  préparation 
que  la  plupart  des  pénitens  apportent  au 
facré  Tribunal  ,  il  s'écrioit  avec  douleur  : 
«  Où  çîï  donc  la  foi  î  Qu'ell-elle  devenue  L 
«■  J'ai  connu  un  Prince ,  ajouroir-il ,  qui 


^5-2  La    Vie 

Keiidcn  "  ?^^^  ^^  Toulager  de  la  gravelle ,  dont  îÎ 
■>  'â^cn.  ^^  ^j.^.^  tourmenté ,  s'abftenoit  de  chair ,  de 
»  poiflbn  ,  de  routes  les  délices  de  la  vie  , 
»  6c  menoit  une  vie  plus  mortifiée  que 
>»  celle  des  plus  auftéres  Religieux.  Si  un 
»  Confefîeur  lui  avoir  prefcrit,  non  pour 
»  plufieurs  années  ,  mîiis  pour  quelques 
»'  mois  ,  une  pareille  abftinencc  ,  afin  de  k 
»'  délivrer  des  peines  de  Tautre  vie  :  n'eût- 
>»  on  pas  taxé  cette  conduite  d'indifcrétion  , 
»  ôc  d'un  zélé  trop  outré?  Oui  fans  doutey 
>>  car  on  ne  trouve  perfonnc  ,  ni  parmi  les 
«  grands  du  fiécle ,  ni  parmi  les  gens  âii 
»  commun ,  qui  fe  mortifie  de  la  forte  poHC 
>'  éviter  les  tourmens  de  l'enfer  ;  puifqu'à 
»' peine  en  trouve  t- on ,  qui  veuillent  faire 
»  la  pénitence  qu'on  leur  enjoint ,  &  fuivre 
"  les  confeils  qu'on  leur  donne  pour  leur 
?»  falut.  O  hommes ,  ne  connoîttez  -  vous 
'*  jamais  affez  le  prix  des  fources  de  votre 
3»  fanclification  !  « 

Mais ,  de  il  nous  l*a  déjà  fait  entrevoir ,  jî 
ne  falloit  pas  d'aufll  grands  objets  que  les 
Sacremens,  pour  mériter  fa  plus  refpec- 
tucufe  attention  ;  un  des  cheveux  de  TE- 
poufe  l'attiroit  toute  entière.  Ce  qui  la  toiv* 
choit ,  quelque  petit  qu'il  fût  en  foi ,  lui  pa- 
roifToit  intéreflant.  Il  admiroit  la  conduite 
de  TEfprit  faint ,  à  qui  tout  ce  qui  regarde 
îa  nouvelle  Jérufalem  a  femblé  fi  augufte, 
qu'il  lui  a  donné  des  Minières  pour  fermer 
êc  pour  ouvrir  (qs  portes  ;  pour  préparer 
I*encens  qui  doic  fumer  devant  elle  ;  peur 


DE   M.  BOTJDON.  IlV.  TIT.  515 

allr.mcr  (î^-  pour  porrcr  la  Ii  niiere,  dont  ei'c     •^^.    , 
fe  Icrt  afin  de  répandre  la  digniré  fur  fts    *"  ^^^ 
Ofhce.s  ;  pour  barrir  de  Ton  enceinte  ceux 
qui  par  leur  immc^dertie  ôc  î'indccencc  de 
leurs  atritudcs  oftroicnr  la  profaner. 

Il  avoi  adrTiirablcmenc  bien  pris  ces  fcn^ 
timens  religieux,  &  par  rapport  arx  Mini- 
flrts  de  l'Autel.  &  par  rapport  aux  Lieux 
fainrs.  II  honoroit  fi  profondénienr  J.  C.  en 
laperfonnedc  fes  Prêtres,  qu  il  les  recon- 
duilbit  toujours  la  tête  dceouverre  ,  &c  )uC- 
ques  dans  la  rue.  11  ne  leur  écrivoit  gi.ères 
qu'a  genoux.  Il  ne  parlait  jamais  d'eux  que 
dans  des  termes  pleins  d'honneur  de  d'eilimc 
pour  leur  caradere  &  pour  leur  dignité.  11 
ne  voyoit  qu'avec  indignation  les  Oinrs  du 
Seigneur  frairé>  d'une  manière  peu  propor- 
rionnée  à  réminente  grandeur  de  leur  con- 
dition. 

A  rép;ard  des  IJeux  iaints  ,  fa  douleur  la 
plus  profonde  étoit  de  les  voir  déshonorés , 
foir  par  le  peu  de  modeftie  dans  les  perfon- 
nesou  dans  les  polhues ,  foir  p.ir  la  liberté 
qu'on  fe  donne  d'y  parler  mal  à  propos.  Ce 
fcandale  qui  frape  moins,  parce  qu'on  y  efl 
prefque  accoutumé,  le  faifoit  enrrcr  dans 
une  fainre  colère ,  que  la  maladie  du  ref- 
peCt  humain  n'arrétoit  point.  Il  s'y  oppo- 
foit  fur  le  champ  ,  quoique  toujours  avec 
prudence.  Il  éclatoit  contre  dans  Ces  entre- 
tiens, &  fur-tout  dans  fes  fermons ,  avec 
une  force, une  véhémence,  dont  la  foibleffe 
de  fon  tempéranienc  paroiffoii:  incapable»  îl 


554      ,  La     Vie 

Sa^  prioit ,  îl  conjuioic  les  Supérieurs  de  rcme- 
^e  igion  ^jgj^.^  ce  criminel  abus.  Il  a  fait  un  Livre  en- 
tier fnr  cette  matière.  Son  zélé  pour  la  iMai- 
fon  de  Dieu  s'y  fait  fentir  à  toutes  les  pages  : 
ôz  malgré  fa  douceur  ,  on  l'y  rrouve  pref- 
que  dès  Tcntrée  un  enfant  du  tonnerre. 

Ce  que  la  Religion  lui  faifoit  faire  en  fa- 
veur des  Temples  matériels  ,  il  le  faifoic 
bien  plus  volontiers  en  faveur  de  ceux  qui 
font ,  ou  qui  peuvent  devenir  les  Temples 
vivans  du  faint  Efprit.  Nuit  ôc  jour  il  n'étoit 
occupé  que  de  la  penfée  d'établir  le  règne 
de  Dieu  dans  tous  ks  cœurs.  Cei\  -  là  que 
tendoient  Tes  Ecrits  ,  Tes  travaux  ,  Ces  jeûnes  , 
fes  aumônes ,  fes  macérations ,  fes  vœux. 
Ces  pèlerinages ,  Tes  fréquentes  neuvaines , 
&  fes  oblations  plus  fréquentes  encore  de 
l'Agneau  fans  tache  Vers  la  (ètç  de  Noël  il 
ccrivoit  à  Tes  amis  ,  pour  les  prier  d'obtenir 
du  ciel  par  une  pieufe  &  vive  confédéra- 
tion, que  le  divin  Enfant  que  l'Eglife  adore 
dans  ces  faints  jours  ,  triomphât  dans  toutes 
les  parties  de  l'Univers.  Pendant  les  guerres 
qui  ont  agité  l'Europe  de  fon  tems  ,  il  fou- 
haitoit  avec  ardeur  que  les  ennemis  de  l'E- 
glife fuffcnt  humiliés ,  comme  elle  le  fou- 
haite  elle-même  dans  fes  Litanies  :  Se  que 
ne  pouvoir  pas  la  prière  affidue  d'un  Ju/îe 
fi  puiOant  auprès  de  Dieu  ?  Au  reile,  dans 
les  nouvelles  publiques  &  particulières  il  ne 
voyoit,  ôc  il  ne  cherchoit  que  la  Pveligion, 
Tout  ce  qui  pouvoit  y  porter  coup  ,  raffli- 
geoit  fenfiblemenc  j  ôc  ce  ne  fut  qu'avec 


DE  M.  BouDON.  Liv.TIL  35/ 
bien  de  la  douleur  qu  il  vit  un  Prince  écran-  ^^  ^ 
ger,mais  Catholique,  s  unir  pour  des  m-  ^ 
térêcs  profanes  avec  des  Puiffances  engagées 
dans  l'erreur  ,  de  dont  les  fuccès  ne  pou- 
voient  être  que  funeiles  à  l'Egliie.  «  Helas  ! 
9j  difok-il,  un  feul  degré  de  votre  gloire, 
«6  mon  Dieu  ,  eil  plus  confidérable  que 
yj  coures  les  Monarchies  du  monde  :  cepen- 
»  danc  votre  gloire  efl  négligée  ,  ôc  Ton  va 
«  jufqu'à  faire  des  ligues  pour  s'y  oppofer. 
3>  Sera-t-il  donc  toujours  vrai ,  comme  le 
3»  difoit  l'Apôtre ,  que  chacun  cherchera  Tes 
^^  propres  intérêts,  de  que  perfonne  ne  cher- 
^^  chera  ceux  de  Jefus-Chriii?  Mettez  fin  , 
3i  Dieu  de  milericorde  ,  à  un  oubli  qurvous 
3>  eil  fi  injurieux.  Répandez  vos  biens  ôc  vos 
3'  grâces  fur  Sion  ,  votre  fainte  Eglife ,  Ôc 
yy  que  l'éclat  de  votre  gloire  en  forte  depuis 
M  rOrient  jufqu'à  l'Occident.  « 

Mais  rien  ne  fait  mieux  connoître  le  ren- 
dre ,  le  folide  de  la  Religion  du  grand  Ar- 
chidiacre ,  que  fon  refpect  pour  les  deux 
plus  auguftesMyftèresque  cecce  même  Re- 
ligion ait  à  nous  préfencer.  Il  avoit  fur  l'un 
de  fur  l'autre  des  fentimensfi  beaux  ,  û  pro- 
pres à  réveiller  la  foi  ,&  à  nourrir  la  piété  , 
que  les  gens  de  bien  ne  nous  pafTeroient  pas 
de  les  leur  dérober. 

§.  VI.  Sa  Piété  envers  la  fainte  Trinité, 

L'ineffable  Myftere  d*un  Dieu  en  trois  Sa  pîéré 
perfonnes ,  fi  peu  honoré  de  la  plupart  des  ^"^^^J^J^ 
Chrétiens ,  parce  qu'il  en  eil  fi  peu  connu ,  Trinité, 


3J<^  La    Vie 

Sa  piété  fut  toujours  le  premier  objet  de  la  pîcté  de 
"^g'i^V^  M.  Boudon.  Eu  plût  à  Dieu  qtie  le  Chriftia- 
Trinité,  nifme  ,  le  Sacerdoce  aTeme  enflent  en  ce 
point  bien  des  gens  qui  s'eiibrçaiTent  de  li- 
miter ! 

Sa  foi ,  quant  à  ce  premier  dogme  de  la 
Religion  ,  fe  fortifioir  par  les  motifs  ,  qui 
l'ont  altérée  ,  ou  même  anéantie  dans  les 
téméraires  fcriirareurs  de  la  divine  Majeflé. 
L'ircompréhenfibilké  du  Myftéreéroir  pour 
lui  une  raifon  de  le  croire  :  il  fentoit  qu'une 
chofe  fî  n  blime  fi  fupérieure  aux  notions 
communes  de  l'imelligence  humaine  ,  n'au- 
roir  jamais  eu  ni  Mart)  rs  ,  rri  défenfeurs  ,  û 
elle  n'avoir  été  révélée.  De-lâ  ces  paroles 
aulTi  pleines  de  fcns ,  qu'elles  font  pleines 
de  fouinflÏÏon  ^  d'amour  :  «  O  Trinité  in^ 
>■>  compréhenfîble ,  qiii  furpafTez  toute  rai- 
"  fon  ,  tout  enre'uiement  ,  toute  lumière 
»  des  hommes  6c  des  Anges  ,  &  qui  n'êtes 
«  comprife  que  de  vous  feule  !  cette  élé- 
«  varion  irrfinie  au  defllis  de  ma  foible  ca- 
»  paciré  ,  efl  une  vraie  raifon  qui  me  porte 
»  davantage  à  croire  la  grandeur  de  votre 
»>  Myllére.  Les  ténèbres  facrées  qui  envi- 
"  tonnent  de  toutes  parts  le  lieu  que  vous 
»'  habitez ,  m'en  donnent  des  clartés  &  plus 
»  certaines  Se  plus  vives.  Ah  !  je  voudroij 
«  dans  la  fermeté  que  j'en  reçois  par  votre 
»  grâce  ,  donner  non  -  feulement  ma  vie  , 
»  mais  un  million  de  vies  pour  en  foutenir 
»  la  vérité.  Je  vous  fupplie  en  toute  humt- 
^>lité  ,  que  la  profeiTion  que  j'en  fais  pré-. 


DE  M.  EOUDON.  Liv.  III.  3/7 

»  fcntenitnt  ,  le  ieiîuuvelle  autant  de  fois  ^^  P'^«^ 
»  que  je  rerpiitrai  ,  ë^  fur  tout  au  moment  ^"J^aj^tlT 
"  de  ma  mort.  Oi.i ,  Seigneur,  je  prends  le  Tcmiié* 
"  Ciel  3c  la  Teric  a  tcmoins  ,  que  je  veux 
w  vivre  Ck.  iiiourir  en  cette  foi ,  Se  qi;e  j'ana- 
'i  thémarife  toutes  les  erreurs   qui  y  (bnC 
''  contraires.  » 

De  cette  foi  il  vive  ,  û  éclairée  ,  fi  capa- 
ble de  rapprocher  (on  objet  ,  6:  de  le  rendre 
toujours  préfent ,  naifloicnt  tous  les  ehets 
qu'elle  produit ,  lorlqu'cile  ne  trouve  point 
d'obfiacle  à  l'on  opération.  Un  refpeâ:,  qui 
alloic  julqu  au  tremblement  devant  cette 
adorable  Maj.fté  ,  étoit  le  piem.ier  de  ces 
effets ,  &  le  principe  efficace  d  un  grand 
nombre  d  autres.  Toujours  plein  de  Tidéc 
ôc  de  la  grandeur  d'un  Père  tout  puiflant  , 
d'un  Verbe  qui  cû  la  Sa^cf^e  par  elience , 
dïin  Efprit  qui  fonde  toutes  les  profon- 
deurs, Boudon  rélégué  au  fond  dïui  dc- 
fert ,  n'eût  rien  voulu  faire  dans  £a  folimdc, 
qu'il  n'eût  pu  faire  devant  rLnivers  aficm- 
blé.  C'étoiî  fous  les  yeux  de  ces  trois  Per- 
fonnes,  qu'il  travailloit ,  qu'il  convcrfoir, 
qu'il  prenoit  fa  nourriture  pendant  le  jour, 
ëc  Ton  repos  pendant  la  nuit.  Taniot  frapé , 
faifi  détcnnemcnt.  il  fe  prollernoit  le  vi- 
fage  conrre  r.crre  -,  ôc  par  cette  pofture  d'a- 
néantiHement  il  doi  noit  aux  Anges  un  fpc- 
£î:acle  ,qiLe  les  hommes  ne  pouvoitnr  avoir 
qu'à  la  dérobée.  Tanrôr  pr.^fondément  re- 
citeilli  au-dedans  de  lui  même  ,  il  demeu- 
xoit ,  comme  un  courtifan  devant  Ion  Prin- 


5c8  La    Vie 

Sa  piéîé  ce,  ^ans  nn  humble  filence ,  pour  écourct 
^'^falnu  l^'^SagCiTe  ércrnelle  qui  lui  parloir  au  cœur. 
Trinité.  Tantôt ,  comme  un  lidéle  fervireur  ,  il  ac- 
tendoit  en  paix  les  ordres  d€  fon  Maître , 
pour  courir  au  premier  fignal ,  où  fa  voix 
daigneroit  l'appeller  :  &  c'éfl  pour  cela 
qu'en  fa  maifon  il  demeuroit  prefque  tou- 
jours la  réte  découverte. 

A  ce  profond  refpect  pour  les  trois  au- 
gures Perfonncs  de  la  Trinité  ,  fe  joignoic 
une  converfation  ,  une  efpéce  de  fociété 
toute  célefte.  D^ns  ces  communications  in- 
times ,  qui  ne  peuvent  fe  bien  décrire  que 
par  ceux  qui  en  ont  gouré  la  douceur  ,  le 
laint  Prêtre  s'entretenoit  tantôt  avec  le  Pcre, 
dont  il  béniflbitla  toute-puiflance ,  qui  l'a- 
voir, comme  toutes  les  autres  créatures, 
ciré  du  néant  pour  la  gloire  de  fon  nom  j 
tantôt  avec  le  Fils  ,  dont  il  adoroit  les  gran- 
deurs ,  èc  qu'il  remercioit  tendrement  de  ce 
qu'après  avoir  fouffert  la  mort  pour  fon  fa- 
lur ,  &z  pour  celui  de  tous  les  hommes ,  il 
vouloir  bien  encore  être  leur  aliment  dans 
î'Euchariftie  ;  tantôt  avec  le  faint  Efprir , 
dans  lequel  il  exaltoit  la  bonté  infinie  ,  par 
laquelle  il  fandlifie  nos  âmes.  En  fon  par- 
ticulier il  lui  rendoitde  très-humbles  adlions 
de  grâces  de  ce  qu'il  l'avoir  fait  Chrétien  , 
régénéré  ,  nourri  &c  fortifié  par  les  Sacre- 
mens  ,  honoré  du  Sacerdoce  ,  fout  en  u  & 
béni  dans  fes  fonctions. 

De  là  rentrant  dans  une  vue  plus  généra- 
le des  perfedlions ,  qui  font  communes  aux 


Bï  M.  BoUDON.  Liv.  III.  5/9 

trois  adorables  perfonnes ,  il  fe  reriroit  avec  Sa  pî6é 
k  Fils  ôc  lefaint  Efprirdansk  feindupcie,  ^^.^.^^^^^ 
pour  y  puiler  par  grâce  la  force  ,  la  vie  ,  Trinité, 
la    fainteré    ,     quelles    ont    par    nature, 
ce  Quel  repos,  difoir- il;,-  car  il  n'apparrienc 
qu'a  lui  de  donner  du  corps  à.  des  matières 
fi  fublimes  &  û  fpirituelles ,  »•  quel  repos 
»  pour  un  Chrétien  ,  quiconfidére  par  tout 
«  la  Trinité  fainte  avec  Tes  grandeurs  :  qui 
>j  voie  cette  PuiHance  fuprcme  à  qui  toutes 
«  les  créatures  de  lUnivers ,  &c  les  démons 
sj  mcmc  font  afiujettisdans  les  enfers  ?  Que 
«  doir  craindre  celui  qui  eft  appuyé  fur  un 
yt  tel  bras  ?  Si  Dieu  eft  par  -  tout  avec  Ces 
i>  grandeurs  ,  il  ell:  donc  par- tout  avec  fes 
3j  bontés  divines  ,  &  les   bontés  d'un  Père 
Si  infiniment  riche  en  miféricordc.  Il  y  ell 
»  donc  avec  fa  fagelTe  qui  gouverne  toutes 
9>  çhofes ,  &  qui  difpofe  de  tout  d'une  ma- 
w  niere  admirable.  Il  y  elT:  donc  avec  une 
9»  Providence  ,  qui  accable  de  fes  bienfaits 
93  les  foibles  créatures  j  qui  étend  fes  ailes 
»  fur  elles ,  comme  un  aigle  fur  fes  petits  -, 
3*  qui  les  charge  fur  fes  épaules  -,  qui  les 
»  porte  dans  fon  fein  comme  une  tendre 
w  mère ,  qui  rient  leur  nom  écrit  dans  fes 
w  mains  ,  &  qui  protefte  qu'elle  ne  les  ou- 
>*  blira  jamais ,  qu'elle  veille  à  leur  garde 
i>  avec  des  foins  admirables  ,  &  que  chez 
«  elle  le  dernier  de  leurs  cheveux  eft  en  li- 
*>  gne  de  compte.  Quel  moyen  après  cela 
9i  de  ne  pas  mettre  toutes  fes  efpé tances  dans 
¥  un  Dieu  fi  puilTanc ,  fi  bon ,  fi  libéral , 


3^o  La  Vi  E 

Sa  piéré  „  ^  de  ne  s'y  pas   repofer  avec  une  pat- 

''ia'mJ'  "  ^'^^^c  tranquillité  :  » 

Tniiité.       Mais  de  toutes  les  peifeclions  de  la  Tn- 
nité  ,  il  n'y  en  avoit  point  qui  le  touchât , 
qui  enlevât  fon   cœur  comme  la  fainteté. 
Au  nom  du  Dieu  Saint  &  trois  fois  Saint ,  il 
fe  voiloit  la  face  ,  il  s'a néanti (Toit  comme  les 
Chérubins  :  »  Dieu  de  l'éternité,  s  écrioit-il^ 
»>  vous  êtes  infiniment  faint ,  &  votre  di- 
*'  vine  parole  nous  apprend  que  perfonne 
»  n  ert  faint  comme   vous.   l'ere  Eternel , 
»>  vous  êtes  faint ,  parce  que  vous  ères  tout- 
y  puiflant ,  &c  que  le  péché  n'eil:  qu'un  effet 
w  de  la  foibleiîe  &  de  l'impuilTance.  Fils 
M  unique  du  Père,  vous  êtes  faint ,  parce  que 
>*  vous  ê  es  la  fagefTe  même  ,  &  que  le  pé- 
»  ché  n'eA  que  folie  &  qu'illufion.  Efpric 
w  du  Peie  6c  du  Fils,  vous  êtes  faint ,  parce 
«  que  vous  êtes  la  bonté  fublian"icllc  ,  3c 
»>  qu'elle  ne  peut  s'allier  avec  le  mal  du  pé- 
«  ché.  C'eil  donc  avec  vérité  que  vous  ré- 
y>  pétez  tant  de  fois  dans  vos  Ecritures,  que 
9>  vous  ères  faint. . . .  Votre  erre  c/l  la  fain* 
»  ceté  même  :  &  c'eil  ie  Cantique,  que  les 
if  Séraphins  chantent  inceiTamment  à  votre 
5>  gloire.   Mais  fouffrez,  ô  Père  de  miféri- 
«cordes,  que  vos  pauvres  créatures  de  ce 
w  bas  monde  mêlent  leurs  foiblcs  voix  avec 
if  CCS   Efprits  fublimes,    pour  chanter,  & 
»  pour  publier  de  concert  avec  eux,  que 
3*  vous  êtes  le  Dieu  faint i  &  que  vous  n'ap- 
i>  peliez  votre  peuple  une  nation  fainte  , 
5>  que  dans  la  vue  de  lui   communiquer 
w  votre^inteté.  Ces 


DE  M.  BouDON.  Liv.  m.         )6l 
Ces  fentimcns  fi  dignes  de  Dieu  qui  ks  Sa  piété 
infpiioir  ,  Boudon  eue  voulu,  au  prix  de  ^^a^^'j^ 
fon  fang,  les  voir  répandus  dans  toutes  les  Tm.ué. 
parties  du  monde.  Et  ces  fouhaits  n'étoienc 
pas  chez  lui  de   vaines  ôc    ftériles  idées. 
Dans  Ces  vjfites ,  ks  voyages,  ks  miïïîons, 
par-tout  cil  il  trouvoit  des  perfonnes   qui 
ignoroient ,  ou  qui  ne  connoiiïoienr  pas  fuf- 
filamment  ce  Myftere  capital  de  la  Reli- 
gion ,  il  les  en  inflruifoit  avec  une  patience 
que  la  ftupidité  la  plus  groffiere  ne  reburoic 
point.Il  apprenoit  à  chacun  ;  félon  fa  portée, 
la  manière  d'honorer ,  d  invoquer  ,  de  fervir 
ces  trois  adorables  perfonnes.  Si    quelque 
chofe  dans  ces  occafions  eût  pu  faire  fuccé- 
der  l'indignation  à  fa  douceur    naturelle  , 
c'eût  été  la  négligence  de  quelques  Pa/leurs, 
qui  n'étudioient ,  ni  pour  eux ,  ni  pour  ks 
autres,  ce  dogme  important,  dont  la  médi- 
diration  ne  fert  pas  moins  à  l'amour  qu'à 
la  foi. 

Ce  fut  pour  remédier  à  ce  défordre,  qu'il 
parla  fi  fouvent  de  la  fainte  ôc  furadorable 
Trinité  dans  ks  Ouvrages ,  &  qu'il  en  corn* 
pofa  un  dont  elle  eft  l'unique  fujet.  Mais  , 
à  fon  ordinaire  ,  il  joignit  conftamment  la 
pratique  aux  Ecrits.  Il  offroit  fouvenr  l'au- 
gufte  facrificc  pour  honorer  ce  grand  My- 
ftere.  La  kiç,  de  la  Triiiiré  étoit  pour  lui  la 
folemnité  dts  folemnitcs.  Il  invitoit  à  la  cé- 
lébrer dignement  tous  ceux  à  qui  il  con- 
noidoit  du  goût  pour  la  folide  piéré.  Ses 
penfées ,  fes  paroles ,  fes  aclions ,  ks  fouf- 

Q 


5^i  La     Vie 

Sa  piété  frances  éroîeiit  auranr  de  viccimes ,  dont  iî 
■'YJ^ll^  lui  failbir  hommage.  Le  nombre  de  trois  ^ 
Jinmé.  que  les  efpnts  céiei"tes,enchanranc  fa  fain- 
teté  infinie  ,  ont  çonfacré  à  Ton  honneur  < 
revenoic  fou vem  dans  fes  exercices  de  dévo- 
tion. C'ell  ainfi  qu'il  jeûnoit  trois  jours, 
que  dans  une  EgUfe  il  vifitoit  trois  Autels  » 
qu'il  donnoit  laumone  àtrois  pauvres  hon- 
teux ,  qu'il  récitoit  trois  fois  le  Chapelet 
compofé  pour  adorer  le  Père  par  le  Fils ,  8c 
le  Fils  comme  le  Père  par  FEfprit  faint ,  Qui 
eH  le  lien  de  tous  les  deux.  Quoiqu'il  n'y 
eût  aucun  Ordre  Religieux  qu'il  n^imat 
très-fmcerement  ,  il  avoit  néanmoins  une 
fmguliere  affection  pour  celui  de  la  Mercy , 
que  fon  nom  feul  invite  à  glorifier  fans 
çefTeun  feul  Dieu  en  trois  Perfonnes  :  ôc 
qui  pour  en  foutenir  la  créance  a  fi  fouvenç 
prodigué  fon  fang  &C  fa  vie. 

§.  Viï.  Sa  Piété  envers  l'Himamté 
fainte  de  Jefus  -  Chrift, 

Parmi  les  illufions  des  nouveaux  Myfti- 

^envefs^  ques ,  il  s'en  eft  trouvé  une  ,  qui  feule  étoit 

rhuma  -  capable  de   décrédirer  leur    fyllême.   Sous 

J^'t.  ^^  prétexte  d  aller  immédiatement  à  Dieu  ,  &? 

'      de  fe  perdre  dans  fon  fein  par  la  fublimiré 

de  leur  contemplation  ,    ils  dédaignoicnc 

tous  les  objets  fenfibles.  Un  coup  d  œil  fur 

les  Saints  ,  fur  la  mère  de  Dieu  ,  &  n-^êmc 

fur  l'humanité  du  Sauveur  ,  n'étoit.propre  , 

/çlon  eux,  qu'à  les  déguadero  C'étoit  le  bie 


DK  M.   BOUBON.  LlV.   îîî.        ^6^ 
des  enfans ,  ce  ne  pouvoir  erre  la  nourrirure  ^^  ^'"^^^ 
des  parfairs.  iT'-^!^^^ 

Saine  Paul,  quoiqu'éîcvé  jnrqu'aii  rroi  ni-^'  de 
fiéme  ciel ,  croir  bien  éloigné  d'une  fi  mon-  ^-  ^* 
iîrueufe  opinion.  S'il  fçavoic  médirer  ces 
ineffables  fecrets  qu'il  avoir  enrendus,  il  ne 
fçavoic  pas  moins  bien  médireu  J.  C.  dc 
J.  C.  arraché  à  la  croix.  Il  le  voyoir  par  rour, 
il  en  parloir  fans  celle.  C'eft  de  J.  C.  qa'ii 
croir  Amba(!adeur(5(:  Minillre  plus  qu'au- 
cun autre.  C'eft  pour  J.  C.  qu'il  fe  livroic 
à  la  mort  tous  les  jours  de  fa  vie.  S'il  fcait 
quelque  chofe  fur  la  terre  ,  c  eft  J.  C.  qu'il 
fait  profcffionde  fçavoir.  Un  Apôrre  fi  pleiii 
de  l'Homme  Dieu ,  n'éroit  pas  difpofé  à  le 
metrre  à  l'écart ,  comme  un  objer  dont  le 
fouvenir  auroit  pu  rerarder  les  progrès  de 
fon  union  avec  la  Diviniré. 

Inltruir  à  fon  école  ,  6c  formé  par  fcs 
leçons ,  le  grand  Archidiacre  d'Evreux  fe 
fir  un  devoir  de  penfer  comme  lui,  La  voie 
d'une  conremplarion  abihaite  ,  qui  exclut 
toure  penfée  de  J.  C.  lui  parut  une  erreur; 
&  c'eiî  ainfi  qu'il  en  parle  dans  fa  vive 
flamme  damovr.  Quoique  très-éclairé  fur 
les  grandeurs  divines,  quoique  fouvenr  & 
très-fouvent  plongé  dans  la  vue  ^  dans 
l'amour  de  la  fainrc  Trinité  ,  il  eut  un  foin 
particulier  de  fuivre  dans  tous  fes  états  l'hu- 
manité du  Sauveur  ,  de  de  s'unir  à  lui  par 
les  plus  vifs&  les  plus  tendres  fentimens. 
Si  comme  un  cerf  il  s'éleva  jufqu'au  fom- 
met  de  ces  montagnes ,  où  la  vérité  fait  en- 

Qij 


3^4  ^  A    Vie 

Sa  piété  tendre  îmmédiarement  fa  voix  ,  il  fçnt,  com- 

rhuma  -  ^^  ^^  colombe  ,  fe  cacher  dans  les  trous 

cité    de  de  la  pierre  ,  ôc  s'y  mettre  à  l'abri  des  in- 

^*  ^'     fuites  du  milan.  Mais  n'oublions  pas  que 

c'eft  l'homme  de  Dieu  qui  doit  parler  ici  , 

ôc  que  ,  lorfqu'il  s'agit  de  fon  amour  pour 

J.  C.  perfonne  ne  peut  le  rendre  ,  comme 

il  fe  rend  lui-même. 

«  Ah ,  mon  très-doux  Sauveur  j  difoit-îl, 
"  que  mon  ame  fe  fépare  de  mon  corps  en 
»  prononçant  votre  divin  nom  !  O  aimablç 
"  Jefus,&  plus  aimable  un  million  de  fois 
"  qu'on  ne  peut  le  dire ,  que  je  vous  aiç 
'*  toujours  en  la  bouche  &  au  cœur  !  O  Sei- 
"  gneur ,  à  qui  irons-nous ,  fi  nous  n'allons 
«  à  vous  ?  Vous  êtes  la  voie ,  &  quiconque 
s>  en  fuit  une  autre ,  eil  dans  l'égarement. 
"  Vous  êtes  la  vérité  ;  celui  qui  ne  vous 
"  écoute  pas ,  efl  dans  le  menfonge.  Vous 
»  êtes  la  vie  »  celui  qui  n'ell:  pas  uni  à  vous, 
>i  e/l  dans  la  mort,  j? 

«Non  ,  pourfuhoiMl ,  ce  n'eft  que  par 
»  ce  divin  Médiateur  ,  que  nous  allons  à 
>j  Dieu  feul. .  . .  Pour  moi ,  c'eft  dans  ce 
«  divin  fancfluaire  de  la  très  -  fainte  huma- 
9'  nitédeJ.  C.  que  je  vois  dans  un  grand 
«  jour  les  vérités  de  l'Evangile.  C'eft  -  là 
»  que  je  vois ,  à  n'en  point  douter ,  que  le 
«  bonheur  de  cette  vie  confille  à  y  être  ^ 
»  malheureux  j  que  toutes  les  croix  qui 
»>  nous  arrivent ,  doivent  être  reçues  à  ge- 
»'  noux  ,  avec  de  profonds  refpeéts,  &  tou- 
w  te  la  reconnoiflance  poflible. 


Di  M.  BOUDON.  Liv.  III.        5^/ 

Ces  tendres  fentimens  avoient  pour  bafe  Té-  ^^  P'^*^ 

,  o  .        I  I  envers 

rude  réfléchie  qu'il  avoir  faite  des  grandeurs  iiuma- 
de  fon  aimable  Jefus.  Il  en  naiiToit  en  lui  un  ^-^^  ^^ 
mouvement  d'amour  &  de  tendrefîe ,  que 
routes  les  eaux  de  la  mer  n'auroient  pas  éteint. 
"  Certainement ,  difoù  •  il ,  tout  ce  que  les 
'j  Anges  ôc  les  hommes  pourroient  fe  figurer 
'^  d'aimable,  fe  rencontre  dans  mon  Jefus.  Il 
»  eil  infiniment  aimable ,  à  raifon  de  Ces 
•>  grandeurs  divines  ;  puifqu'il  poiTede  la 
«  plénitude  de  la  Divinité  corporeliemenr. 
«  Il  eft  infiniment  aimable  à  raifon  des  per- 
«  fedtions  de  fa  très-fainre  humanité  -,  puif- 
j>  que  ces  perfections  charment  tous  les 
»  Saints ,  &  que  leur  contemplation  cm- 
5>  brafc  dans  le  ciel  les  plus  hauts  Séraphins. 
5*  Il  cft  infiniment  aimable  à  raifon  des 
w  obligations  infinies  que  nous  lui  avons; 
3*  puifqu'il  nous  a  délivrés  des  tourmensin- 
»i  finis  de  l'enfer.  Il  ell  infiniment  aimable 
>»  pour  tous  les  biens  qu'il  nous  a  mérités; 
5'  biens  infinis  dans  leur  grandeur  ,  puifque 
w  c'cft  la  pofTelTion  de  Dieu  même  -,  biens  in- 
w  finis  dans  leur  durée ,  puifqu'ils  font  étcr- 
»  nels  \  biens  infinis  dans  leur  totalité,  puif- 
»»  qu'ils  font  l'affemblagc  de  tous  les  biens. 
«  Enfin  mon  Jefus  eft  infiniment  aimable , 
«  à  raifon  de  la  manière  dont  il  nous  a  ai- 
«  mes.  Tous  les  momens  de  fa  vie  divine- 
5»  ment  humaine  étoient  plus  précieux  ,  que 
5>  le  bonheur  éternel  de  tous  les  prédefiinés; 
«  cependant  il  a  bien  voulu  la  donner  pour 
»  nous.  O  mon  eœur ,  mon  cœur ,  élargii^ 

Cîiij 


.3^^  La   ViB 

^'^^■^^/j^'^ifons- nous  donc  ici  ,  pour  nous  laiflcr 

rhuma-  "  perdre  dans  cet  ab) Tme  d'amour.  Mais 

rite    de  «  pouvons- nous  bien  conrenir  nos  hrmes 

"  fur  nos  froideurs,  nos  glaces  ,  nos  ingra- 

"  ticudes  !  Pour  les  pleurer,  il  faudroic  des 

5j  rorrens  qui  coulaflent  de  nos  yeux  autant 

^'  àc  rems  qu'il  nous  en  re/le  à  vivre.  Mais 

3>  héias  !  on  ne  voie  fur  ce  point  que  la  plus 

>>  déplorable  infenfibiliré.  »» 

'iOn  pafîe  les  jours,  les  femaines^  les 
«  années.  &  prefque  toute  la  vie  dans  une 
"  continuelle  occupation  des  chofes  de  la 
5>  terre  -,  pendant  que  l'on  vit  dans  un  oubli 
»  perpétueldes  obligations  infinies  que  l'on 
«  doit  avoir  à  l'aimable  Jefus.  Car  enfia 
»'  quelle  part  a-t-il  dans  lesdeffeinsdeshom- 
»->  mes ,  dans  leurs  penfées,  âms  leurv  af- 
»  faires  ,  dans  leurs  difcoars?  Hé  !  quelle 
5^  part  lui  donne-ton  même  dans  Ces  prie- 
3'  res  &  dans  Ces  actions  de  piété  }  Hélas  l 
^y  vous  diriez  que  ces  prières  Se  ces  actions 
^3  de  piéré  ne  font  que  des  bagatelles,  tant 
«  on  y  apporte  de  langueur  ôc  de  difira- 
3>  étions  *,  ôc  fouveiit  avec  cela  une  demi- 
5>  heure  de  temps  dans  un  exercice  Ci  mal 
'>  fait ,  paroît  bien  longue  à  plufieurs^  Se 
^>  leur  donne  de  l'ennui.  »■» 

Pour  dédommager  en  quelque  forte  le 
Seigneur  Jefus  d'une  indifférence  auifi  ou- 
rrageufe,  Boudon  Tétudioit  tous  les  jours 
de  fa  vie.  C'efl  dans  ce  grand  livre  qu'il  ap- 
prenoir  le  mépris  de  foi  -  même  ,  l'obéif- 
ilsnce  à  Ces  Supérieurs ,  la  douceur  enver^r 


DE  M.  BOUDON.  Liv.   lll.         5^7 
tenx  qui  lui  éroienc  fournis ,  la  compaflîon  Maniéré 
envers  les  pécheurs,  la  libéralité  envers  les  i^^uma- 
pauvres ,  la  chariré  envers  tous  les  hom  r.ité  de 
mes  ,  le  pénible  amour  des  ennemis-  Ceft  ^'  ^* 
fur  ce  divin  modèle  qu'il  compaffoit  routes  ' 
fes  aclions  ,  qu'il  régloit  routes  les  démar- 
ches ,  qu'il  dirigeait  tous  les  mouvemens  de 
fon  cœur.  Pour  rout  dire  en  un  mot  ,  J.  C. 
étoit  fa  vie 3  fon  thréfor  ,  fon  amour  ,  fes 
efpérances  ,  fes  délices  ,  fon   Médiateur , 
fon  Dieu  ,  fon  Tour. 

Cet amanr  paiTionné  du  Dieu  Sauveur, 
cet  homme  fi  fcnfible  aux  biens  que  Jefui- 
Chrift  efl  venu  apporter  fur  la  terre,  de- 
voir faire  ,  &  fit  en  effet  toute  l'eftime  pof- 
fjble  de  la  grâce  du  Chriftianifme  j  grâce  , 
qui  unit  hs  Fidèles  à  l'Homme-Dieu,  corn- 
mêles  membres  à  leur  chef ,  &qui,  comme 
parle  l'Apôtre,  les  fait  os  de  fes  os.  pour 
ne  faire  de  lui  &  d'eux  qu'un  feul  corps  my- 
fiique.  Il  étoir  fi  touché  de  cette  faveur  , 
qui  ,  dans  le  premier  des  Sacrem.ens  de  la 
nouvelle  loi ,  nous  fait  enfans  de  Dieu  ,  hé- 
ritiers de  fa  gloire  ,  frères  6c  cohéritiers  de 
Jefus-Chrill:  ,  temples  de  TEfprit- Sainr, 
Roix  &:  Prêtres  ;  qu'il  auroit  en  quelque 
forte  defiré  qu'elle  devînt  la  matière  éter- 
nelle de  tous  les  livres ,  de  tous  les  entre- 
riens ,  de  toutes  les  prédications.  Son  ar- 
deur fur  ce  point  redoubloit  avec  l'âge.  II 
n'étoitprefque  plus  niairrefurla  lin  de  fes- 
jours ,  ni  de  fa  gratitude,  ni  des  termes  qui 
l'énoncoient,  11  en  parloir  à  rout  le  monde  , 

Qiv 


5^8  ^         L  A    V  I  E 

Sa  piété  àfes  amis,  à  ceux  qui  étoicnt  fous  fa  con- 

envers      ,    ,  ,,        ^  .  .  , 

rhuma-  cluite  ,  aux  perionnes  qui  avoient  quelque 
iiité  de  rapport  à  lui.  Ses  Ouvrages ,  fes  Lettres , 
^'  ^'       its  difcours  en  ctoient  pleins. 

"Je  difois  &redifois,  la  faintc  nuit  de 
Noe'l ,  écrivoit-ilà  un  pieux  ami ,  **  je  di- 
"  fois  :  Tôt  us  in  me  Chriflus  ,  totus  ,  totus» 
'^Oui,  Monfleur  5  il  faut  cefler  de  vivre 
5^  de  notre  vie  ,  pour  ne  plus  vivre  que  de 
ii  la  vie  de  Jcfus-Chrift.  Tout  ce  qui  eft  en 
«nous:  nos  deilcins,  nos  converfations , 
«  nos  foufFrances  »  nos  adions  les  plus  vi- 
-=  les ,  tout  doit  être  digne  de  l'Homme- 
i^  Dieu.  » 

Quoique  le  faint  Efprit  l'appliquât  d'une 
manière  admirable  à  toutes  les  difpofitions 
intérieures  &  à  tous  les  états  de  ce  Premier 
né  d'entre  les  morts  \  dont  il  l'avoit  rendu 
frère  par  la  grâce  du  Baptême  \  il  eft  fur  ce- 
pendant qu'il  étoit  lié  par  un  attrait  parti- 
culier à  la  vie  cachée  ,  aux  fouffrances  &  à 
la  charité  du  Sauveur.  Celui  de  fes  Ouvra- 
ges qui  a  pour  titre  :  La  vie  cachée  avec  Je- 
Jus-Chrifl  en  Dieu ,  en  efl  une  preuve  des 
plus  fenfibles.  «  Pour  moi ,  dit  un  de  it^ 
«  amis ,  je  confefle  que  fa  ledure  m'enlève-, 
jj  &  il  m'a  paru  que  M.  Boudon  y  étoit  en- 
"  tré  fi  avant  dans  toutes  les  difpofitions 
w  du  Verbe  fait  chair ,  que  pour  parler  avec 
"  l'Apôtre ,  il  a  pris  avec  tous  les  Saints  les 
wmefures  de  la  charité,  de  l'humilité  & 
*>  des  autres  vertus  de  fon  Sauveur.  Car  ja- 
**  mais  il  n'auroic  pu  nous  donner  les  traits 


deM.  BoUDON.  Liv.  III.  3(^9 

ii  de  ce  nouvel  homme  ,  de  cet  Homme-  Sa  pléiê 
»  Dieu  avec  tant  de  lumières  ,  s'il  ne  les  inhuma! 
«  avoir  eu  lui-même  profondément  gravés  niié  d* 
»j  dans  Ion  c<i;ur.  »  ^'  ^•- 

Auiïi  tâchoit-il  de  les  exprimer  tous ,  <5c 
fur-tout  ceux  qui  retraçoient  parfaitement 
les  peines ,  les  humiliations ,  TanéantifTe- 
ment  de  fon  divin  Maître.  «  Ne  feroit-iî 
»  pas  honteux  ,  drfoit-il  d'après  S.  Bernard  , 
"  de  voir  les  membres  d'un  chef  percé  d'é- 
»  pines  ,  vivre  fans  peine  &  fans  afflidion  ? 
"Et  que  peut-il  nous  arriver  de  meilleur, 
>*  que  ce  qu'un  Dieu  a  eu  pour  fon  partage? 
**  Qu'eft-ce  que  le  Père  éternel  a  accordé  à 
>*  fon  Fils  bien-aimé  ,  fmon  dts  croix  ,  des 
"Opprobres  &  une  mort  honteufe  ?  Le 
"  monde  ,  il  eft  vrai ,  n'en'"end  point  ces 
"  vérités  \  la  nature  ne  les  goûte  pas  :  mais 
»*  le  vrai  Chrétien  qui  fe  conduit  par  \cs 
»•  règles  de  la  foi,  &l  qui  a  en  lui  même  les 
"  fentimens  de  J.  C  les  conçoit  parfaitc- 
"  ment.  Et  c'ert  pour  cela  que  s'uniffant  par 
"laparrie  fupérieure  de  fon  ame  à  Jefus- 
*'  Chrifl  foufPrant ,  il  adore  la  divine  mahi 
"  qui  le  crucifie-,  il  l'arme»  il  la  remercie  , 
"il  fe  foumet  entièrement  à  fa  conduite. 
>»  Certainement  ^  après  re'lime  q  ic  Jcfus- 
»>  Chrirt,  notre  bon  Sauveur  ,  a  fait  des 
'>  fouffrances ,  comment  ne  pas  voir  qu'cl- 
"  les  font  d'nn  prix  inellimnbîe  î  Comment 
"  ne  pas  profiter  des  leçons  (S:  àts  exemptes 
^  d'un  fi  grand  Mairreî  » 

»  C'cil ,  difoitîl  encore  ,  c'eil  J.  C.  qui 

Qv 


57©  La    Vu 

Sf  pi^té  „  efi  toute  la  religion  eu  ciel  8c  de  la  terre  J 
rhum"  "  ^^^  parfait  Chti/lianirmecoijfifle  à  l'ai- 
n'ité  de  »  mer  &  à  l'imirer.  C'eil ,  comme  l'aiTure 
•'•  ^:  «  S.  Faul ,  le  fondement  unique  fur  lequel 
3J  tous  les  érars  intérieurs  font  appu)és.  » 
Ce  fut  fur  cetre  pierre  vivante  &  érerneîle, 
que  le  grand  Archidiacre  fonda  rédifice  de 
fon  falut  :  &c  c'eft  pour  cela  que  ni  le  vent 
impétueux  de  la  tentation  ,  ni  les  fleuves 
âts  afflidions  ne  piiient  jamais  Tcbranlcr. 
Heureux,  qui  fçait  comme  lui  bâtir  fur  u» 
fondement  ai'ïTi  foljdc  :  il  fouriendra  fans- 
confuiion  le  regard  de  fes  enneiTiis ,  lorf- 
qu  il  leur  fera  confronté  au  tribunal  du 
fouverain  Juge.  Non  cofifundetur  ,  cum  lo* 
quetur  iriimicisfitis  wportâé 

§.  VIII.  Sa  Piété  envers  le  îrès-faint 
Sacrtmcm  de  l'Autel, 

Sa  pié  é      ^^'^  grand  homme  difoit  autrefois  que  \ù 
«nvers  vic  du  vrai  Chrétien  eft  une  vie  d'étonné- - 
^'.^".'^'^^■' ment  6c  d'admiration  j  fi  à  ces  fenrimens- 
vous  ajoutez  Tamour  le  plus  vif,  &  la  plus 
parfaire  rcconnoiffance  ,  vous  aurez  les  plus 
beaux  rraits  de  celle  de  M.  Boudon 

il  ne  fe  laflbir  point  d'admirer  Tinfinie 
bonté  ,  avec  laquelle  fon  aimable  Jefus 
fait  fur  la  terre  fa  demeure  dans  nos  Ta- 
bernacles. C'eft  à  cette  occafîon  qu'il  b'é- 
crioif  :  »  O  Dieu  d'amour  ,  qu'une  ame  de- 
'>  meure  étrangement  érontîée  ,  lorfqn'à 
«  l'aide  des  rayons  de  la  grâce  ,  elle  dé-- 
»>;  couvre  une  vérité  û  confolame  1  Sou  eÇ: 


DE  M.  BouDoM.  Liv.  Iir.       571 
3J  prît    reile  tout  inrerdir.    Elle  fent  que  Sa  piété 
5>  quand  une  créarurc  parleroit  le  langage  i4Tcha^- 
"  des  Anges  3c  des  hommes ,  elie  ne  pour-  riftie, 
»  roic  donner  qu'une  foibîeidée  de  la  bonré 
"  par    laquelle  le  Dieu  des  miféricordes 
"s'elt  choiiî  une  demeure  parmi  les  hom.- 
"  mes.  »> 

Mais  plus  cette  faveur  artendrifToir  le 
cœur  de  notre  falnt  Prêtre  ,  plus  il  fouilToic 
de  voir  combien  peu  la  plupart  des  Chré- 
tiens y  font  d'attention.  Il  a  ini-mcme  avoué 
qu'il  étoit  inconfolable  de  voir  le  Dieu  d'a- 
mour fi  méconnu  ^  &  l'horreur  qu'il  avoic 
pour  le  monde  ,  venoit  en  partie  de  ce  qu'il 
ne  découvroit  en  lui  que  la  plus  ilupide  in- 
fenlibiliré  à  l'égard  de  fon  Créateur  (S:  de 
fon  Sauveur.  «  Ah  !  mon  Dieu  ,  difoit-il , 
y>  faut  il  que  vous  ayez  pour  les  hommes  un 
"  amour  fi  excelTif ,  &  qu'ils  foient  fi  in- 
'j  grats  ,  fi  infenfibles  !  La  plupart  des  Egli- 
'^  Tes  de  la  campagne  font  défertes  pendant 
"toute  une  femaine  j  Jefus -Chriil:  y  elî 
5j  comme  un  paiTereaufolitaire  ,  &  comme- 
5'  îe  pélican  dans  le  défcrt.  Perfonne  ne  va 
5^  lui  tenir  compagnie  :  efl-il  une  dureté  de' 
'^  cœur  auiïi  prodigieufe  ?  On  fe  fait  un 
"  honneur  défaire  fa  cour  aux  Rois  &  aux 
'j'  Princes  de  la  terre:  le  Roi  des  Rois  refte 
»  feul  \  ôc  quoiqu'il  foit  affis  fur  le  thrône 
«  de  fa'miféricorde  ,  perfonne  ne  va  lui' 
»  demander  des  grâce*;.  Votre  auguftc  Sa- 
s^crement ,  ô  Dieu  d'amour  ,  devroit  être' 
?^îe  rendez-vous  de  tous  les  cœurs  afitigésv 

Ovj 


37^      ,  La  Vib 

Sa  piété  „  lethréfor  de  tous  les  pauvres,  l'afylc  cîe 

envers  ,  ,,  ^,  .     \.        ^     ,    y 

l'Eucha-  "  foi-^s  les  malheureux  ,  le  pain  fpirituel  de 
riitie,  w  tous  les  faméiiques.Une  feule  heure  pafféc 
»■»  à  vos  pieds ,  vaut  mieux  que  mille  autres 
i>  pafTéesdaiis  les  tabernacles  des  pécheurs: 
y>  cependant  vous  n'êtes  ni  vifîté,  ni  adoré,. 
5*  ni  aimé.  O  charité  fans  bornes ,  n'aura- 
»*  ton  jamais  de  retour  pour  vous,  Ôcc.  »> 
Il  invitoit  de  routes  Çts  forces  à  ce  juAc 
retour  tous  ceux  qui  vouloient  bien  en- 
tendre fa  voix  ,  &  rien  ne  l'eût  plus  charme 
que  de  les  voir  fe  réunir,  comme  à^s  aigles, 
autour  de  ce  corps  adorable.  «  C'eft  -  là  ^ 
»  écrivoit-il ,  qu'il  faut  nous  rendre  avec 
3i  toutes  les  ardeurs  poflîbles ,  pour  lui  of- 
«  frir  avec  le  facrifice  de  nos  cœurs  celui 
^>  de  nos  vœux  ôc  de  nos  adorations.  Ve- 
«nez donc  y  adorer  la  Majeflé  divine,  le 
'»  Dieu  de  l'Univers.  Mais  fouvenez-vous 
^>  bien  q^u'il  çli  écrir  ,  que  les  hommes  doi- 
3>  vent  s'anéantir  d'une  religieufe  frayeur  > 
>«  en  entrant  dans  le  fanduaire  où  il  ha- 
w  bire  avec  toutes  fes  grandeurs,  »* 

Rien  de  plus  beau  ,  de  plus  Chrétien  que 
ces  fcntimensiBoudon  ne  s'en  contentoitpasj 
il  étoit  cxad  à  les  mettre  en  pratique.  S'il  fe 
réveilloit  la  nuit  ^  comblé  de  joie  dans  la 
penfée  qu'il  auroit  bientôt  le  bonheur  de  cé- 
lébrerruQ  mon  âmCydifoit-il^nom  iietarde- 
«  rons  pas  à  entrer  dans  la  maifon  du  Sei- 
i>  gneurlNousTadoreronsdansfon  faint  tem- 
>i  ple,&  nous  bénirons  fonnom.»S'iIprenoic 
(es habits,  il  difoit;  «  Que  vos  Prêtres, 


DE  M.  BouDON  Liv.  III.  373 
»  Seigneur ,  foient  revêtus  de  juftice  ,  ôc  Sa  pîété 
•»  que  vos  Saines  treffaillent  d'allégrelTe  à  i4ucha- 
»»  l'approche  du  moment ,  où  ils  auront  le  riftie, 
w  bonheur  de  vous  podéder  I  »  S'il  entroic 
dans  une  Eglife  :  «  C'efl  ici  mon  repos  ,  ^î- 
»*/o/r-î7 ,  c'eftma  demeure  dans  les  fiécles 
>'  des  fiécles ,  parce  que  le  Seigneur  Ta  choi- 
«  fie.  Que  chacun  prenne  paiti  à  Ton  gré  y 
w  pour  moi  je  veux  que  ce  lieu  foie  ma  plus 
>»  douce  Ôc  plus  continuelle  habication.  Il 
>»  fera  à  mon  égard  cette  tour  de  David, 
w  d'où  pendent  mille  Boucliers ,  une  Cité 
»»  de  refuge  ,  un  Sandluaire  inviolable  ,  un 
>rafylc  alTuré  dans  toutes  mes  tribulations.»* 
Une  deschofes  qui  le  touchoit  davanta- 
ge dans  fes  réflexions  fur  ce  myfiere  d'a- 
mour ,  c'ell  l'extrême  facilité  avec  laquelle 
le  Sauveur  s'y  laifie  approcher.  <•  Quelle 
«  bonté  ,  difoit-îl ,  Jefus-Chrifi  eft  pendant 
"  toute  la  femaine  dans  nos  Eglifes  les  plus 
»>  abandonnées ,  afin  que  le  pauvre  peuple 
>'  n'ait  pas,  les  Dimanches  &  les  Fêtes ,  la 
»>  peine  de  l'aller  chercher  bien  loin.  Ce 
»*  Maître  fouverain  du  firmament  n'a  point 
>»  de  gardes  ,  qui  éloignent  de  fa  divine 
»  perfonne  ceux  qui  veulent  l'aborder. Tou- 
»  tes  les  avenues  du  Palais  de  ce  Roi  de 
3'  l'cmpirée  font  libres.  O  vous,  qui  êtes 
»  affligés ,  confolez-vous  :  celui  qui  fandli- 
«  fie  les  cœurs  ,&:  qui  remplit  parfaitement 
»  tous  leurs  defirs ,  cft  à  vous.  Pauvres ,  ré- 
»>  jouiflez- vous  :  vous  pouvez  jouir  d'un 
«*  bien  iramenfe  j  ôc  pendant  que  les  Grands 


,574  L  A  Vie 

$a  pîété  cja  monde  vous  rebnrent,  le  Roi  des  An- 

envers  -,  u        i- 

TEucha-  "  ë^s   VOUS    donne    toute  1  audience   que 

riftie.      »  vous  pouvez  fouhairer.  11  fe  plait  a  vos 

»  entretiens,  pourvu  qu'ils  panent  du  cœur; 

"  il  vous  remplir  de  fes  grâces  ,  il  vous  mec 

>>  au  nombre  de  fes  plus  chers  favoris.  »> 

Mais  1  humilité  Ôc  lanéantidement  font 
les  leçons  que  ce  digne  Prêtre  apprit  le 
mieux  aux  pieds  de  la  Vi^limcqui  s'immole 
fur  le  faint  Autel.  Voici  comme  il  s'en  ex- 
pliquoit ,  &  le  peut-on  faire  d'une  manière 
plus  fenfce ,  p4us  touchante  J 

«  Si  Jefus-Chrift  efl:  méprrfé  fur  le  Cal- 
w'vaire,  il  y  eft  glorieux  par  les  merveilles 
>^  qui  s'y  opèrent.  Les  pierres  fe  fendent  , 
»^le  foleil  s'éclipfe  ,  les  monumens  s'ou- 
>' vrent ,  les  morts  reiïufcircnr  :  mais  dans 
"  TEucharirtie  fon  immolation  eiî  route  en- 
«  tier« ,  &  fes  humiliations  y  font  portées 
">'  jufqu'à  l'excès.  Encore  ,  s'il  y  paroîfToit 
5^  enfant ,  comme  dans  la  crèche ,  ou  hom- 
"  me  comme  fur  le  Calvaire.  Mais  non  :  " 
"  l'homme  &  le  Dieu  difparoilTent ,  Sz  les 
'^fensne  découvrent  que  les  foiblcs  fym- 
^boles  fous  lefqucls  il  eft  enveloppé.  ..*.., 
^'  O  mon  ame ,  écoute  à  loifir  la  leçon  que 
>^te  fait  ton  bon  Maître  dans  cet  adorable 
j>  Sacrement.  Oui ,  après  un  anéantiffement 
"  û  profond,  notre  plus  grand  bonheur' 
«doit être  de  porter  avec  douceur,  avec 
'^  paix  ,  avpc  amour  toutes  les  abjections 
''  poffibles.  C'eft  dans  ces  abjeélions  qinï 
'^-faut  mettre  le  point  d'honneur  j  ôc  le  mi- 


DE  M.  BoUEON.    LiV.  ÎIL  ^7) 

w  pris  doic  faire  le  fujer  de  notre  gloire  ,  Sa  fréter' 

Nous  avons  vu  dans  THifloire  du  grand  riilie^  . 
Archidiacre  ,  qu'il  fçut  parfaitement  réali- 
fer  ces  nobles  idres.  Il  facritia  au  Sauveur 
anéanti  fa  réputation,  fa  fanté  ,  fes  biens, 
fes  efpérances.  Et  pour  peu  qu'on  réfiéchifie 
fur  l'ardeur  de  fa  foi ,  on  conviendia,  qu'au 
moins  par  rapport  à  lui-même  il  n'outroit 
point  les  chofes  ,  lorfqu'il  difoit  dans  l'excès 
de  Con  zélé  ,  qu'un  Chrétien  ,  qui  dans  cet 
augufce  my/lere  étudie  Jefus-Chrilt  tout 
brûlant  d'amour  pour  les  hommes ,  n'hé(i- 
teroit  point  à  lui  facrificr  tous  les  hon- 
neurs du  monde  ,  toutes  ks  xVIonarchies  de 
la  terre,  toutes  les  couronnes  de  l'Univers^ 
rUnivers  lui-mcmc  tout  entier  ,  &  un  mil» 
lion  d  autres ,  s'il  les  avoit  en  fon  pouvoir. 

Or  ce  qu'il  piatiquoit  fi  pleinement  à  l'é- 
gard  de  la  divine  Eueharifiie ,  il  s'eîîorçoir ,  ^ 

autant  qu'il  lui  croit  poilible  ,  de  le  faire 
pi-atiquer  à  tous  les  Fidèles  ;  &  fon  indu- 
flrieufe  charité  lui  en  fournifibit  un  grand 
nombre  de  moyens.  Il  exhortoit  ceux  qui 
avoient  quelqueconfiar.ee  en  lui,  à  s'ap- 
procher fouvent  &  dignemcnr  de  la  fainre 
Table  j  à  rendre  vîfite  au  Fils  de  Dku  dans 
nos  Tabernacles  i  a  l'accompagner  avec  un 
profond  refpecl  ,  quand  on  le  porte  aux 
malades  ;  à  faire  fouvent  célébrer  le  redou- 
table facriiîce  j  à  orner  les  Autels  ôc  les 
Eglifes;  à  procurer  que  celles-ci  ne  fuficnt 
dsfîcrvies  que  par  des  Miniilrcs  félon  le  , 


37^  L  A    V  I  I 

Sa  piété  cœur  de  Dieu  j  à  communier  fpirîtuelîc-» 
rtîl'cha-  l'ï^ent ,  &  cela  plufieurs  fois  la  nuit  ôc  le 
siùie.     jour, félon  i'excellentc  méthode  qu'il  leur 
en  donnoiti  à  prendre  parti  dans  cespieufes 
Aflbciarions ,  dont  la  fin  principale  eft  de 
rendre  à  l'Agneau  immolé  i'iionneur  &  la 
gloire  qui  lui  font  dus  -,  à  le  faluer  fouvent  ^ 
ôc  fur  tout  en  entrant  ôc  en  fortant  de  fa 
chambre  ,  par  ces  paroles  :  Loué  foit  à  ja* 
mais  le  très-faint  Sacrement  de  l Autel  ;  à 
poner  un  refpedt  fingulier  à  tous  les  Ec- 
cléfiaftiques  ,  qui  ont  l'honneur  d'appro- 
cher de  fi  près  de  ce  Roi  de  Majefté  \  à  de^ 
mander  avec  ardeur  de  dignes  Miniîlres  à 
celui  qui  fcul  eft  la  porte   par  laquelle  on 
puifle  entrer  ,  &  qui  l'ouvre  &  la  ferme  fé- 
lon fes  deflcins  éternels.  Ce  fut  par  ces  pra- 
tiques auflî  folides  qu'elles  paroiflent  fini- 
ples,  que  M.  Boudon  enfanta  tant  d'ado- 
rateurs à  l'Hommc-Dieu  anéanti  fous  les 
voiles  Euchari/liques.  Chacun  peut  en  faire 
l'cflai  :  il  n'y  a  rien  à  perdre  ,  &  nous  fom- 
mes  sûrs  qu'il  y  aura  beaucoup  à  gagner. 

§.  IX.  Sa   'Dévotion  envers  la  très-fainte 
Vierge, 

Sacîévo-  Nous  ne  pouvons  mieux  commencer 
*fa"nte^  cCt  article  ,  qu'en  donnant  une  idée  des 
Vierge,  grands  biens  qui  font  attachés  au  v  rai  culte 
de  Marie  •,&  cette  idée  nous  ne  la  donne^ 
rons  jamais  plus  jufle  ,  qu'en  l'empruntant 
àçs  fentimens  Sc  des  paroles  du  grand  Ar- 
chidiacre d'Evrcux:  «  La  dévotion  à  l'adq 


DE  M.  BouDON.  Liv.  III.  377 
>^  mirable  Mère  de  Dieu  ,  difoitil ,  porte  Sadéfo. 
»  avec  foi  tant  de  bénédidions ,  que  Téter-  "f^^Jg  * 
'i  nité  toute  entière  ne  fera  pas  trop  longue  vierge.  ♦ 
»>  pourreconnoître  les  biens  qui  en  décou- 
5^  lent ,  Ôc  dont  le  prix  elt  un  thréfor  caché 
"  à  la  terre. .  . .  Les  pauvres  y  trouvent  des 
"  richeiles  pour  le  foulagement  de  leur  in- 
"  digence  ^  les  malades,  des  remèdes  à  leurs 
'>  maux  ^  les  ignorans  ,  de  la  fcience  j  les 
'^  foibles ,  de  la  force  ;  les  afRigés ,  de  la 
«  confolation  ■■,  ceux  qui  font  dans  la  peine, 
"  du  repos  j  ceux  qui  vivent  dans  Tinquié- 
j^  tude,  de  la  paix.  Les  pécheurs  y  rencon- 
wtrentla  grâce  j  les  juftes,  leur  fandliiicâ- 
«  tion  i  les  amcs  du  Purgatoire  ,  leur  déli- 
i>  vrance.  Enfin  il  n'y  a  point  de  condition 
a»  qui  ne  participe  à  ks  faveurs  i  point  de 
3'  nations ,  point  de  pays ,  point  de  Royau- 
M  mes,  qui  n'éprouvent  faproteclion.Toutc 
«  la  terre  eft  pleine  de  Ces  miféricordes. 
»»  Son  cœur ,  ce  précieux  cœur  ,  qui  eil 
»  après  celui  de  Jefus ,  le  plus  pur  ,  le  plus 
'■>  doux,  le  plus  charitable  de  tous  les  cœurs, 
s-»  a  lui  feul  plus  d'amour  êc  de  perfedtions , 
Î-»  que  tous  les  Anges  §<:  tous  les  Saints  en- 
"  femble  ^  ôc  par  conféquent  il  a  popr  nous 
»»  incomparablement  plus  de  tendreiïe,  plus 
"  de  compaiTion  ,  plus  de  pente  à  nous  fe- 
'>  courir  que  tous  les  Saints  enfemble.  Et 
«  c'eft  de  ce  cœur  miféricordieux  ,  comme 
M  d'une  fource  inépui fable  ,  que  découlent 
»>  continuellement  fur  toutes  les  créatures 
>•  une  m-ilritude  prefque  infinie  de  toutes 
»'  fortes  de  biens.  >» 


37?  tA   Vie 

Sa  d^vo-       Mâis>  conrinne  le  fainr  Piètre,  »  Son  élé- 
fa?me^  "  vatioD  &  fes  grandeurs  ne  fuififent- elles 

Vieigç.  «  pas  pour  mérirer  parfaitement  notre  ad- 
»j  miraiion  ,  nos  rcrpeds ,  nos  amours.  De 
«  routes  les  pures  créatures  il  n'y  en  eut  ja- 
w  mais  d'auHi  unie  qu'elle  à  N.  S.  J.  C.  Elle 
5j  eft  le  fingulier  ouvrage  de  la  Trinité. 
«  Elle  eft  une  terre  nouvelle  ,  qui  de  fon 
»  fein  virginal  ne  porte  d^autre  fruit  que 
«  THomme-Dieu.  Elle  eft  un  ciel  nouveau, 
w  qui  ne  contient  rien  moins  que  le  Verbe 
5^  incarné.  Elle  ell  dans  le  monde  un  mon- 
«  de  de  prodiges  ,  qui  a  fes  loix  Se  fon  état 
«  à  part  :  un  nouvel  ordre  dans  l'ordre  de 
>' la  Providence,  de  la  puiffance  de  de  la 
3>  fageiïe  de  Dieu  j  ordre  fingulier  ,  où  les 
>'  loix  communes  font  fi  dérangées  ,  que  ce- 
w  lui  qui  commande  à  MJnivers ,  obéit  à 
»i  une  Vierge  devenue  fa  mère  ;  ordre  qui 
9i  entre  en  quelque  façon  dans  celui  de  l'u- 
"  nion  hypoflatique  ,  puifqu'une  femme 
«  y  devient  mère  de  Dieu.  »^  On  fent  ici , 
comme  ailleurs ,  que  la  main  ne  féconde 
point  affez  les  exprcifions  du  cœur  \  ôc  que 
malgré  l'énergie  des  termes  qu'elle  emploie, 
elle  ne  peut  rendre  qu'une  foible  partie  des 
fentimens  dont  il  ell  aficdé. 

Malgré  cet  embarras,  que  l'éloquent  S. 
Bernard  avoir  aufii  éprouvé  ,  l'homme  de 
Dieu  avoit  fi  bien  uni  fon  cœur  à  celui  de 
fa  bor7fie  &  tendre  Mère  ;  il  y  avoit  fi  par- 
faitement établi  fa  demeure  ,  qu'il  en  dit 
plus  avec  fa  fimple  ôc  naturelle  efTufion  , 


DE  M.  BouDON.  Lrv.  lîL         37^ 

que  bien  d'autres  avec  les  frivoles  agrémens  Sa  èé^a 

de  1  éloquence  humaine.  «  O  cœur  virgi-    ç^^^^^ 

ii  nal ,  s'i'crie  t  il ,  6  cœur  glorieux  ,  vous  vierge.^ 

>'  renfermez  feul  toutes  les  excellences  de 

»  l'ancien  &  du  nouveau  Teftamenr.   En 

>'  vous  je  découvre  la  charité  des  Aporres  , 

5-»  la  force  des  iMarryrs  ,  la  fidélité  cesCon- 

»  fe/Teurs,  la  pureté  des  Vierges  ,1a  retraite 

«  des  Solitaires ,    de  toute  la  fainieté  des 

5' âmes  les  plus  innocentes.  Ocœurfacré» 

«  vous  êtes  tout  ce  qu'on    peut  dire   de 

«  grand.  Après  en  avoir  tout  dit ,  nous  n*au» 

5j  rons  encore  rien   dit  de  ce  qui  en  eft, 

"  Non  ,  ce  cœur  n'aime  pas  comme  les  Se 

5>  raphins ,  il  n'eit  pas  faint  à  la  manière 

9>  dont  l'ont  été  les  plus  grands  Saints.  La 

»  fainteté  de  ceux-ci ,  l'amour  de  ceux-là, 

»  n'étoienc  qu'un   amour  de  ferviteurs  ÔC 

"d'amis  ;au  lieu  que  \e^  grandeurs  deMaric- 

»?  font  celles  d'une  Mère  qui  a  un  Dieu  pour 

>»Fils,  dcc.  V 

A  ces  fenimens  d'admiration  fe  joignoîent 
ceux  du  plus  tendre  &  du  plus  refpectueux 
dévouemenr.  «  O  mon  ame  ,  difoit  le  faint 
3»  homme ,  quand  ferons-nous  tour  à  Marie  , 
j>  pour  erre  par  elle  tout  à  J.  C.  Vierge  pu- 
3j  re  !  je  veux  vous  aimer  autant  que  Dieu  le 
>»  délire.  O  fainte  Mère  de  Dieu  ,  montrez 
3>  que  vous  èzçs  ma  mère  !  O  mon  cœur  , 
53  fouvenons-nous  bien,  que  nous  ne  fom- 
«  mes  plus  à  nous  ,  qu'appartenant  à  la 
«  Reine  du  Ciel  nous  ne  pouvons  plus  dif- 
»•  pofer  de  nos  affecUoiis  !  O  mon  ame  rouï 


580  ^  La  Vie 

5a  dévo- ,/  c{\  à  Marie  pour  la  gloire  de  Jefus  !  &  û 
"fa^nV  "  ^^^^  ^^  >  ^^  "'y  ^  ^o"c  plus  rien  en  nous 
Vierge.   >'  pour  aiicune  créacure.  « 

Ce  grand  &  parfait  dévouement  étoit 
fondé  &c  fur  la  noble  idée  que  ce  digne 
Précre  s'étoit  faite  de  la  fainte  Vierge ,  ôc 
fur  les  bienfaits  qu'il  en  avoir  reçus  dès  fes 
plus  tendres  années.  «  De  quelque  côté  que 
"  je  me  regarde ,  difoic-il ,  en  quelque  fens 
«  que  je  m'examine  ,  je  ne  vois  rien  de  bon 
?■»  en  moi ,  que  je  ne  doive  aux  libéralités  du 
«  Fils  par  le  crédit  de  la  Mère. . . .  J'ai  fait 
"  depuis  ma  jeuncfle  une  û  douce  &  û  con- 
''  tinuelle  expérience  de  fcs  foins  vraiemcnt 
^i  maternels ,  que  je  voudrois  pouvoir  crier 
»*  par  tout  à  fon  faint  amour  j  ôc  plus  encore 
»  dans  un  tcms ,  où  le  démon  ôc  les  hommes 
»'  mus  de  fon  efprit ,  s'efforcent  de  bannir  du 
'^  monde  fon  cuire  &Ic  zélé  de  fcs  intcrêts.>» 
Nous  touchons  ici  un  point ,  qui  fut  pour 
le  cœur  du  dévot  Archidiacre  le  fujet  d'une 
douleur  continuelle.  «  Ah  l  difoit  il ,  que  je 
»>  gémis  de  roppofuion  qu'on  a  préfente- 
"  ment  au  culte  de  la  facréc  Vierge  !  A  me- 
»'  fure  que  l'heréfie  s'établit ,  on  déclare  la 
'*  guerre  au  culte  de  la  Mère  de  Dieu.  Le 
"  démon  efl:  indigné ,  de  voir  que  route  l'E- 
"  glife  chante  dans  fon  Office  ,  que  c'eft  par 
*»  elle  que  toutes  les  héréfies  ont  éré  détruires 
«  dans  le  monde.  Ce/1  pourquoi  Calvin 
"  dans  les  derniers  fiécles  crioit  tant  contre 
"  la  dévotion  à  la  fainte  Vierge. . . .  Mais 
'»  ce  qui  efl  déplorable ,  c'ell  que  cette  oppo-- 


DE    M.  BOUDON.  LlY.    III.  381 

»>  fition  fe  trouve   aujourd'hui   parmi  les  Sa  <?fv<> 

>^  Eccléfiafliques ,  qui  devraient  le  plus  ven-  ^'?a"inte' 

»•  ger    les   intérécs    de    la    xMere   de  Dieu  Viergç. 

5^  contre  fes  ennemis ,  &c  ceux  de  l'Eglife. 

»  Car  il  ell  furprenant  de  voir  la  liberté 

«  qu'on  fe  donne  préie^ptem.eut  fur  ce  fujet  « 

>y  liberté  qui  poufTée  bien  moins  avant  dans 

«  les  tems  qui  nous  ont  précédé  ,   auroic 

V  faintement  foule vé  le  Clergé  ,  le  peuple , 

y»  les  Univerfités  ;  de  don:  on  auroit  fait 

9i  une  févére  punition.  '> 

Il  fouhaitoit  qu'à  cette  ligue  qui  s'élevoic 
contre  la  Reine  des  Cieux ,  on  en  opposât 
une  autre  ,  qui  fût  pleine  d'ardeur  pour  fa 
gloire.  Il  y  invitoit  jufqu'aux  habirans  du 
nouveau  monde  -y  6c  ce  fut  à  cette  occafion 
qu'un  faint  Prêtre  de  l'Amérique  lui  deman- 
da ,  s'il  étoit  bien  poflîble  ,  qu'il  y  e fit  des 
chiens  qui  akoyajfem  contre  la  Lune.  Un 
autre,  6c  c'etl  celui  qui  a  le  plus  travaillé  à 
l'Hilloire  de  ce  grand  ferviteur  de  Dieu ,  Iç 
félicitant  du  Livre  de  la  dévotion  à  la  fainte 
Vierge,qu'ilvenoitde  donner  an  public, Bou^ 
don  lui  répondit  avec  un  mouvement  plein  de 
ferveur  :  «  O  qu'il  me  feroit  doux  de  donner 
'j  plufieuis  vies ,  fi  je  les  avois ,  pour  Thon- 
"  neur  de  ma  bonne  MakrelVel  Ah!  difoi:- 
»  il  à  un  troiîiéme ,  qu'il  fait  bon  de  vi\  re  de 
»j  de  mourir  fous  la  protection  maternelle 
^'  de  cecce  Reine  des  Anges  &  des  hommes! 
3.»  Je  vous  avoue  ,  que  'e  nai  point  de  paro- 
3'  les  pour  expliquer  ce  mbien  je  fuis  'ouché, 
w  quand  je  pcnfe  que  Dieu  ,  dans  l'excès  de 


3Si  ^      La   Vie    ^  ' 

Sa  Aévo-  „  fa  charité ,  m'a  donné ,  àh  que  f  aï  com- 
^'Jaînte'^  "  i"^^^i^cé  d'cLTC  ,  iiHC  fi  gloiieufe  Dame  pour 

Vierge.    "  me  Icivir  de  refuge  ôc  d'azile Qu'un 

w  chacun  porte  fa  piéré  où  il  voudra ,  pour 
3>  moi ,  incomparable  Marie  ,  j'entens  qu'à- 
>i  près  mon  Dieu  tous  les  defirs  qui  éclor- 
»  ront  dans  mon  cœur ,  tous  les  mouve- 
»  mens  qui  s'élèveront  dans  mon  ame  ,  tous 
»>  les  acles  qui  fe  formeront  dans  ma  volon- 
»>  té,  toutes  mes  aétions  &  toutes  mes  fouf- 
»»  frances ,  foicnt  confacrées  à  votre  gloire, 
"  pour  la  gloire  de  Jefus  ,  qui  feul  doit  être 
"loué  ôc  aiiTié  ,  dans  toutes  les  afîedions 
"  qu'on  a  pour  vous  ,  Se  dans  toutes  les 
*'  louanges  qu'on  vous  donne.  « 

Mais  cet  homme  fi  dévot  à  la  fainreViergc 
n'a-t-il  point  excédé  dans  les  louanges  qu'il 
lui  adonnées ,  Se  dans  les  différentes  efpé- 
ces  de  culte  qu'il  lui  a  rendu  ?  Pour  en  juger 
fainement ,  examinons ,  mais  en  deux  mots, 
ce  double  grief,  dont  on  l'a  chargé. 

Et  d'abord  ,  pour  ce  qui  concerne  les  élo- 
ges qu'a  fait  de  la  Vierge  ce  faint  Prctre  j  il 
eft  vrai  qu'il  l'a  traitée  de  Mcre  ,  d'Avocate  , 
de  Vie  ,  de  Douceur  ,  d'Efpérance  des  Chré- 
tiens. Mais  il  n'y  a  pas  un  feul  de  ces  glo- 
rieux attributs,  dont  la  plus  pure  antiquité 
ne  lui  ait  fai*"  hommage.  Je  fçais  que  pour 
réduire  ces  termes  à  leiH"  jufle  valeur,  elle 
les  a  pris  dans  le  fens  d'une  vraie  &  parfaite 
fubordination  j  mais  on  ne  prouvera  point 
que  l'Archiciacre  d'Evreux  fe  foit  écarté  de 
ces  idées:  Ôc  pour  le  trouver  en  défaut,  il 


DE   M.  -BOUDON.  Liv.  IIL         ^3 
faudra  lui  prêter  des  fentimens  qu'il  n'eut  5a  déir*-' 
jamais.  i.i^^e 

Quant  à  ce  qui  regarde  les  pratiques  \ierge. 
dont  il  fe  fervit  conâamment  pour  ho- 
norer la  Mère  de  Dieu  ,  celle  qu'il  préféra 
de  beaucoup  à  toutes  les  autres,  fut  l'étude 
ôc  l'imitaricn  de  Ces  vertus  -,  Se  je  ne  crois 
pas  que  qui  que  ce  foit  voulût  lui  en  faire 
un  crime.  Je  fçais  de  plus  qu'il  louoit  fans 
cefTe  fes  admirables  perfeclions:  qu'il  lui  a 
dédié  tous  les  Ouvrages  j  qu'il  n'entrepre- 
noit  rien  que  fous  fa  protection  ;  qu'il  1  in- 
voquoit  avec  beaucoup  de  confiance ,  dans 
fes  peines  ;  d^ns  fcs  épreuves,  dans  fes  ten- 
tations :  qu'il  récitoit  fouvent  en  fon  hon- 
neur le  niaguifique  Cantique  qu'elle  a  com- 
pofé  j  qu'il  y  joignoit  le  Rofaire,&  les  autres 
prières  que  l'Eglife  a  cru  devoir  approuver  j 
■qu'il  honorcit  Se  faifoit  honorer  ,  autant 
qu'il  étoit  en  lui ,  Ces  Fêtes,  fes  images ,  ôc 
les  temples  qui  portent  fon  nom  j  &c.  Mais 
fi  ce  font -là  des  fautes,  daignez,  Mon  Dieu, 
n:iulciplier  les  coupables  :  &  fur- tout  ren- 
dez-en complices  ceux  qui  les  reprocheiu  à 
votre  ferviteur. 

§.  X.  Sa  Dévotion  envers  Us  SS,  Anges» 

Pour  bien  apprécier  la  dévotion  qu'eut  ^^^  JJJ 
notre  grand  Archidiacre  pour  les  faints  An-  ss.  An- 
ges ,  nous  tacherons  d^expofer  ici  &   fes  g^s* 
fentimens  à  leur  égard ,  &  ce  qu'il  fît  pour 
les  infpirer  aux  autres. 

Pour  coLumcncer  par  ce  derniçi  article. 


384  La    Vie 

Sa  âévo'  qui  fuppofc  manifeftement  le  premier  ,  tout 
ss."An-  ^^  n^onde  efl  tombé  d'accord ,  que  perfonnc 
gej.  dans  ces  derniers  fiécles  n'a  travaillé  avec  plus 
de  zélé  à  Ibutenir  la  vénération  qui  eft  due 
à  ces  bienheureux  Efprits.  Pour  les  trouver 
en  tout  tems  5c  en  tout  lieu ,  il  les  joignoit 
à  Tadorable  Trinité ,  dont  ils  font  les  Minif- 
rres  ••,  à  la  Meie  de  Dieu  ,  dont  ils  font  les 
admirateurs  ;  aux  hommes ,  dont  ils  font  les 
protedteurs  &  les  gardiens.  «  O  hommes, 
«  difoit-il  toutes  les  fois  qu'il  en  trouvoic 
"  Toccailon ,  aimez  les  faints  Anges  :  Ce  font 
»  des  amis  fidèles ,  des  protecteurs  très  puif- 
»  fants  ,  des  pères  tout  remplis  de  charité 
»  pour  nous.  Prédicateurs  ,  Diredeurs  , 
y  hommes  Apoftoliques ,  aimez  les  faints 
«  Anges:  ce  font  les  fçavans  de  la  fcience 
»  du  Ciel  &  de  la  terre ,  les  Princes  de  la 
«  lumieie  céle/le ,  &  les  guides  aflurés  dans 
»»  jes  voies  de  la  vie  intérieure.  Prêtres  du 
"  Seigneur  ,  aimez  les  faints  Anges  :  c'efi: 
»>  par  leurs  mains  que  le  facrifice  eA  p.orté 
»  fur  le  fiiblime  Autel  de  fa  Majefté  divine. 
y>  Vous  qui  vivez  ou  dans  îe  Cloître  ou  dans 
i>  la  folirude ,  aimez  les  faints  Anges  :  Ces 
''  Efprits  admirables  font  toujours  cachés 
"  en  Dieu  ;  &  jamais  ils  ne  le  perdent  de 
sj  vue.  Vous  qui  êtes  obligés  de  vivre  dans 
«  le  monde ,  aimez  \cs  faints  Anges  :  Ces 
«  pures  Intelligences  vous  fuivent ,  &  veil- 
»j  lent  à  vos  côtés.  Aimez  les  faints  Anges, 
w  vous  qui  êtes  engagés  dans  les  liens  du 
9>  mariage  ;    Votre  état  ert  l'objet  de  leurs 

foins  5 


BE  M.  BouDCN.  Liv.  m.        jS/ 
5»  foins  y  ie  jeune  Tohie  L'éprouva  a  une  ma-  S»  d^vo- 
»  niert  bitnpliii  confolante.  Aimez  les  fainrs  §5"  ^'^! 
*»  Anges  ,  ô  Vierges ,  aimez  les  faints  Anges,  ges. 
«  Ce  font  les  grands  amis  de  la  pureté,  les  dc- 
«  fenfeurs  de  la  fideliré  que  vous  avez  pro- 
»  mife  à  Dieu.  Julles  6:  pécheurs ,  riches  &: 
>»  pauvres,  heureux  ou  affligés,  aimez  \t% 
«  faints  Anges  :  Ce  font  les  guides  de  linno- 
"ccnce,  les  afyles  de  la  vertu  fubmcrgée  , 
«  des  lumières  qui  vous  feront  voir  le  néant 
"détour   ce  qui    paiTe,%cle  bonheur   de 
>*  ceux  qui  verfenr  des  larmes.  »> 

Ainfi  parloir  1  Archidiacre  ,  Se  plein  de 
cette  idée  du  Pape  faint  Léon  :  «  Faites  de 
->  faintes  liaifons  avec  les  Anges  :  »  Confir^ 
mate  amicnias  cum  fantiis  Arigelis  ;  il  en 
parloit  aux  riches  &  aux  pauvres,  dansfes 
voyages,  dans  fes  Millions,  dans  Ces  pèleri- 
nages. Or  ,  quoique  fes  difcours  n'aient  pil 
manquer  d'être  fouvent  le  fujet  des  fades 
plaifanteries  du  libertin  &  de  Tindévot,  il 
eft  néanmoins  certain  qu'ils  ont  produit  des 
fruits  confidérables.  Le  fcul  Diocèfe  d'E  vreux 
en  cil  une  preuve  fenfible.  Il  eût  été  difficile 
d'en  trouver  un  dans  tout  le  refie  du  Royau- 
me,  qui  fût  plus  dévot  aux  SS,  Anges/ Un 
très  grand  nombre  de  Paroifles  leur  confa- 
crérent  dts  Autels;  ou,  pour  parler  ju/le, 
ils  les  confacrérent  à  Dieu  fous  leur  invo- 
cation. Boudon ,  tout  pauvre  qu'il  étoit ,  fit 
placer  dans  une  Chapelle  de  Ja  Cathédrale* 

*  C'eft  la  Chapelle  où  il  eft  enterré  ,  &  qui  a  perdit 
4on  nom  depuis  rAflbciation   que  noue  pieus  Prêtre  y  a 

R 


38^  L  A    V  r  E 

&i  dévo-  des  tableaux  qui  les  rcpréfentent  autant  qu  ils 
tion  aux  pe^yei-it  l'être  \  ôc  qui  font  plus  ^honneur  à 
ges.^'' '  fa  religion ,  qu'au  pinceau  qui  les  a  travaillés. 
Nous  l'avons  déjà  dit  j  ces  grands  efforts 
pour  accréditer  le  cuire  des  Efprits  célelles, 
naiflbient  en  notre  Archidiacre  du  tendre  Se 
profond  xefpeâ:  qu'il  avoit    pour   eux.  Il 
auroit  fouhaité  que  tous  les  Auteurs  en  par- 
laOent  dans  leurs  Ecrits  -,  que  tous  les  Minif- 
tres  de  l'Evangile  en  inftruififfcnt  les  Fidèles  j 
qu'on  s'en  entretîj|l  dans  toutes  les  compa- 
gnies. Pour  lui ,  par  la  plus  fimple  &  la  plus 
heureufe  des  méthodes,  il  avoit  trouvé  le  fe- 
cret  de  s'en  occuper  prefque  fans  cefle.  II 
ne  recevoir  jamais  aucun  bienfait,  de  quel- 
que ordre  qu'il  fût ,  fans  remercier  ceux  qu'il 
regardoit  en  ce  genre  comme  les  Miniftres 
de  la  volonté  de  Dieu.   S'il  honoroit  un 
Saint ,  fa  régie  inviolable  écoit  d'honorer  en 
même  tems  l'Ange,  qui,  pendant  fa  vie, 
avoit  veillé  à  fa  garde.  S'il  entroit  dans  une 
Eglife  ,  après  avoir  humblement  adoré  celiii 
qui  y  réfide ,  il  faluoit  ces  Princes  de  la  mi- 
lice célefte,  qui  lui  font  alTiduement  leur 
cour  j  &  il  s'uniffoit  de  tout  fon  cœur  aux 
hommages  qu'ils  lui  rendent.  S'il  faifoit  un 
voyage ,  il  faluoit  autant  de  ces  Efprits  bien- 
heureux ,  qu'il  y  avoit  de  perfonnes  dans  la 
compagnie  i  6c  laiffant  celles-ci  difcourir  à 

établie  pour  honorer  les  SS.  Anges.  Le  tableau  de  PAu- 
t  fjui?epréfemeles  fept  Efpnts  devant  le  thrône  de 
Dieu!  fut  faic  fur  le  modèle  d'une  image  apportée  d  M- 


DE  M.  BouDON.  Liv.  ni.  5S7 

îeurgré,  pourvu  que  la  piété  n'en  foufînt  Sacîe'f«i 
pas,  il  s'entrerenoic  avec  ceux-là  des  gran-  55." An. 
deurs  du  Maître  qu'ils  ont  l'honneur  de  fer-  g-s, 
vir.  Dès  qu'il  appercevoit  un  hameau  ou  un 
village,  fon  premier  foin  ,  après  avoir  rendu. 
fes  devoirs  a  J.  C.  dans  fon  Temple  ,  étoic 
d'en  rendre  de  proportionnés  à  ceux  qui  ont 
la  garde  Ôc  du  lieu ,  &  du  peuple  qui  y  fa  t 
h.  demeure.  ««  Hélas  !  difoit-it ,  il  y  a  ici  des 
"  grands ,  non  de  la  terre ,  mais  du  Ciel ,  & 
»^  les  pauvres  gens  de  la  campagne  à  peine 
*>  le  fçavent  ils ,  bien  loin  d'y  penfer  avec 
5j  dévotion.  » 

11  ne  doutoit  point  que  les  hérétiques  (?c 
les  infidèles  n'euffent  des  Anges  tutélaires. 
Sur  ce  principe  il  fe  tranfportoit  en  efpric 
dans  ces  régions  malheureufes ,  d'où  la  foi 
&  la  fcience  de  Dieu  font  bannies.  Il  s'unif- 
foit  à  ces  fublimes  Intelligences,  pour  dé-  , 
plorer  de  concert  la  perte  irréparable  de  tant 
d'ames,qui  tombent  à  milliers  dans  l'abyfme. 
Il  les  conjuroit  avec  larmes  de  travailler  puif- 
famment  à  réparer  les  brèches  du  Royaume 
dlfrae'h  II  faifoit  avec  eux  une  fainte  ligue  » 
qui  alloit  à  rétablir  l'empire  du  Roi  de  gloire 
fur  les  ruines  du  régne  de  Satan.  Lorfque 
quelqu'un  offenfoit  Dieu  en  fa  préfence ,  il 
s'en  plaignoit  tendrement  à  l'Ange  gardien 
du  coup>able.  Il  tâchoit  par  ks  prières  de  le 
fléchir  en  fa  faveur. 

Quand  il  étoit  fur  le  point  d'entrepren- 
dre quelque  affaire  importante ,  il  imploroiB 
par  des  prières  redoublées ,  de  fur-tout  pai 

Rij 


^ 


sU  La  Vie 

Sa  ftévo-  des  neuvaines  fréquentes ,  la  protedion  de 
ss?  An-  ^^^  premiers  Citoyens  du  Ciel.  Il  leur  de- 
ges.        niandoit  une  petite  portion  de  leurs  lumiè- 
res ,  &  de  ce  zélé  emprefîe  pour  la  gloire  de 
Dieu ,   qui  les  rend  tout  de  feu  pour  fcs 
-intérêts.  Dans  les  calamités  publiques ,  ôc 
pendant  les  agitations  qui  de  fon  tems  trou- 
blèrent toute  l'Europe  ,  il  montoit  en  cfpric 
dans  la  célelle  Jérufalem  ^  Se  humblement 
prollerné  aux  pieds  de  Ces  habitans  ,  il  les 
prioit  de  remettre  en  fa  place  le  glaive  ven- 
geur ,  ôc  d'accorder  aux  hommes  la  triple 
)aix,  dont  ils  ont  befoin  pour  la  vie  prélente 
pour  la  vie  future. 

Sa  récréation  ordinaire  ,  ôc  c'eft  en  quoi 
il  n'aura  point  trop  d'imitateurs  ,  fa  récréa- 
tion étoit  de  parcourir  fucccflivement  les 
Hiérarchies  céleftes ,  de  comempler  leur 
beauté  &  leur  bonheur ,  de  s'unir  à  la  gloire 
qu'elles  rendent  à  Dieu  dans  les  fiécles  des 
fiécles ,  de  les  féliciter  de  leur  grâce  primi- 
tive ôc  de  la  fidélité  qu'elles  y  ont  apportée  ; 
de  les  remercier  de  la  tendrefle  qu'elles  ont 
pour  les  hommes ,  ôc  fur-tout  pour  ceux 
qui  font  de  bonne  volonté. 

Le  quatorzième  jour  de  Janvier  ,  qui 
étoit  celui  de  fon  Baptême ,  étoit  pour  lui 
une  fête  annuelle  en  l'honneur  de  fon  fidèle 
Gardien.  Ce  jour- là  il  l'honoroir  par  autant 
d'adtes  de  vertus  ,  qu'il  avoir  vécu  d'années 
il  célébroit  les  divins  Myflères  pour  remer 
cicr  Dieu  de  l'avoir  mis  fous  la  protedion 
d'un  des   Miniftres  de  fon  amour.    Il  le 


DE  M.  BOUDON.  Liv.  III.  ^î^ 
remercioit  lui-même  des  charitables  foins  ^.^  '^^^'^- 
qu'il  avoir  jufqu'alors  pris  de  fa  perfonne.  ss.  ak- 
II  ne  penfoit  qu'avec  une  joie  pleine  de  re-  ges. 
connoiflance  .  qu'il  avoir  le  bonheur  d'être 
fous  la  proreclion  d'un  de  ces  foldats  du 
Dieu  des  armées ,  &  qu'à  celui-là  s'en  joi- 
gnoient  des  légions  d'autres,  toujours  prêts 
à  combattre  en  faveur  de  ceux  qui  doivent 
poiïéder  1  héritage  du  falut.  C'ell  à  la  fuite 
de  ces  réflexions,  qui  jamais  ne  furent  oiiî- 
ves  chez  lui ,  qu'il  s'écrioit  :  «  O  mon  ame, 
"  quelle  confolarion  pour  vous  !  Après  une 
"  fi  grande  faveur, pourquoi  êtes-vous  trifte? 
»y  Pourquoi  vous  lailTez-vous  aller  au  rrou- 
"  ble  &  à  l'inquiétude  ?  Un  feul  de  ces 
«  Prince*;  fuffiroic  poiT  relever  votre  cou- 
«  rage  .^bbatu  i  &  voilà  qu'au  lieu  d'un,vous 
y>  en  avez  i.n  nombre  innombrable  toujours 
9'  difpofés  à  vous  défendre.  Non  ,  pour  lui- 
«  voit-il  y  je  ne  fçaurois  penfer  aux  faints 
»^  Anges,  que  je  n'en  reçoive  de  la  f<.'rce. 
«  Le  Pfalmiile ,  après  avoir  dit  qne  Dieu 
'■>  leur  a  donné  ordre  de  nous  garder  dans 
"  toutes  nos  voies^affure  qu'en  conféquencc 
»Mious  marcherons  fur  l'afpic  &  fur  leba- 
"  filic  ,  &  que  terrafles  fous  nos  pieds  le 
"  lion  &  le  dragon  ne  pourront  nous  nuire. 
"  Il  faut  donc  ,  conclnoit  le  jaint  ^rchidia- 
»  cr'e ,  ou  ne  fçavoir  plus  raifonner  ,  ou 
>^  tomber  d'accord  que  rien  n'efl:  plus  jude 
»  que  la  dévotion  aux  faints  Anges.  11  faut 
»  les  aimer  à  quelque  prix  que  ce  foit.  Ai- 
f>  mables  Efprirs ,  ma  plus  grande  ambition 

R  iij 


590  L  A  V  I  E 

Sa  d^vo-  «fera  toujours  d'avoir  le  très-grandhonncur 

tion  aux        i  r  •  -  •  '     t 

ss.  An-  "  "^  vorre  lainre  amirie.  Je  vous  aime  ,  je 
fics,  »  veux  vous  aimer  ,  faires  que  je  vous  aime 
3>  encore  davantage.  Je  n'ai  rien  qui  m'in- 
«  téreffe  plus  que  mon  cœur  ;  &  ce  cœur 
w  je  vous  le  mets  entre  les  mains,  pour  le 
^>  préfenter  au  pur  Amour  ,  &  pour  l'aimer 
5^  comme  vous  l'aimez  vous  -  mêmes.  Je 
«  n'ai  rien  de  plus  précieux  que  ma  vre  ,  & 
w cette  vie  je  la  confacre  à  votre  gloire, 
iy  pour  rhonneur  de  Dieu.  Je  n'ai  rien  de 
?:>  plus  étendu  que  mes  ào.^i'is,  :  ah  !  ces  defirs 
9'  font  tout  à  vous.  Je  voudrois  que  toute 
30  la  terre  retentît  de  vos  louanges  :  que 
w  par -tout  il  y  eût  des  temples  confacrés 
93  fous  votre  nom  à  la  Majefté  divine ,  Se 
93  desCongtégations  établies  pour  glorifier 
«  Dieu  des  grâces  qu'il  vous  a  accordées.  »^ 
Malgré  la  fublimité  de  cette  dévotion, 
on  y  trouve  quelque  chofe  de  fi  aifé  ,  de  fi 
naturel,quelecœurle  pluslanguifiantcnell: 
touché.  Quoi  de  plus  uni,  de  plus  familier 
que  ce  raifonnement  du  faint  homme  pour 
établir  la  dévotion  aux  Anges  Gardiens  ? 
«  Comment ,  ce  fo'nt  [es  termes  ^  &  on  ne 
yypeut  giières  s'y  tromper  ,  comment  être 
3^  toujours  en  la  préfence  d'un  des  Princes 
3J  du  Ciel  3  fans  lui  témoigner  notre  recon- 
9«  noifiance  ?  N'en  doutons  point ,  c'ell:  un 
5^  ami  très  -  fidèle  ,  très  -  confiant ,  très  -  aî- 
5>  mable  ,  très- plein  d'amirié.  Hé  !  que  n'a- 
3*  git-on  donc  avec  lui  comme  avec  un  vérî- 
wtable  ami?.Que  ne  prend- on  quelque  heure»." 


DE    M.    BOUDON.  LiV.  III.  35)T 

"  quelque  demi-  heure  pour  lui  parler  cœur   ^^  iév<^ 
'>  à  cœur  ?  Que  ne  l'entretient  -  on  fur  la  ^^^  ^^ 
'^  grande  affaire  du  falut  -,  »  fur  cette  af-  ^cs. 
faire  où  les  meilleurs  confeils  ne   font  ja- 
mais de  trop  ? 

Mais  quelque  vive  que  fut  fa  dévotion 
envers  tous  les  Chœurs  des  Anges  ,  un  at- 
trait fupérieur  le  portoit  du  côté  des  Sé- 
raphins. Pcrfuadé  que  leur  cœur  eft  le  plus 
enflammé  du  faint  amour  -,  il  s'adreflbk 
conrinuellemenr  à  eux  ,  pourobrenir  quel- 
que étincelle  du  feu  qui  les  confume.  Il  ex- 
pofoit  fon  cœur  aux  flèches  dont  ils  per- 
cent les  parfaits  amans ,  &  les  vrais  fervf- 
reurs  de  Dieu.  Il  s'uniflbic  à  eux  pour  tra- 
vailler ,  fous  leurs  aufpices ,  à  rétabliflc- 
ment&au  progrès  de  la  loi  d'amour.  C'é- 
toit-Ià  qu'alloient  tous  fcs  vœux  :  un  Prêtre 
^n  peut  -  il  former  de  plus  beaux?  'Paf-  ' 
fent-ils  même  les  forces  du  fimple  Fidèle , 
aidé  de  la  grâce  ,  de  foutenu  de  l'efprit  da 
Chriûianifme  ?  Non  fans  doute  j  &:  l'Afla- 
ciation  ,qui  fous  les  aufpices  du  grand  Ar- 
chidiacre a  formé  daTis  tous  les  états  tant 
de  dévots  à  ces  bienheureux  Efprits  ,  en  e/l 
une  preuve  complette.  Il  l'a  commença  à 
Evreux  ,  ou  elle  fubfifle  encore  ,  Se  où, 
malgré  la  langueur  des  tems ,  elle  porte 
tous  les  jours  des  fruits  de  grâce  de  de  bé- 
nédiction. 

§.  XI.  Sa  Dévotion  aux  Saims  ,  & 

fur-tout  à  la  fainte  Famille,  Sadévo^ 

1  en  écrivant  la  vie  dun  famr  Prêtre,  Saints, 


55)2,  L  A    V  lE 

•S-»  dévo- j'av.ois  en  vue  ces  Réformateurs  prétendus  j 
tioii  aux  ■  ^^^j.  colorer  leurs  erreurs  nous  en  pré- 
&c,  cent  que  nous  deteitons  avec  eux  j  qui  con- 
tre l'évidence  de  nos  paroles  ôc  de  nos  fen- 
rimens ,  nous  accufent  de  tranfporter  à  la 
créature  l'honneur  qui  n'efl  dû  qu'à  Dieu  y 
êc  qui  traitent  d'idolâtrie  un  culte  que 
nous  ne  pourrions  refufer  aux  amis  de 
l'Epoux,  fans  l'outrager,  ôc  fans  mécon- 
noitre  l'ércndue  de  fes  dons  :  je  commen- 
cerois  par  démontrer  que  ce  culte  religieux 
fut  en  ufage  dans  les  plus  beaux  jours  de 
TEglife  \  que  TOtient  &c  l'Occident ,  quoi- 
%ie  fouvent  divifés  d'intérêts,  fe  font  con- 
ftamment  réunis  pour  le  venger-,  que  les 
Origène,  les  Eufébe,  les  Bafile,  les  Chry- 
foftôme,  les  Ambroifc,  les  Hilairc.  ôc  une 
foule  d'autres ,  l'ont  établi  de  concert;  que 
les  Jérôme  ôc  les  Augullin  ont  attaqué  & 
confondu  ceux  qui  avec  l'impie  Vigilance 
ont  ofé  y  trouver  à  redire  y  ôc  qu'un  des 
quatre  premiers  Conciles  généraux  en  a 
fuppofé  le  dogme  comme  l'ancienne  foi  de 
l'Eglife ,  en  demandant  à  l'Illuflre  martyr 
S.  Flavien ,  ôc  fa  protection ,  Ôc  le  fecours 
de  fes  prières  :  Flavianus  -poft  mortem  vi- 
vit ,  M.irtyr  or  et  pro  no  bis,  ^ 

Grâces  à  Dieu  ,  aucun  de  ceux  pour  qui 
j'ai  entrepris  ce  petit  ouvrage ,  ne  conrefiera 
au  grand  Archidiacre  d'Evreux  ,  la  légiti- 
mité du  culte  qu'il  a  rendu  aux  Saints.  Il  ne 
s'agit  donc  que  de  faire  voir  hilîorique- 

•  Condl.  Calcbedon,  SeiT.  XI,  pag,  ^^y,  Edit,  taV. 


D£  M.  BouDON.  Liv.  ni.         31^5 
îiienr ,  que  ,  fans  roiirreu ,  il  Ta  porté  uufîi  Sadévo- 

1    .  3.1  11  tien  avix 

loin  qii  il  peut  aller.  Saims , 

Charmé ,  pénétré  de  ces  paroles  du  Roi  i^c 
Prophète,  *  qui  difenc  tanr  de  chofcs ,  &."  les 
difent  d'une  manière  fi  concife:  Seigneur , 
vous  glorifiez  vos  amis  avec  une  efpéce  de 
profufion,  Nlmis  honorati  fitnt  amïci  tui  ^ 
Deuî  ;  il  les  regardoit  comme  les  enfans  de 
Dieu,  comme  les  frères  &  les  cohéritiers 
de  J.  C.  comme  des  Rois  dont  l'empire  e(l 
affermi  pour  route  rérernité  \  comme  des 
protecteurs  puifTans ,  qui  du  port ,  où  ils 
font  heureufement  arrivés,  rendent  la  main 
à  d'infortunés  voyageurs ,  qui  font  toujours 
en  danger  de  faire  naufra  e.  Dans  cette  vue 
il  célébroit  leurs  fêtes  avec  tous  les  fenti- 
mens  de  la  plus  vive  &  de  la  plus  tendre 
Religion.  Il  vifitoit  avec  beaucoup  de  vé- 
nération dans  fes  voyages  leurs  tombeaux  fi 
féconds  en  prodiges.  Il  honoroit  leurs  pré- 
cieufes  Reliques.  Il  défendoit  envers  tous 
&  contre  tous  leur  honneur  facrilégement 
attaqué  par  le  libertinage  &  par  la  fot:e  in- 
crédulité. Il  gémidoit  de  la  longueur  de  (on 
exil,  parce  que  fon  exil  retardoit  Iheureux 
moment  où  il  efpéroit  jouir  de  leur  compa- 
gnie. Il  les  prioit  avec  ardeur.  Il  les  invo- 
quoit  avec  confiance  dans  tous  (ts  befoins. 
Sur-tout  il  les  conjuroit  de  lui  obtenir  la 
grâce  de  les  imiter  «  Glorieux  Saints ,  leur 
3>  difoît  -  il ,  ne  permettez  pas  que  voTe 
ij  pauvre  ferviteur  écrive  ôc  parle  fi  fou- 

*Pral,  138.  T.  17. 


ï 


55?4  Î^A     Vis 

Sa  àévo-  „  vçnt  de  vous ,  fans  marcher  fur  vos  trace?,. 

«jon  aux  •        ^-1   r  ^  '1  .  . 

^ain:s ,  "  ^^^  ^^  li  i^îi^  connoitre  les  voies  qui  vous 
J^c.  w  ont  conduit  à  Dieu  ,  fans  vous  y  fuivre.^ 
?'  Confldérez  que  la  volonté  divine  efi:  que 
>>  je  fois  faint ,  puifque  tous  les  Chrétiens 
»>  y  font  appelles  :  faites  donc  que  pour 
"  rhonneur  de  cette  divine  volonté  je  de- 
3>  vienne  véritablement  faint.  « 

Ce  pieux  defîr  que  Boudon  formoit  pour 
lui-même  ,  il  le  formoit  pour  les  autres.  Il 
ne  fouhaitoit  rien  plus,  que  de  voir  Dieu 
auflî  glorifié  dans  Ces  Saints  ,  qu'il  efl  admi- 
rable en  eux.  Il  exhortoit  fortement  les  Pa- 
ileurs  à  établir  dans  leurs  Eglifes  une  vraie 
êc  folide  piété  envers  ces  anciens  Pères  de 
notre  foi  ;  à  bien  régler  les  Confrairies , 
qui  ont  leur  culte  pour  objet -,  à  en  retran- 
cher les  abus ,  que  l'ignorance  ,  la  fuperfli- 
tion ,  &  plus  encore  le  défaut  de  piété  ont 
coutume  d'y  introduire.  Pour  lui ,  pendant 
plus  de  quarante  ans ,  il  a  travaillé  à  bannir 
de  leurs  Fêtes  les  profanations  qui  hs  deS" 
honoroient.  Il  n'a  épargné  ni  les  danfes , 
ni  les  foires ,  ni  ces  pèlerinages  mal  con- 
certés ,  au  moyen  defqiicls  on  ne  fert  Dieu, 
ni  dans  fa  propre  ParoifTe,  qui  cfl:  défertée, 
ni  dans  la.  Paroifle  voifine  ,  où  régnent  le 
défordie,  le  tumulte  &  la  confiifion. 

Quoiqu'il  honorât  tous  les  Saints,  il  avoir 
une  dévotion  particulière  pour  le  faint  Pré- 
curfeur  ,  pour  S.  Pierre ,  Chef  de  toute 
THglife  ,  pour  S.  Paul ,  le  Douleur  des  na- 
Éûûs,  pour  S.  Jean  ,  l'Evangélifte  de  bdi- 


DE  M.  BbUDON.  Lîv.  TH.  395 
kcl'ion  5  pour  S.  Joachim  6c  Sainte  Anne,  Sadéva- 
S.  Zacharie  de  Sainte  Elizabeth  -,  dont  les  5°^^^^"^'' 
uns  nous  ont  donné  la  Mère  du  Rédemp-  &c. 
reur ,  les  autres  celui  qui  devoit  être  le  pro- 
phére  du  Très- Haut,  Se  préparer  fes  voies. 
Les  faintes  femmes  qui  ont  eu  l'avantage 
de  fuivre  &  de  fervir  le  Sauveur,  S.  Ni- 
colas ,  Evcque  de  Myre ,  à  qui  étoit  dé- 
diée la  Paroide  où  il  logeoit  à  Evreux  , 
S.  Ignace  de  Loyola ,  S.  François  Xavier, 
FApôtre  du  nouveau  monde ,  S.  Françofs 
de  Sales,  S.  Jean  de  la  Croix  ,  Sainte  Barbe 
Ôe  Sainte  Thérèfe  étoient  encore  les  grands 
objets  de  fa  dévotion.  Il  y  joignoit  S.  Tau- 
rin ,  premier  Evcqiie  du  Dioccfe ,  où  la 
Providence  Tavoit  lui-même  appelle  ,  de 
tous  ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  de  marcher 
fur  fes  pas  &  d'imiter  fes  vertus.  Mais  il 
avoir  un  certain  fonds  de  tendrefle  pour 
ceux  qui,  comme  les  Antoine,  les  Onufre , 
les  Pacôme  ,  les  Gaétan  ,  d<.  un  nombre 
d'autres  femblables ,  fe  font  abandonnés 
fans  mefure  de  fans  réferve  à  la  divine  Pro- 
vidence. Cefl:  que  ce  parfait  &  généreux 
abandon  fut  toujours  fon  principal  attrait  5 
ôc  le  caradére  de  fa  grâce. 

Tant  de  Saints ,  û  religieufement  ôc  û 
continuellement  honorés ,  n'épuifoient  pas 
le  riche  rréfor  de  dévotion ,  que  la  divine 
miféricorde  avoit  mis  en  lui.  Il  fembicic 
fe  furpafTer  lui-même  ,  lorfqu"il  s'agiflbir 
de  glorilier  la  fiiinre  Famille  du  Verbe  in- 
fâme. Sa  foi  y  trouvoit  6c  des  grandeurs  & 


3f?^  La    Vie 

Sa  àévo-  ç^Qs  exemples ,  qu'un  cœur  de  glace  n'y  dé- 

tion  aux  •        •  •       II  1  j    •  1 

Saints ,  couvrita  jamais.  11  la  regaidoïc  comme  le 
&c.        parfait  modèle  des  vrais  Fidèles  &  de  toutes 
les  maifons  Chrétiennes.  «  Cette  famille 
»  fainte,  difoit-il,  n'avoit  que  Dieu  feul 
»  pour  tout  bien.  Elle  vivoit  dans  l'obfcu- 
"  rite  5  dans  les  foufFrances ,  peut-être  dans 
♦'  le  mépris ,  &  très-furement  dans  la  pau- 
"  vreté.  L'adorable  Trinité  lui  tenoit  lieu 
"  de  tout ,  ôc  elle  fe  perdoit  heureufement 
»>  dans  fon  amour  &  dans  fa  eontcmpla- 
"  tion.  Mais  que  de  grâces  couloient  de  -  là 
»  dans  les  cœurs  de  Marie  ôc  de  Jofeph  !  »» 
A  mefure  que  le  faint  homme  approfon- 
di/Toit les  faveurs  que  Dieu  répandoit  à  flots 
fur  ces  deux  grandes  âmes  ,  il  entroit  com- 
me la  reine  de  Saba ,  6c  à  plus  juile  titre 
qu'elle  ,  dans  ce  trouble  paifible ,  où  Tefprit 
ôc  les  Cens  font  comme  interdits.  «  O  ai- 
»  mable  Sauveur ,  difoit-il  au  jaïnt  En- 
"  fant  Jefiu ,  ô  Dieu  fi  divinement  caché 
a  à   Nazareth ,  je  veux  le  rerte  de  mes 
"  jours  ,  &  ,  fi  vous  me  faites  miféricorde , 
'>  pendant  toute  l'éternité  ,  honorer ,  be- 
»  nir ,  louer  votre  vie  cachée.  Et  comment 
»  ne  feroit-elle  pas  l'objet  de  m.on  admira- 
>'  tion  ,  elle  qui  étonne ,  qui  ravit  les  Saints 
«  pour  jamais?» 

Ce  que  nous  l'avons  vu  dans  les  Articles 
précédens  penfer  du  Fils  ôc  de  la  Mère  ,  il 
le  penfoit  à  proportion  de  S.  Jofeph  , 
père  nourricier  de  l'un  ,  ^bux  de  l'autre  , 
tendre  ôc  refpedueux  gardien  de  cous  les 


BE    M.    BoUDON.    LiV.  III.  3îJ7 

deux.  Il  en  parloit  avec  une  douce  émorion,  ^adevo» 
qui  répandoir  la  joie  fur  fon  vifage,  11  fo-  s^inis , 
lemnifoic  fa  Fête  avec  h  plus  finguliere  &c. 
piété.  A  l'exemple  du  célèbre  Gerfon  ,  il 
prêchoit  volontiers  fes  privilèges  &  fa 
gloire.  Il  tarifToit  moins  fur  fes  louanges , 
que  l'Egypte  entière  fur  celles  de  l'ancien 
Jofeph.  Il  difoit  qu'après  la  glorieufe  Vierge, 
il  a  fans  contredit  été  le  plus  éclaire  de 
tous  les  Saints  j  qu'au  feul  nom  de  Père  de 
Jcfu€  ôc  d'Epoux  de  Marie,  il  n'y  a  fur  la 
Terre  ni  titres,  ni  qualités  qui  ne  doivent 
s'évanouir;  ôc  que  comme  l'a  remarqué  un 
ancien  Père,  il  tient  dans  le  Ciel  le  premier 
rang  après  l'Homme  -  Dieu  ôc  (a  fainte 
Mère ,  comme  dans  l'Evangile  il  tient  le 
premier  rang  après  l'un  ôc  lautre.  De  ces 
principes  il  inféroit,  que  le  pouvoir  de  ce 
grand  Saint  palTe  les  bornes  de  notre  foible 
conception  ^  que  fa  charité  eit  plus  éten- 
due que  nos  befoins  ;  ôc  qu'ainfi  heureux 
font  ceux  qui  ont  recours  à  fa  protection  , 
ôc  qui  ne  fe  lafTent  point  de  l'invoquer. 
Pour  lui  il  Tinvoquoit  alTiduement  :  mais 
jamais  avec  plus  de  ferveur ,  ôc  en  même 
temps  avec  plus  de  fuccès  ,  que  lorfqu'il 
avoit  à  traiter  des  perfonnes  vexées  du  dé- 
mon. Cell  que  l'orgueil  qui  fait  le  caraclèrç 
de  ce  prince  des  fuperbes  ,  ne  peur  être 
mieux  confondu  que  par  la  vraie ,  la  par- 
faite humilité  :  ôc  quelle  plus  prodigieufe 
humilité  que  celle  d'un  Saint ,  qui  maître 
f  n  quelque  forte  du  Maître  du  monde ,  n'a 


59?  La  Vie 

Sa  Jevo-  vu  dans   fon  élévation  que  des  motifs  de 
Saines"^  fiiencc ,  de  retraite  ,  d'anéantifTement  ! 

&c. 

§.  XII.  i'o»  amour  pour  le  Trochain, 

Son         li  y  âj  difoit  notre  vénérable  Prêtre,- 
amour     bien  de  la  différence  entre  l'amour  Chrétieii 
Ï?oJk  ^^  ^  l'amour  naturel.  L'amour  naturel  a  pour 
objet  la  créature:  1  amour  Chrétien  a  Dieu 
même  pour  fin.  C'eft  lui  qu'il  regarde  en 
routes  chofes  :  ainfi  il  ne  voit  fon  prochain , 
que  comme  Timage  de  Diea ,  que  comme 
une  partie  du  corps  myRique  dçj.  C.  que 
comme  tour  couvert  du  fang  de  ce  divin 
Sauveur.C'efl  pourquoi  dans  les  liaifons  qu'il 
contrade  ,  il  ne  confulre  ni  le  fang ,  ni  la 
chair,  ni  la  naiffance ,  ni  les  charges.  C'efè 
Dieu  feul  qui  e 11:  fa  raifon  d'agir,  ôc  c'eil 
pour  cela  qu'il  aime  tout  le  monde.  Gros- 
fiéreté  ,  mauvaifes  façons ,  manières  rebu- 
tantes, rien  ne  l'arrête.  Il  chérit  Jufqu'à  fcs 
ennemis  les  plus  déclarés.  AulTi  ce  vrai ,  ce 
folide  amour  efl-il  un  des  plus  beaux  fruits 
de  la  Croix  :  puifque  c'ert:  d'un  Dieu  mou-' 
rant  fur  le  Calvaire  pour  le  falut  de  tous  les 
hommes ,  que  nous  apprenons  coram.e  tous 
les  hommes  méritent  d'être  aimés. 

Ce  fut  fur  ces  grands ,  fur  ces  divins  prin- 
cipes, que  Boudon  aima  fon  prochain.  Sa 
charité  s'étendit  à  tous  les  genres  de  befoin 
qu'on  peur  imaginer.  L'ame  de  le  corps 
furent  également  de  fa  compétence ,  ôc  ja- 
mais il  ne  travailla  pour  l'un  ou  pour  l'au- 
tre ,  que  dans  la  vue  de  plaire  à  Dieu ,  ds 
de  procurer  fa  gloire. 


I 


BÊ  M.  BouDON.  Liv.  HT.  5"99 
ït  d'abord  il  feroit  difficile  de  poufl'cr  ^^^^ 
fins  loin  qu'il  n'a  fair ,  ramour&  larendref-  pc^^i^'ie 
le  pour  fes  ennemis.  Peu  de  perfonnes  en  prochain 
onc  eu  d'aufTi  violens  ,  d'aulTi  acharnés  à 
leur  perte  :  peu  de  perfonnes ,  s'il  s'en  efl 
trouvé  quelques-unes,  onf  été  plus  ar- 
tenrives  à  ménager  la  réputanon  de  ces 
cruels  perfécuteurs  j  à  leur  rendre  le  bien 
pour  le  mal  dans  routes  les  occafions  j  à  faire 
valoir  ce  qu'ils  pouvoient  avoir  d'ailleurs 
de  bonnes  qualités  y  à  demander  à  Dieu  par 
de  ferventes  prières  qu'il  voulût  bien  leur 
pardonner  j  à  les  recevoir  comme  de  tendres 
ôc  folidcs  amis ,  lorfque  la  grâce  leur  ou- 
vroit  les  yeux  ,  de  que  dépris  de  leurs  inju- 
ûcs  préventions ,  ils  revenoient  à  lui ,  ou 
fouffroient  qu'il  vînt  à  eux.  »  Je  fuis  té- 
"  moin  oculaire ,  dit  tm  célèbre  Curé  dt 
«  Rouen  ^  qui  fut  hin  des  enfans  fpmtitels 
>j  de  notre  faim  Archidiacre  ,  je  fuis  témoin 
»  que  deux  perfonnes ,  que  je  ne  veux  point 
«  nommer,  lui  feront,  après  Dieu,  éternel- 
«  lement  redevables  dubonhenr,  dont  i^ 
>*  crois  qu'ils  jouiflenr  dans  la  gloire.  Tous 
>'  deux  lui  dévoient  leur  conveifion  :  toiîs 
"  deuxnéanmoins  fe  déclarèrent  contre  lui, 
*'  &  par-là  donnèrent  occafion  à  la  cruelle 
"  guerre  que  fes  ennemis  lui  fufciterent.Ce- 
«  pendant  dès  qu'ils  voulurent  renrrer  fous 
«  fa  conduite ,  il  les  reçut  comme  d'anciens 
»>  de  de  fidèles  amis  \  &c  il  eut  enfin  la  coir- 
>•  folation  de  les  voir  mourir  de  la  mort  des 
»  vrais  pénitens.  Le  dernier  lui  ayant  re^. 


409  La    Vie 

\   Son     „  commandé  fa  fille ,  qui  étoît  veuve  ^ 

pour  le   "  chargée  d'enfans ,  le  ferviteui"  de  Dieu  lui 

prochain  „  promit  qu'il  en  auroit  foin.  Il  le  fit  -,  mais 

»ille  fit  avec  cette  activité,  que  les  amis 

y>  ordinaires  n'ont  pas  toujours  pour  leurs 

»y  amis  les  plus  tendres ,  les  plus  confiam- 

«  ment  éprouvés. 

Ces  exemples  ,  quelque  touchans  qu'ils 
foient  5  ne  font  ni  les  feuls ,  ni  les  plus  forts 
par  oLi  le  grand  Archidiacre  ait  fait  con- 
noître  ,  qu'il  n'y  avoit  ni  injures  ,  ni  mau- 
vais traitemens ,  qui  puflent  altérer  fa  cha- 
rité. Pour  s'en  convaincre  ,  à  n'en  pouvoir 
douter ,  il  fuffiroit  de  jetter  un  coup  d'ϔl, 
&  fur  fa  grande  perfécution  ,  &  fur  la  ma- 
nière dont  il  fe  comporta  envers  ceux  qui 
en  furent  les  auteurs.  Mais  ce  détail  odieux 
noLM  a  déjà  tant  coûté ,  &  en  relevant  la 
vertu  de  Boudon ,  il  répand  une  ombre  fi 
facheufe  fur  la  vertu  de  quelques  autres, 
qu'il  vaut  mieux  n'y  pas  revenir ,  que  de 
mettre  à  profit  les  conféquences  qu'on 
pourroit  en  tirer. 

Si  le  faint  homme  ne  mit  point  de  bornes 
à  la  charité  qu'il  eut  pour  fes  ennemis  ,  il 
n'en  mit  point  à  celle  qu'il  eut  pour  les  plus 
grands  pécheurs.  A  l'exemple  de  fon  Maî- 
tre ,  le  Publicain  le  plus  inflexible  ,  le  pé- 
cheur le  plus  endurci  fut  l'objet  de  fon  plus 
vif  &  de  fon  plus  tendre  empreffement.  Le 
foin  de  ces  hommes  prefque  défefpérés  , 
dont  Tinfenfibilité  eft  fi  propre  à  reburer 
une  patience  communei  ce  foi«,qui  fouvent 


DE   M.    BOUDON.   LlY.  III.  401 

bien  loin  de  donner  des  fruits  ,  ne  donne  ^^ 
pas  mcme  des  efpérances ,  éroir ,  pour  par-  p^ï^r^  '["e 
1er  avec  l'Ecriture  ,  Ton  partage  le  plus  prochaiB 
doux ,  &  fa  nourriture  la  plus  délicicufe. 
Il  les  rraitoit  avec  des  ménagemens  qu'on  ne 
peut  définir.  II  difoic  que  ce  zélé  amer ,  qui 
eft  l'unique  talent  de  bien  des  ConfetTeurs , 
caufe  plutôt  la  perte  des  aines  que  leur  con- 
verfion  j  qu'un  Diredeur  qui  ne  connoîc 
que  la  dureté  ,  pourroit  bien  répondre  au 
jugement  de  Dieu  du  fangde  Tes  frères;  ôc 
que  les  fuccès  de  S.  François  font  une  preu- 
ve, que  rien  n'ell:  impolTible  à  la  douceur^ 
Il  falloir  que  l'Archidiacre  pafTat  univer- 
fellement  pour  en  avoir  beaucoup  ,  puifquc 
nous  avons  vu  ailleurs  le  plus  dangereux  de 
fes  ennemis  fc  jetter  après  une  faute  énor- 
me ,  entre  £cs  bras  avec  la  plus  parfaitç 
confiance. 

Mais  rien ,  ce  femble ,  n'égala  la  com- 
paffion  qu'il  eut  pour  les  âmes  qui  mar- 
choient  dans  le  dur  fentier  des  peines  d<  des 
tentations.  Les  vingt ,  les  trente  lieues  ne 
lui  coutoient  rien  ,  quand  il  s'agifToit  de 
rendre  le  calme  à  un  cœur  que  la  main  de 
Dieu  avoir  concerné.  Boadon,en  ce  point, 
comme  en  bien  d'autres  ,  fe  régloit  fur 
l'exemple  du  faint  Evêque  de  Genève ,  qui , 
dès  le  commencement  de  fon  Ponrificat, 
exhorta  par  une  lettre  circulaire  les  Curés 
de  fon  Diocèfe  à  lui  envoyer  tout  ce  qu'il  y 
auroit  de  plus  miférable  3c  de  plus  incura- 
ble dans  leurs  Paroifles.  La  charité  de  no- 


4021  La    Vie 

Son  j-j-g  vcrtnenx  Prêtre  étoit  fi  connue  à  cet 
pour  Je  égard  ,  qu'on  s'adreflbir  à  lui  de  tous  les  cô- 
procbain  tés  du  Royaume  ,  comme  au  puifTant  Mi- 
niftre  de  celui  qui  guériffoir  les  langueurs 
&qui  confoloit  les  affligés.  Il  recevoir  cha- 
que jour  une  fi  étonnante  quantité  de  let- 
tres ,  que  Ces  amis  ne  pouvoient  concevoir 
où  il  prcnoit  de  quoi  en  payer  le  port: 
Se  ce  fut  à  un  d'eux  ,  qui  lui  deman- 
doit  comment  il  pouvoit  fe  tirer  d'affaire, 
qu'il  fît  cette  réponfe  fi  digne  de  lui:  «La 
w  Providence  eft  mon  magafin.  J'y  trouve 
«  tous  les  fecours  dont  j'ai  befoin  :  elle  ne 
y>  m'a  jamais  manqué.  » 

Mais  ce  n'étoit  pas  feulement  par  lettres 
qu'on  le  confultoir.  On  a  vu  arriver  à- 
Evreux,&qui  pluseft,  y  arriver  de  pays 
fort  éloignés ,  beaucoup  de  perfonnes  qui 
venoient  chercher  dans  fes  lumières  &  dans 
fon  expérience  des  reiTources  qu'ils  n'a- 
voient  pu  trouver  ailleurs.  Mais  ce  qui  fait 
mieuxconnoîrre  ledon  de  Dieu  qui  étoif 
en  lui ,  c'efl:  que  de  tant  de  malades  fpiri- 
tucls  de  tout  érat  ôz  de  toute  efpéce  ,  on 
n'en  a  pas  vu  un  feul ,  qui  ne  s'en  foit  re- 
tourné aufÏÏ  net ,  auffi  paifible  que  Naa- 
man  aufortir  des  eaux  du  Jourdain.  C'ércit 
fa  grâce  :  il  l'avoit  méritée  &  piefquc  exer- 
cée dès  fa  plus  rendre  jcuncile.  La  fidélité 
a\'ec  laquelle  il  y  répondit,  en  augmenta  la 
mefure  ^  ôc  peu  de  perfonnes  en  ont  fait  un 
ufage  plus  sûr  6c  plus  continuel. 

Un  Prêtre  à  qui  pluficurs  confciTions  gé-- 


I 


DE  M.  BoUDON.  Liv.  IIL       405 
néraîes  n'avoicnt  point  rendu  la  paix  ,  fe     Soh 
perfuada  que  s'il  en  faifoit  encore  une  au  ^^"^"""'.ç 
grand  Archidiacre  ,  il  trouveroit  enfin  le  re-  prochaim 
pos ,  qu  il  avoir  jufques  -  là  û  inuiilement 
cherché.  Boudon  l'entendit  avec  patience 
autant  de  tems  qu'il  le  falloir  pour  bien  ju- 
ger de  fon  étati  mais  dès  qu'il  eut  vu  qu'il 
n'y  avoit  chez  lui  que  du  fcrupule  ,  il  ne 
voulut  plus  l'écouter.  La  fermeté  du  Dire- 
éleur  força  enfin  Tobéiflance  du-  Pénitent, 
êc  la  docilité  de  celui-ci  lui  rendit  une  par- 
faire tranquillité. 

Comme  il  nefe  rebutoit  point,  lorfque 
Dieu  ne  béniflbit  pas  f^s  premiers  travaux  i 
il  ne  pouvoir  fouffrir  que  ceux  qui  exer- 
çoient  le  même  miniftere  que  lui ,  perdilTent 
patience  ,  quand  ils  ne  réuflîfToient  pas.  Un 
Confefleur  lui  ayant  dit  un  jour  qu'il  étoit 
accablé  d'une  foule  de  gens  très-incommo- 
des ,  ôc  qui  ne  profitoient  guères  de  C^s 
foins  ,  cet  homme  tout  de  feu,  lorfqn^il  étoit 
queftion  du  retour  de  la  brebis  égarée  ,  lùî 
répondit  :  «  Ceil  dans  l'union  ôc  dans  lie 
»  cœur  de  Notre  Seigneur  J.  C.  mon  cher 
a>  Monfieur  j  c'ell  dans  fes  entrailles  â<.  dans 
5j  fa  charité  infinie  que  nous  devons  preii- 
«  dre  le  zélé  &  la  force  dont  nous  avons 
»  befoin  pour  fecourir  les  âmes  que  fa  Pro- 
9»  vidence  a  mifes  fous  notre  conduite.  Sou- 
3>  venez-vous  que  notre  bon  Sauveur  nous  a 
»  commandé  d'aimer  notre  prochain  comm.c 
M  il  l'a  aimé.  Ce  principe  nous  mené  bien 
»*  loin»  Ne  vous  regardez  pas  vous-mcux 


4^4  La    V I  î 

Son  „  (^ans  votre  emploi.  Arrêtez  feulement  vo- 
po^r  "le  *^  ^^^  vue  fur  le  Fils  de  Dieu.  11  vous  don- 
procbain  »  nera  fa  grâce ,  ôc  fa  grâce  eit  plus  forte 
'>  que  routes  vos  peines  ,  &  que  tous  les 
*»  démons.  Souvenez  vous ,  dijou-il  à  un  dU- 
>>.tr€, que  cen'eii  que  par  une  très-grande 
V  grâce  ,  que  vous  avez  été  appelle  au  fe- 
»  cours  des  âmes  pcinées  Agififez-en  à  leur 
''  i^gârd  avec  beaucoup  de  charité.  Surmon- 
"  tez  par  amour  routes  les  répugnances  que 
«  la  nature  peut  avoir.  Ne  vous  reburea 
»>  jamais  ,  &c  attendez  avec  une  grande  pa- 
>*  tience  les  effets  de  la  bonté  de  Dieu  fur 
«  elles.  Nous  n'avons  pas  encore  donné  no- 
w  rre  vie  pour  nos  frères  ,  comme  J.  C. 
w  notre  modèle.  Nous  ne  fommes  pas  morts 
"  comme  lui  pour  les  pécheurs  fur  une 
»  croix  dans  un  abyfme  de  douleur.  Ne  vous 
»•»  étonnez  donc  pas  des  difficultés  qui  vous 
"  arrivent  à  l'égard  des  âmes  que  Dieu  vous 
?'  adrefle. ...  Le  foin  que  Ton  en  prend , 
»  glorifie  plus  fon  adorable  Majeflé  ,  que  le 
w  foin  de  plufieurs  autres.  Ne  vous  décou- 
«  ragez  jamais  du  peu  de  fruit  qu'elles  fem- 
»  blent  faire  fous  votre  conduite  j  parce 
*»  que  c'eil:  le  travail  qu'on  vous  demande , 
"  8c  non  le  fruit  du  travail ,  &c.  »* 

Sans  faire  l'apologie  de  cette  expérience 
brute,  qui  ne  confiile  qu'à  avoir  entendu  des 
miferes  de  tout  genre  ^  ôc  qui  rafiure  mal- 
à-propos  bien  des  gens:  comme  fi  un  Mé- 
decin étoit  habile,  précifément  parce  qu'il 
a  vu  bien  des  makides  i  Boudon  difoit  fans 


DE  M.  BouDON,  Liv.  m.        405» 
héfirer ,  que  les  Directeurs  qui  n'ont  que      So« 
de  la  fcience  ,  fans  avoir  Texpcrience  des  po^J"^ie 
voies  du  Ciel ,  peuvent  beaucoup  nuire  aux  prochaia 
âmes,  6c  fur-tout  à  celles  que  Uieu  conduit 
par  dçs  peines  intérieiu-es  ,  par  des  fentiers 
qui  fortent  de  Tordre  commun.  Il  vouloic 
que  pour  ks  bien  conduire  ,  on  eût  la  fcien- 
ce du  cœur.  Or  ,  pourjuivoit-il ,  cette  der- 
nière forte  de  fcience  ,  on  ne  la  tire  sûre- 
menc ,  ni  des  réponfes ,  ni  des  aveux  de  ceux 
qui  font  dans  ks  érars  dont  nous  parlons  j 
parce   qu'ils    s'imaginent  fouvcnt   faire  ce 
qu'ils  ne  fontpnsenetiet.  Il  faut  donc  pour 
ne  pas  faire  de  faux  pas ,  recourir  à  l'étude 
des  Livres  qui  traitent  des  voies  intérieures , 
mais  beaucoup  plus  à  l'oraifon  ,  &  à  de  vi- 
ves ôc  firéquentes    commimications    avec 
Dieu. 

Ceux  qui  vivent  encore  fur  la  terre ,  n'é- 
toient  pas  le  feul  objet  de  fa  charité.  Il  Té- 
tendoit  aux  Fidèles  qui  fe  font  endormis  dans 
le  Seigneur  ,  fans  avoir  entièrement  farisfaic 
a  fa  juflice.  Ces  hommes ,  que  nous  fem- 
Hions  aimer  avec  tendreffe  ,  pendant  qu'ils 
étoient  au  milieu  de  nous  ,&  que  nous  ou- 
blions avec  une  û  étonnante  facilité  >  dès 
qu'une  fois  le  voile  de  la  mort  les  a  dérobés 
à  nos  yeux  -,  ces  hommes ,  qui  ne  fouffrent 
peut-être,  que  parce  qu'ils  nous  ont  connus; 
fournifToient  au  grand  Archidiacre  une  four- 
ce  prefque  continuelle  de  réflexions  ;  &  ces 
réflexions  ne  pouvoient   manquer  de  pro- 
duire dans  un  cœur  comme  le  fien ,  la  corn- 


4o^  La     Vie 

Son     paflîon  &c  les  plus  ardens  defirs  d'accélcfer 
'^o'îîr^^^ie      ^"^pos  après  lequel  ils  foupirenr  fans  in- 
ifrocham  terruption.  Mais  ilne  le  contentoir  pas  d'y 
travailler   par  les   prières  ,  par    l'obi arion 
fréquente  de  la  viclime  qui  expie  les  péchés 
du  monde  ,  par  des  aumônes  répétées  :  il  y 
exhorroit  encore  puiflainment ,  Se  fur-tout 
ceux  qui  devant  moins  à  la  juftice  de  Dieu 
pour  eux-mêmes ,  étoient  plus  en  état  d'ob- 
tenir miféricorde   pour  les  autres.  Il  étoic 
perfuadé  qu'il  y  a  des  âmes  qui  fouffrent  & 
beaucoup  ôc  long  tems  pour  des  fautes  très- 
légères  :  parce  que  Dieu,  qui  ell  la  pureté 
eficntielle ,  ne  juge  pas  des  chofes  comme 
en  jugent  les  hommes  ,  &  qu'à  fon  redou- 
table tribunal  on  réprouve  fouvent  comme 
du  bois  &  de  la  p  aille  ^  des  ad:ions  qui  fur 
la  terre  avoient  été  prifes  pour  de  l'or  aflîné 
^  des  pierres  précienfef.  11  aflliroit  à  ce  pro- 
pos ,  qu'il  y  avoit  plus  de  foixante  ans  qu'il 
prioit   pour  de  certaines  perfonnes  ,   qui 
avoient  vécu  dans  une  grande  réputation  de 
fainceté  ,  de  que  tant  qu^  Dieu  lui  conlir- 
veroit  la  vie  ,  il   s'efforceroit  de  diminuer 
leurs  fouffranccs.  Un  homme  û  précaution- 
né ,  fi  fage  ,  auroit-il  parlé  d'un  ton  auiïi  dé- 
cifif  ,  fi  une    lumière  fupérieure  ne  l'eût 
éclairé. 

Son  ardeur  à  foulager  les  befoins  fpiri- 
tuels  ne  prit  point  fur  l'aélivité  qu'un  Prê- 
tre doit  avoir  pour  foulager  les  befoins  cor- 
porels de  la  pauvreté  Se  de  l'indigence.  Il 
rendit  aux  membres  affligés  deJ.C.  tous  les 


DE    M.    BOUEHDN.    LiV.    IIÎ.  407 

fer  vices  qu'il  pue  leur  rendre  j  &  fouvent  il  ^^* 
iirplus  qu'il  ne  pouvoir  faire.  Il  les  forri- p^ur  le 
ficic  dans  leurs  peines  par  des  difcours  en-  prochaia 
flammés  qui  en  adoucilToienr  ramerrume.il 
fe  dépouilloicen  leur  faveur  ^  je  ne  dis  pas 
de  Ton  fuperfîu,  il  n'en  eut  jamais  y  mais  de 
Ton  plus  iridirpenfable  néceflaire.  Pour  jufti- 
ficrfes  pieux  excès  à  leur  égard,  il  difoit 
qu'ils  méricoient  mieux  que  lui ,  ce  dont  il 
fe  privoic  en  leur  faveur.  Il  joignoir  l'humi- 
Jicé  3  le  refpecl ,  3c  fur-rout  Tinitruccion  aux 
aumônes  qu'il  leur  prodiguoir.  Il  pa)  oie  les 
loyers ,  &:  quelquefois  la  dépenfe  entière  de 
plufieurs  perfonnes ,  dont  la  condition  ne 
pouvoit  s'allier  avec  le  travail ,  &  moins 
encore  avec  la  mendiciré.  En  un  mot ,  il 
n'avoif  rien  qui  ne  fut  aux  pauvres  ^  &  s'il 
n'eût  été  de  ces  jurées  ,  à  qui  la  Providence 
s'ell  fpécialemenr  engagée ,  il  eiic  éré  bien- 
tôt plus  à  plaindre  que  ceux  donc  il  foula- 
geoit  la  mifere. 

§.  XIII.  Sa  Reconnoijjance, 

Ilefl:  peu  de  vices  au/ïi  déteftés  dans  le  5a  Re- 
monde ,  que  celui  de  l'ingratitude.  Cepen-  f^"e?  ' 
dant  l'ingratitude  n'eft  rien  moins  qu'un 
vice  fans  exemple.  De  l'homme  à  Dieu  elle 
eft  fi  commune  ,  que  lEcriture  fainte  la  re- 
proche plus  de  mille  fois  au  peuple  chéri. 
De  l'homme  à  Thomme  elle  eil  fi  ordinaire , 
qu'elle  a  paflé  en  proverbe  dans  le  monde, 
&:  qu'on  y  regarde  prefqne  comme  une  ma- 
xime ,  que  les  bienfaits  ne  fervent  qu'à  faire 
des  ingrats. 


4cS  L  A    V  I  E 

Sa  Re-  La  vraie  piété  écarte  ces  horreurs  ,  la  rc' 
cunnoii-  Hgion  Ics  détefte.Boudoii  qui  fit  un  honneur 
"*  inhni  a  1  un  ôc  à  1  aune  ,  fut  toujours  extrê- 
mement éloigné  d'un  défaut  aufli  capital.  Il 
nelailTa  lombcr  à  terre  aucun  des  bons  of- 
fices qui  lui  fuient  rendus.  Grands  &  petits, 
tous  furent  Tobjet  de  fa  tiè.s  humble  recon- 
noifTance.Ily  futfenfiblt  devant  les  hommes, 
il  y  fut  encore  plus  fenflble  devant  Dieu. 

M.  de  Novion  ,  Evéque  d'Evreux  ,  Pré- 
lat,  qui  à  la  noblelTe  des  fentimens  joignoic 
une  charité  ccmpatiflante  ,  lui  ayant  donné 
ordre  de  manger  tous  les  jours  à  fa  table , 
lorfque  fes  affaires  ne  lappelleroient  pas 
ailleurs  :  T  Archidiacre  en  fut  fi  touché  ,  qu'il 
regardoit  comme  un  devoir  indifpenfable 
celui  de  publier  par  tout  &  la  faveur  qu'un 
Prince  de  TEglife  vouloit  bien  lui  faire  ,  ôc 
la  reconnoiflance  qu'il  en  avoit.  11  invitoic 
fes  amis  à  en  rendre  grâces  à  Dieu.  Il  ne 
pouvoit  finir ,  quand  une  fois  il  avoit  enta- 
mé l'éloge  de  cet  aimable  bienfaireur.  Il 
louoit  fur-tout  fon  inébranlable  fermeté  à 
foutenir  les  intérêts  de  TEglife  ,  fon  refpedt 
pour  le  faint  Siège ,  fon  oppofition  aux  pro- 
fanes nouveautés ,  &  cette  réfidence  inflexi- 
ble qui  le  Hoir  fi  conûamment  à  fon  Diocèfe, 
qu'il  n'en  fortit  jamais  que  pour  des  raifons 
indifpenfables. 

On  peut  dire  au  refle ,  que  la  gratitude 
de  l'Archidiacre  croit  un  payement  de  celle 
de  TEvcque.  M.  de  Novion  avouoit  haute- 
ment ,  que  le  bon  ordre  de  fon  Clergé ,  Se 

la 


DE  M.  BouroN.  Liv.  III,  400 
îa  réformacion  de  (on  peuple  croient  le  fruir  5-  »?e- 
dcs  travaux  de  notre  faine  Prêtre.  Pour  ce  ^^r"*  "' 
qui  cfi  de  cet  amas  d'infamies  qu'on  avoir 
débitées  fur  fon  compte  ,  nous  avons  dit 
ailleurs  que  le  judicieux  Prélat  le  regarda 
toujours  comme  Todieufe  production  de  Ter- 
reur ,  de  la  jâloufie  Ôc  de  Timpoilure. 

Mais  il  ne  falloir  pas  être  dans  les  pre- 
miers rangs  de  TEglife  &  de  l'Etat ,  pour 
s'acquérir  un  droitcertainfur  le  cœur  &:  fur 
la  reconnoifiance  de  l'homme  de  Dieu.  II 
avoir  â^cQ  coté  -  là  dçs  fonds  auffi  étendus , 
qu'ils  croient  inépuifables.  Comme  il  ne 
voyoit  les  bienfaics  qu'au  travers  de  fa  pré- 
tendue indignité,  illestrouvcit  toujours  plus 
grands  qu'ils  n'étoient  en  eux-mêmes  :  &  af- 
fez  fouvent  il  regardoit  comme  un  vrai  fer- 
vice  j  ce  qu'un  autre  ,  fans  fe  tromper,  au- 
uoit  pris  pour  une  action  onereufe  ou  inré- 
leiïée.  On  faifoit  une  commiiîlon  pour  lui  : 
il  donnoit  d'un  air  gai  Se  content  tout  ce 
qu'on  lui  demandoit  j  &  il  fe  trouvoit  en- 
<:ore  heureux  de  trouver  des  pcrfcnnes  qui 
voulurent  bien  lui  vendre  leurs  pas  Ôc  leur 
rems.  On  lui  envoyoit  par  méprife  une  chofe 
pour  une  autre  -,  il  renvoyoit  la  marchandife 
Ôc  l'argent,  ôc  fe  fourniffoit  ailleurs  de  ce 
dont  il  avoit  befoin.  C'ert:  qu'il  avoit  pour 
lui-mcme  un  mépris  û  furprenant ,  qu'il  fe 
crovoir  heureux  de  trouver  des  gens  qui  vou- 
luflent  bien  avoir  affaire  à  lui. 

Ce  qu'il  y  avoit  de  fmgulier  dans  fa  re- 
connoiflance  >  c'eft  que  la  fuite  dçs  années , 

S 


410  La     Vie 

Sa  Rc-  oa  la  diftance  des  lieux  ne  l'affolbliiToie nt 
connoii-  p^jj^^^  ji  ç{^^  plutôt  Oublié  fon  nom  ,  qu'il 
n  eut  oublie  un  lervice  qu  on  lui  avoit  len- 
du.  Il  apprit  que  la  Supérieure  du  Refuge  à 
Nanci  étoit  malade.  11  fe  fouvint  à  l'inllant 
de  la  charité  qu'elle  avoir  autrefois  exercée 
envers  lui  ,  dans  une  femblable  conjoncture. 
Quoiqu'il  fut  accablé  d'occupations,  comme 
il  le  dit  lui-mcme,il  ne  différa  pas  à  lui  témoi- 
gner combien  il  prcnoit  de  part  en  notre  Sei- 
gneur à  fa  trille  fituation  j  Ôc  fa  lettre  prou- 
ve d'une  manière  bien  touchante  ,  que  chez 
lui  la  gratitude  fe  déclaroit  par  les  œuvres, 
&  fur-tout  par  celles  à  qui  la  piété  ne  peuc 
refufer  la  préférence.  Mortifications ,  priè- 
res ,  flicrifices  ,  démarches  extérieures,  rien 
ne  lui  coutoit ,  lorfqu'il  étoit  quellionde  re- 
çonnoître  un  ancien  fervice. 

Un  homme  fi  fenfible  aux  moindres  bien- 
faits qu'il  recevoir  de  la  part  d'un  autre 
homme,  ne  pouvoir  manquer  d  être  extrê- 
mement attentif  à  ceux  qu'il  recevoir  de  la 
main  de  Dieu  ,  ou  plutôt  de  regarder  Dieu 
comme  le  principe  de  tout  le  bien  que  les  hom- 
mes pouvoient  lui  faire.  AulTi ,  Se  nous  n'a- 
vons prefque  vu  autre chofe  dans  tout  le  cours 
de  fon  Hilloire  ,  la  divine  Providence  fut-» 
elle  le  fujet  perpétuel  de  fes  louanges  &  de 
fes  cantiques.  Quelque  rude  qu'ait  été  le 
chemin  ,  par  où  elle  a  jugé  à  propos  de  le 
faire  marcher  pendant  prefque  toute  fa  vie  , 
il  ne  vit  jamais  en  elle  que  la  plus  douce,  la 
plus  tendre ,  la  plus  aimable  de  toutes  les 


î>E  M.  BorrroN.  Liv.  lîî.      41! 
ttieres.  Il  ne  la  chéiifioic  pas  moins ,  loriqu'à    Sa  P.^« 
coups  redoublés  elle  le  conduifoic  jufqu  aux  [^^^pyi'^'^'"' 
porces  de  la  mort ,  que  lorfqu'elle  1  en  fai- 
foic  fortir  tout  glorieux  ,  pour  chanrer  avec 
la  fille  de  Sion  fa  grandeur  ^  fa  niagnifi- 
cence. 

Rien  ne  l'eût  plus  confolé  ,  que  de  voir 
naître  de  fon  tems  un  peuple  de  Saints  de- 
ftiné  à  la  bénir  nuit  &  jour.  Dans  cette  vue 
il  alTocia  plufîeurs  familles  des  plus  Chré- 
tiennes qui  fullent  à  Evreux  ,  ^  leur  ayant 
prefcrit  des  exercices  de  piété  ,  relatifs  à  la 
lîn  qu'il  fe  propofoit ,  il  les  dévoua  en  quel- 
que forte  à  l'honneur  de  la  Providence.  Il 
les  raflembloit  de  temiS  en  tems ,  ôc  à  Taide 
du  talent  qu'il  eut  toujours  de  manier  les 
cfprits  de  de  remuer  les  cœurs  ,  il  les  portoit 
efficacement  à  glorifier  l'Oeil  bienfaifant  , 
qui  veille  fur  les  créatures ,  ëc  a  lui  rendre 
de  continuelles  actions  de  grâces  pour  les 
biens  dont  il  ne  cefie  pas  de  les  combler. 

Pour  lui  ,  quoiqu'il  etk-  été  difficile  de 
trouver  fa  rcconnoiffance  en  défaut ,  il  lui 
donnoit  chaque  femaine  un  jour,  pour  fe 
livrer  à  fes  plus  doux  tranfports.  Ce  jour, 
qui  ordinairement  éroit  le  mardi ,  commen- 
çoir  en  quelque  forte  dès  la  veille  par  un 
jeune  rigoureux.  Boudon  dès  le  matin  fe 
profternoit  en  terre  pour  adorer  la  Provi- 
dence. Il  la  remercioit  humblement  dcLtou- 
tes  les  faveurs  qu'il  en  avoir  reçues  pendant 
toute  fa  vie.  Il  lui  oifroit  en  adions  de  grâ- 
ces les  mérites  du  Sauveur  ^  la  pureté  de  la 

sa 


412,  L  A  Vie 

Sa  Re-  Reine  des  Vierges ,  ôc  toutes  les  bonnes 
fancer  '  ^^^vres  des  Saints.  Il  faifoit  quelques  libé- 
lalités  aux  pauvres  ,  pour  honorer  les  pro- 
fufions  de  ce  Soleil  bienfaifant ,  qui  répand 
fa  lumière  fur  les  méchans  ôc  fur  les  bons. 
Il  lifoir  le  fixiéme  chapitre  de  l'Evangile  fe- 
îon  S.  Matthieu  ,  où  la  vaine  follicitudc  des 
befoins  de  la  vie  eft  réprimée ,  &  où  un  am- 
ple néceflaire  eft  affuré  à  ceux  qui  avant  tou- 
tes chofes  chercheront  le  Royaume  de 
Dieu  6c  fa  juftice.  Notre  vertueux  Prêtre 
avouoit  que  cette  pratique  de  piété  Se  de 
reconnoiflance  avoir  été  pour  fon  cœur  une 
fource  de  grâces  6c  de  miféricordes. 

Mais  ee  qui  donne  un  nouveau  prix  à  fa 
c;ratirude  ,  c'cft  qu'elle  mettoir  au  même  ni- 
veau les  maux  &  les  biens  j  ou ,  û  l'on  veut , 
c'eil:  qu'elle  regardoit  comme  de  vrais  biens 
ce  qu'un  Chrétien  foible  regarde  comme  de 
vrais  maux.  Sa  vie  nous  en  a  fourni  cent 
preuves  différentes;  la  matière  ell:  fi  inté- 
reflante ,  fi  nouvelle  pour  bien  des  gens  ,  que 
nous  y  en  joindrons  encore  une.Elle  efl  tirée 
d'une  lettre  qu'il  écrivit  à  une  perfonne  de 
confiance  fur  la  fin  de  fes  jours  j  c'eft-à-dire, 
dans  un  tems  où  nuit  &  jour  il  étoit  en  proie 
^ux  pluscuifantes  douleurs.  «  Adorons ,  di- 
fifoît  il ,  la  divine  Providence  ,  aimons-la  , 
9f  ôc  glorifions-la  en  toutes  chofes  ,  de  quel- 
yy  que  manière  qu'il  lui  plaife  d'en  difpofer. 
«Mes  incommodités  continuent  toujours, 
"  Dieu  merci ,  ôc  je  vous  écris  adluellemcnt 
t>  dans  l'exercice  des  douleurs  de  ma  Def- 


DE  M.  EOUDON.  Liv.  IIL        4T3 
"  cente,quine  me  donncnrpas  un'mcment    ^^  ^-- 
5^  de  rreve.  Mais  après  rouu,  jamais  nous  ne  ç^^^^^ 
"  femmes  mieux  ,  que  quand  nous  fommes 
5-^  mal  dans  l'ordre  de  Dini ,  Se  ce  mal  c(ï  un 
5i  bien  plus  grand  que  tous  les  biens  du  mon- 
»  de.  ...  Aidez-moi  à  magnifier  Dieu  de  ce 
«  qu'il  veut  bien  me  donner  quelque  parc 
»j  au  Calice  du  Sauveur.  » 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  beau  dans  Ces  pieux 
fenrimens ,  c'eil:  qu'ils  n'éroient  le  fruit  ni  de 
î'étude,  ni  de  la  contention.  Us  couloienr  de 
fource  ,  8c  roceafion  la  moins  prévue  les 
faifoit  éclater.  11  v  parut  un  jour  ,  que  Bou- 
don  ne  pouvant  fe  tirer  d'un  chemin  abfo- 
lument  rompu  ,  entra  dans  le  champ  voifin 
pour  continuer  fa  route  j  car  un  particulier 
homme  brutal  ôc  nerveux  ,  l'ayant  maltraité 
êc  de  coups  &  de  paroles  :  Frapez. ,  mon  ami 9 
lui  dit  notre  vertueux  Prêtre ,  frapez ,  je  l'ai 
bien  mérité.  Mais  ce  prétendu  ami ,  qui  s'a- 
perçut enfin  que  c'étoit  le  grand  Archidia- 
cre d'Evreux  ,  qu'il  avoir  fi  indignement  ou- 
tragé ,  ayant  voulu  lui  demander  pardon , 
Thomme  de  Dieu  fe  mit  à  l'excufer ,  &  qui 
plus  eft  ,  à  le  remercier  avec  beaucoup  d'af- 
fection :  &,pour  preuve  de  fa  reconnoif- 
fancc  ,  il  le  reçut  très  -  volontiers  au  nombre 
de  Çts  pénitens.  C'efl  ainfique  Boudon  vis-à- 
vis  du  prochain  accomplilToit  toute  juflice  , 
de  quelque  chofe  de  plus.Le  peu  de  réflexions 
que  nous  allons  faire  fur  fa  douceur  ,  ne 
nous  permettra  pas  d'en  douter. 

S  iij 


4^4  La  Vu 

§.  XIV.  Sa  Douceur. 

îiaDou-  Quoiqu'il  foie  fâcheux  d'êrre  réduit  à  faire 
^ur.  àes  apologies ,  dans  le  rems  fur- tout  qu'on  a 
droit  de  ne  donner  que  des  louanges  -,  ce- 
pendant comme  la  mauvaife  foi  a  vivement 
€Îc€rié  notre  Archidiacre  du  côté  de  la  dou- 
ceur y  il  ne  fera  pas  hors  de  propos  d'exami- 
ner les  plaintes  qu'on  a  faites  contre  lui.  On 
a  donc  dit  qu'il  étoir  fougueux ,  vindicatif, 
ennemi  déclaré  àts  Eccléflafliques  qui  n'a- 
voient  pas  le  bonheur  de  lui  plaire.  Repre- 
iK)ns  ces  griefs  ;  ils  vont  fondre  comme  la 
glace  ,  quand  clic  eii  cxpofée  aux  ardeurs  dLi. 
foleiî. 

îl  eiï  vrai  qu^iî  n'a  voulu  avoir  ni  paix  , 
ni  rréve  avec  certains  ennemis  de  l'Eglife  » 
dont  nous  avons  parlé  :  miais  outre  qu'après 
la  /anglante  manière  dont  ils  l'ont  traité  ,  il 
leur  convient  aflez  mal  de  Itù  intenter  pro- 
cès :  falloit-il  donc  que  pour  mériter  leur 
bienveillance  ,  il  fe  mit  fervilcment  au  nom- 
bre de  leurs  admirateurs  ,  &  qu'il  les  laifîab 
ëifpofer  à  leur  gré  de  l'héritage  que  le  Perc 
de  famille  avoir  confié  à  Ces  foins.  N'étoit-il 
pas  à  titre  d'Archidiacre,  &  pendant  un  tems 
aflez  confidérable ,  à  titre  de  premier  grand 
Vicaire ,  un  de  ceux  à  qui  Dieu  dit  dans  lE- 
ciitiire  :  «  Fils  de  Thomme,  fi  faute  d'avoir 
»  été  averti ,  mon  peuple  périt  par  le  glaive, 
»  c'efl:  à  vous  que  je  demanderai  compte  de 
"  fa  vie  ,  &  fon  fang  vous  fera  imputé.  »< 
Et  qui  jamais  fut  plus  doux  6ç  plus  humble  , 


BE  M.  BOUDON.  Liv.  III.  ^^^  _  ^  - 
que  celui  qui  a  voulu  qu'on  apprit  de  lui  a  ^Sa^*'^ 
être  l'un  &  laurrer  Cependant  avec  quelle 
force  n  a-t  il  pas  brifé  le  mafque  trompeur 
fous  lequel  fe  cachoiem  les  Phariiiens  ,  ôc 
fait  toucher  au  doigc ,  qu'avec  toute  leur  ré- 
forme imaginaire  ils  n'étoient  que  des  loups 
couverts  d'une  peau  de  brebis. 

Ileftvrai  encore  que  Boudon  s'éleva  en 
Chaire  contre  tous  les  genres  de  défoidres, 
qui  regnoiem  de  fon  tcms.  Mais  lui  arriva- 
t-il  jamais  de  difliller  fur  le  vice  ces  couleurs 
de  détail,  qui  carac^érifent  le  vicieux.  On  a 
vu  pendant  plufieurs  années  un  peuple  nom- 
breux forcir  de  fes  ferm-ons  le  cœur  humilia 
^  les  yeux  baignés  de  larmes  :  vir-on  jamais 
un  feul  homme  en  fortir  fcandalifé  ,  &  fc 
plaindre  que  l'Orateur  l'eût  eu  en  vue  r  On 
ne  difputera  pas  l'efprit  de  douceur  à  l'Apo- 
tre  des  Gentils,  lui  qui  eût  voulu  être  ana- 
thême  pour  fes  frères  :  &  qui  fçut  mieux 
que  lui  confondre  ,  anéantir  toute  hauteur 
qui  ofoit  s'élever  contre  Dieu  ,  reprocher 
à  des  peuples  entiers    leurs  folies  ôc  leur 
chûre ,  &  cela  dans  des  Lettres  qui  dévoient 
toujours  fubfifter  -,   &  enfin  menacer   des 
dernières   peines  ceux  qui  n'obéiroienr  pas 
aux  loix  de  l'Evangile  ? 

Mais  il  ne  nous  convient  pas  de  reltcr  fi 
long-temsfur  ladéfenfive^  &  en  fjppofant 
que  la  douceur  d'un  Chrétien  conflfle  a  n'a- 
voir aucun  reffentiment  contre  fes  ennemis, 
à  oublier  les  injures  qu'on  a  reçues  d'eux  ,  a 
ne  leur  jamais  cendre  k  n:ial  pour  le  mal ,  a 

S  iy 


41^  La    Viî 

S2D0U-  les  traiter  en  route  occafion  comme  Von 
traite  de  bons  ëc  tendres  amiSj  il  nous  fera 
aifé  de  faire  voir  que  notre  Archidiacre  , 
malgré  le  feu  du  tempérament  ,  malgré 
Tardeur  du  zélé  que  la  grâce  y  avoir  ajouté  , 
fut  un  homme  plein  de  douceur  ôc  de  me- 
déraricn. 

«  Non  5  dit  un  homme  bien  inftriiit ,  & 
»  d'.iprès  lequel  nous  allons  parler  ,  perfonne 
»  n'a  plus  fidèlement  que  lui  pratiqué  le  pré- 
«  cepte  évangélique  d'une  douce  ôc  fîncere 
>>  charité.  A-t-il  jamais  demandé  en  juilice 
w  aucune  réparation  d'honneur  pour  tant  de 
'»  calomnies  inventées  contre  lui  ?  A-t-il 
"  porté  Ces  plaintes  aux  premiers  Supérieurs 
"  de  ce  Religieux  téméraire  ,  qui  fut  pubîi- 
«  quement  un  de  fes  plus  cruels  ennemis  l 
■»  A  t-il  du  moins  fait  paroître  quelque  froid 
"  contre  1  Ordre  en  général ,  ou  contre  quel- 
»  ques-uns  de  fes  Membres  en  particulier  ? 
''  Difons  plus  :  a-t-il  depuis  cette  funefle 
"  époque  laiifé  pafTer  une  occafion  d'en  dire 
"  du  bien  ?  Un  homme  fe  fouléve  contre 
'•>  lui  avec  le  dernier  éclat  :  l'a  -  t-  il  jamais 
»  regardé  d'un  œil  qui  marquât  l'indignation 
»  ou  le  mécontentement  î  Ne  l'a  -t-il  pas 
»•  vifité  ,  chéri ,  honoré  ,  comme  on  fait  ua 
»  ancien  ami.  » 

Il  connoiiïbit  par  nom  de  par  furnom  la 
plupart  de  ceux  qui  le  dégradoicnt  dans 
l'efpritde  fon  Evéque.  L'a  ton  vu  une  fois 
dans  la  vie  ,  je  ne  dis  pas  s'emporter ,  je  dis 
murmurer  contre  eux?  Des  amis,  ou  moins 


DE  M.  BouDON.  Liv.  IIÎ.       417 
patîens  qu'il  n'écok ,   ou  qui  ne  croyoient   SaDou- 
pas  qu'en  pareil  cas  la  patience  fût  de  fai-  ^^^' 
ion  ,  veulent  le  venger ,  &  en  fa  perfonne 
les  intérêts  de  la  vertu  opprimée  :  loin  de  fe 
prêter  à  ce  genre  de  juftice  ,  il  fe  jette  à  fon 
ordinaire  ,  fur  les  ordres  de  la  Providence  y 
il  veut  qu'on  la  laifle  faire  ,  3z  forcé,  comme 
S.  Paul ,  à  découvrir  ce  qu'il  penfe  ,  il  dé- 
clare que  les  croix  les  plus  humiliantes  font 
fa  confolation  ôc  fa  gloire. 

Comme   Thypocrifie  fe    décelé  dans  les 
coups  imprévus  -,  la  folide  vertu  s'y  annonce 
de  manière  à  forcer  les  fuffrages.  Peu  de  tems 
avant  que  Boudon  fut  interdit  ,  un  homme 
de  confidération  vint  le  trouver  au  tribunal, 
&  après  lui  avoir  dit  qu'il  choirifToit  ce  lieu 
pour  lui  décharger  fon  cœur,  il  vomit  con- 
tre lui  un  torrent  d'injures  j  &  finit  par  lui 
dire  qu'il  étoit  étrange  qu'un  homme  auiïi 
fcandaleux  fût  à  la  tête  du  Clergé.  Le  fervi- 
leur  de  Dieu  Técouta  avec  une  parfaire  tran- 
quillité -,  &C  après  l'avoir  remercié  de  C3.  bonne 
volonté  e^  de fcs  remontrances,  il  fortit  da 
Confeflional  fans  trouble  ôc  fans  émotion. 
Un  homme  ,  qui  avoit  pouffé  l'excès  jiif- 
qu'à  dire  publiquemeut  que  l'Archidiacre 
étoit  un  impie  &  un  Athée,  eut  quelque 
tems  après  hontede  fes  emportemens.  PreHé 
par  les  remords  de  fa  confcience  ,  il  vient 
trouver  le  fervireur  de  Dieu ,  &  le  prie  d'en- 
tendre fa  confefTion.  Le  faint  Prêtre  y  con- 
fent  fans  délibérer.  Il  l'écoute ,   parce  que 
.fon  naiuillere  l'exigeoit  j  mai^il  lui  épargne 


S 


4^  s  La     Vi2 

l-humiliation  dts  excufes,  parce  que  fa  cha^ 
rire  &  fa  douceur  ne  pouvoient  s'en  ac- 
commoder. Gagné ,  confondu  par  un  ac- 
cueil fi  gracieux ,  le  pénitent  s'en  retourne 
plein  de  tendreiîe  &  de  reconnoiflance  pour 
fon  nouveau  Diredeor.  Il  publie  par-touc 
fcs  vertus,  &  fur-tout  cette  aimable  affabi» 
lice  ,  qu'il  avoit  fi  fenfiblement  éprouvée» 
Si ,  lorfqu'il  s'agit  des  vertus  de  M.  Boudon . 
on  ne  croit  pas  fcs  amis ,  au  moins  faudroit- 
ii  en  croire  fcs  ennemis  les  plus  déclarés. 

Mais  ce  fut  principalement  dans  la  corn- 
pafFion  qu'il  eut  pour  les  pcrfonnes  affligées 
que  fa  douceur  fe  maniiefla.  On  fent  qu'ou- 
tre fes  devoirs  de  Chréiien  ,  de  Prêtre  Ôc 
d'Archidiacre  ,  qui  faifoient  fa  première  oc- 
«upation,  il  étoit  accablé  d'affaires.  Lettres, 
confukations ,  réponfes  ,  ouvrages  de  piété, 
tout  cela ,  quelque  facilité  qu'on  ait  d'ail- 
leurs 5  demande  du  tems  *,  &  un  homme  de 
cabinet ,  qui  en  connoît  le  prix  ,  ne  le,  pro- 
digue pas  volonticrs.Avec  cela  Boudon  étoit 
le  refuge  ordinaire  de  tous  ceux  qui  fou^ 
froient.  Il  fembloit  qu'il  eût  écrit  fur  la  porte 
€k  fa  mai  fon ,  fi  l'on  peut  ainfi  nommej  fon 
pauvre  réduit  :  Veriez,  a  moi ,  vous  tous  qui 
êtes  dans  la  -peine ,  &  je  tacherai  de  vous 
confoler.  On  l'a  vu  très  -  fouvcnt  entendre 
l'ennuyeux  récit  des  peines  que  fouffroient 
dans  leur  domeftique  des  gens  du  plus 
bas  étage.  Il  écoutoit  tout  avec  plus  de 
paix  ,  plus  de  patience ,  qu'un  Juge  qui  va 
prononc.ero  U-  entroic  dans  les  in:éi  êts  des 


DE  M.  BouEON.  Liv.  III.        419 

parties  belligérantes ,  autant  qu'il  le  failoit   StDoii. 
pour  les  faire  encrer  elles-  mêmes  dans  fes  ^'^^^' 
fcnrimens.  Lorfqu'il  avoir  adouci  Sz  difpofé 
les  efprits ,  il  leur  faifoit  concevoir  qu'il  n'y 
a  point  d'erat  fur  la  terre ,  qui  n'air  fes  amer- 
tumes -,  que  les  croix  font  la  voie  par  oui  on 
arrive  plus  sûremeut  à  Dieu  -,  qu'il  ne  s'agit 
ni  de  les  choifir  ,  puifque  c'eil  Dieu  qui  les 
diîtribue  pii  de  n'en  point  avoir,  puifqu'il 
y  en  a  jufques  fur  le  thrône  des  Rois  ^   que 
tout  fe  réduit  donc  à  en  faire  un  bon  &  faint 
ttfage  j  que  le  meilleur,  le  plus  confolant, 
cil  de  les  unir  à  la  croix  de  notre  divin  Sau- 
veur j  ôc  que  quand  on  entre  bien  dans  l'ef- 
prit  de  l'Homme  Dieu  ,  en  ne  fe  trouve  ja- 
mais plus  heureux,  que  lorfqu'on  efl:  moins 
ménagé.  Ces  paroles  prononcées  avec  tous 
les  charmes  delà  douceur,  affaifonnées  de 
Tonclion  du  S.  Efprit ,  foutenues  du  ^rand 
exemple  d'un  homme  ,  qui  avoir  été  rafia- 
fîé    d'humiliations   6c    d'opprobres  ,    rou- 
choient  beaucoup  ces  pauvres  gens:  ils  s'çn 
rerournoient  plus  tranquilles  ,  '  qu'ils  n'é- 
roienc  venus  agités. 

Ce  qui  donnoit  un  nouveau  prix  à  la  dou- 
ceur du  grand  Archidiacre  ,  c'eil:  que  fon 
tempérament  rour  de  feu  ne  l'y  porroit  pas 
naturellement.  Mais  la  grâce  bien  fécondée 
Tavoit  heureufemenr  réformé.  L'exemple 
de  David  ,  fi  paiîîbîc  pendant  l'afTreufe  pcr- 
fécution  que  lui  fufciîa  Saiil  fon  Eeauperej 
Itiirevenoitfouvent  à  l'efprit  dans  fes  peî^ 
nos  les  plus  aiifantes.  Mais  l'exemple  du  Fils- 


tcur. 


4^*  La    V  I  I 

$aDou.  de  [)|ç^  ^  q^i  JQfq^'au  dernier  foupir  fir  âe^ 
vœux  pour  Ces  plus  implacables  ennemis ,  le 
toucha  fl  puiflamment  &  de  fi  bonne  heure, 
qu'au  premier  abord   on  croyoir  entendre 
fortir  de  fa  bouche  ces  paroles  de  TApôrre  : 
Soyez,  mes  imitateurs  ,  comme  js  le  fuis  de 
Jefiis-Chrifi.  Figurez-vous  un  homme  ,  qui 
ne  s'apperçoir ,  ni  de  l'humeur  ,  ni  des  biza- 
rericsdu  prochain  y  qui  reçoit  une  dureté  , 
comme  un  autre  reçoit  un  témoignage  d'af- 
feéHon  j  qui  dans  tous  les  tcms ,  Se  dans  les 
plus  cruelles  pofitions  ,  a  un  vifage  toujours 
ferein,  toujours  affable  ;  un  homme  dont  le 
langage  honnête  ,  fimple  ,  plein  d'onclion  5c 
d'agrément ,  charme  fi  bien  ,  qu'on  s'arra- 
choit phitôt  qu'on  ne  fortoit  de  fa  compa- 
gnie ^un  homme  enfin  dont  laconverfation 
étoit,  comme  nous  le  prefcrit  faintPaul ,  af- 
faifonnée  du  fel  de  la  prudence  ,  charita- 
ble/vraie,  pieufe,  pleine  d'intérêt:  à  tout 
cela  joignez  un  ton  de  voix  agréable  ,  un  ris 
modefte  3c  toujours  fans  éclat ,  des  yeux  ref- 
pcclucufemenr  baifTés ,  un  difcours  naturel 
^  fans  afFedarion  ,  beaucoup  d'attention  à 
ne  fe  point  faire  valoir ,  plus  d'attention  en- 
core à  faire  valoir  les  autres ,  toujours  prêt 
à  les  entendre  ,  jamais  à  les  interrompre  ,  à 
moins  que  fon  humilité  ou  la  gloire  de  Dieu 
n'y  fut  bleffée  ^  vous  aurez  ,  ce  me  femble  , 
îe  portrait  d'un  homme  accompli,  ôc  fur- 
tour  en  fait  de  douceur  &  d'urbanité  :  or  ce 
portrait  fera    inconteliabîement   celai    d\i 
grand  Archidiacre  d'Evreux, 


DE  M.  BouDON.  Liv.  m.  421 

Rien  ne  lui  faifoir  plus  de  peine  que  d'érre  SaDouî 
obligé  d  en  faire  à  quelqu'un.  Cependanc  fcs  ^^"^* 
emplois  le  forçoienc  quelquefois  d'en  ve- 
nir-là  j  mais  alors  il  prenoit  tant  de  mefures, 
qu'il  ôtoic  à  la  coupe  une  bonne  partie  de 
fon  amertume.  Comme  fa  pratique  répon- 
doit  à  fes  fentimens  ,  ôc  que  fes  fentimens 
font  aflez  bien  marqués  dans  une  de  fes  Let- 
tres ,  je  crois  devoir  en  donner  un  extrait. 
Il  récrivit  à  une  perfonne  de  piété  ,  qui  pou- 
voit  avoir  befoin  de  leçons  fur  la  matière 
qui  nous  occupe  actuellement. 

«Dieu  demande  de  vous,  lui  défait -il, 
«  que  vous  exerciez  la  douceur  chrétienne, 
*'  Or  la  douceur  chrétienne  s'exerce  princi- 
'^  paiement  à  l'égard  de  ces  perfonnes  fa- 
"  cheufes,qui  nous  contrarient  -,  pour  qui 
«  nous  avons  une  averHon  naturelle  ,  qui 
«ne  font  point  ce  que  nous  voulons-,  qui 
»  nous  font  à  charge  j  qui  nous  donnent  oc- 
*»  cafion  de  fentir  des  mouvemens  de  colère 
'■»  ôc  d'impatience.  Toutes  ces  occafions  vous 
«font  offertes  par  la  divine  Providence: 
"  c'efi  elle  ,  &C  non  lesadions  des  créarures  , 
«  que  vous  devez  envifagcr  ^  pour  pratiquer 
"  cette  aimable  vertu.  Mais  pour  la  prati- 
«  quer  en  vérité,  il  faut  une  patience  qui  ne 
»  fe  laiïe  point ,  quoique  les  occafionsfe  réi- 
"  terent.  Dieu  eil  toujours  le  même  Dieu  > 
«  toujours  également  aimable.  La  vie  c/t  il 
«courte,  que  nous  ne  pouvons  beaucoup 
>»  fouffrirpour  lui  :  fouffrons  au  moins  à  I3. 
*>  fois  ce  que  la  brièveté  de  nos  jours  ne  nous 


4i2  L  A    V  I  2 

SaDou-  »  permettra   pas  de  fouffrir  en   détail.  »» 
^^^'^'  Il  lui  die  enfuite  :  «  Quand  la  néccifité 

M  vous  obligera  de  donner  des  avis  &  de 
»»  corriger ,  ne  vous  fervez  jamais  de  termes 
»y  injurieux ,  méprifans  ,  capables  de  cho- 
"  quer  ;  ce  qui  vous  arrive  quelquefois.  Sou- 
«  venez-vous  que  vous  parlez  à  des  perfon- 
»^  nés  qui  font  membres  de  Jefus-Chrill  ;  Ôc 
w  que  félon  la  parole  de  notre  divin  Maître, 
w  nous  ferons  jugés  ôc  mefurés  ,  comme 
»■•  nous  aurons  jugé  Se  mefuré  les  autres  : 
9^  comme  donc  nous  avons  befoin  d'une  ex- 
'*  trême  miféricorde  ,  il  faut  auiïî  que  nous 
5>  l'ayons  envers  les  autres. . . .  Parler  donc  à 
«  tout  le  monde  avec  douceur ,  ne  rebutez 
5j  perfonne.  Ecoutez  paifiblement  ce  qu'on 
5'  vous  dit.  Quand  vous  ne  pouvez  pas  faire 
>•■  ce  que  l'on  defire  de  vous  ,  excufez-  vous- 
5j  en  avec  honnêteté  ôc  humilité.  Appliquez- 
'»  vous  à  contenter  tous  ceux  qui  vous  don- 
w  nentde  l'occuparion  pour  l'amour  de  no- 
^>  tre  Seigneur  &  de  fa  fainte  Mcre.  Toutes 
9'  les  difficultés  de  votre  emploi  doivent 
^^  vous  fervir  pour  aller  à  Dieu.  Je  vous  aii 
3*  dit  que  c'étoit  là  une  de  vos  croix.  Il  faut 
3J  que  vous  la  portiez ,  mais  que  vous  la  por- 
3>  tiez  courageufement ,  ôc  en  paix  à  la  fuite 
Si  de  notre  divin  Sauveur  &  des  Saints.  » 

Cefl  ainfî  que  Boudon  ,  après  avoir  pra- 
tiqué la  douceur ,  s'eflForçoit  delà  faire  goû- 
ter aux  autres.  S'il  n'affoibliiïbit  pas  les  mo- 
tifs qui  doivent  y  porter  ,  parce  qu'il  aimoir 
£1  vérité  j  il  kspropofoic  de  manière  à-lea 


CE  M.  BouroN.  Liv.  III.  42^- 
imprimer  dans  Je  cœur  ,  parce  qu'il  aimoit 
h  paix, 

§.  XV.  Sa  Prudence. 

Si  le  zélé  d'un  Eccléfiartique  employé  à  sa  rm* 
la  conduite  dts  amcs ,  n'ell  réglé  par  une  dence* 
prudence  vraiment  chrétienne,  ileflimpof- 
fible  qu'il  ne  fade  beaucoup  plus  de  mal  que 
de  bien  Boudon  bruloic  d  un  feu  tout  divin 
pour  la  gloire  de  Dieu  -,  mais  ce  feu  étoit 
tempéré  par  une  lumière  û  douce  ,  &  con- 
duit avec  tant  de  fagacité  ,  que  le  faint  hom- 
me dans  une  longue  vie  n'a  guères  fair  de 
pas  ,  que  la  plus  haute  fagefie  put  défavouer. 

Lorfqu'il  étoir  fur  le  point  de  travailler 
dans  un  Diocèfe  ,  il  ne  fe  contentoit  pas  de 
prendra  en  gros  les  pouvoirs  de  rOi'dinaire, 
comme  il  eii  d'ufage  :  mais  après  avoir  hum- 
blement demandé  ^  reçu  à  genoux  fa  bé- 
nédiction ,  il  le  prioit  de  lui  donner  en  quel- 
que forte  fa  leçon  par  écrit  :  il  la  fuivoic 
de  mot  à  mot ,  &  l'homme  le  moins  bien  in- 
tentionné ne  pouvoit  l'accufcr  ni  d'en  faire 
trop  ,  ni  de  n'en  pas  faire  a(Tez. 

Dévoué  autanr  par  inclination  ,  que  par 
juftice  à  l'Ordre  Epifcopal,  il  vengeoit  fon 
autorités  fes  loix  dans  toutes  les  occafions  v 
mais  s'il  le  faifoir  avec  zélé  ,  il  le  faifoic 
avec  prudence.  Etcefiit  aind  que  l'Arche- 
vêque de  Rouen  avant  permis  aux  pauvres 
gens  de  travailler  certains  jours  de  Fêtes  ,  il 
appaifa  les  murmures  que  l'indulgence  de 
cePiélat  ayoic  oecafionnés.  Il  fit  re£réfei>' 


414  L  A    V  I  E 

dcncT"  ter  aux  peuples  par  le  moyen  d'an  Curé  , 
qui  fçavoic  manier  ôc  la  parole  Ôc  les  ef- 
prirs ,  qu'on  n'avoit  rien  ôré  ,  ni  aux  Fctes  9 
ni  à  la  folemnicé  des  Offices  ,  qui  écoit  tou- 
jours la  même  -,  qu'on  avoir  feulement  per- 
mis le  travail  à  des  gens  qui  jufques-là  fe  l'é- 
toicnt  eux-mcmes  permis  contre  leur  con- 
fcience  \  Se  qui  fouvent  palToient  une  partie 
de  ces  fainrs  jours  à  quelque  chofe  de  plus 
criminel  que  le  travail  des  mains.  Ces  ré- 
flexions eurent  un  bon  effet  -,  &  on  ne  tarda 
pas  à  reconnoître  qu'on  s'étoit  alarmé  ,  ou 
plutôt  qu'on  s'étoit  emporté  mal  à  propos. 
Dans  les  fcènes  humiliantes  que  donnent 
tour  à  tour  toutes  les  condiîions  >  quelque* 
fois  même  les  plus  faintes  Communautés, 
il  prenoit  fon  parti  en  homme  fage  ôc  Chré- 
tien. Il  ne  rejettoit  point  fur  le  corps  entier 
la  faute  de  quelqu'un  de  fes  membres.  Plus 
cette  faute  faifoit  de  bruit ,  plus  il  concluoir 
qu'elle  étoit  rare  parmi  ceux  chez  qui  elle 
ctoit  arrivée.  Mais  il  faut  avouer  qu'il  aimoit 
mieux  louer  des  vertus  ,  qu'excufer  àes 
écarts.  Rien  ne  le  confoloic  plus  que  d'ap- 
prendre qu'il  y  avoit  de  la  ferveur  dans  les 
Monafleres  ,Ôc  que  ceux  qui  y  avoient  pris 
parti ,  menoient  une  vie  digne  de  la  faintecé 
de  leur  état.  Ainfî  loin  de  déclamer  contre 
les  Ordres  Religieux ,  comme  font  les  eC- 
pritsfuperficiels,  toujours  peu  charitables» 
&  fouvent  libertins  ,  il  avoit  pour  tous  un 
amour  tendre  ,  fmcere  ,  refpeclueux.  Il  rap- 
jpdloit  avec  une  faincc  adrefle  les  principales 


dence. 


DE  M.  BoUDON.  Liv.  HT.  42 r 
a<5lions  de  leurs  faints  Fondateurs  ,  dont  il  ^^^  Pf* 
pofledoir  parfaircmenr  l'Hiftoire  ^  &  pref- 
que  fans  qu'il  y  parût ,  il  faifoit  fenrir  à  ceux 
qui  trouvent  la  vie  d'un  grand  nombre  deSo- 
liraires  Ci  commode  ,  que  bien  loin  de  la  fui- 
vre  pendant  un  grand  nombre  d'années  ,  ils 
auroient  bien  de  la  peine  à  la  foutenir  pen- 
dant un  Carême.  Je  voulois  ne  parler  ici 
que  de  fa  prudence  ,  dz  je  parle  inienfible- 
menf  de  fon  refpeà  pour  tous  les  Ordres 
de  l'Eglife.  Mais  le  moyen  de  ne  célébrer 
qu'une  vertu  ,  quand  il  s'agit  d'un  homme 
qui  les  réuniflbk  toutes ,  &  qui  très-fouvent 
en  pratiquoit  plufieurs  à  la  fois.  Voici  une 
nouvelle  preuve  de  cet  enchainemenc  Ci 
précieux  ,  mais  fi  rare. 

Un  Eecléfiailique  ayant  été  nommé  par 
lin  Supérieur  du  premier  rang  ,  pour  s'in- 
former d'une  manière  fouple  &  miénagéede 
cequife  paflbit  en  plufieurs  Maifons  d'un 
même  Inilirut  \  Boudon,  qu'il  confulta avant 
que  de  rien  entreprendre ,  lui  donna  der  avis 
aulTi  fages  que  refpeéliieux  pour  les  Puiflan- 
ces  Eccléfiaftiqucs.  Il  voulut  donc,  i".  qu'il 
fe  donnât  bien  de  garde  de  prendre  la  qua- 
lité de  Vifrteur  ,  &  de  rien  faire  qui  pût  in- 
finuer  qu'il  en  avoit  le  titre  ,  parce  qu'an - 
trem.ent  les  Evêques  feroient  en  droit  de 
l'arrêter.  2°.  Qu'il  fe  comportât  unique- 
ment en  ami  dans  tout  le  cours  de  fa 
députation.  3°.  Que  dans  les  lieux  où  il  y 
avoit  des  Evêques ,  il  commençât  par  leur 
tendre  vifire, ou ^  eux  abfens ,  à  lears grands 


iencc. 


42^  L  A    V  i« 

Sa  Pru-  Vicaires,  qu'il  leur  dît  qu'on  Tenvoyoît  pour 
s'informer  un  peu  comment  les  Filles  de  la 
Congrégation  de.  . . .  fe  comportoient;  fi 
elles  donnoient  par-tout  bon  exemple  *,  fi 
les  Supérieurs  Eccléfiafiiquesenétoient  con- 
tens-,  fi  elles  remplifToient  dignement  le  grand 
objet  de  leur  vocation,  &  c'ell-là,  difoic 
l'Archidiacre ,  le  point  capital.  «  Il  faudra 
«  encore  ,  ajoutoit-il ,  vous  informer  ailleurs 
>^  de  ces  différens  articles  ,  mais  toujours 
«  avec  beaucoup  de  précaution.  »  Ces  avis 
ayant  été  fidèlement  fuivis  par  cet  Eccléfiar-* 
/lique ,  homme  plein  de  zclc  de  de  probité , 
il  en  réfulta  des  biens  fans  nombre  dans  tou- 
tes les  Maifons  de  cet  Infiitut.  Une  conduite 
haute  Se  fiere  aiiroittout  perdu  -,  une  con- 
duite humible  Se  refpedueufe  fit  que  tout  le 
monde  fe  prêta  au  bien. 

Si  l'homme  de  Dieu  étoit  fage  êc  circon- 
fped  dans  les  avis ,  il  ne  Tétoit  pas  moins  à 
prendre  fon  tems  &  Ces  mefures  pour  les 
donner.  Un  jour  qu'il  fe  trouvoit  avec  des 
gens  de  Lettres  ,  un  d'eux  avança  quelques 
propofitions  aufil  faufles^qu'elles  étoient  har- 
dies. Boudon  ,  qui  étoit  naturellement  vif, 
quand  il  s'agiflbit  des  intérêts  de  l'Eglife  , 
fut  fi  long-tems  fans  les  relever ,  qu'un  de 
Ces  amis  qui  étoit  préfenr ,  en  fut  tout-à-faic 
furpris.  Mais  comme  ce  frivole  Diflertareur, 
à  la  manière  des  Demi-fçavans  à  qui  un  ton 
décifif  tient  lieu  d'érudition  ,  enchérifibit 
toujours  fur  lui-même  ,  6c  s'effoiçoit  d'éta.- 
felir  par  de  nouveaux  paradoxes  ceux  qu'il 


DE    M.  BOUDON.  IlV.    III.         427 

avoît  déjà  avancés,  l'Archidiacie  qui  vie  SaPra-î 
unenombreufe  compagnie  en  danger  d'être  ^^^^' 
la  dupe  de  fçs  erreurs ,  commença  à  l'entre- 
prendre. 11  le  fit  avec  tanr  de  force  ,  tant  de 
vigueur ,  &  des  raifons  û  péremproires,  que 
quoiqu'un  ïota  foie  peu  de  chofc  ,  fon  ad*, 
verfaire  n'en  trouva  pas  un  à  répliquer.  Mais 
fa  viéloire  lui  fit  moins  d'honneur,  que  la 
fagefle  Ôc  la  modération  dont  il  la  couronna» 
Car ,  après  avoir  terraffé  fon  homm.e  ,  après 
l'avoir  écrafé  par  le  poids  des  autorités  qu'il 
produifit  contre  lui ,  il  lui  tendit  la  main  de 
fi  bonne  grâce  ,  il  le  releva  d'une  manière  û 
douce,  qu'on  ne  fçut  qu'admirer  davantage 
ou  de  fa  profonde  érudition,  ou  de  la  fage 
dextérité  avec  laquelle  il  fe  faifoit  un  ami 
d'un  homme  qu'il  avoit  battu  ,  Se  bien  bat- 
tu. «Pour  moi,  <^/V  une  perfonne  qui  fut  témoin 
>i  de  cette  petite  fcène  ^  j'attribue  une  fi  heu- 
»  reufe  conclufion  à  ce  grand  recueillement 
«  &  à  ce  filence  accompagné  d'oraifon,  qu'il 
«i  garda  fi  îong-tems  avant  que  de  parler.  »« 
S'il  fçavoit  parler  à  propos ,  il  fçavoir  Çt 
taire  quand  il  ne  convenoit  pas  de  parler. 
Dans  fon  voyage  d'Allemagne  il  arriva  un 
foir  rrès-fatigué  dans  une  hôtellerie,  où  il 
y  avoit  tant  de  monde,  qu'il  fiir  obligé  de 
partager  fon  lit  avec  un  Gentilhomme  Lu- 
thérien. Celui  ci  après  avoir  pafl'é  une  par- 
lie  de  la  nuit  à  jouer ,  vint  fe  coucher  auprès 
de  l'Archidiacre  ,  lequel  fe  fentit  à  l'infiant 
porté  à  terre  comme  par  une  main  invifible, 
<jui  réloig^noit  d'un  impie.  W  y  pafla  la  nuit  „ 


4^^  La   Vie 

«a  Pru-  Se  partit  de  grand  matin  fans  lui  dire  nn  mot^ 
^"^^'  Son  zélé  &  fa  capacité  le  prefloient  d'entrer 
en  matière,  &  de  tenter  la  guérifon  d'un 
homme  aveugle  en  plus  d'un  fens.  La  pru- 
dence l'arréra.  Il  fe  fouvint  qu'il  étoit  dan- 
gereux de  jerter  les  perles  devant  les  pour- 
ceaux;  &  que  l'abus  d'une  nouvelle  grâce 
ne  fert  qu'à  rendre  plus  criminel  celui  à  qui 
elle  a  été  préfentée. 

Dans  les  confeils  qu'il  donnok  ,  il  étoîc 
attentif  à  deux  chofes  :  l'une,  de  ne  point 
précipiter  fon  jugement  j  l'autre  ,  de  n'aller 
jamais  au  -  delà  de  Ces  propres  lumières. 
Une  Demoifelle  ,  dont  la  mère  aulTi  infir- 
me qu'avancée  en  âge  ,  n'avoir  d'autre  con- 
folation,  ^vraifemblablement  d'autre  ref- 
iburce  qu'elle ,  étoit  preflee  par  fon  Dire- 
d:eur ,  homme  très-éclairé ,  d'entrer  dans 
une  Congrégation  ,  où  il  la  jugeoit  capable 
de  faire  de  grands  biens  par  fa  piété  Ôc  par 
fes  talens  fupérieurs.  Dans  le  confiid  de 
deux  obligations  ,  dont  chacune  a  voit  fçs 
motifs ,  la  jeune  perfonne  s'adrefTa  au  grand 
Archidiacre  pour  avoir  fon  avis.  On  trouve 
dans  fa  réponfe  ,  quoique  affez  courte ,  tout 
ce  que  la  prudence  peur  offrir  de  plus  judi- 
cieux. Boudon  y  évalue  les  droits  de  la  na- 
ture à  leur  ]i\(ïe  prix'.  Il  fait  voir  en  deux 
mots  que  les  raifons  fur  lefquelles  on  éta- 
blit la  vocation  d'une  jeune  perfonne  ,  font 
quelquefois  plus  fpécicufes  que  concluantes 
que  la  vocation  de  Dieu  efl  la  condition  ef- 
fentielle  de  ces  fortes  d  engagemens^  de  que 


DE   M.  POUDON.    LiV.  IIÎ.  429 

le  bien  qu'on  y  peut  faire  ,  n'ell:  point  une  Sa  rru- 
pieuve  de  cette  vocation.  11  ajoute,  de  ccs*^^^^'^?* 
paroles    m'ont  paru   remarquables  :  Si  le 
trouble  que  vous  [entez,  à  ne  pas  adhérer  à 
ce  dejfein  ,  eft  fuivi  d'une  grande  paix ,  fur- 
tout  après  laja'inte  Communion  ,  C^  que  cette 
paixjoit  de  durée  ,  &  non  pas  pajfagere  , 
c^eft  une  des  marques  de  la  volonté  de  Dieu, 
Il  laiffe  le  refle  de  l^examen  à  celui  qui  en 
qualité  de  Direcleur  étoit  obligé  de  le  faire. 
li  le  fit  en  effet ,  &  peut  -  être  mieux  qu'il 
n'avoit  fait  d'abord.  La  Confuhante  refla 
dans  le  fiécle ,  elle  y  fervit  &  confola  une 
mère  affligée  jufqu'à  fon  dernier  moment. 
Elle  vécut  d'une  manière  édifiante  ;  &  dans 
une  condition  moins  parfaite  ,  où  Dieu  la 
vouloit ,  elle  trouva  une  paix  que  tout  aU". 
fre  état  ne  lui  auroit  pas  donnée. 

Un  trait  fenfible  de  la  prudence  du  fervi- 
teur  de  Dieu  ,  c'eft  que  ,  quoiqu'il  fût  tout 
de  feu  pour  le  falut  du  prochain  ,  &  qu'en 
ce  genre  il  crut  ne  jamais  faire  affez  \  il  fça- 
voit  cependant  ne  fe  livrer  au  bien  qu'avec 
de  juftes  mefures,  &  fans  préjudice  des  em- 
plois dont  la  Providence  l'avoit  chargé.  Ain- 
fi  5  malgré  le  talent  qu'il  eut  toujours  de  cal- 
mer les  peines  des  confciences  inquiètes  ,  il 
refufa  d'entendre  quelques  perfonncs ,  qui 
d'ailleurs  avoient  grand  befoin  de  fon  mi- 
niftere.  G'eft  que  quand  on  ne  peut  tout 
faire,  la  première  régie  eli  de  faire  ce  que 
Dieu  demande  de  nous. 

Mais  aulli ,  quand  la  volonté  de  ce  grand 


430  La  Vie 

%i  pru-  Maître  étoît bien  marquée ,  il  n'éroit  p.iç  fa- 
4tace.  ^^jigj^g  l'en  détacher.  Un  ConfefTeur,  hom- 
me de  vertu  &  d'expérience  ,  lui  écrivit  un 
jour ,  que  les  foins  qu'il  étoit  obligé  de  pren- 
<lre  de  quelques  âmes  étrangement  cruci- 
fiées ,  déplaifoicnt  à  Tes  Supérieurs ,  &  qu'on 
lui  avoit  défendu  de  s'en  mêler  davantage. 
Boudon  qui  connoilToir ,  de  qui  pratiquoic 
aurti  bien  que  perfonne  la  fubordination  » 
n'ignoroic  pas  non  plus  qu'il  efl  des  con- 
jonctures, où  l'on  ne  peut  ni  abandonner 
un  pénitent ,  fans  expofer  fon  falut  éternel  ; 
ni  le  fervir  utilement ,  fans  faire  bien  des 
-démarches  ,  qui  font  d'autant  plus  de  bruit , 
que  les  loix  du  plus  inviolable  fecret  défen- 
dent d'en  rendre  compte.  Sur  ce  principe , 
Se  inftruit ,  comme  il  l'avoit  été,  de  toutes 
les  circonftances  de  l'affaire  dont  il  s'agifToit, 
il  répondit  en  ces  termes ,  qui  ne  font  ni  de 
fon  génie ,  ni  de  fon  goût  ordinaire.  «  Je  ne 
"  comprens  pas  ,  mon  cher  MonTicur  ,com- 
«  ment  l'entendent  vos  Supérieurs,  de  vous 
"  interdire  le  foin  de  ces  perfonnes ,  puif- 
>»  qu'elles  ont  plus  befoin  de  vous  ,  que  tous 
5*  les  autres  qui  font  fous  votre  conduite. 
w  Quoi  I  pourroient  ils  donc  en  confcience 
"  vous  défendre  de  tirer  de  l'eau  un  homme 
w  qui  fe  noyé  devant  vos  yeux ,  ou  de  don- 
»>  ner  un  morceau  de  pain  à  un  pauvre  qui 
»  meurt  de  faim  ,  fous  prétexte  que  cela 
3>  vous  détourneroit  un  peu  de  vos  emplois 
«  ordinaireSjOU  que  quelques  efprirs  malfairs 
«  cri  croient  après  vous?  N'y  a  t-il  pas.  des 


BE  M.  BoUDON.  Liv.  m.         43  r 
«*  exceptions  à  roiues  fortes  de  régies  r  de  ce  Sa  Pm- 
«  qui  cil  de  droit  naturel,  n'eft-il  pas  pre-  '^^'*^^* 
?*  férable  à  ce  qui  n'eit  que  de  droit  poficif  î 
»  Abandonner  des  âmes  qui  fouffrent  fi  pro- 
»  digieufemenc ,  n'eil-ce  pas  la  dernière  des 
5^  cruautés  ?  Les  renvoyer  a  d'autres ,  qui  ne 
»»  connoirront  rien  à  la  nature  de  leurs  pei- 
"  nés ,  n'eil:  ce  pas  les  confier  à  des  aveugles  î 
"En  un  mot,  M.  Notre  Seigneur  veut  ab- 
>'  folumenr  que  vous  continuyiez  à  en  pren- 
->>  dre  foin  j  &  que  la  dcfenfe  qu'on  vous  en 
»^  a  faire ,  ne  vous  trouble  point ,  parce  qu'il 
"  fçaura  bien  appaifer  l'orage  excité  contre 
»  vous ,  quand  il  en  fera  tems.  » 

Ce  prognoflic  fe  trouva  julle.  Le  Dire- 
cteur a  qui  Boudon  donnoit  en  même-tems 
des  avis  rrès-fages  pour  éviter  tout  ce  qui 
auroit  pu  fentir  l'éclat  ôc  la  défobéidance, 
fe  comporta  avec  tant  de  ménagemens ,  que 
les  Supérieurs,aprcs  avoir  dilTunulé  un  tems, 
fe  virent  forcés  d'applaudir.  Le  fucccs  ôc  les 
bénédictions  de  Dieu  jufti fièrent  tout  ce  qui 
s'étoit  pafTé  :  des  perfonnes ,  ^/«'  fembloient 
être  fur  le  bord  de  l  enfer  ^  en  évitèrent  les 
pièges  ;  ôc  rendues  peu  à  peu  à  elles  -  mê- 
mes, elles  firent  des  progrès  admirables  dans 
la  vertu. 

Au  refte  ,  de  pareils  exemples  ne  doivent 
tirer  à  conféquence,  que  dans  des  cas  ex- 
traordinairemcnt  rares.  La  règle  générale  efl 
d'obéir  à  ceux  qui  font  en  place.  Si  quelque- 
fois on  peut  s'y  fouilraire  ,  cène  fera  jamais 
que  fur  l'avis  d'un  Boudon ,  &  il  y  en  a  peu 


43i  Ï-A     Vie 

Sa  Pru-  fiij.  la  terre.  Je  crois  même  que  û  le  Supc* 
rieur  s'obitinoir  a  défendre  ce  que  le  dernier 
trouveroir  bon  ,  il  faudroit  dans  cetcc  Sup* 
poficion  ,  qui  bien  examinée  nell:  pas  trop 
poiïible  ,  facrifier  à  lobéiflance  &  Ces  lu- 
mières ,  de  celles  des  perfomie^  les  plus  éclai- 
lées. 

UArchidiacre  n*eroit  pas  moins  prudent , 
lorlqu'il  s'agiflbit  d'empêcher  le  mal ,  que 
lorfqu'il  éroic  queflion  de  faire  le  bien.  Ayant 
un  jour  rencontré  dans  la  rue  un  foldat  qirî 
■juroit  le  faint  nom  de  Dieu ,  il  lui  dit  avec 
beaucoup  de  tendreiïe  :  ^h  !  mon  cher  ami , 
que  volts  a  fait  notre  bon  Dieu  y  pour  lof- 
fenfer  ?  Ces  paroles  redoublèrent  la  fureur 
d'un  homme ,  qui  en  écoit  déjà  plein.  Il  s'é- 
lança fur  le  faint  Prêtre  ,  &  lui  donna  un 
fouffler  n  violent,  qu'il  le  jetta  fur  le  pavé. 
Le  peuple  jugement  indigné  accourt  de  tou- 
tes parts.  On  fe  faifit  de  ce  malheureux  \  on 
le  met  en  devoir  de  le  traîner  en  prifon.  Le 
Serviteur  de  Dieu  avoit  occafionné  l'orage , 
illedifllpa  par  ce  peu  de  paroles,  où  Thu- 
milité  règne  avec  la  fagefle.  Laijjez.'le  aller  , 
leur  dit- il ,  ily  a  ici  plus  de  ma  faute  que  de 
la  ficnne  ^  car  je  devais  attendre  que  fa  co- 
lère fut  pajfée,  pour  le  corriger  utilement, 
\Ji\t  réponfe  fi  peu  attendue  défarma  la  mul- 
titude. Elle  laifTâ  aller  le  coupable  ,  &  don- 
na mille  bénédiclions  à  l'homme  de  Dieu. 
Une  desoccafions ,  ou  h  prudence  de  no- 
tre vertueux  Prêrre  a  le  plus  fouvent  éclaté , 
lui  écoit  fournie  parieséloges  que  la  juitice 


DE  M.  BOUDON.    LiV.  lîî.  45  5 

^  la  probiré  ne  poiivoienr  s'empêcher  de  j^  ^'^ 
faire  de  lui  en  fa  préfence.  Il  fçavoit  fi  bien 
les  écarter ,  foit  par  nn  morne  filence,  qui 
dérouroir  l'Orateur  fans  qu'il  pût  s'en  plain- 
dre, foit  en  tournant  laconverfation  aiileursj 
quefi  de  peur  de  roffenfer  une  féconde  fois , 
on  ne  pouvoit  louer  fon  adreffe ,  on  pou- 
voit  encore  moins  s'abuenir  de  l'admirer. 
Cette  dernière  obfervation  infinue  dcja  , 
que  l'Archidiacre  fut  parfaitement  humble  5 
c'ell:  de  quoi  des  faits  furs ,  des  témoignages 
authentiques  ne  nous  permetti on:  pas  de 
douter. 

$.  XVI.  Sor7  Humilité. 

*<  M.  Boudon ,  dit  un  homme  qui  Tavoît  Son  na. 
»>  étudié  pendant  plus  de  40  ans^  m'a  écrit  '^''^^''^' 
>»  plufieurs  lettres ,  mais  une  entr'autres  qui 
"  étoit  très-longue ,  &  dans  laquelle  il  me 
>»  difoit  fans  détour  ,  qu'il  n'y  avoit  rien  de 
aj  bon  en  lui  j  qu'il  n'y  voyoic  qu'abomina* 
"  tion  ,  que  matière  à  la  colère  de  Dieu  ;  ÔC 
«  que  ,  fi  notre  Seigneur  par  un  effet  extraor- 
9'  dinairede  fa  clémence  fur  lui ,  ne  rerenoic 
'^  les  carreaux  de  fa  juftice  ,  pour  ne  le  pas 
«  punir  avec  autant  de  rigueur  qu'il  le  mé- 
«  ritoit ,  il  y  auroit  long  tems  qu'il  feroit  au 
»  fond  des  enfers  ,  à  caufe  du  vuide  étrange 
»5  de  toutes  les  vertus ,  qui  étoit  en  lui.  « 

Ce  n  eft  pas  qu'il  ignorât  abfolu ment  les 
grâces  que  Dieu  lui  avoit  faites.  Il  en  parloir 
même  quelquefois  à  fcs  bons  amis ,  pour  les 
«ngager  à  bénir  &  à  rèmeicier  avec  lui  la 

T 


434  L  A   ViÊ 

«on  Hu-  divine  mîréricorde  :  Magnificate  Dommum 
mecum  ,  &  exaltemus  mmen  ejus  in  idipfum. 
Mais  ces  grâces  mêmes,  dont  ilferecon- 
noiflbit  indigne,  devenoienr  pour  lui  un  fujet 
perpétuel  d'humiliation  &  de  frayeur.  Il 
trembloit ,  il  étoit  faifi  à  la  vue  du  compte 
qu'il  en  devoir  rendre  un  jour  au  redoutable 
tribunal  du  Seigneur.  «  O  mon  ame  ,  s'é- 
»»  crioit-il  dans  la  crainte  de  fa  réprobation  , 
»>  nous  allons  bientôt  entrer  dans  cette  érer- 
yy  nité ,  dont  la  profondeur  n'a  point  de  fin. 
»'  Mais  fera-cc  dans  l'éternité  bienheureufe? 
y>  Sera-ce  dans  l'éternité  malheureufc  ?  O  in- 
»*  certitude  épouvantable  !  O  penfée  terrible, 
«  pour  un  pécheur  comme  moi  !  » 

Ces  idées  fi  humiliantes ,  Boudon  ne  fe 
contentoit  pas  de  les  nourrir  danîîfon  cœur,  il 
s'efforçoit  de  les  infpirer  à  ceux  qui  le  con- 
noiflbient ,  &  à  ceux  qui  ne  le  connoifToient 
pas.  11  auroit  voulu  que  tout  l'Univers  por- 
tât de  lui  le  jugement  qu'il  en  portoit  lui- 
rocme.  S^s  Ecrits  qui  ont  couru  route  l'Eu- 
rope ,  font  remplis  des  fentimens  qu'il  avoir 
de  fa  prétendue  indignité.  «  Je  ne  fuis, 3; 
w  dit  il  y  je  ne  fuis  qu'un  miférable  aveugle  , 
5>  qu'un  très-grand  pécheur  &c  le  dernier  de 
3>  tous  les  pécheurs.  Je  le  reconnois  en  votre 
»>  préfence  ,  ô  mon  charitable  Gardien  -^  je 
5*  le  veux  dire  devant  tous  les  hommes.  Je 
9k  veux  que  toute  la  terre  fçache ,  que  je  me 
•*  vois  mériter  non -feulement  la  dernière 
«  place  du  monde  ,  mais  encore  la  dernière 
«  place  de  l'enfer.  Je  me  vois  au  -  delTous  de 
»  tous  les  démons.  » 


DE  M.  BouDON  Liv.  m.  43J 

Cette  grande  humiliré  étoic  le  principe  Son  Hu^ 
cte  la  rendrefie  infinie  qu'il  eut  toujours  pour  "''^"^'  ' 
les  pauvres,  &  du  plaifir  qu'il  prenoit  avec 
ceux  qui  etoient  le  rebut  ôc  comme  la  ba^ 
Jayeure  de  la  terre.  On  voyoit  cet  homme 
vénérable  par  fa  dignité  &  par  Ces  cheveux 
blancs  ,  tantôt  in/lruire  à  la  porte  de  fa 
chambre  un  pauvre  foldat  ,  &  lui  donner 
enfuite  tout  ce  qu'il  pouvoit^  tantôt  dans 
uneruecarefTer  un  enfant,  pour  lui  appren- 
dre  les  principes  de  la  Religion  j  tantôt  s'af- 
leoir  au  chevet  du  lit  d'un  pauvre  moribond, 
ahn  de  le  difpofer  à  bien  mourir.  Il  étoic  là 
comme  dans  fon  centre  -,  ôc  h  chaumière 
du  plus  malheureux  payfan  le  flatoit  plus 
que  le  palais  du  plus  grand  des  Rois. 

Il  avoit  eu  l'honneur  d'avoir  pour  Mar- 
reine  Henriette  -  Marie  de  Bourbon  ,  fœur 
de  Louis  XIII.  Se  Reine  d'Angleterre.  Il  eût 
pu   ileutmeme,cefemble,  dû  lui  rendre 
fes  devoirs  pendant  qu'elle  étoic  à  Paris    ôc 
qu'il  y  étoit  aulTi.  Jamais  il  ne  voulut  ni  la 
voir    ni  fe  faire  connoirre  à  clk  :  le  titre  de 
filleul  d  une  augufte  Princeife  lui  auroit  don- 
ne du  relief  ^  il  n'avoit  de  goût  que  pour  les 
opprobres  Se  pour  la  confufion.  Publier  Ces 
défauts ,  quand  l'occafion  s'en  préfentoit 
raconter  quelques  hiftoires  de  fa  vie    ou  il 
avoit  été^  bien  humilié  j  chercher  qiielque 
Kioyen  sur  de  l'être  encore;  rendre  à  Dieu 
des  avions  de  grâces;  quand  il  l'avoit  été 
voila  fon  étude  &  fon  occupation.  «  Je  frais' 
-  du  un  Magifirat  d'Anddy  .qu^^y^ntoixl 

Ti) 


jnilitë. 


4^6  Là  Vie 

Son  Hu-  M  vert  dans  la  boutique  d'un  Libraire  nn  Lî- 
"  vre,  qui  étoit  la  calomnieufe  hiftoire  de 
»>  fa  vie ,  &  étant  tombé  fur  ces  paroles  : 
*>  Les  crimes  ci-dejjus  refont  rien  en  compa- 
"  raïfon  de  ceux  que  ledit  /ïeur  Boudon  a, 
»j  commis  ;  il  en  fut  ù  tranfporté  de  joie  \ 
»  qu'il  s'^n  alla  de  ce  pas  célébrer  la  fainte 
»'  IVlefTe ,  afin  d'en  remercier  la  divine  bon- 

%i  té.  » 

Sur  la  fin  de  Cqs  jours ,  c'eft-à-dire  ,  dans 
un  tei^soùil  étoit  honoré  de  fon  Evéque, 
conltdéré  d'un  grand  nombre  de  Prélats, 
confult-é  de  toutes  les  parties  du  Royaume, 
célèbre  jufques  chez  les  nations  étrangères , 
regardé  conllammcnt  comme  ThoiTime  du 
fiécle  ,  qui  étoit  le  plus  verfédans  la  fciencç 
fi  rare  des  voies  intérieures:  en  un  mot, 
dans  un  cems ,  où  quelque  étincelle  d'orgueil 
auroit  pus'infinuerchez  lui , il  fe  regardoit, 
je  ne  dis  pas  j  iomme  un  ferviteur  inutile, 
mais  comme  un  coupable  à  qui  Dieu  ne  pro- 
longe fes  jours  ,  que  pour  lui  donner  lieu  de 
faire  pénitence  ,  &  -de  pleurer  Ces  péchés, 
forcé  par  une  peïfonne  qualifiée»  de  don^ier 
encore  un  difcours  aux  Filles  de  la  Croix  ^  , 
qu'il  eflinToit  beaucoup.  «  Pavois  réfolu  , 
i>  écrivit-il  à  un  ami^  de  ne  plus  parler  du 
tout  en  public  :  perfuadé  ,  comme  je  le  fuis , 
»  qu'il  efttems  de  me  prêcher  moi  même, 
»  &  de  me  prêcher  fortement  &  très-  forte - 
•»  iT>ent ,  afin  de  m'humilier  &  de  mé  con- 

•Ce  font  xelles  gui  demeurent  auprès  de  Ta  place 
Eoyalc, 


DE  M.  B<:)rr>o>f.  Liv.  !îî.  437 
V.  fondre  du  peu  d'ufaee  que  j'ai  fait  des  vé-  ScnKa^ 
»'  riics  que  j  aifi  louv^nt  reperces  aux  autres , 
"  de  les  méditer  dans  un  profond  filcnce , 
"  de  pafier  le  peu  de  rems  qui  me  refte ,  à 
»•>  gémir  de  mes  miferes  ,  &:  de  crier  mifé- 
9>  ricorde  à  Jefus  le  père  àts  miféricordês. 

Plus  fes  derniers  momcns  s'avançoienr , 
plus  il  s'abyfmoit  dans  fon  néant.  11  en> 
ployoir  le  crédit  qu'avoient  auprès  de  Dieu 
les  gens  de  bien  ,  pour  lui  obtenir  la  rémif- 
fion  de  fes  fautes,  &c  lagr^ce  de  ne  plus  vi- 
vre que  de  îa  vie  de  J.  C.  «  J'entre  vendredi 
»*  prochain  dans  la  foixante  -  dix  -  huitième 
«  année  de  mon  âge  ,  écrivoh-ïl  à  un  Ecclé- 
i'fiafiiqite,  je  le  dis  avec  des  torrens  de  lar- 
'-mesj  car  le  Sauveur  a  eu  vivre  en  moi 
i»  dès  le  premier  moment  de  ma  naiHance  j 
«  puifque  fon  aim.able  Providence  m'a  fait 
V  renaître  en  lui  le  même  jour  par  le  faine 
'>  baptême.  Que  d'amour  de  fon  côté;  que 
3j  d'ingratitude  du  mien  l  «  C'eil:  ainfi  que 
penfoir(5(:  que  parloir  de  foi  le  grand  Archi- 
diacre d'Evreux.  Qui  fera  à  l'abri  de  lim- 
putation  de  l'orgueil ,  s'il  ell  permis  de  l'en 
foupçonncr  ? 

$.  XVII.  Sa  pureté  u^ngélique. 

Nous  n'oppoferons  aux  calomnies  que  l'îm-  5a  Pare^ 
pudence  a  débitées  contre  ce  digne  Minière  ^  * 
de  J,  C.  qu'une  fimple  expofition  de  fa  con- 
duite ,  de  (ts  fentimens  de  de  fes  paroles. 
Nous   ferons  même  forcés   d'affoiblir  nos 
preuves ,  parce  qu'un  plus  grand  jour  pour* 

Tiij 


43^  La    Vit 

5a  Pure-  roic  fatiguer  l'imagination.  La  pureté  eft  urne 
vertu  qu'on  ne  peut  guères  louer  en  détail , 
fans  y  donner  quelque  atteinte. 

La  dévotion  envers  la  fainte  Vierge ,  que 
le  jeune  Boudon  parut  avoir  fucée  avec  le 
lait ,  lui  donna  dès  fon  enfance  une  fi  grande 
inclination  pour  la  pureté ,  que ,  comme 
nous  l'avons  dit  dans  lé  premier  Livre  de 
cet  Ouvrage  ,  il  fit  à  l'âge  de  neuf  ans  le  vœu 
d'une  perpétuelle  virginité.  Depuis  ce  tems 
jufqa'à  Cà  mort  il  n'a  jamais  rien  fait  qui  ne 
fervît  à  l'y  rendre  fidèle.  C'efl  peu  dechofe 
pour  un  homme  de  fe  laiiTer  toucher  la  main 
par  un  autre  homme  ,  Boudon  ne  l'a  jamais 
foufferr.  Il  ne  fixa  jamais  aucune  perfonne 
d'un  fexe  différent. Pour  dérober  en  ce  poinc 
l'auftérité  de  fa  modedie ,  il  portoit  à  droite 
Ôc  à  gauche  la  vue  fur  des  objets  indifférensj 
jamais  fur  la  perfonne  avec  qui  il  étoit  obligé 
de  s'entretenir.  La  vue  d'une  nudité  lui  eue 
plus  fait  peine  que  celle  d'un  démon.  Il  fut 
pendant  un  tems  confidérable  en  grande  re- 
lation avec  une  Abbefie  ,  dont  il  inlh'uifoit 
les  Religieufes?  il  eut  avec  elle  ,  ôc  fouvent , 
de  longues  conférences.  Quelqu'un  lui  de- 
manda un  jour  s'il  étoit  vrai  qu'elle  fut  aufïl 
belle  ,  qu'on  la  difoit  dans  le  public  :  Tout  ce 
que  je  fçaii ,  reprit-il  avec  fon  aimable  in- 
génuité ,  ceft  que  je  n'enfçais  rien  ,  je  ne  l'ai 
jamais  regardée  '^, 

♦  Ce  r^cit  eft  du  célèbre  M.  Bofcguérard  ,  Curé  de  S. 
Kicolas  de  Rouen  ,  qui  avoir  connu  mieux  que  pcrfonnç 
{£  grand  Archidiacre  i  y 


Dî  M.  BouDON.  Ltv.  ÎIL  439 
-  Son  amour  pour  cette  précieufe  vertu  Sa  Pure* 
ëclatoit  au-dehors  par  un  extérieur  fi  fage-  ^  * 
ment  compofé  ,  qu'il  étoit  difficile  de  s  y 
méprendre.  A  parler  en  général ,  dès  que  le 
faint  Prêtre ,  paroiiToit  dans  une  compagnie, 
il  y  infpiroit  un  refped  ,  une  précaution  ca- 
pables d'arrêter  les  langues  les  plus  indif- 
crettes.  Si  dans  les  voitures  publiques ,  où  il 
fe  trouvoit  fouvent ,  quelqu'un  ofoit  s'é- 
chapper, il  le  reprenoit  avec  une  gravité 
qui  commandoit  le  filence  •,  mais  en  même 
tems  avec  une  douceur ,  qui  lui  gagnoit  les 
cœurs,  il  étoit  plus  vif  à  l'égard  de  ces  fem- 
mes andchrétiennes  ,  qui  font  trophée  de 
leur  fcandaleufe  nudité.  Il  leur  faifoit  une 
eoirection  fi  animée,  que,  malgré  leur  fe- 
cret  ôc  impuifTant  dépit ,  elles  s'obfer voient 
au  moins  pendant  le  refte  du  voyage. 

Dans  Ces  prédications  il  tomboit  avec  une 
fâinre  fureur  fur  ces  infâmes  mondanités, 
qui  avoicnt  prefque  commencé  de  Ton  tems, 
6c  qui  du  nôtre  font  montées  jufqu'à  l'excès. 
«  O  horreur  des  horreurs,  s'écrioit  -  //  dans 
r>  l'amertume  de  fa  doitleiir  ,  que  penfent  les 
y»  Efprits  céleRes ,  ces  intelligences  fi  pures , 
»  quand  ils  voyent  les  zélatrices  de  fatan  en- 
j«trerdans  nos  temples,  affiftcr  à  nos  dif- 
«  cours  pourdifputer  à  la  parole  de  Dieu  la 
33  converfion  des  cœurs ,  &  fervirau  diable 
«  fouvent  avec  bien  plus  de  fuccès ,  que  le 
»  prédicateur  ne  fert  à  Dieu  avec  tout  fon 
«  zélé. .  .  C'eft-là  ,  Mefdames,  c<?;7f/;7;/oîr-/7, 
î*  ce  qui  vous  a  rendu  l'objet  de  l'horreur  ^ 

Tiy 


440  L  A     V  I  E 

Sa  Pure-  »  dcs  Saints  ,  qui    vous  ont  prodigué  les 
^*  »  nomsles  plus  terribles  &  les  plus  funeftes. 

î*  Mais  je  vous  avertis  que   vous  pafiferez 
5'  bientôt  au  tribunal  du  fouverain  Juge  -y  que 
"  vous  y  pafTerez  avec  le  monde  à  quivous 
»  voulez  plaire  ;  ôc  que  les  admirateurs  de 
'>  votre  beauté  n'iront  point  à  votre  fecours. 
»  Dans  ce  jour  redoutable  des  vengeances 
?'  du  Seigneur ,  nous  vous  entendrons  ,  & 
»ce  fera  fanscompalTion  que  nous  vous  en- 
5>'tendrons  crier -.Montagnes ,  écrafez-nous: 
"  cachez ,  enfeveliflfez  fous  vos  ruines  de  mi- 
î*  férables  créatures    qui    n'ont  péri ,  que 
jj  parce  qu'elles  ont  defiré  de  plaire  Ôc  d  ecre 
»  vues.  C'e/l-là  que  les  mères  feront  reren- 
î>  tir  ks  airs  de  leurs  cris ,  en  voyant  que  leurs 
»>  mauvais  exemples  auront  perpétué  long- 
»j  tems  après  la  mort  leurs  défordres  dans 
w  l'ame  de  leurs  filles.  Il  en  fera  ainfi  de  tant 
»  d'autres  femmes  ,  qui  font  des  fources  pu- 
«  bliques  d'iniquités  dans  les  Villes ,  où  par 
"  leurs  modes  nouvelles  ôc  leurs  ajuftemçns 
n^^  diaboliques, elles  apprennent  à  quantité  de 
♦  jeunes  perfonncs  à  les  imiter.  Mais  mal- 
3>heur  aux  filles  qui  fuiventces  modes.  Mal- 
»  heur  aux  pères  &  aux  mères  qui  les  fouf- 
>*  frent.  Malheur  aux  ConfeflTeurs ,  qui  ne 
*»  font  pas  les  derniers  efforts  pour  arrêter 
»»  ces  fcandalcs.  O  mon  Dieu  ,  quelle  diffé* 
«»  rence  y  a  t  il  en  cette  vie  entre  les  per- 
f>  fonnes  mues  de  l'Efprit  faint ,  &  celles  qui 
fi  font  animées  de  Tefprit  de  la  nature  cor- 
#f  rompue  1  Mais  aufli  quelle  différence  y  an- 


©E  M.  BouDON.  Liv.  Iir.        44t 
w  ra  t-il  dans  l'antre  vie  !  Miférables  mon-  >^^  ^^^^' 
"  daines  :vous  lelçaurez  bientôt  i  maisvous  '" 
»  le  fçaurez  trop  tard  pour  vous.  Vos  plaifirs 
H  trompeurs  ne  tarderont  pas  à  finir ,  ôc  les 
«  rourmens  qui  vous  attendent ,  ne  finiront 
"-  jamais.  » 

Ce  morceau  ,  que  nous  avons  tranfcrît 
exprès  comme  bien  d'autres ,  ne  fervira  pas 
de  modèle  aux  Orateurs  du  tems  :  ce  n'efc 
pas  à  moi  à  leur  en  faire  un  crime  y  ce  que 
jefçais,  c'eft  que  Boudon  touchoir  ,  qu'il 
convertiïïbit ,  éc  que  plus  d  une  fois  il  fit  ôc 
afïïira  à  la  pureté  de  glorieufes  conquêtes. 

Ce  n'étoit  pas  feulemenr  en  Chaire  qu'il 
s'armort  contre  le  vice  qui  lui  eft  contraire  ; 
il  le  pourfuivoit  par-rour.  Dans  Ces  vifîtes  il 
s'informoir  avec  une  fage  exactitude  de  rout 
ce  qui  avoir  rapport  à  ce  genre  de  défordre  r 
ri  cherchoit ,  &  il  faififibir  les  moyens  les 
plus  prompts  pour  l'arrêter.  II  faifoit  réha- 
biliter les  mariages  nuls.  Il  otoit  le  fcandale 
Se  les  débauches  qui  en  font  le  principe.  II 
prenoit  fon  tems  pour  enlever  de  la  maifon 
des  Grands  les  portraits  ou  les  tableaux  fn^ 
décens  i  ou  du  moins  pour  les  faire  metrre 
dans  l'état  où  la  modeftie  vouloit  qu'ils  fuf- 
fent.  Il  en  faifoit  autant ,  lorfqu'il  rrouvoir 
dans  les  Eglifes  des  images  on  des  figures^ 
qui  n'étoient  pas  dans  la  règle.  Il  n'eut  faic 
grâce  ni  à  Rubens  ,  ni  à  Michel- Ange. 
>^Quel  défordre  plus  infupportable,  difou-H 
yr.  avec  une  jujh  indignaTion ,  quoi  de  plus 
sr,  injurieux  aux  Saints,  que  de  les  peindre^ 


té. 


441  L  A    Vl  E 

Sa  Pure-»  avec  des  attitudes  qu'ils  ont  eues  en  hor- 
»  reuri  ou  de  donner  à  leurs  images  des  or- 
9»  nemens  qu'ils  ont  foulés  aux  pieds?  N'efl- 
»  ce  pas  là  mettre  l'abomination  de  la  défo- 
>»  lation  dans  la  Maifon  de  Dieu  î  >• 

Exact  &  fagement  timide  dans  le  facré 
Tribunal ,  il  perçoit  l'ulcère  d'une  main  fer- 
me ,  mais  précautionnée.  Il  infpiroit  de  la 
confiance  au  malade.  11  guérifoit  fa  plaie  , 
fans  Taccabler  de  reproches.  S'il  lui  faifoic 
verfer  dQS  larmes ,  c'ccoit  de  celles  que  le 
faint  amour  commande.  D'autres  rebutent , 
^' ils  ne  convertirent  pas:  il  ne  rebutoic 
jamais,  &  il  rappelloit  à  Dieu. 

11  nefe  bornoit  pas  à  détruire  le  mal  :  il 
s'appliquoit  ou  à  planter  1%  vertu  fur  fes  dé- 
bris ,  ou  à  la  fortifier ,  foit  contre  la  coupa- 
ble fédudion -/foit  contre  les  leçons  moins 
parfaites  de  la  chair  &  du  monde.  Mais  en 
portant  à  1  embrafier ,  il  ne  diffimuloit  pas 
que  pour  en  venir  là ,  il  y  a  des  efforts  à  faire 
éc  des  combats  à  livrer.  Si  à  l'exemple  dtS, 
Ambroife ,  il  donna  toujours  à  la  pureté  les 
éloges  qui  lui  font  dûs,  il  n'afîoiblit  jamais 
les  pénibles  mefures ,  dont  le  concours  eft 
néceffaire  pour  la  garder. 

Ce  fut  dans  cet  efprit  de  vigilance  &  de 
précaution,  qu'écrivant  à  une  jeune  per- 
îbnne  :  il  lui  dit  :  f«  Continuez  encore  pour 
<»  une  année  le  faint  vœu  de  cha  leté  j  mais 
«  rendez  vous  fidèle  ,  non-feulement  à  évi- 
ftjterles  plus  légères  occafions,  qui  pour- 
a>  raient  le  iiioins  du  monde  terme  l'incom- 


DE  M.  BbuDON.  Liv.  lîf.       443 

^y  parable  blancheur  d'une  vertu  fi  aimée  de  Sa  Pure* 

«  notre  Seigneur  &  de  fa  très-  pure  Mère  j  ^  * 

»  Mais  encore  à  fuir  celles  qui  pourroient 

s>  faire  la  moindre  peine  aux  autres  à  votre 

3>  fujet  :  tâchant5autant  que  vous  le  pourrez , 

'■>  d'être  en  toutes  chofes ,  Ôc  particuliérc- 

»»  ment  en  celle-ci;  la  bonne  odeur  de  J.  C.»* 

Ce  que  le  faint  homme  infpiroit  aux  au- 
tres, il  Tobfervoit  avec  la  plus  fcrupuleufe 
exactitude.  Dans  fes  Millions  ,  qui  l'ont  (i 
fainrement  &  fi  long-tems  occupé,  il  ne 
Jogcoitni  chez  des  Dames  d'une  piérédiflin- 
guée  5  ni  même  chez  des  Religieufes ,  que 
lorfqu'il  lui  étoit  abfolument  impoffible  de 
fe  placer  ailleurs  j  &  alors  il  y  vivoit  avec 
tant  de  retenue,  tant  de  vigilance  fur  foi- 
même  ,  tant  de  précaution  à  l'égard  du 
prochain  ,  que  fa  moindre  vertu  étoit  de  ne 
point  donner  de  prife  à  l'ennemi. 

L'oraifon  ,  les  mortifications  du  corps  , 
la  dévotion  envers  la  Reine  des  Vierges  ; 
furent  les  grands  moyens  dont  il  fe  fer  vie 
pour  conferver  fon  innocence  ;  &  l'on  e^l: 
sûr  que  ceux  qui  en  feront  TefTai ,  ne  tarde- 
tont  pas  à  en  fentir  l'efficacité. 

Il  fçavoit  que  la  continence  e/l  un  préfent 
du  ciel  -,  que  c'eft  dans  cette  matière  û  pé- 
nible à  la  nature  corrompue  ,  qu'échouent 
les  ftériles  efforts  du  Phiiofophe  ,  ô^  la  pré- 
fomptueufe  confiance  du  Pélagien  j  que  ce 
ne  fut  pas  dans  fes  beaux  joyrs,  mais  fur  le 
déclin  de  fes  ans  que  tomba  Salomon.  De-là 
quelle  fource  de  réflexions  pour  un  homnî» 

Tvj 


444  L  A  V I  ff 

Sapurç.  fi  accoutumé  à  en  faire  ?  Et  combien  de  foU 
s'écria-t-il  :  Donnez,-moi ,  Seigneur ,  ce  cœur 
'pur  y  dont  la  façon  eft  entre  vos  mains  ,  & 
que  je  ne  puis  attendre  que  de  vos  mifé ri- 
cordes* 

Mais  il  falloit  fe  prêter  à  l'opération  de  la 
grâce,  &  Boudon  le  fît  par  toutes  les  bonnes 
œuvres  donfclle  e/l  le  principe,  &  fur  tout 
par  une  longue  chaîne  de  pénitences,  qui  fc 
remplaçoient  coup  fur  coup   &  fans  inter- 
ruption. Outre  le  continuel    &  laborieux 
exercice  de  Çqs  voyages ,  de  (es  Miflions  ,  de 
fts  Conférences ,  de  fes  Vifltes  d'Archidia- 
cre ,  de  fon  aiTiduiré  au  ConfefGonal ,  de 
ics  Lettres  acl:ives  &   paflives ,  jamais  cu- 
rieufes  ,  toujours  intércfTantes ,  &  des  -  là 
toujours  appliquâmes;  cet  homme  né  pour 
traiter  fon  corps  en  ennemi  rebelle  ,  jeûnoit 
prefque  toute  l'année,  èc  après  avoir  paiTé 
une  partie  de  la  nuit  en  oraifon ,  il  fe  cou- 
choit  fur  à^s  planches.  Ce  n'étoit-là  qu'une 
partie  de  (ts  auftérités  j  <Sc  les  inftrumensde 
fa  pénitence  qui  fubfulent  encore  ,  en  an- 
noncent bien  d'autres.  Mais  il  en  eil ,  &  il  y 
a  toute  apparence  que  ce  ne  font  pas  les 
moindres  ^  dont  le  fecret  n'a  point  tranfpiré. 
Un  de  fes  amis  l'ayant  une  fois  furpris ,  lorf- 
qu'il  enfaifoit  une  très-rude  ,  il  lui  fit  pro- 
mettre qu'il  \\tn  parleroit  jamais  :  &  celui- 
ci  a  fi  bien  gardé  fa  parole ,  que ,  même  après 
la  mort  de  l'Ar-chidiacre  ,  il  n'a  pas  étépof- 
iîblede  lui  faire  dire  ce  dont  il  s'agiflbit  : 
C.eji ,  répondoit-il pour  juftifiei:  fon  fileaçe^, 


DE  M.  BouDON.  Lrv.  ÎIÎ.      44  r 
que  je  craws  d'encourir  l'indignation  ofiin  ^  P««* 
homme  qui  efl  jt  bien  auprès  de  Dieu,  Corn- 
bien  femblables  trairs  de  fon  humilité  ne 
MOUS  a-t-elie  pas  dérobés  î 

Pour  ce  qui  elt  de  la  dévotion  à  la  fainre 
Vierge  ,  Boudon  la  regarda  toujours  comme 
un  des  plus  forts  remparts  qu'on  pût  oppo- 
fer  aux  infultes  de  l'ennemi ,  c'elt  à-dire  ,  aux 
tentations  du  monde  ,  de  la  chair  ôc  du  dé- 
mon. «  Chacun  peut  fçavoir  ,  dtfoit  -  il  , 
«  combien  les  combats  font  fréquens  dans 
»j  cette  périlleufe  carrière  ,&  combien  il  y 
'^  a  de  perfonncs  qui  y  font  vaincues.  Hé- 
»  las  !  le  monde  prefque  tout  entier  y  fuc- 
"  combe  i  &:  c'eil  le  cStamun  fentlment  des 
»j  faints  Docteurs ,  que  la  plupart  de  ceux 
>*  qui  fe  damnent ,  ne  fe  damnent  que  par 
^'  ce  crime.  Nous  avons  donc  befoin  d'une 
"  puiflante  protection^  de  la  protection  de  la 
>' Vierge  des  Vierges,  pour  ne  pas  tomber 
^  dans  un  malheur  fi  commun.  Demandons 
'^  doncavec  S.,  lldephonfe ,  qu'elle  nous  fafle 
"  aimer  la  gloire  de  fa  Virginité.  Dieu  tout 
>->  bon  ,  tout  miféricordieux  ,  ne  manquera 
«  pas  de  favorifer  de  grâces  particulières  le 
'■»  zélé  de  ceux  qui  vengeront  la  Virginité  de. 
»  Marie  ,  &  qui  eftimeront  comme  il  faut , 
"la  vertu  par  laquelle  elle  seit  rendue  fi 
>»  agréable  aux  yeux  de  fon  Fils.  Que  les  per^ 
"  fonnes  qui  y  font  appeliées  ,  confervent 
«  tendrement  ce  don  de  Dieu  ,  quoi  qu'il 
»  puiiTeleurencoûrer.  Que  lesPalteurs ,  lesi 
?.*  Prédicateurs,  les Confeiîcurs  iAviteutàlk 


44^  La    Vie 

«aPure- „pi-atique,rclonleconfeil  àcJ,  C.  &  qtOP 
«  les  pères  ôc  ks  mères  ne  foient  pas  allez 
»  malheureux  p>our  en  détourner  leurs  en- 
"fans,  en  y  faifant  naître  des  obllacles.  »» 
C'ell  ainfi  que  pcnfoit  ôc  que  parloit  M. 
Boudon  ;  maisc'ell  ainfi  qu'il  unifioit  la  pra- 
tique aux  paroles  Ôc  aux  fentimens. 

§.  XVIII.  Son  Amour  pour  la  Pauvreté  - 
&  pour  les  Pauvres, 

Sa  Pau*  La  pauvreté  évangélique  n'efl  pas  une  de 
Treté.  ces  vcrtus  ,  que  la  nature  pratique  par  attraic 
&  par  inclination.  Malgré  le  grand  exemple 
du  Fils  de  Dieu ,  qurtétant  riche  s'eft  réduit 
pour  nous  à  un  état  oindigence  ;  malgré  l'a- 
nathcme  qu'il  a  lancé  contre  les  riches  ôc 
contre  leurs  richc/ïes-,  il  y  a  dans  le  fond  du 
cœur  de  l'homme  une  efpéce  d'horreur  de 
toutcequireflenr  la  mifere ,  &  l'humilia- 
tion qui  s'y  trouve  attachée.  Et  s'il  eft  en- 
core àcs  Chrétiens  qui  difent  férieufement 
avec  le  Sage  :  Seigneur,  préjervez^-moi  d'une 
grande  fortune  ;  il  en  ei1:  peu  qui  n'ajoutent 
au  moins  fecrettement  :  Mais  prefervez-moi 
encore  davantage  d'une  affligeante  mendicité, 
Difciple  fidèle  d'un  l3ieu  pauvre,  Bou- 
don fe  fit  un  précepte  rigoureux  de  ce  qui 
n'étoit  qu'un  confeil.  Né  pour  avoir  autant 
de  bien  qu'il  en  faut  pour  vivre  dans  une  mé- 
diocrité commode  ,  il  regarda  depuis  fa  plus 
tendre  jeurefle  jufqu'au  dernier  foupir  de  fa 
vie ,  la  défappropriation  &  le  dénumenc 
comme  fon  plus  riche  thréfor.  Le  rebut  >  la 


DE  M.  EouDON.  Liv.  lîî.       447 
Confiifion  ,  le  mépris,  injufte  ,  mais  trop  ^^^J^^*" 
commun  appanage  de  la  difettci  loin  de  le  ^ 
faire  rougir ,  firent  le  fujer  de  fa  gloire.  Il  en 
parlait ,  dit  un  de  fes  Hiftoricns  ,  avec  îine 
jubilation  de  cœur  &  un  tpanouijjement  de 
i>ifage  y  qui  marquaient  bien  qu'il  s'ejlirncit 
heureux  d^ avoir  quelque  fart  à  la  -pauvreté 
de  /.  C,  II  rappelloit  fes  vieilles  hilloires  de 
Paris  avec  plus  de  plaifir  ,   qu'un  Confui 
Romain  n'auroir  rappelle  les  circonllances 
de  fon  triomphe  ,  il  en  apprenoit  le  dérail  à 
ceux  qui  l'ignoroient  :  en  un  mot  il  s'en  fai- 
foir  honneur ,  non  par  bafiefle  de  fentiment, 
mais  par  un  vrai  &  folide  principe  de  Chrif- 
tianilme.  «  Je  ne  rougis  point  ,  écrivoit-  il  à 
*>  un  ami ,  &  c'eft  par  une  miféricorde  infi^ 
>i  nie  que  je  ne  rougis  point  de  dire  mes  be- 
«  foins.  Notre  bon  Sauveur  m'a  fait  la  grâce 
»  lorfque  i'étois  encore  Laïque  ,  d'être  obli- 
>'  gé  pluficurs  fois  de  demander  Faumône 
»>  aux  portes  des  Eglifes  de  des  maifons  fé- 
«  culieres ,  expofé  aux  yeux  de  tous  les  paf- 
"  fans.  C'ell:  que*la  divine  Providence  veuc 
«  qu'on  demande  en  toute  humilité  fon  né- 
>'ceiïaire,Â:  que  l'on  fafTe  comme  les  oi- 
«  féaux  que  le  Sauveur  nous  apropofes  pour 
»  modèles  ;  &  que  fa  Providence  oblige  de 
«  voler  tantôt  dans  un  endroit ,  &  tantôt 
»  dans  un  autre,  pour  y  trouver  leur  nourri- 
»  ture.  » 

C'étoit  fur  cette  aimable  Providence  que 

Thomme  de  EHeu  s'appuyoif ,  &  il  vouloir 

,«e  s'appuyer  que  fur  elle.  Les  Evcques  d'h- 


A^f  La  Vie 

Sa  Pau- vreiix  lui  ont  voulu   donner  des  Bénéfices; 
mais  il  les  a  conûammenr  refufes.  Ccpen- 
danc  le  fien  ,  loin  de  lui  fournir  quelque  par- 
tie du  néceiTaire  ,  lui  éroit  onéreux.  «  Il  n'y 
»  a  pas  de  quoi  vivre  dans  le  Bénéfice  donc 
«  je  fuis  pourvu  ,  difoh-il  à  wne  perfonne  de 
*?  confiance  ,  de  c'cft  de  quoi  je  bénis  Dieu  j 
"  car  aurremenr  je  forrirois  de  mon  état  de 
«  pauvreté ,  que  j'eftimc  plus  que  routes  les 
»richeflesdu  monde.  Je  ne  fcais  fi  l'année 
«  qui  vient  j'aurai  plus  de  cinquante  francs 
«  de  revenu  en  tout  j  d<:  il  me  faudra  payer 
"  trois  fois  plus  de  décimes  :  ainfi  ce  n'ell  pas 
«  Iç  Bénéfice  qui  me  fait  vivre  \  j'en  ai  un 
«autre,  bien  plus  riche,  ^  qui  eft  inépui- 
«  fable:  c'ell  le  rhréfor  infini  de  la  Provi- 
'>  dence.  Elle  m'eft  fi  bonne ,  qu'elle  me  four- 
".nit  encore  de  quoi  donner  aux.  pauvres,  ^r 
Il  comptoit  fi  fort  fur  cette  bonté  fingu- 
liere  de  la  Providence ,  qu'il   ne  voulut  ja- 
mais cefier  d'en  dépendre.  Après  la  mort 
d'une  perfonne  qui  lui  fourniflbit  du  linge  v 
car  il  n'avoir  pas  une  ferviette  qui  fût  à  lui  y 
un  de  fes  amis  lui  écrivit ,  qu'il  vouloit   lui 
envoyer,  de  l'argent  afin   qu'il  en  achetât. 
Mais  le  pauvre  de  J.  C  fe  donna  bien  de 
garde  d'accepter  fes  offres.  Il  le  pria  de  le 
lai  fier  vivre  &  mouTirdans  Texercice  de  la 
fainte  pauvreréi  l'afliirant  que  fans  ce  moyen 
qui  le  rendroit  propriétaire ,  la  main  de  Dieu 
içauroit  bien  pourvoir  à  (ts  befoias. 

Il  ne  regardoit  que  comme  une  aumône 
tout  ce  qu'oa  vouloit  bien  lui  doiincr^Mais 


DE  M.  BouDON.  Liv.  m.  449 
comme  il  reçevoit  humblement ,  il  recevoit  ^^  Paii* 
fans  façon ,  lorfqu'il  avoit  befoin.  Une  Da-^^^'  * 
me  s'éranc  appeiçue  que  fon  manteau  long 
avoit  fait  fon  tems  &  quelque  chofe  déplus, 
le  fit  prier  par  une  perfonne  de  confiance 
den  accepterunautre.il  y  ccnfentit  avec 
adions  de  grâces  j  mais  à  condiiion  qu'en 
n'y  employeroit  qu'une  étoffe  des  plus  com- 
munes. Ainfî ,  s'il  fçut  être  propre,  parce 
qu'il  ne  vouloit  pas  qu'un  Prcrre  rebutât  par 
fon  extérieur  -,  il  fçut  pour  le  moins  aufTi  bien 
être  toujours  véritablement  pauvre.  C  cH: 
dans  ces  fentimens  ,  que  pour  encourager 
une  Dame  à  fouffrir  en  paix  la  décadence  de 
fa  fortune  ôc  l'excès  de  fes  miferes ,  il  lui  écri- 
voit  en  ces  termes, qui  ne  pouvoicnt  fortir 
que  de  la  plénitude  de  fon  cœur.  »  Je  m'efti- 
3i  merois  heureux  d'aller  toutes  les  femaines 
3j  chercher  l'aumône,  Se  il  me  femble  que 
V  c'eA  pour  une  ame  un  mets  bien  exquis  i 
"  puifque  par-là  elle  eft  purgée  des  méehan- 
«  tes  humeurs  de  la  nature  corrompue  ,  ôc 
w  partculiérement  de  la  fuperbe.  Il  faut 
»*ien  ménager  toutes  ces  actions  d'humili- 
>j  té  :  il  n'y  en  a  pas  ime  qui  ne  vaille  un 
x>  million  d'or  ;  &  les  rebuts  qu'on  y  trouve, 
»  font  grâces  fur  grâces ,  ôc  une.  tnrféricorde 
9i  de  notre  Seigneur  &  de  fa  fainte  Mère.  » 

De  ce  grand  amour  pour  la  pauvreté  naif- 
foit  en  ce  faint  Prêtre  un  amour  fingulier 
pourlespauvres.il  alloit  jufqu'à  fe  décou- 
vrir, quand  il  paflbit  devant  leurs  maifons. 
Jl  fe  mêloic  volontiers  avec  eux  ,  pout  leur 


^ 


4S0  La    Vi£ 

«a  Pau-  apprendre  à  fanaifîer  leur  érar.  Il  catéchî- 
^^"  •  foie  ceux  qu'il  rrouvoit  fur  les  grands  che-^ 
iTiins.  C'étoicpour  luiunplaifir  de  pafler  la 
nuit  fous  le  toit  ruilique  d'un  malheureux 
villageois ,  parce  qu'il  y  avoit  de  quoi  exer- 
cer fon  zélé  &  fa  charité.  Il  étoit  plus  fenfi- 
ble  à  la  plus  légère  de  leurs  peines  ,  qu'il  ne 
rétoit  à  la  plus  grande  des  ficnnes.  Leur  faim 
déchiroit  Ces  entrailles  ,  comme  autrefois 
celles  de  S.  Exupere  ^.  Il  tonnoit  contre  la 
dureté  de  ces  riches  ,  qui  ne  payent  qu'avec 
peine  un  pauvre  ouvrier.  Il  difoit  que  c'étoic 
boire  le  fang  &  la  fueur  d'un  mercenaire  ôc 
de  fa  famille. 

«  Il  faifoit  lui  fcuî ,  à  l'aide  de  h  Provî- 
»'  dence  ,  plus  d'aun^ones  ,  que  n'en  font 
»»  plufieurs  Maifons  Régulières  des  mieux 
«  rentées.  »  La  compaflion  étoit  née  avec 
lui ,  Se  elle  ne  fit  qu'y  croître.  11  étoit  encore 
enfant,  lorfqu'il  commença  a  donner  ks 
propres  habits  à  ceux  qui  n'en  avôient  point. 
Il  auroit  fait  la  même  chofe  fur  la  fin  de  fci 
jours  ,  û  toute  autre  reflTource  lui  eût  man- 
qué. Mais  fans  avoir  le  néceflTaire  pour  lui , 
il  fçut  avoir  du  fuperflu  pour  les  autres  ;  Sc 
ces  autres ,  il  les  déterroit  par  tout  :  en  forte 
qu'à  Laval,  c'eA  -  à  -  dire  ,  à  l'extrémité  du 

*  Famé  torquebatur  clenâ  Exuperius.  Ce  faint  Evcqu« 
de  Touloufe ,  à  qui  S.  Jérôme  a  dédié  fon  Commentaire 
iur  Zacharie  ,  mourut  vers  l'an  447.  On  fçait  qu'après 
avoir  vendu  tous  fes  biens,  il  vendit  encore  les  vafes  fa- 
crés  pour  foulager  les  pauvres  ,  &  qu'il  fut  réduit  à  porter 
Je  Corps  de  J.  C.  dans  un  panier  d'oiicr,  &  fon  Sang 
«ians  un  Calice  de  verce.  ' 


DE    M.   ËOUDOK.  LiV.  III.  4JÎ 

Maine  ,  il  aiîifla  pendant  plufieurs  années  Sa  Paiï^ 
nne  douzaine  de  peiTonnes  >  riches  en  ver-  "^^  ' 
tus ,  mais  très  -  pauvres  du  coré  de  la  for- 
tune. Il  ne  les  oublia  pas  à  fa  mort  j  il  enga- 
gea un  vertueux  Prérre  ,  qui  avoit  été  le  dé- 
pofitaire  de  fes  aumônes ,  à  les  prendre  fous 
fa  proredion. 

Ce  qui  Taffligeoit ,  &  ce  qui  a  toujours 
affligé  les  vrais  Chrétiens ,  c'eit  que  les  pau- 
vres ne  connoiffent  point  aflez  le  bonheur 
de  leur  condition.  «  O  vous ,  qui  vivez  dans 
'•'l'indigence,  lenr  ci:foh-îl  ,  où  eii  votre 
a  Chriilianifme  r  Eil:  -  il  poïïibk  que  vous 
«  croyiez  que  vous  êtes  les  héritiers  du 
»  Royaume  de  Dieu  ?  Si  au  milieu  de  vos  mi- 
»*  fcres  vous  appreniez  qu'on  varrès-siire- 
w  ment  vous  mettre  cnpofieiïion  d'unRoyau- 
«  me  temporel  ,  n'eit-  il  pas  vrai  que  cette 
w  nouvelle  vouscharmeroirjVous& votre  fa- 
«  mille?  D'où  vient  donc  que  vous  êtes  fî 
>»  peu  touchés  du  Royaume  du  Ciel  qui  vous 
»j  appartient?  Ce  qui  eft  sûr  néanmoins,  &ce 
>-» qu'il  va  de  plus  confolant,  c'efl  que  ceux 
»:»  qui  font  le  plus  dénués  àzs  commodités  de 
»  la  vie  ,  &  plus  abjedès  félon  le  m'onde  .  y 
^  ont  un  droit  particulier,  quand  ils  fçavcnc 
»■>  bien  ufer  de  leur  état.  Vous  êtes  bienheu- 
»  reux  ,ô  pauvres,  dit  le  Fils  de  Dieu  ,  pî^rce 
w  que  le  Rovaume  dts  Cieux  eft  votre  héri- 
«  tage.  C'ert  donc  une  grande  vérité  ,  qu'un 
»  pauvre  vigneron,  un  chétif  artifan  ,  une 
«  fervanre  ,  ik:  autres  femblables  ,  qui  fcnc 
w  l'opprobre  du  monde ,  font  autant  de  Rois. 


J 


vrcté. 


451  La    Vil! 

Sa  Pau-  i^  de  Reines,  s'ils  font  véritablement  Chrc* 
>>  ciens.  » 

L'excefTive  dureté  des  Riches ,  qui  ne  re- 
double jamais  le  malheur  temporel  du  pau- 
vre ,  fans  être  pour  lui  une  fource  de  mifercs 
fpirituelles  y  mtettoit  aux  plus  vives  épreuves 
la  patience  de  notre  vertueux  Prêtre.  Mais 
quand  il  trouvoit  cotre  dureté  dans  des  Ec- 
cléfiaftiques ,  â<  fur- tout  dans  de  gros  Bénc- 
ficlers ,  il  demandoit  avec  Jéremie  de  Teau 
pour  fatcte,  &:  pour  Tes  yeux  une  fomaine 
de  larmes,  afin  de  pleurer  nuit  <^:  jour  un 
»  Icandale  qui  ne  le  peut  ctrc  affez.  »  Quoi  , 

V  s'ccrioit  il  djimle  tranfport  de  fa  doideiir  , 
yj  nos  pères  ont  vendu  Icsvafes  facrés  dans 
?j  des  nécciïïrés  preiTanres  j  &:  ceux  qui  les 

V  remplacent  aujourd'hui ,  pourroienr  gar- 
"  der  une  foule  de  meubles  fuperflus ,  cntaf- 
>>  fer  Targent  dans  leurs  coffres ,  amaflcr  dits 
wthréfors,  qui  ,  comme  parlent  les  faints 
Canons ,  font  le  prix  des  péchés  ^  le  patri- 
*'  trimoine  de  l'indigence  1  O  aveuglement  I 
«  O  prodige  inconcevable  !  Cependant  nous 
«  en  avons  vu  ,  qui  en  mourant ,  ont  laifle  à 
yy  de  riches  héritiers  àts  revenus  confîdéra- 
yy  bles(î?c  de  grandes  fommes  d'argent.  Quelle 
»»  mort  d'un  coté  ,  &  quel  compte  de  l'autre 
»  pour  ceux  qui- les  ont  confeÀes  dans  ces 
»  derniers  momens  !  » 

Boudon  prenoit  toutes  les  mefures  polïï- 
blés  pour  l'éviter,  ce  compte  formidable.  Je 
ne  vois  gucres  dans  l'Hiftoire  des  derniers 
tcms ,  que  la  chambre  de  faint  Vincent  de- 


vreté. 


DE  M.  BOUDOK.   LiV.  III.  4J3 

Paul ,  ,qiron  puifle  comparer  à  la  Tienne.  Sa  JauS 
Après  avoir  logé  pendant  quelques  années, 
où  il  plût  à  Dieu  ,  il  choifu  enfin  une  efpécc 
de  ta-udis  auprès  de  la  rivière.  L'entrée  en 
ëtoit  obfcure  ,  le  degré  très-étroir<S:  à  demi- 
rompu  ,  la  porte  fort  mauvaife.  L'air  ell:  la 
chofc  du  monde  qui  coûte  le  moins  :  TA  r- 
chidiacre  fe  l'étoit  comme  retranché  ,  la  cel- 
lule n'en  avoir  prefqiic  point.  De  vieilles 
nattes  y  tenoient  lieu  de  glaces  âc  de  rapif- 
feries:  encore  avoir -il  fallu  les  y  mettre, 
peixiant  qu'il  étoit  en  vifir^  j  pour  lui  adou- 
cir la  rigueur  du  froid  auquel  il  étoit  très- 
fenfiblc  ,  n'ayant  prefque  plus  que  la  peau 
êc  les  os.  Quelques  chaifes  de  paille  ,  quel- 
ques vieux  cofire^  qu'on  lui  avoir  prêtés 
pour  ferrer  Cçs  habits  ,  faifoient  tout  foii 
ameublement.  Un  lit  auiTi  enfumé  que  le 
rcfte  de  la  chambre  ,  ccuronnoit  l'ouvrage. 
Ces  deux  mots  ,  Dieu  seul  ,  croient  l'uni- 
que ornement  de  fa  cheminée.  «  Voilà  ,  ait 
»  un  de  Je  s  grands  amif  ,  le  riche  appartc- 
"  ment  ,où  le  grand  Archidiacre d'Evrcux  a 
»  pafTé  plus  de  trente  années ,  ôc  où  il  a  ren- 
M  du  les  derniers  ioupirs.  » 

Il  eft  vrai  qu'il  s  étoit  pratiqué  un  petit 
oratoire  fort  propre,  &  qu'on  y  voyoit  une 
dévore  image  de  la  fainre  Vierge  en  relief, 
deux  Reliquaires  ,  qiielqu-es  petits  tableaux  , 
ôc  enrr'autres  ceux  ciu  Cardinal  de  Bérule, 
du  P.  de  Condren  ,  &  de  la  Mère  Elifabeth 
de  la  Croix  :  mais  ourr^  que  rien  de  tout  cela 
p'étoit  d'un  gi'andprix,  ii  i>y  voyoii  qu'une 


454  La     Vie 

5a  Pau-  efpéce  de  bien  facré ,  dont  il  ne  pouvoît  être* 
que  dépoficaire.  Ainfi  il  fut  toujours  ôc  en 
tout  fens  un  vrai  pauvre  de  l'Evangile.  O 
vous  qui  lifez  ceci ,  difoit  dans  une  occafion 
afifez  femblable  S.  Jérôme  ,  fouvenez  -  vous 
devant  Dieu  de  celui  à  qui  vous  en  devez  le 
récit  ,  &  obtenez-lui  par  vos  prières  de  pré- 
férer la  pauvreté  de  l'Archidiacre  Boudon 
avecfes  mérites,àla  pourpre  des  Princes  avec 
leurs  Royaumes ,  &  les  peines  qui  y  font 
attachées  :  Obfecro  quicumque  hdc  legis ,  ut 
Uieroriyyni  -peccatoris  memmeris  ;  cuifî  Do^ 
minus  opùonem  daret  ^  multo  magis  eligeret 
tunicam  Pauli  cum  meritis  ejus ,  quàm  Re^ 
gum  purpuras  cum  pœn'is  &  Réunis  fuis, 
Hieronymus  in  vitâ  S.  Pauli ,  primi  Eremi- 
tx ,  tora.  IV.  p*  74. 

$.  XIX.  Son  Ardeur  pour  le  Mépris 
&pour  les  Souffrances, 

^ott        Cefl:  ici  le  fceau  de  le  caradere  des  Elus, 
pour    le  ^^  ^"^'y  ^  ^^^  Fonction  de  l'Efprit  faint  qui 
mépris  ,  puifîe  leur  découvrir  la  beauté  ,  la  douceur , 
les  richefles  de  la  Croix.  Ce  n'eft  qu'à  fa 
grâce  toute  puifTantc ,  qu'il  appartient  de  la 
faire  aimer  Jusqu'aux  tranfports  d'une  fage 
&fainte  yvrefle.  Et  cette  parole  de  notre 
Maître  :  Un  Baptême  à.efang  Trtefl  préparé , 
.  &  jefoupire  dans  f on  attente  ,  fera  à  jamais 
un  chifre  impénétrable  pour  quiconque  ne 
fera  pas  rempli  de  la  plénitude  de  fon  efprir, 
«  Non  ,  difoit  notre   vertueux  Prêtre  , 
w  quelque  lecture  que  faflenc  les  mondains. 


&:c, 


DE  M.  BouDON.  Liv.  m.       455" 
1*  quelques  fermons  qu'ils  enicndenc ,  ils  ne    ^a 
9»  conçoivenc    rien  dans   le   Myliere  de  la  J^q^^^\ 
"  Croix  ,  parce  qu'ils  font  cnderemenc  éloi-  mépris  , 
"  gnés  de  refprit  de  mort  Ôc  d  anéantiffe-  ^^' 
>'  ment ,  qui  dirpofe  l'ame  à  l'intelligence 
"  de  ce  fccret.  C'cfï  ce  célclle  fecret  que  S. 
^'Pierre  découvroit  aux  fidcles  ,  lorfqu'il 
>'  leur  difoit  :  Ne  vous  étonnez  pas ,  mes 
>*  chers  Frères  ,  que  Dieu  vous  éprouve  par 
»>  le  feu  des  afflidions,  comme  fi  ce  dévoie 
13  être  quelque  chofe  de  bien  extraordinaire 
3i  pour  vous.  Réjouiflez -vous  plutôt  de  ce 
j>  que  vous  participez   aux   fouffrances  de 
"  J.  C.  pour  être  un  jour  comblé  de  joie  dans 
i>  la  manifeftation  de  fa  gloire.  Si  vous  fouf- 
>*  frez  des  injures ,  des  affronts,  des  outra- 
»  ges  pour  fon  faint  nom  ,  vous  êtes  vérita- 
5J  blement  heureux  ,-  parce  que  l'honneur, 
«  la  vertu  &  l'Efprit  de  Dieu  repofent  fur 
»  vous.  C'eft  ce  myftere  que  S.  Paul  vouloir 
"  uniquement  fçavoir,  quil  prêchoit  par- 
»>  tout ,  qu'il  pratiquoit  encore  mieux  j  Se  à 
>»  la  vue  duquel  il  difoit  :  A  Dieu  ne  plaifc 
«  que  je  me  glorifie  en  autre  chofe  qu'en  la 
3*  croix  de  J.  C.  C'eil:  ce  thréfor  ,  dont  la 
ij  découverte  û  defirée  ,  fi  recherchée  par 
»»  S.  André,  lui  faifoitdire:  O  bonne  Croix, 
5>  avant  que  mon  Saveur ,  fe  fût  repofé  fur 
>*  vos  bras,  votre  feule  idée  rempliiToit  de 
w  frayeur  ;  mais  aujourd'hui  que  Ces  mem- 
"  bres  précieux ,  comme  de  riches  perles  , 
»>  vous  ont  fervi  d'ornement ,  ôc  que  fon  di- 
»  vin  corps  vous  a  confacréc ,  vous  n'avez 


ï* 


45<^  'L  A  ^V  I  î 

Son    *•  pliisque  des  attraits  pour  ceux  qui  coït- 

ardeur  „  noifleiit  votre  vertu.   Daignez  donc   me 

mépris  ]  **  recevoir ,  rendez-moi  à  mon  cher  Maître , 

&c.        >3  afin  qu'à  l'aide  de  votre  ombre  je  puifle 

"  aller  à  celui  qui  m'a  racheté  par  votre 

>*  moyen. ^» 

Ainfi  parloit  le  grand  Archidiacre  :  mais 
on  peut  dire  de  lui ,  comme  il  ledifoit  il  n'y 
.    a  qu'un  moment  de  S.  Paul ,  que  la  pratique 
alloir  chez  lui  bien  au-delà  des  exprciTions. 
Il  n'avoit encore  que  douze  ans,  lorfqu'une 
lumière  fupérieure  lui  fit  connoître ,  que 
dans  cette  vallée  de  larmes  il  n'y  a  pour  un 
Chrétien  de  folide  bonheur  que  celui  des 
fouffrances.  Depuis  ce  moment  jnfqu'au  der- 
nier de  fa  vie  il  n'a  cefTé  de  foupirer  après 
les  croix  ,  Ôc  de  demander  à  Dieu  des  humi- 
liations ,  des  douleurs ,   des  afflidions  de 
toute  erpéce.Il  a  été  très  amplement  exaucé; 
ôc  peut-ctre  auroit-on  de  la  peine  à  trouver 
dans  les  fiécles  partes  un  Miniilre  de  J.  C. 
qui  ait  été  plus  perfécuté  que  lui ,  plus  pro- 
fondément humilié,  plus  raflafié  d'opprobres 
Se  d'infamies-,  ajoutons  ,  ôc  qui  air  tout  fouf- 
fert  avec  plus  de  confiance,  plus  de  paix, 
plus  de  reconnoiiXmcc ,  plus  de  farisfadion. 
C'cfl  trop  peu  dire  encore-,  ôc  pour  rendre 
le  cœur  de  Boudon ,  il  faudroit  ou  inventer 
de  nouveaux  termes ,  ou  appliquer  avec  une 
juflc  précaution  au  Difciple ,  ce  que  Tertul- 
lieil  a  dit  du  Maître ,  qu'il  s'engraifla  du  plai- 
fîr  des  foufTrances:'  Siginatus  volupîatepa- 
tiend'h  Et  que  dire  de  moins  d'un  homme  ^ 

qui 


pour      le 


DE  M.  BouDON.  Lrv.  Itr.        417 
iquî  auroit  pu  prendie  le  ciel  à  témoin ,  que     S«» 
le  comble  de  fa  joie  eue  été  d'être  abandonné    "'^^"' 
de  toute  la  terre ,  traîné  fur  la  claie  ,  &  con- 
duit à  un  gibet ,  pour  y  mourir  dans  le  fang  ,  ^"^ 
dans  les  larmes  ôc  dans  l'ignominie. 
:    C'étoit  donc  fans  effort ,  c'étoit  de  fourcc 
qu'il  écrivoit  à  une  perfonne ,  dont  la  pa- 
tience étoit  rudement  exercée  :  «  Qu'il  eil 
"  bon  ,  ma  chère  Fille,  qu'il  eft  doux  ,  qu'il 
V  eft  avantageux   que  les    créatures   nous 
"  quittent ,  qu'elles  ne  nous  faficnt  aucun 
»'  bien ,  qu'elles  nous  caufenr  du  mal,  qu'el- 
»'  les  ne  nous  donnent  aucun  repos  exté- 
»  rieur  ;  puifque  tout  cela  nous  fait  arriver 
^  à  Dieu  feul ,  Ôcc.  » 

C'e/1  par  ce  fentier  û  dur  ,  û  raboteux , 
que  le  faint  homme  eft  arrivé  à  ce  bienheu- 
reux terme.  Il  a  eflliyé  prefque  rous  les  gen- 
res d'épreuves  qu'un  homme  de  fon  cara- 
dere  peutefluyer;&  la  Providence  a  réuni 
en  lui  feul  ,  parce  qu'elle  connoiflbit  fçs 
forces, ce  qu'elle  a  coutume  de  partager  en- 
cre plufieurs,  parce  qu'elle  connoît  &:  qu'elle 
ménage  leur  foibleiïe. 

Il  a  fouffert  du  côté  des  biens  de  la  for- 
tune i  &  dans  (a  jeunefie  ,  où  privé  de  fa  lé- 
gitime ,  il  fe  vit  fouvent  réduit  à  une  hon- 
teufe  mendicité  -,  &  dans  un  âge  plus  avancé  , 
où  il  manqua  de  pain  plus  d'une  fois,  lors- 
que furpris  par  l'infirmité ,  il  étoir  obligé  de 
garder  la  chambre  -,  ôc  dans  Ces  grandes  ma- 
ladies ,  où  il  ne  vouloit  ni  douceurs  pendant 
k  jour ,  ni  perfonne  qui  le  veillât  pendant  U 

Y 


45^  Ia  ViH 

9^    nuit  i  fous  prétexte  qu'il  étoît  pauvre  ,  ^ 

pour^*^  k  ^^  ^^5  pauvres  n'orn:  ni  gardes ,  ni  dou- 

mépris ,  ceurs. 

*^*^'  Il  a  fouffert  dans  fa  réputation.  On  n'a  pas 

oublié  que  pendant  une  longue  fuite  d'an- 
nées ,  il  fut  l'opprobre  du  monde  ,  le  jouet 
de  la  plus  vile  populace  ,  l'objet  du  mépris' 
de  ceux  mêmes  qui  faifoient  profeflion  de 
vertu.  Quelle  plus  horrible  lîtuation  quc- 
celle  d'un  Prêtre  ,  dont  le  nom  feul  efl:  un 
fcandale  ^  qui  traîne  l'ignominie  de  ville  en 
ville  j  qui  à  Angers ,  où  il  avoir  eu  beau- 
coup d'amis  ,  ne  trouve  qu'avec  bien  de  1* 
peine  une  maifon  où  l'on  daigne  le  rece- 
voir -,  qui  à  Paris  n'a  pour  retraite  dans  l'ac- 
cès d'une  fièvre  violente  ,  que  le  dernier 
étage  d'un  pauvre  ouvrier-,  &qui  femblabîc 
en  quelque  forte  à  la  colombe  au  fortir  de 
l'arche ,  ne  trouve  pas  fur  la  terre  un  liea 
eu  il  puifTe  mettre  le  pied  !  -' 

Il  a  fouffert  de  la  part  de  fes  amis  ,  qui  au 
fbrt  de  fa  pcrfécution  l'abandonnèrent  pres- 
que tous ,  les  uns  par  crédulité  ,  les  autres 
par  politique ,  plufieurs  par  une  timidité  dé- 
placée. Mais  ce  qui  dut  le  toucher  infini- 
ment ,  ce  fut  la  conduite  d'un  homme  avec 
qui  il  avoir  eu  les  plus  intimes  liaifons  de 
grâce  &  de  falut.  Il  étoit  au  fait  de  la  vie  du 
faint  Prêtre.  Il  avoir  enmaindequoi  décon- 
certer fes  calomniateurs.  Un  mot  de  fa  parc 
eût  jette  la  terreur  parmi  ces  ouvriers  d'ini- 
quité ,  qui  ne  craignoient  rien  plus  que  de 
le  voir  arrivera  Evreux.  Il  y  parut  enfin; 


DE   M'.   BOUDONT.  Liv.  IIÎ.       4^5 
mais  frompë  par  une  dévore  a  révélarions     ^» 
prétendues ,  il  crue  qu'il  valoir  mieux  aban-   l'^^^""]^ 
donner  four  au  jugement  de  Dieu  ,  que  de  n^ris  , 
venger  la  caufe de  l'innocent  perfécutc.  Dans  ^^• 
la  fuite  il  reconnut  Ton  erreur ,  ôc  l'hypo- 
crifie  de  fa  pénitente.  Mais  îe  feu  qu'il  eût 
pu  facilement  éteindre  dans  fa  naiffance, 
étoit  alors  trop  vivement  allumé.  Ses  efforts 
foibles  &  hors  de  faifon   firent  moins  de 
bien  ,  que  fon  filence  n  avoit  fait  de  mal  :  la 
calomnie  déjà  accréditée    fe  répandit  par- 
tout ,  ôc  iit  ces  prodigieux  ravages ,  dont  le 
détail  nous  a  fi  fouvenr  affligés. 

Si  cette  conduite  toucha  l'Archidiacre, ce 
ne  fut  que  parce  qu'elle  offenfoit  Dieu  en 
bleffant  la  jurticc.  Pour  lui ,  il  y  trouvoit  fon 
compte,  parce  qu'il  y  trouvoit  de  quoi  fouf- 
fïk-yôc  ce  fut  dans  cette  occafion  qu'il  s'é- 
cria: «  Heureufe,  (Se  mille  fois heureufe  la- 
»  me  à  qui  Dieu  fcul  fuffir  :  car  pour  pea 
»'  que  la   créarure  ait  d'entrée  dans  notre 
»*  cœur  ,  nous  ne  fommes  jamais  en  repos  j 
>*  &  ce  repos ,  toutes  ks  adverfités  du  mon- 
*>  de  ne  peuvent  le  troubler  dans  un  cœuE 
»'  qui  ne  veut  que  Dieu  feul.  Hélas  !  cepau- 
»'  vre ,  ce  miférable  cœur,  cft-il  trop  grand 
'^pour  un  Dieu,  pour  le  parrager  encore 
»>  avec  les  créarures. . . .  C'eft  donc  une  grâce 
»'  ineftimable  que  nous  fair  le  Seigneur ,  lors* 
»»  qu'il  nous  donne  des  occafions  de  lui  mar-» 
»>  quer  que  nous  ne  voulons  que  lui.  Ahi 
»  pour  lui  rendre  ce  grand  ai  parfait  témoi* 
>'  gnage,il  faut  nous  détacher  des  bonscoon 
w  me  des  autres.  »*  V  Ij 


u 


4^0  La    Vie 

'^o'^  II  a  fouffcrt  dans  fon  ame  des  douleurs  l 
p^u/"ie  ^^^^^  ^^  fentiment  11  appartient  qu'aux  juftes  ; 
wèpris ,  &  qui ,  comme  le  Sauveur  ,  le  faifoient  en-» 
ficc.  j^çj.  çj^  agonie  ,  à  la  vue  des  fcandales  donc 
le  torrent  inonde  la  terre.  Uniquement  épris 
de  Tamour  de  Ion  Dieu  ,  toujours  prêt  à  fa- 
crifier  mille  vies  pour  la  gloire  de  celui  qui 
a  facrifié  la  fienne  pour  notre  falur ,  il  ne 
voyoit  qu'en  frémiiïant  le  fang  adorable  de 
J.  C. couler  en  pure  perte,  réellement  fur  le 
Calvaire  ,  myftiquement  fur  nos  Autels.  Ces 
pleurs ,  dans  le  torrent  defquels  on  l'a  fur- 
pris  ,  c'étoic  la  ftupidité  ,  Tingratitude ,  l'a- 
veuglement des  hommes  qui  les  lui  faifoient 
répandre.  «Hé!  comment,  difoit-il ^  com- 
w  ment  méditer  tant  de  charité  d'une  part, 
^>  ôc  tant  d'infenfibilité  de  l'autre,  fans  être 
y»  accablé  de  douleur.  Une  feule  ame  vaut 
>'  mieux  que  toutes  les  couronnes  de  la  terre: 
»>  elle  mérite  plus  de  foins ,  plus  de  travaux , 
>^  que  tout  ce  qui  eft  l'objet  de  nos  plus 
»y  grands  cravaux  &  de  nos  plus  grands  foins  : 
«cependant  combien  s'en  perd-il  tous  les 
w  jours  ?  Jam^ais  fujct  ne  mérita  plus  de  lar- 
»>  mes ,  que  les  tourmens  ôc  la  mort  de 
9J  l'Homme- Dieu  :  néanmoins  il  défend 
oi  qu'on  pleure  fur  lui  ,  parce  qu'il  compa- 
»  roit  fa  mort  ôc  Ces  douleurs  ignominieufes 
9>  à  la  perte  dçs  âmes  -,  Ôc  qu'il  regardoit  cel- 
w  le-ci  comme  le  plus  déplorable  objet  de 
V  nos  foupirs.  Comment  donc  cette  perte 
•3  ne  tireroit-elle  pas  de  nos  yeux  des  mis- 
)f  féaux  abondans ,  pcndanc  que  pour  l'era- 


î>i  M.  BouDON.  Liv.  ÎÎL      4^1 
^>  pécher ,  le  Fils  de  Dieu  verfc  de  coût  fon     Sori 

'^  j  '  j     r        •.  ardeur 

>*  corps  des  torrens  de  lang  ?  pour    le 

Quelquefois  emporté  par  une  ardeur  qui  mépris  , 
tenoit  de  celle  des  enfans  du  tonnerre ,  il  ^^' 
fembloic  vouloir  hâter  la  tardive  vengeance 
du  Ciel  :  mais  bientôt  l'excès  de  fa  douleuL* 
x:édoit  à  l'excès  de  fatendreflei  &  après  avoic 
commencé  par  des  reproches  ,  comme  le 
premier  Martyr ,  il  finiflbit  comme  lui  par 
des  vœux  ôc  par  desdcfirs  enflammés.  "  Le- 
«  vez-vous ,  Seigneur  ,  difoi:-il ,  prenez  vo- 
»  trecaufe  en  main  ,  défendez  vos  intérêts. 
w  II  eft  tems  que  l'homme  connoifle  lenor- 
»•  mité  des  outrages  qu'il  vous  fait,  ôc  qu'il 
"  fçache  qu'il  y  a  un  Dieu  en  Ifrne'l.  Mais 
"  plutôt ,  ô  mon  Sauveur ,  apprenez-lui  par 
*'  les  larmes  que  vous  avez  données  à  fon 
.wame,à  pleurer  fa  perte  avec  des  regrets 
3i  inconfolables.  » 

EnfinBoudona  fouflPert  dans  fon  corpf. 
De  longues  maladies,  des  douleurs  cuifantesj 
des  maux  compliqués  l'ont  cent  fois  fait 
mourir,  pendant  qu'il  vivoit  encore.  Mais 
cette  mort  qui  affligeoit  la  vidime  toute  en- 
tière ,  &  ne  l'enlevoitquepar  parties,  étoit 
félon  lui  une  dernière  benédidion ,  que  Dieu 
ajoutoit  à  celles  dont  il  l'avoit  jufques-là 
comblé.  A  la  vue  de  ce  bois  facré ,  qui  eft  le 
glorieux  ctendart  ,  au  pied  duquel  J.  C. 
réunit  tous  fes  foldats,  l'homme  de  Dieu, 
toujours  plus  fort  à  mefurc  qu'il  s'affoiblis- 
foit  davantage ,  s'écrioit  avec  autant  d'a- 
paour  que  de  confiance  :  ««  Il  ne  faut  pa5 

V/i; 


ardeur 
"pour     le 


461  1a    Vie 

Son  „  i-jQus  contenter  de  dire  ôc  d'écrire  ,  Diek 
feul ,  il  faut  qu'il  en  coûte  encore  :  il  faut 
«riépris  ,  »  tout  fouffiir,  tout  donucr ,  tout  abandon- 
^^'  »'  ner ,  afin  que  Dieu  règne  en  nous. ...  Je 
aj  fouffre ,  il  eft  vrai ,  &  la  nature  pâtit  : 
'>  mais  qui  dit  tout  n'excepte  rien.  Et  com- 
»  ment  être  uni  à  notre  Seigneur  fans  fouf- 
^>  fiir  ,  puifqu'il  a  toujours  fouffert  pendant 
^  fa  très-falnte  vie ,  &  que  c'cfi  pour  cela 
»>  qu'il  a  été  appelle  l'homme  de  douleurs. 
*»  Il  faut  donc  néceflai rement  foufFrir  ,  &  de 
"  la  manière  qu'il  lui  plaît.  C'efl-là  porter  fa 
«  croix ,  comme  il  nous  l'ordonne  -,  c'eft  à- 
»  dire  ,  la  croix  qu'il  nous  a  préparée  ,  5c 
i>  celle  qu'il  veut  que  nous  portions.  « 

Toutes  fes  lettres ,  toutes  fes  paroles  por- 
toient  l'empreinte  de  la  reconnoiffancc  ,  de 
la  joie  même  avec  laquelle  il  fouffroit.  »Vo* 
w  tre  charité  vous  prefTe ,  écrivoit  -  il  à  un 
»>  ami ,  de  fçavoir  l'état  où  la  divine  Provi- 
»  dence  me  met.  Il  eft  toujours  plein  d'in- 
»•  commodités  qui  augmentent.  Les  Saints 
9>  dormoient  peu ,  veilloient  beaucoup,  pra- 
*»  tiquoient  de  grandes  mortifications.  11  y  a 
i>  apparence  que  dans  l'âge  avancé  où  je  fuis, 
»>  on  ne  m'auroit  pas  confeillé  de  fuivre  cet 
«  exemple.  La  Providence  y  a  pourvu  :  Je 
«  veille  ,  je  fouffre  ,  je  pafle  les  nuits  comme 
»*  les  jours ,  prefque  fans  dormir.  Je  ne  puis 
3J  prefque  manger  ni  viande  ,  ni  poiffon  ,  8c 
»>  quelquefois  je  fuis  jufqu'à  quatre  heures 
9»  après  midi  fans  avoir  pris  aucune  nonrri- 
'»  cure.  Mais  je  ne  vous  parle  de  mes  maux  , 


DE  M.  BouDON.  Liv.  m.  4^5 

w  que  pour  vous  parler  de  mes  biens.  Car     Soo 
«  c'eft  de  la  forte  que  je  confidcre  mes  pei-  pout^^'i^ 
»>  nés  :  oui  ce  font  de  très-grands  biens ,  que  mépris  « 
9»  h  Providence  me  fait  endurer  par  une  mi-  ^^* 
9i  féricorde  finguliere. . ,  Ah  !  qu'ai- je  fait , 
w  à  mon  Dieu,  à  mon  Rédempteur,  pour 
»  me  gratifier  avec  tant  d'abondance  ?  « 

Mais  duflîons-nous  ennuyer  ceux  que  le 
fculnomde  foufFrances  effraye  ,  il  faut  que 
nous  l'entendions  encore  une  fois  difcourir 
au  long  fur  cette  matière.  Quand  nous  ne 
fçaurions  pas  du  célèbre  M.  de  Levis ,  Ar- 
chidiacre de  Chartres  ,  que  c'eft  fon  propre 
tableau  que  l'homme  de  Dieu  a  crayonné  j 
les  circonflances  du  tcms  où  il  écrivoit ,  3c 
les  rapports  connus  de  fes  paroles  avec  fou 
Hirtoire  nous  l'apprendroient  affez.  Voici 
donc  fes  fentimens  :  Je  ne  me  lafferai  jamais 
(de  demander ,  û  un  parfait  Chrétien  peuc 
«n  avoir  de  plus  généreux. 

««  Parmi  les  confolations  &  les  douceurs 
»  que  le  ciel  communique  quelquefois  avec 
-«  abondance  ,  on  peut  bien  dire  avec  le  di- 
»>  vin  Xavier  :  Cefi  ajfez.  ,  Seigneur ,  c'efi 
«  ajfez.  :  puifqu'il  eft  vrai  que  la  vie  préfente 
**  n'eft  pas  le  lieu  ,  où  Ton  doive  jouir  des 
"  plaifirs  céleftes.  Mais  il  efl  bien  jufte  de 
P  dire  avec  le  même  faint ,  quelque  accablc- 
jj  ment  de  peines  qu'on  puiflTe  porter  :  En^ 
»»coreplus  ,  Sàgneur,  encore  plus.  Cela  eft 
«  bien  difficile  à  concevoir  aux  mondains  & 
»>  aux  âmes  lâches.  Cependant  il  eil  vrai  que 
p»  l'union  avec  notre  Seigneur  donne  une  toi^ 

Viv 


4^4  L  A   V  I  E 

Son  ,i  fi  ardente  des  croix,  que  tous  les  tourmcns 
pou/"  k  "  ^^  monde  ne  peuvent  defaltérer  une  ame 
tnéptis  ,  »  qui  en  ei\  preffée.  Si  elle  poire  la  croix  de 
**^'  y  la  pauvreté ,  elle  la  recherche  toujours  de 
w  plus  en  plus  avec  des  defirs  inexprimables  : 
^'  ôcfi  elle  fe  plaint ,  c'eft  toujours  de  n  être 
y»  pas  aflez  pauvre.  L'on  difoit  des  injures  â 
^>  un  ferviteur  de  Dieu  ,  fon  pauvre  cœur  en 
3>  étoit  tout  confolé  ;  mais  il  prioit  les  per- 
>*  fonnes  qui  le  traitoient  ainfi ,  de  lui  faire 
33  tous  ces  reproches  honteux  dans  une  place 
w  publique  ,  &  devant  tout  le  monde.  L'es- 
sj  prit  de  fouffrances  bannit  toutes  les  ex- 
>*  ceptions  que  Ton  veut  faire  de  certaines 
w  croix.  Le  cœur  véritablement  chrétien  elî 
j>  prêt  à  tout  ,  à  fouffrir  des  méchans ,  à 
3*  fou ffrir  des  gens  de  biens;  à  être  perfé- 
5»  curé  des  libertins  ,  ôc  même  des  perfonnes 
w  de  vertu;  à  être  rebuté  des  étrangers,  à 
yy  être  délailTé  de  fes  plus  proches  &C  de  Ces 
w  meilleurs  amis.  Il  fouffre  volontiers  dans 
»>  fes  biens  ;  il  efl:  bien  aife  de  fouffrir  en  fon 
}>  honneur.  Il  embrafle  les  peines  du  corps 
93  Se  de  refprit.  Il  ert:  content  d'être  crucifié 
»  par  les  hommes  ,  ôc  par  les  démons  ;  d'ê- 
93  tre  afflige  du  côré  du  ciel ,  auflî  bien  que 
'»  du  côté  de  la  terre.  Toutes  fortes  d'humi- 
yy  Hâtions  font  bien  venues:  elles  font  tou- 
33  tes  reçues  avec  honneur  ;  Ton  va  même 
>*au  devant  par  refpect.  Si  Ton  endure  une 
93  médifance  qui  fe  fait  parmi  quelques  par- 
>*  ticuliers  ,  on  en  reçoit  de  la  confolation  j 
y  mais  fi  l'on  eft  diffamé  par  quelques  Lvt 


nt  M.  BouDON.  Liv.  III.  4^5* 
>•  belles  qui  fe  répandent  dans  le  public,  l'on  ^^ 
»  en  a  une  joie  route  particulière.  Il  n'y  a  p^^^j^^^g 
"  point  d'ignominie,  telle  qu'elle  puiffe  être,  mépris  » 
>'  que  l'on  n'accepte  d'un  bon  cœur*  On  efi  ^c. 
"  ravi  de  pouvoir  dire  avec  rApôtre:  Nous 
>'  avons  été  par  toutes  fortes  de  miferes  un 
'^fpeclacle  au  monde ,  aux  hommes  &  aux 
"  Anges,  Difons  encore  qu'il  n'y  a  pas  de 
*'  joie  pareille  à  celle  de  devenir  la  fable  da 
»  monde,  l'opprobre  <\ç.s  hommes ,  &  l'ab- 
»^  jedion  du  peuple  j  à  fervir  de  jouet  dans 
"  les  compagnies  j  à  être  le  fujet  de  la  rail- 
'»  lerie  des  villes  entières  j  à  erre  cruelle- 
"  ment  déchiré  par  les  plus  outrageantes 
>'  calomnies  dans  les  Provinces  ,  dans  les 
'^  Royaumes  \  à  être  maltraité  de  tous  les 
«  côtés.  Mais  après  tout ,  il  faut  avouer  que 
"le  comble  de  la  joie  feroit  d'être  empri- 
>' fonné  , chargé  de  fers,  fauffemcnt  accufé 
•>  des  plus  grands  crimes ,  enfuite  condamné 
»•  à  la  mort ,  &  de  perdre  la  vie  fur  un  échaf- 
"  faud ,  dans  une  place  publique ,  an  milieu 
yy  d'une  grande  ville.  Je  fçais  bien  ,  continue 
w  ce  grand  fer  viteur  de  Dieu  ,  &  nous  avons 
y>  déjà  rapporté  ces  paroles  ;  Je  fçais  que  peu 
yy  de  perfonnes  goûteront  ce  genre  de  mort^ 
»f  mais  je  fçais  aufll  que  J.  C.  mon  Dieu  &: 
ii  mon  Maître, l'a  goûté  ,  ^  je  fçais  de  plus 
i>  qu'il  ne  peut  fe  tromper  dans  le  goût  des 
«  chofes.  Je  fçnis  que  ce  qu'il  trouve  bon  ell 
9>  bon  ,  quoi  qu'en  penfent  les  créatures  dont 
5'  le  goût  en  dépravé  par  la  corruption  du 
9> péché,  &c»»7 

Vr 


4^^  LaViï 

aSTr  ^^^^  furent  les  fenrimens ,  les  paroles ,  Tes 
pou/\  adions ,  les  admirables  vertus  du  grand  Ar- 
mépris  ,  chidJacred'Evreux.  Ainfi  vécut  cet  homme 
**^"  ir.imirable,  que  le  monde  n'étoic  pas  digne 
de  poOcder ,  ôc  qu'il  a  fi  cruellement  &c  û 
iniulicment  outragé.  Ses  vertus  ,  prefque 
portées  à  l'excès ,  feront  fon  apologie  dans 
tous  le>  fiécles  ;  &  1  equirabîe  polîeriré  ,  en 
bénifant  fon  nom  ,  lui  rendra  une  juftice 
que  (es  ennemis  lui  ont  conftamment  rc- 
fuite.  Le  ciel  mcme  a  déjà}  ris  fa  caufe  en 
main  j  &  fans  vouloir  piévenir  le  jugement 
de.rtgiife,  à  qui  feule  il  appartient  d'en 
connoirre  ,  on  peut  dire  que  depuis  long- 
tems  il  gî  rifiele  tombeau  de  fon  faim  par 
des  événcn-.ens  qui  femblent  tenir  du  pro- 
dige. Nous  en  dirons  un  mot  avant  que  de 
fxnir  cet  Ouvrage  -,  après  avoir  proteflé  con- 
formément au  décret  d  Urbain  VIII  que 
nous  fommes  bien  éloignés  de  vouloir  pré- 
venir le  jugement  du  faint  Siège  Apoiloli- 
C\i\Cy  â^  que  le  nom  dcS.iwr ,  quenous avons 
1S  fonvenr  donné  ,  8z  que  nou^  doni  erons 
peut  erre  encore  à  Henri  Marie  Boudon, 
ne  fe  prend  chez  nous  eue  dans  le  fens  fé- 
lon lequel  le  grand  Arô're  l'a  fi  fouvent 
attribué  aux  premiers  Fidèles. 

§.  XX.  Sa  Mràf^ef. 

9ti  mi-      Quoique  les  miracles  ne  foienr  pas  çîTctU 

lùciM.     rieîs  à  la  fainreré  ,  qui  c(ï  elle-mcme  le  pluf 

'  grand  des  miracles  ;  il  arrive  néanmoins  as- 

fcz  fouvciM  5  que  Dieu  difiinguepar  ces  trait» 


^rapïtns  deprcdileâiion  ceux  qui  fe  font  di-  Ses  m», 
ïlinguésdu  commun  des  Fidèles  par  une  vie  "'^^"* 
•éminemment  chrérienne.  Obfcurs  ,  incon- 
♦luSjfouventperfecutcs  pendant  qu'ils  éroient 
4ur  la  tene  -,  il  ed  de  Tordre  que  la  fouve- 
Taine  jullice  tire  le  voile  qui  les  a  fait  mé^ 
connoîrre  j  que  tandis  qu'on  foule  aux  pieds 
les  cendres  viles  de  ceux  qui  les  ont  méprît 
fés ,  les  fépulchres  glorieux  de  ces  amis  dt 
Dieu  prennent  le  defTus  ;  ôc  que  les  enfans 
humblement  profternés  y  réparent  par  learfi 
ibupirs ,  le  travers  6<  l'injuflice  de  leurs  pe* 
tes.  L'Hiftoirc  eccléfiallique  eft  pleine  d6 
Tnonumensqui  démontrent  cette  conduitt 
de  la  Providence.  L'hirtoire  du  grand  Archi- 
diacre d  Evreux  a  aufli  les  fiens  :  ôc  quellft 
confolation  pour  nous  ,  fi  une  main  atten- 
tive Se  fidèle  fe  fût  chargée  de  les  trans- 
mettre tous  !  Nous  nefupplécrons  àcevuide, 
ni  en  recourant  an  faux ,  ni  en  exagérant  le 
vrai.  Un  récit  fimple  de  quelques  événc- 
mens ,  où  le  doigt  de  Dieu  femble  s*être  en>- 
preint ,  nousfuffira.  Le  grand  Marre  que 
Boudon  a  fi  fidèlement  fervi ,  fçaura  bieti  ' 
un  jour  fortir  de  fon  fecret  -,  &  que  ne  fera 
pas  fa  magnificence  pour  un  homme  qui  a 
tant  fait  pour  lui?  Mais  il  ç(\  tems  d  encrer 
en  maiere  j  nous  Talions  faire  fur  leî  pas 
d'un  guide ,  qui  jufqu*ici  ne  nous  a  point 
trompé. 

On  a  remarqué  plus  d'une  fois  dans  la 
¥ie  de  Tbomme  df  Dieu  fenl ,  qu'un  de  Tes 
ptincipaux  calcns  fut  celui  de  guérir  les  pc*» 

Vvj 


Aè%     ^  La    Vie 

nés  intérieures  de  la  confcience:  maison  â 
pu  remarquer  en  même  rems  qu'il  le  faifoic 
trcs-fouvenr  avec  une  facilité  qui  n'efl.  don- 
née qu'aux  Saints.  Aux  exemples  oue  nous  en 
avons  rapportés  en  différcns  endroits ,  en 
peut  joindre  celui  d'une  Demoifclle  de  Li- 
moges ,  que  la  Providence  avoir  mife  dans 
cet  état  de  trouble  &  de  perplexité  ,  où  il 
n'y  a  pour  une  ame  affligée  ni  repos ,  nicon- 
folacion.  Elle  lut  le  LivrequeBoudona  conv 
pofé  à  l'honneur  des  SS.  Anges  \  &  bientôt  t 
je  ne  fçais  quel  preiTcntiment  lui  fit  juger  , 
qu'il  n'y  avoir  que  l'Auteur  de  cet  Ouvrage , 
qui  pût  adoucir  Çts  peines  &  calmer  fes  in- 
quiétudes. Elle  l'en  conjura  par  lettres.L'Ar- 
chidiacre  ,  à  qui  rien  ne  coutoit ,  dès  qu'il 
ctoit  queflion  du  falut  d'une  ame ,  vola  à 
fon  fecours.  Il  rendit  la  paix  à  ce  cœur  fî 
long-tems&fi  cruellement  agité.  Il  conti- 
nua par  des  lettres  pleines  de  lumières  & 
d'ondion,  ce  que  la  diftance  des  lieux  ne 
lui  permettoit  pas  de  faire  de  vive  voix  :  &C 
on  ne  tarda  pas  à  voir  cette  plante  que  les 
vents  avoient  prefque  déracinée  ,  produire 
des  fruits  admirables  de  fainteté  &  de  ju- 
nice. 

Ce  n'eft  pas  le  feul  bien  de  ce  genre  que 
ce  petit  Livre  ait  enfanté.  Les  Carmélites 
d'Anvers,  qui  le  firent  lire  au  Réfedoirc, 
écrivirent  au  faint  Prêtre  ,  que  Dieu  y  avoir 
attaché  une  fi  grande  bénédiélion ,  qu'un  bon 
nombre  de  Religieufes  s'étoient  fortifiées 
dans  la  vertu ,  &  que  les  autres  avoient  ccc 
délivrées  de  leurs  peines. 


DE  M.  BoucoN.  Liv.  HT.      4^9 
Mais  fi  cet  ouvrage  foulagea  les  peines  de    >^«  ^^î-î 
Ta  ne  ,  il  guérit  quelquefois  celles  du  corp'.  ^^^^'*'  ' 
La  Supérieure    des  nouvelles  Catholiques 
d'Angers  ,    étant   dangereufement    malade 
d'une  fluxion  de    poitrine  ,   accompagnée 
d'une    fièvre  violente  ,  fon  Directeur  lui 
confeilla  de  mettre  fur  fon  cœur  le  Livre 
de  la  dévotion  aux  neuf  Chœurs  des  Anges*, 
elle  obéit ,  &s'en  trouva  bien.  Au  moment 
même  elle  fut  foulagée  ,  de  peu  après  entiè- 
rement guérie.  Ce  fut  elle-même  qui  le  man- 
da au  ferviteur  de  Dieu  :  &  celui-ci  ne  marn 
qua  pas  d'en  rendre  ,  ôc  d'en  faire  rendre  la 
gloire  à  l'Auteur  de  tout  bien. 

L'enfer  même  toujours  défefpéré  ,  toi-f- 
jours  en  fureur  contre  les  faints  Anges,  a 
plus- d'aune  fois  rendu  hommage  an  Livre 
que  Boudon  a  confacré  à  la  gloire  de  ces 
bienheureux  Efprits;  &  Ton  fçait  par  des 
voies  aiïez  sûres ,  qu'en  le  mettant  entre 
les  mains  de  gens  chez  qui  le  Prince  des  té- 
nèbres faifoit  fa  demeure,  on  a  tout-à-coup 
arrêté  leurs  plus  violences  agitations. 

Mais  il  feroit  difficile  de  voir  rien  de  plus 
étonnant  en  ce  genre  ,  que  le  fait  que  nous 
allons  raconter  d'après  un  DoiSlcur  en  l'un 
ôc  l'autre  Droit ,  &  qui  éroit  encore  plus  re- 
commandablc  par  fon  infigne  piété  ,  qirc 
par  rétendue  de  fcs  connoilTances.  Comme 
il  s'agit  d'une  chofe  qui  s'cft  pafle  fous  Ces 
yeux,  il  n'y  a  que  l'incrédulité  qui  puiïïc  fc 
refufer  à  fon  témoignage.  Il  dir  en  fubftancc 
qu'un  Prêtre  ,  qui ,  par  la  permiiuon  de  foià 


470  La  Vf* 

S€ï  mi.  ÉvéqiTC  ,  exorcifoir  urc  fille  po/Iëdéc  ,'lui 
rades,  préftnra  rucceiTiveinenr  deux  Lerrres,  qu'elle 
n'avoif  jamais  ni  lues ,  ni  vues ,  ôcdont  Vimc 
venoit  d'une  Supérieure  ,  dont  les  nrœun 
étoient  aflez  déréglées-,  l'autre  de  M.  Bou- 
donqui  vivoir  encore.  A  l'applicarion  de  la 
première ,  application  que  je  ne  voudrois 
ni  juilifîer ,  ni  imiter ,  le  démon  témoigna 
fa  joie  ,  &  dit  tout  haut  en  préfencc  de  plu- 
fieurs  perfonnesde  confidération  &  d'une 
probiré  reconnue ,  que  cecte  Lettre  venoit 
d'une  perfonne  ,  dont  la  manieie  de  vivre 
réjouifîoit  bien  l'enfer  ,  Se  qui  y  auroir  bien- 
tôt une  place  diilinguéc  ,  fi  elle  ne  fe  con- 
vertiffoit  pas.  La  féconde  Lettre ,  qui  éroic 
celle  du  grand  Archidiacre  d'Evreux  ,  pro^ 
duifit  un  efTc'  bien  différent.  Dès  qu'on  l'eût 
appliquée  à  l'Energnmene  ,  le  démon  entra 
en  furie;  il  exhala  fa  douleur  par  des  criS 
terribles  &  de<5  hurletnens  afFreiix  :  Cette 
Zerfr- ,  dic-il  en  la  mcrtant  en  pièces,  v/>«r 
été  t^un  de  nos  pl'ts  grands  trjnemU ,  d'un 
homme  qui  rtouf  fan  enr  r^tr  L'afTembléc 
vouKu  fçavoir  ce  qucc'étoitquecet  homme 
fi  formidable  au  Royaume  de  Satan  -,  c^ 
perfonne  n'en  avoir  eu  connoiflance  :  l'Exor- 
ciile  ayant  déclaré  que  c'étoit  le  grand  Ar- 
chidiacre dEvreux ,  chacun  en  fut  très  édi- 
£é.  Le  comrpl^e  éroit  trop  fenfible  :  il  eût  été 
difficile  de  ne  le  pas  remarquer. 

Un  Ecclcfiaftique  ,  qui,  comme  celui  dont 
nous  venons  de  parler  ,  avo'-  lété  chargé  par 
/on  Piélat  y  de  foulager  une  aut£e  ûlle  pos^ 


DE  M.  BcvBOK.  tiv.  Tîî.       47  f 

fédéc  ,  ne  lui  eut  pas  plutôt  nommé  Heiui-  *^***** 
Marie  Boudon  ,  qui  n'éroit  mort  qi>€  depuis  ^ 
peu  de  temps  ,  que  le  démon  témoigna  ôc 
par  Tes  cris  ,  &  par  les  ér ranges  poiuires 
qu'il  fie  prendre  à  cette  pcribnne  affligée, 
combien  ce  m'ifcruhie  boUfiix  ,  c'el^  a  peu- 
près  le  nom  qu'il  donna  au  faint  Piètre  ,  le 
tourmentoit.  Ah,  s'écria- 1  ïX^mus  t'avons 
cruellement  vexé,  mais  à  préfem  tu  nous 
rends  bien  le  chanse,  O  vit  cachée^  ô  vie 
pauvre  ,  ôvie  crucifire,  que  tu  nous  (ft  infup* 
portable  I  Et  fur  ce  que  lExorciite  lui  de- 
manda s'il  s'ctoit  trouvé  à  la  mort  deThom- 
me  de  Dieu:  Oiti^  répliqua  t-il  en  jurantj 
Tnaij  ce  ntjï  quX  notre  confufivn  que  nous 
voU'yfomme    touvés  ;  &  nous  ferons  lim 

'  tfjut  notri  pojjible  pour  objcurcir  fa  m  moire, 
^  pour  qu'on  Pcublie  :  car  il  efl  un  Avocat 
bien  pnijant  auprès  de  votre  Dieu  pour  tous 
ceux  qui  ont  recours  à  Jen  interceffion,  Ceuse 
qui  l'ont  jt  injuf^ement  perjécuté  ^  ont  bien 
Tncîlfait  ;  Cr  H  y  en  :i  de]  i  quelques  uns  qui 
s*  in  [entent  dans  l'autre  vie  :  mai  s  quel 
bonheur  pour  Iw  (Savoir  pajfépar  de  fi  rudes 
éprtuves,  C\(}  le  patron  des  âmes  tra^iaiU 
lies  des  priâtes  intérieures.  Ici  Ton  pouvbk 
encore  dire  :  Etiamf  fis  pater  mendacii  , 
ver'tm  dix'fii, 

Eli  effet ,  c'efl  fur-tout  en  rendant  la  patx 
aux  confciences  les  plus  troublées ,  que  no- 
tre vertueux  Prêtre  a  maniferté  le  crédit 
qu  il  a  auprès  du  Seigneur.  Une  fille  dont  on 

'a  fagement  fupprirac  le  nom ,  l'éprouva  l'ao-^ 


,  47^    /  L  A    V  I  E 

*if^"^*  r.c:e  même  qu'il  plue  à  Dieu  d'appeller  à  In! 
fan  fervireur.  Tentée  du  plus  affreux  défef- 
poir  qu'on  puiffe  imaginer  ,  elle  avoic  refolu 
de  redonner  la  morr.  Déjà  après  s'érre  paiTé 
au  cou  un  cordeau  ,  quelle  avoir  attaché 
au  plancher  de  la  chambre  -,  elle  avoit  un 
pied  en  l'air ,  &  fe  dirpoloir  à  renverfer  de 
l'autre  la  chaife  fur  laquelle  elle  étoit  mon- 
tée ,  lorfque  par  une  fecrerte  difpofirion  de 
îa  Pros'idence  ,  Tes  yeux  égarés  tombérenc 
fur  une  image  de  M.  Boudon,  que  fon  Con- 
felTeur  lui  avoit  donnée.  Ce  falutaire  regard 
joint  à  ces  paroles ,  intérieurement  ,  mais 
diftinflement  entendues  :  .Malheureufe ,  que 
va f-t  14  faire  :  ce  regard^dts  je,fut  pour  elle  ce 
qu'avoitcté  aux  irraeliiesdaiis  le  défert  Tas* 
pe&tduferpentd'airain.Rendueàelle  même» 
elle  prit  de  meilleurs  fentimcns  -,  &  fon  Di- 
recteur à  qui  elle  eut  la  fagefie  3c  le  courage 
de  découvrir  fur  le  champ  fa  tragique  his- 
toire ,  la  confola  &  lui  rendit  la  paix. 

Quelque  envie  que  i'aye  de  finir  ,  je  ne 
puis  me  difpenfer  d'indiquer  au  moins  cer- 
tains faits ,  qui  prouvent  que  le  faint  Prêtre 
cft  encore  anjourd  hui  l'afyle  de  ceux  qui 
fouffrenr,  àc  q^-ii  réclament  fa  protection. 
Ce  fut  pour  l'avoir  fait  avec  confiance  ,  que 
Julire  le  Roi ,  qui  ne  pouvoit ,  fans  de  vives 
douleurs,  appuyer  à  terre  un  pied  qu'elle  s'é- 
toit  blcflc  ,  fut  guérie  après  l'avoir  enveloppé 
pendant  neuf  jours  d'un  morceau  de  linge 
qui  avci:  été  trempé  dans  le  fang  de  M.  Boa- 
don  après  fa  mort.  Ce  fut  encore  par  la 


DE  M.  BouDON.  Liv.  m.  475 
même  opération  que  la  Demoifelle  Mar-  ScsmU 
guérite  Dufour  fat  en  1705  ,  délivrée  d'un  '^^^^^* 
horrible  crachement  de  fang  ,  dont  elle  fut 
furprife  étant  fur  le  point  d'aller  de  Paris  à 
Evreux,  pour  honorer  le  tombeau  du  ver- 
tueux Archidiacre.  Mais  ce  qui  arriva  à 
Ville-Juif,  a  quelque  chofe  de  plus  frapanr. 
Une  fille  âgée  de  30  ans,  ou  environ  ,  éroic 
û  mal ,  qu'elle  avoir  reçu  les  derniers  Sacre- 
mens.  Son  ConfefTeur  ,  qui  la  vovoit  de 
tems  à  autre  pour  la  fortifier  dans  ces  der- 
niers momens ,  l'engagea  par  une  inipira- 
tionfubite,  à  invoquer  le  grand  Archidia- 
cre ,  de  à  faire  vœu  de  rendre  grâces  à  la  di- 
vine Majelté  ,  des  bénédidtions  dont  elle  a 
comblé  ce  faint  Prêtre.  La  malade  ,  qui  é'oin 
pleine  de  vertu  ,  y  confentir.  Sa  confiance 
fixa  ,  fur  fes  lèvres  mourantes  ,  fon  amc 
prcte  à  s'envoler.  Dès  que  par  les  ordres  de 
ion  Directeur  on  lui  eut  appliqué  un  linge 
trempé  du  fang  de  M.  Boudon  ,  elle  fe  trou- 
va foulagée  ,  ôc  peu  après  entièrement  gué- 
rie. C'eft  ,  dit  un  des  Hiiloriens  du  faint 
Prctre  ,  c'elT:  ce  même  ConfefTeur  ,  qui  nous 
a  lui-même  appris  ce  fait ,  où  il  eil  dirficiic 
de  mécoftnoitre  Topération  de  Dieu. 

Mais  on  peut  dire  qu'elle  s'eil  peînre 
d'une  manière  plus  fenfiblc  en  la  perfonne 
"delà  Comteiïe  de  Perfi.  Cccre  Dame  érort 
depuis  trois  mois  accablée  d'une  complica- 
tion de  maux.  Une  infomnic  perpétuelle , 
un  vomifTement  qui  chaque  jourduroit  des 
*"çinq  à  fix  heures ,  une  impuiilance  aux  fon-. 


474  La    Vie 

Ses  mi-  dHons  naturelles ,  qui  croit  cauféc  par  l'in-t 
rades,  jei-pofition  d'un  corps  étranger ,  les  douleurs 
mortelles  qu'un  état  û  violent  traîne  après 
foi,  les  hauts  cris  que  ces  douleurs  arra- 
chent à  la  plus  intrépide  patience  -,  voilà  en 
fubftance  la  triftc  pofition  de  cette  femme 
affligée.  Ce  n'étoit  même  là  qu'une  partie  de 
£es  fouffrances  •■,  ôc  ily  avoir  trois  ans  que 
ne  pouvant  fe  confefler  à  TEglife  »  il  falloir 
que  fon  Diredeur  ,  avec  l'agrément  d'un 
grand  Vicaire ,  la  réconciliât  dans  fon  ap- 
partement. Le  bénéfice  du  tems,  qui  fait 
tant  de  chofe  ,  n'adoucit  guères  des  maux 
fi  multipliés.  La  Comrefle  en  fit  la  trille 
épreuve.  Le  jour  de  Noël  1703  ,  elle  fc 
trouva  fi  mal  ,  que  Ces  deux  femmes  de 
chambre  eurent  à  peine  le  loifir  d'entendre 
une  Mefle  bafle.  Ce  fut  encore  pis  le  der- 
nier jour  de  l'an.  Mais  on  peut  dire  que  le 
redoublement  de  fes  maux  fut  comme  le 
principe  de  fa  guéri  fon.  Livrée  à  fes  ré- 
flexions ,  la  malade  fe  fouvint ,  fur  les  trois 
heures  du  matin ,  qu'elle  avoit  reçu  d'une 
de  fes  amies  un  morceau  de  linge  qui  avoit 
touché  le  corps  de  M.  Boudon.  Elle  auroit 
pu  fe  reprocher  d'en  avoir  fait  afiez  peu  dp 
cas  3  ôc  de  l'avoir  mis  dans  un  tiroir  avec 
quantité  de  chofes  d'une  très-petite  confé- 
quence  ;  mais  enfin ,  devenue  fage  à  fes  dé- 
pens ,  elle  fçut  e/limer  &  refpecler  les  dé- 
pouilles des  Saints.  Elle  s'appliqua  ce  pré- 
cieux lambeau  j  &  dès  ce  jour ,  dès  ce  mo" 
piem^  dit- elle  dans  la  Lettre  qu'elle  écrivit 


DÉ  M.  BouDON.  tiv.  III.  475 
à  THiftorien  de  notre  Archidiacre  ,  par  or-  Ses  mî- 
dre  de  Ion  Confefleur  ,fai  cejjé  de  vomir  y  "^"'^ 
j'ai  pajfé  les  nuits  tranquille  &  dormant 
bien ,  ce  qui  ne  niétoit  'point  arrivé  depuis 
irQis  mois  ;  l'empêchement  des  fonclions  or- 
dinaires ne [uhfifte  plus  y  &  fai  la  liberté 
de  me  confejfer  à  l'Eglife  ,  comme  les  autres. 
Tous  ceux  qui  me  connoijjent ,  fo?n  dans  Vc- 
tonnement.  Les  uns  me  demandent  quel  re^ 
tnede  fai  fait  :  les  autre  i  difent  :  Alais  voilà 
un  grand  miracle.  Pour  moi  yje  penfe  comme 
ces  derniers  ;  &  il  nefl  pas  poffihle  de  s'y 
^éprendre. 

Au  relie  ,  cefaint  Prêtre,  qui ,  à  l'exem- 
ple du  Sauveur  ,  parcourut  pendant  la  vie 
tant  de  pavs  différens ,  pour  y  faire  du  bien, 
continue  après  fa  mort  à  en  faire  dans  un 
^rand  nombre  de  provinces  plus  ou  moiiis 
éloignées.  Et  que  ne  fera  point  dans  la  fuite 
un  homme  fi  rendre  ,  fi  compatiffant ,  pour- 
vu que  la  foi ,  la  confiance  ,  l'imitarion  de 
fes  vertus ,  fécondent  fes  bonnes  mteatioiis 
^  fon  crédit  auprès  de  Dieu. 


•^^ 


!47^  La   V  r  1 


DISSERTATION 

Hljlorique    &    apologétique  fur    les 
Ouvrages  de  M,  Boudon, 

(~^E  fut  dans  le  tems  du  loifir  forcé  dont 
^  M.  Boudon  fut  redevable  à  ia  fureur 
de  (ts  ennemis  ,  que  ce  digne  Prêtre  ,  qui 
a  voit  déjà  publié  quelques  petits  Ouvrages, 
en  donna  de  nouveaux  ,  qui ,  fuivis  prefque 
d'année  en  année  d'un  bon  nombre  d  autres, 
lui  alTurentun  rangdillingué  parmi  les  Au- 
teurs Arectiques.  Comme  les  vrais  Saints, 
fous  quelque  rapport  qu'on  les  cnvifage  ,. 
font  toujours  de  grands  modèles-;  Boudon  > 
qui ,  dans  le  cours  de  fon  Hifloire  nous  a 
inliruits  en  qualité  d'étudiant  ,  de  Séculier  , 
de  Prêtre,  de  grand  Archidiacre,  &cc.  ne 
peut  manquer  de  nous  initruire  en  qualiei 
d'Ecrivain.  Ce  n'eft  pas  que  nous  préten- 
dions faire  une  analyfe  raifonnée  de  fes 
Ecrits:  ils  font  en  fi  grand  nombre,  qu'un 
ju/ie  volume  n'y  fuffiroit  pas  -,  &  d'ailleurs 
nous  travaillerions  en  pure  perte  ,  &  pour 
ceux  qui  les  lifent ,  parce  qu'ils  les  trouvent 
toujours  trop  courts  j  &  pour  ceux  qui  ne 
les  lifent  pas  ,  parce  qu'un  abrégé  ,  qui  de 
lui-même  eft  fec  &  décharné  ,  ne  leur  en 
donneroit  pas  une  ju/le  idée.  Notre  delTein 
eft  donc  uniquement  de  faire  connoître  en 
deux  mots  par  quel  cfprit  &  dans  quels  kïi-:^ 


CE  M.  BouDON.  Iiv.  TII.      477 

tïmens  il  travailloir.  Nous  tâcherons  enfiiite 
d'examiner  ,  fi  les  reproches  qu'on  lui  a 
faits  de  teins  en  tems  ,  font  bien  fondés. 

Et  d'abord  ,  ce  ne  fut  ni  l'envie  de  fe  Caire 
un  nom  ,  ni  l'efprit  de  critique,  ni  l'appas 
de  l'intétêt  qui  le   déterminèrent  à  écrire. 
Ces  motifs ,  qui  plus  d'une  fois  en  ont  fait 
agir  d'autreS;ne  pouvoient  avoir  lieu  chez  un 
homme  ,  qui  facrifioit  £a  réputation  à  la 
calomnie  \  qui  ne  dit  jamais  plus  de  bien , 
que  de  ceux  qui  lui  firent  plus  de  mal  :  qui , 
pauvre  par  choix  ,   ne  connoiffoit  d'autre 
bonheur  qu€  celui  de  la  difette  de  du  befoin. 
Ce  fut  donc  la  vue  de  Dieu  ,  Se  de  Dieu 
fcul ,  l'ardent  defir  de  multiplier  les  adora- 
teurs en  efprit&en  vérité,  la  fainte  paflion 
de  gagner  des  coeurs,  à  celui  qui  feul  doit 
être  le  centre  &  le  terme  de  leur  amour  , 
qui  le  forcèrent  à  rompre  le  filence. 
-    Il  falloir  même  qu'à  chaque  Ouvrage  l'es- 
prit £aint  lui  fit  feiuir  par  une  impreHion  in- 
térieure, qu'il  agréoit,  ou  plutôt  qu'il  comT 
m  mdoit  l'entreprife.  «  Ce  feroit  avec  bien 
w  de  la  joie  ,  Monfieur  ,  écrivoit  -  il  à  un 
>'ami,   que  je   rravaillerois  fur  le  refpect 
9f  que  doivent  les  Fidèles  aux  Saints  de  la 
»3  primitive  Egli fc  ,  qui  ont  été  nos  pères 
9>  dans  la  foi  :  car  j'ai  beaucoup  d'inclination 
9>  pour  un  pareil  Ouvrage.  Mais  je  ne  dois 
9t  point  écrire ,  &  je  ne  le  fais  jamais  que 
yy  par  un  mouvement  de  grâce  j  &  ce  mou- 
V  vement ,  notre  Seigneur  ne  me  la  point 
»>  encore  donné ,  pour    traiter  cette  ma-; 


47^  L  A  V I E     "  " 

»»  tiere.  »  Il  répète  la  même  chofc  en  qncî- 
ques-uns  de  fes  Livres  ,  comme  dans  celui 
de  la  Dévotion  aux  SS,  Anges  y  où  il  pro* 
relie  qu'il  ne  Ta  entrepris,  qu'après  en  avoir 
été  prefTé  intérieurement ,  à  ne  s'en  pouvoir 
défendre.  Ce  fut ,  comme  nous  l'avons  die 
ailleurs ,  par  ce  motif  qu'il  refufa  d'écrire 
la  vie  d'une  très-digne  Supérieure  ,  quoique 
toutes  (es  Filles  Ten  prialTenc  avec  beau- 
coup d'inftance. 

Il  cft  sûr  d'ailleurs  qu'on  ne  pouvoir  guè- 
rcs  écrire  dans  de  plus  grands  fentimens 
d'humilité ,  que  ne  l'a  fait  ce  faint  Prêtre. 
A  l'entendre  ,  vous  croiriez  que,  lorfqu'il 
fe  mettoit  à  l'ouvrage  ,  l'Ange  du  Seigneur 
faifoit  retentir  à  Çts  oreilles  ces  formidables 
paroles  :  "^  Vous fîed-ïl  bien  ,  'pécheur ,  d^ an- 
noncer mes  loix  ;  efi-ce  à  vous  à  publier  la 
prome/fe  que  fai  faite  à  ceux  qui  les  gar* 
dent.  Il  étoit  fi  plein ,  fi  pénétré  de  ces  fen- 
timens ,  qu'on  ne  peut  le  lire  fans  l'admi- 
rer ,  fe  confondre  ,  s'anéantir  avec  lui.  Mais 
comme  perfonne  ne  peut  mieux  nous  faire 
connoître  ce  qui  fe  paflbit  en  lui ,  que  lui- 
même  :  voyons  Se  pefons  ce  qu'il  en  dit 
dans  fon  Livre  de  la  Vie  cachée  avec  J.  C 
en  Dieu^"^ ,  qui  eft  le  fécond  ou  le  troifiéme 
de  ceux  qu'il  compofa  dans  le  rems  de  Ca 
difgrace.  «  Il  eft  affuré ,  ce  font  Ces  termes , 
>»  que  l'adorable  Jcfus  a  eu  le  plus  grand  ôc 

•  Peccatori  dixii  Deus  :  Quare  tu  enarra»  juftidas 
jpeas  ,  &c.  P faim.  ^9' 
••  Part.  I-.  cb»  j.  pa^.  j6. 


DE  M.  BoTJDON.  Ltv.  III.  47f 
»  le  plus  fort  efprir  qui  fut  jamais,  la  me- 
^  moire  la  plus  heuieufe  ,  le  jugement  le 
«  plus  folide  5  l'imagination  la  plus  par- 
»  faire. . .  Mais  il  eft  auiTi  certain  d'autre 
w  part ,  qu'il  a  caché  tous  c^s  dons  naturels 
•'d'une  manière  tout- à- fait  étonnante. 
-»  Quels  livres  divins  &  admirables  auroit-il 
w  compofés ,  s'il  avoir  voulu  écrire  ?  N'au- 
w  roir-il  pas  fait  des  ouvrages  céleftes  ?  Ses 
»>  penfées,  Tes  raifonnemens,  fes  lumières 
>'  n'auroient-elles  pas  été  capables  de  ravir 
w  d'admiration  &  d'amour  tous  les  cfprits 
î>  du  ciel  &  de  la  terre  ? .  . .  O  mon  adora- 
»  ble  Maître ,  je  me  trouve  ici  tout  couvert 
»  de  honte  &  de  confufîon  ,  quand  je  pcnfc 
»  à  cène  vérité.  Qui  fuis-je ,  moi ,  qui  écris 

»  de  vos  divins  Myfteres O  mon  Sei- 

»  gneur  ^  mon  Dieu,  je  vous  demande  par- 
«  don  de  la  hardiefie  que  je  prends  de  par» 
»  1er  de  vous.  Pardonnez  ,  mon  aimable 
w  Sauveur  ,  à  un  miférable  pécheur  ,  à  un 
»  chien  pourri ,  qui  ne  mérite  que  votre 
"  colère  &  les  fupplicesdes  damnés.  Je  prie 
»  mes  frères  &  mesfœurs  en  J.C.  quilironc 
r>  nos  petits  ouvrages ,  d'offrir  leurs  prières 
w  à  votre  fouveraine  Majeflé  ,  pour  m'en 
n  obtenir  le  pardon.  O  Anges  bienheureux, 
»&  vous  particulièrement,  Efprit  immor- 
»'  tel ,  qui  ht^  député  à  ma  garde  \  O  Saints 
»>  &  faintes ,  intervenez  pour  moi  auprès  de 
"  la  grandeur  infinie  de  notre  Dieu  ,  afin 
«  qu'il  ne  me  rejette  pas  de  fa  divine  pré- 
»fencc.  Efl-ii  donc  vrai  que  je  prenne  la 


jÇ^O  L  A    V  I  E 

»^  liberté  de  parlei  de  mon  Dieu  ,  moi ,  qiû 
9y  ne  fais  que  cendre  i^c  que  poufliere?  L'on  a 
»j  vu  dans  notre  fiéclc  ,pourfint'il ,  un  hom- 
'j  me  tout  de  grâces  &  de  lumières ,  doué 
3*  d'un  efprit  angélique  ,  le  feu  P.  de  Con- 
«  dren  ,  qui  étant  prefTé  d'écrire  ,  fit  cette 
»  réponfe  vraiment  chrétienne:  ^i  a  fu 
9»  jamais  plus  dignement  &  plus  faintement 
a  écrire  ,  que  Jefus  notre  Divin  Maître  ? 
9'  &  cependant  il  ne  Va  jamais  fait.  Après 
3i  cela  comment  voulez^  -  vous  que  f  écrive  ? 
»*  Cette  vérité  doit  bien  nous  empêcher  d'é- 
3J  crire  jamais  pour  paroître  ,  jamais  par 
?'  mouvement  de  nature  ,  jamais  que  pour 
»'  l'intérêrde  Dieu  feul  ^mais  il  faut  encore 
V  y  avoir  une  vocation  de  grâce ,  &c  que 
w  î'Efprit  divin  nous  le  faffe  faire.  »* 

La  conduite  de  l'Auteur  répondoir  chez 
Boudon  aux  fentimens  du  Chrétien.  On  ne 
trouve  dans  fcs  Livres ,  ni  Ayle  étudié,  ni 
diction  pompeufe  ,  ni  portraits  artifte- 
ment  travaillés ,  ni  périodes  heureufement 
cadencées ,  ni  ces  jeux  de  mots  ,  qui  amu- 
fenr  l'efprit  fans  effleurer  le  cœur.  «  C'e/1 , 
»'difoît-îly  qu'il  faut  avoir  horreur  ,  6c 
t*  une  horreur  extrême  de  ce  que  l'amour 
*^  propre  peut  mêler  dans  les  Ouvrages 
w  compofés  par  un  mouvement  de  grâce, 
»  comme  font  l'affcclation  du  beau  lan- 
>^  gage  ,  des  penfées  curieufes  ,  êc  chofes 
«  femblables.  C'eft  que  4e  règne  de  Dieu 
w  n'efi;  pas  dans  l'éloquence  de  l'homme, 
»>  mais  dans  la  vertu  de  Dieu.  C'efl  que  ce 

gi-and 


DE  M.  BouDON.  Liv.  m.  481 
T>  grand  Maître ,  dont  les  leçons  devroienc 
»  toujours  porter  leur  fruic ,  a  voulu  que  fa 
>•>  divine  parole  fût  écrite  d'un  ftyle  fîmple  , 
»  &  par  des  perfonnes  petites  aux  yeux  du 
"  monde  ,  pour  confondre  toute  la  fagefle 
"humaine,  ôc  renvcrfer  la  politique  des 
»  prudens  du  fiécle.  » 

Après  tour ,  ce'^ui  manque  à  ks  Ecrits 
du  côté  de  l'ornement ,  eft  bien  remplacé 
par  le  vrai,  le  folide  ,  le  touchant,  qui  en 
font  le  caractère.  S'il  n'enlève  pas  l'efpric 
par  àcs  penfées  riches  ôc  neuves ,  il  échauffe 
le  cœur,  il  humilie  l'amour  propre,  il  dif- 
iipe  les  ténèbres  que  le  péché  répand  dans 
Tame  ,  il  touche  ,  il  convertit  '^.  Par -tout 
c'eft  la  parole  de  Dieu  qui  triomphe  ,  c'eft 
la  vertu,  &la  feule  vertu  de  la  Croix  qui 
fe  fait  des  conquêtes.  En  général ,  il  femble 
qu'on  peut  dire  des  Ouvrages  du  grand 
Archidiacre  d'Evreux  ,  ce  que  M.  Marion  , 
célèbre  Dodeur  de  la  maifon  de  Navarre  de 
ProfefTeur  Royal,  a  dit  dans  fcn  approba- 
tion de  la  Vie  du  vénérable  F  ère  Jean  Chry- 
fojîome  :  «  Que  c'c(l  un  traité  de  Théologie 
"pratique,  où  chaque  Fidèle  peut  appren- 
"  dre  les  préceptes  trop  peu  connus  de  la 
"  perfection  chrétienne  s  une  cenfure  évan- 
"  gèlique ,  où  les  fçavans  de  ce  monde  pcu- 
»  vent  très-utilement  reconnoîtrc  leur  igno- 
"  rance  \  une  efpéce  de  miroir  ,  où  les  âmes 

*  C'eft  en  ces  propres  termes  que  m''en  a  écrit  M?-' 
dame  la  Marquife  de  C.  .  .  c'eft-à-dire  ,  une  Dame  <ju^ 
joint  un  efprit  fupérieur  à  une  haute  naiiTance, 


4?i  La    Vie 

»>  les  plus  parfaites  peuvent  découvrir  leurs 
«  défauts,  &  le  remède  efficace  d'une  va- 
»  nité  fubrile ,  qui  eft  la  perte  des  bonnes 
w  œuvres.  »  Il  ajoute  ,  &  nous  le  difions  il 
n'y  a  qu'un  moment  ,  que  «  l'Auteur  n'a 
>'  pas  prétendu  faire  des  pièces  de  Rhéto- 
•>  rique  ,  dont  le  plus  bel  ornement  con- 
«  fillât  dans  l'arrangemef^t  ôc  dans  le  choix 
«  des  paroles,  on  dans  un  ftyle  de  roman  ; 
"  que  parconféquent  l'homme  animal,  qui 
"  ne  prend  plaifir  à  lire  que  ce  qui  peut 
•»  l'empêcher  de  voir  fon  extrême  mifere , 
j>  ou  que  ce  qui  eft  capable  de  lui  mériter  le 
»  titre  de  bel  efprit  ,  n'y  trouvera  pas  beau- 
w  coup  de  fatisfadlion  ,  s'il  ne  fort  de  fon 
»»  état  par  le  fccours  du  faint  Efprit  j  »»  Mais 
il  dit  en  mêmctems,  ôc  cet  éloge  en  vaut 
bien  un  autre,  «  que  ce  pieux  Ecrivain  fe 
»>  fert  prcfque  toujours  du  texte  de  l'Ecri- 
»>  ture  pour  expliquer  fes  penfées  y  ôc  que  fa 
»  dodrine,  également  folide  ôc  falu taire,  n'a 
"  d'autre  but  que  celui  d'étouffer  le  vieil 
"  homme ,  ôc  de  procurer  à  Ces  Ledeurs  la 
M  vie  du  nouvel  Adam,  c'eft-à-dire  ,  de 
»  Jefus-ChriH:.  » 

Mais  une  approbation  fi  belle  ne  feroîr- 
clle  point  flatée?  Je  prends  le  Livre  pour 
en  juger ,  ôc  j'afTure  ,  fous  les  yeux  de  la 
vérité,  qu'à  l'ouverture  j'y  trouve  ces  pa- 
roles. (  partie  IL  chap.  1 1.  ) 

ft  Je  fens ,  ô  mon  Dieu  ,  que  mon  cœur 
»•  s'enflamme  au  dedans  de  moi ,  Ôc  qu'il  s'y 
*  allume  un  feu  pendant  que  je  médite  vos 


DE  M.  BourHDN.  Lrv.  III.  4S5 
>'  vérités  faintes.  Ma  langue  vous  dir ,  Sei- 
"  gncur  ,  faires  -  inoi  connoirre  ma  fin  ,  & 
»  quelcft  le  nombre  de  mes  jours,  afin  que 
"  je  fçachecequi  n^e  manque.  Je  vois  que 
"  vous  ave^  mis  une  courre  mefure  à  mes 
»  jours,  &  mon  être  eft  comm.e  le  néant  à 
»  vos  yeux.  Certes  tout  l'homme  vivant  efl 
*>  un  abyfme  de  vanité  j  car  Ihomme  pajTc 
»  comme  l'ombre  ,  &  c'ell  en  vain  qu'il  s'a- 
»  gite.  Mais  pour  moi ,  quelle  efl  mon  at- 
''tente  ?  N'crt-ce  pas  le  Seigneur  ?  Vous 
«  êtes  tout  mon  bien  êc  tout  mon  thréfor. 
»'  Ecoutez  ma  prière,  Se  ne  vous  rendez  pas 
»'  fourd  à  mes  larmes  :  Ne  demeurez  pas 
"  dans  le  filencc ,  parce  que  je  fuis  étranger 
»'&  voyageur  devant  vous  ,  comme  l'onc 
••  été  tous  mes  Pères.  Donnez-moi  quelque 

»  relâche  avant  que  je  m'en  aille Tirez- 

.  «  moi  du  fond  de  la  mifere  ôc  de  l'abyfme 
"  de  la  boue.  Affermiffez  mes  pieds  fur  la 
»>  pierre,  Ôc  conduifez  mes  pas.  Que  vos 
»  miféricordes  qui  m'ont  toujours  gardé, 
»  ne  s'éloignent  jamais  de  moi.  Prenez  foin 
"  du  pauvre  i  vous  êtes  mon  fecours ,  vous 
"  êtes  mon  proreéteur,  ne  tardez  pas  à  me 
»  fecourir.  Purifiez-moi ,  ôc  je  ferai  net  j  la- 
»  vcz-moi ,  ôc  je  deviendrai  plus  blanc  que 
»*  la  neige.  Faites-moi  entendre  une  parole 
«  de  confolarion  ôc  de  joie  ,  ôc  mes  os  que 
«  vous  avez  humilies  ,  treffailliront  d'allé- 
*»  greffe.  >* 

Et  plus  bas  :  ce  O  mon  Sauveur  ,  je  ne 
"  veux&rjcnedefire  aucun  jour  de  Thom* 

Xij 


4S4  L    A      V    I   E 

>^  me.  Que  tous  les  jours  qui  me  reAetit  J 
»•>  foient  de  ces  jours  que  vous  avez  faits; 
>'  jours  de  votre  gloire  ,  où  la  nature ,  où  les 
"  créatures  n'aient  plus  de  part  ;  jours  de 
"  vos  Saints ,  où  ne  vivant  plus  à  eux-mê- 
«  mes  par  une  continuelle  mort  à  l'être  créé, 
«  ils  ne  vivoient  plus  que  de  votre  vie  di- 
«  vine.  C'ell:  uniquement  où  vont  tous  mes 
>'  defirs  ,  où  fe  terminent  tous  mes  vœux  ; 
»  c'ell  l'unique  prétention  qui  me  refte  en 
»f  ce  bas  monde.  Ou  en  fortir  ,  ou  n'y  être 
x>  plus  que  pour  vos  feuls  intérêts.  Ou  mou- 
V  rir ,  ou  ne  vivre  plus  que  de  vous  Ôc  pour 
5>  vous.  Ou  n'y  faire  plus  rien  ,  ou  y  faire 
w  tout  pour  votre  feul  honneur,  ôc  y  fouf- 
9>  frir  tout  félon  les  ordres  de  votre  divine 
9i  volonté.  Ou  n'avoir  plus  d'efprit ,  ou  ne 
»  l'occuper  que  félon  vos  defleins.  Ou  n'a- 
"  voir  plus  de  mémoire  ,  ou  la  remplir 
«  de  votre  fou  venir.  Ou  n'avoir  plus  de 
»*  cœur ,  ou  vous  aimer  ,  ôc  n'aimer  que 
>i  vous  feul.  » 

Ici  l'on  diroit  volontiers  avec  le  pieux 
Ecrivain  ,  qu'en  le  lifant ,  le  cœur  s'échauf- 
fe ,  ôc  qu'il  s'y  allume  un  feu  qui  ne  per- 
met prefque  plus  de  penfer  à  lui.  Revenons  y 
cependant ,  ôc  après  avoir  donné  une  foible 
notion  de  Ces  Ouvrages ,  examinons  ce  qu'on 
leur  a  reproché.  Cette  difcufTion  fera  peut- 
ctre  moins  ennuyeufe  qu^on  ne  fe  l'imagi- 
neroit  d'abord.  D'ailleurs  on  efl  bien  aife 
de  faire  pour  un  autre ,  ce  qu'on  ne  feroit 
pas  fâché  de  voir  faire  pour  foi. 


îiE  M.  BouDON.  Liv.  m.  42/ 
On  a  donc  dit ,  i°.  qu'en  général  il  s'at- 
tache û  fort  à  la  Morale  ,  qu'il  néglige  les 
preuves  du  Dogme.  Mais  il  y  a  du  faux  dans 
cette  cenfure  j  &  ce  qu'elle  a  de  vrai ,  ne 
tire  point  à  conféquence.  On  conviendra 
fans  peine  ,  que  dans  quelques-uns  de  Ces 
Ecrits  il  s'eft  peu  étendu  fur  le  Dogme» 
Mais  fi  l'on  veut  faire  attention  que  ces 
Traités  roulent  fur  des  matières  que  les  Fi- 
dèles croyent  fans  héfiter  j  comme  que 
Dieu  eft  préfent  par-tout  ;  qu'il  y  a  une 
fainte  Trinité  ,  principe  ôc  fin  de  toutes 
chofes  j  des  Anges  qui  méritent  nos  res- 
pects i  un  Purgatoire  ,  où  Dieu  purifie  des 
■  époufes légèrement  infidèles,  ôcc.  je  crois 
que  l'on  tombera  aifément  d'accord  qu'en 
pareil  cas  des  differtations  fçavantes  euffenc 
été  inutiles ,  peut-être  même  dangereufes  j 
parce  que  la  multitude  ,  qui  faifit  aifément 
robjcdtion  ,  n'entend  que  difficilement  la 
réponfe.  11  ne  s'agiflbit  donc  que  de  porter 
les  cœurs  à  réduire  en  pratique  les  lumiè- 
res que  l'efprit  a  reçues  de  la  foi  ^  &  c'efl 
ce  que  Boudon  a  fait  d'une  manière  admi- 
rable. 

Mais  quand  il  a  fallu ,  ou  prouver  des  vé- 
rités affoiblies  par  le  malheur  des  tems ,  ou 
traiter  avec  des  perfonnes ,  qui  font  faites 
au  fiyle  didadique  j  on  l'a  vu  fçavant  com- 
me un  autre ,  Se  plus  que  bien  d'autres ,  faire 
valoir  l'Ecriture  ,  les  Conciles ,  l'autorité 
des  Pères ,  la  raifon  même  ,  autant  que  fa 
matière  lui  permettoit  de  l'employer.  Son 

Xiij 


4?^  La    Vie 

Chrétien  inconnu ,  qui  cft  le  denuer  Livre 
qu'il  ait  donné ,  eft  uniquement  &  conti- 
fîuellenient  appuyé  fur  le  texte  facré.  Son 
Traité  du  Règne  de  Dieu  dans  tOraifon 
mentale  ,  n'efl  qu'un  précis  de  ce  que  fainte 
Thci'èfe  ,  faint  Jean  de  la  Croix  ,  faint  Fran- 
çois de  Sales ,  &  d'autres  Ecrivains  à  peu 
près  du  n>enîe  ordre  ,  nous  ont  donné  fur 
ee  fujet.  On  trouve  la  même  folidité  dans 
fa  Dévotion  à  l^ immaculée, . .  Mère  de  Dieu ^ 
^près  l'avoir  établie ,  cette  dévotion  fi  jufte, 
fi  railbnnable ,  fur  les  plus  preffans  motifs  , 
îcis  que  font  la  volonté  de  Dieu  ,  l'efpric 
de  rÊglife  ,  la  piété  générale  des  Fidèles  ,, 
la  doctrine  &  l'exemple  de  tous  les  Saints , 
ia  contradidion  de  l'enfer  &  des  héréti- 
ques ,  les  bontés  incomparables  de  cette  au- 
gure Reine ,  le  pouvoir  ^  la  force  de  fa 
proteétion  :  il  entre  dans  le  détail  de  fe& 
trois  principaux  Privilèges ,  ç  eft  -  à  -  dire  ^ 
de  fa  Conception  fans  tache  ,  de  fa  Virgi- 
nité perpétuelle  ,  de  fa  glorieufe  Maternité.. 
Comme  la  première  de  ces  trois  préro- 
gatives fe  trouve  encore  coi-nbattuc  de  nos 
jours ,  il  ne  fe  contente  pas  de  la  fuppofer  ,, 
il  la  prouve ,  &  par  les  paflages  de  TEcri- 
tare  que  l'Eglife  applique  à  la  très  -  fainte 
Vierge  ;  de  par  l'autorité  des  fouverains  Pon- 
tifes ,  &  par  les  Fêtes ,  les  Offices,  les  Tem- 
ples ,  les  Autels  ,  les  Ordres  Religieux  qui 
ont  été  établis  en  fon  honneur,  &  par  le 
fuffrage  ,  tant  des  faints  Doéteurs ,  que  des 
Univerlités  Catholiques ,  5cc„ 


Di  M.  BouDoy.  Liv.  IIÎ.  4?7 
II  vient  enfuice  a  l'examen  desobjedions, 
^^  de  celles  fur-tout  qui  fe  firent  du  Texte 
facré&:  des  SS.  Pères.  Suivons -le  dans  la 
dilcumon  de  la  première  de  ces  deux  difti- 
calcés:  nous  verrons  bientôt  s'il  n'ell:  bon 
qu'à  remuer  le  cœur ,  lans  januis  éclairer 

refpiic. 

Il  s'objede d'abord*  ,  que  félon  le  grand 
Apocre  ,   tous  les  hommes  ont  péchc  en 
P     Adam  j  &  que  puifque  qui  dit ,  tous  ,  n'cx- 
cepre    perfonne  ^   on  ne  peut  ,  fans  faire 
violence  à  l'Ecri.ure  ,  fouilraire  la  fainie 
Vierge  à  la  loi  générale.  Voilà  robjection» 
Notre  pieux  Auteur  .y  répond  en  allez 
peu  de  mots,  mais  folidemenc  &  avec  fainr 
Jérôme  :  i^-  Que  le  moz ,  Tuus ,  dans  l'E- 
criture a  fouvent  fes  exceptions  -,  qu'on  ne 
pourroitfans  erreur  le  prendre  par-tout  dai^s 
un  fens général  &  illimité;  Qu^il  eit  dit, 
par  exemple  ,  au  Pfeaume  treizième  ,  que 
tous  les  hommes  fe  font  égarés ,  qu  ils  fonc 
L     tous  devenus  inutiles  ,  qu'il  n'y  en  a  pas  un  , 
f     pas  un  feul ,  qui  fade  le  bien  j  que  cepen- 
dant ces  paroles ,  quelque  incapables  de  re- 
flricl:ion  qu'elles  paroiHent ,  en  exigent  né- 
ceffairement ,  puifqu'il  y  avoit  des  juftes ,  & 
quand  David  les  a  prononcées  ,  &  quand 
elles  ont  été  répétées  ôc  adoptées  par  faine 
Paul,  ce  Ainfi ,  pourfuit  Boudon ,  les  pa(Ta- 
»ges  généraux  de  l'Ecriture  ont  quelque- 
•*  fois  leur  exception  ,  &  leur  vérité  fubfulc 

IV  dans  le  plus  grand  nombre.  11  ell:  dit  que 
♦  D47orion  >  part.  II.  chap.  »t.  p.  »r5-    . 


4^8  I  A    V  I  I 

fi  les  femmes  enfanteront  avec  douleur  :' 
»  cela  n'empêche  pas  que  la  très-fainte  Vier- 
=>  ge  ne  foit  exceptée  de  cette  loi  générale.» 

II  répond  en  fécond  lieu ,  que  fi  en  vertu 
des  textes  généraux  de  l'Ecriture  ,  on  fou- 
met  la  Mère  de  Dieu  au  péché  originel ,  il 
faudra  par  une  conféquence  néceffaire  l'af- 
fujectir  au  péché  aduel.  Car  enfin  il  efi:  écrit 
fans  exception  \  qu'il  n'y  a  point  d'homme 
qui  ne  pèche  -,  que  nous  péchons  tous  en 
beaucoup  de  chofes  :  que  fi  nous  nous  flatons 
d'être  fans  péché,  nous  nous  féduifons  nous- 
mêmes.  Or  l'Eglife  a  néanmoins  décidé  que 
la  fainte  Vierge  n'a  jamais  commis  aucun 
péché  aduel.  Pourquoi  donc  n'uferions- 
nous  pas  de  la  liberté ,  dont  elle  nous  donne 
un  fi  bel  exemple  ?  Pourquoi  ne  modifie- 
rions-nous pas ,  quand  il  s'agit  du  péché 
d'origine  ,  des  textes  qu'elle  a  pu  &  dû  mo- 
difier ,  quand  il  s'agit  du  péché  actuel. 

Enfin  il  répond  ,  que  puifque  le  faint 
Concile  de  Trente  ,  dans  fon  Décret  du  pé- 
ché originel,  a  déclaré  que  fon  intention 
n'étoit  pas  d'y  comprendre  la  fainte  Vierge  j 
il  faut  nécefiairement  qu'il  ait  cru  ,  qu'on 
peut  dire  avec  raifon  qu'elle  nefl  pas  compri- 
fedans  les  Textes  de  S.  Paul  y  &  dans  les 
autres  lieux  de  V  Ecriture  où  il  efl  parlé  de 
Vinondation  générale  de  ce  péché.  Donc  , 
conclut-il,  il  eft  très  petmis  de  ne  l'y  pas- 
comprendie.  Il  y  a  plus  :  c'eil  que  ,  puifque 
le  Concile  a  fait  là-deffus  une  exception,  il  eft. 
bon  de  lu  faire  s  puifqu'on  fait    toujours 


î5e  m.  Boudon.  Liv.  III.  489 
bien,  ce  qu'on  ne  fait  qu'à  l'exemple  d'uji 
Concile.  Ainfi  railbnne  notre  Auteur  :  il 
auroit  pu  le  faire  avec  plus  d'appareil ,  l'eut- 
îl  fait  plus  folidement  i  Pour  moi  je  penfc , 
ôc  peut-être  ne  ferai-j^  pas  le  feul  de  mon 
avis ,  que  pour  écrire  au  goût  du  fîécle  fur 
chacun  des  fujets  qu'il  a  traités ,  il  ne  fau- 
droitavecun  peu  plus  de  tournure  &  de 
critique ,  que  les  matériaux  dont  il  a  fait 
ufage.  Mais  fes  Ecrits  parés  à  la  moderne 
ne  perdroient-  ils  rien  de  l'onction  qui  en 
fait  le  prix  ?  C'ell  une  queflion  que  je  ré- 
foudrois  volontiers  en  demandant ,  fî  l'ad- 
mirable livre  de  l'Imitation  vaut  dans  les 
vers  de  Corneille  ,  ou  s'il  vaudroit  dans  le 
beau  ftyle  de  Caflalion  "^  ,  ce  qu'il  a  jufqu'à 
préfent  valu  dans  fa  baffe  ôc  fimple  latinité. 
Mais  reprenons  la  fuite  des  plaintes  que  l'on 
a  faites  contre  les  Ouvrages  de  M.  Boudon. 
Un  Auteur  qui  a  beaucoup  écrit ,  en  aura 
toujours  beaucoup  à  cffuyer.  Heureux  ,  di- 
foit  Quintilien  ,  û  jamais  elles  ne  vtnoient 
que  de  gens  du  métier ,  ou  que  ceux-ci  fus- 
fent  exempts  de  rivalité  &  de  jaloufie. 

On  a  donc  dit  encore  que  le  grand  Ar- 
chidiacre avoit  traité  des  fujets ,  ou  faux  , 
ou  plus  qu'inutiles  ,  comme  on  le  voit  fur- 
tout  par  deux  de  fes  livres ,  dont  l'un  eft 

*  Sébaftien  Caftalion  a  donné  en  beau  latir>  quatre 
Livres  de  Dialogues  ,  qui  conrienHcnt  les  principales 
Hiftoires  de  la  Eible.  Mais  quoiqu'il  fe  fût  brouillé  avec 
Calvin  Se  avec  Théodore  de  Beze  ,  il  y  a  mis  des  trait? 
de  la  Dodrine  de  ces  deux  Novateurs.  Caftalion  mourijc 
le  29  Pécembre  jjôj. 


4^o  La  V  r  I 

de  VE/clavage  de  la  fainte  Vierge  ;  Tautre 
de  Notre-Dame  du  Remède, 

Mais  il  efl  aifé  de  le  venger  fur  l'un  &  fur 
l'autre  article.  Le  premier  n'a  aucune  diffi- 
culté. Que  la  Mère  de  Dieu,  domine  avec 
fon  Fils  fur  tous  les  cœurs  \  qu'il  n'y  aie 
point  de  Chrétien, qui  nefe  faflc  plus  d'hon- 
neur de  vivre  fous  £qs  loix,  qu'un  efclave 
ne  s'en  fait  d'être  attaché  au  plus  grand 
Prince  du  monde  i  c'eft  ce  que  fouhaitoit  lî 
ardemment  S.  Bernard  -,  &  ce  que  la  foi 
éclairée  fouhaitera  toujours.  Il  ne  peut  donc 
y  avoir  de  mal  à  le  procurer ,  &  e'efl  uni- 
quement ce  qu'a  prétendu  M..  Boudon. 

Il  eft  bien  vrai  que  le  S.  Siège  aplusd'une 
foi*  défendu  "**  l'ufage  de  certaines  petites 
chaînes ,  que  les  Fidèles  portoicnc  au  col ,. 
pour  faire  une  profeflion  publique  de  la 
fervitude  qui  les  dévouoit  à  la  Vierge;  Mais- 
ce  ne  fut ,  que  parce  que  ces  chaînes ctoienc 
devenues  un  ornement  de  vanité  ,  &  un- 
commercc  de  galanterie.  Ainfi  l'on  con- 

*Dan5^  l'édition  de  r/«if*  de  175S.  Décréta  generof 
l'ia^  i.  j>  imagines  &  indulgeruia  prohibita  ,  font  dé- 
fendues, imagines  j  numifmata  infculpta  pro  confraternita-- 
Ubuf  Mancipiorum  Macris  Dei.  Italict  ,  Schiavi  dell*. 
Xlaire  di  Dio^  Sodales  catenatos  exprimentia.  Item  Li- 
l)el|i  in.quibus  iifdem  confraternitatibus  regulse  prxfcri- 
buntjr.  Confraternitatcs  autemquaceatenulasdiftribuunt. 
Confratribus  &,  Sororibus  ,  braohiis&  coUo  circumpo- 
»€odas  arque  geftandas ,  ut  eo  figno  Beatffitnae  Virgini. 
jnancipaïas  fe  çflè  proficeantur ,  &,quarum  Inftitutum  int 
co  mancipatu  prdccipuè  verfatur  ,  damnantur  &  extin-r- 
gtJUpiur.Sbcjetatibus  verô  quae  ritunvaliquem  ,  aut  quod- 
cutm^'je  a^i;id  ad  mancipgtum,  hujufmodi  perùnens  ,  a4?^ 
lïibeni ,  pr^,ip«m  lit.  i4ftai3tn  rcjiciani. 


DE  M.  BouDON.  Liv.  rrr.     49 1 

lîamna  l'abus  fans  toucher  à  la  fubfiance. 
Et  comment  les  Pontifes  Romains  auroienc- 
ils  profcrit  une  dévotion  ,  qu'ils  ont  auto- 
rifée  par  leurs  Diplômes  &par  leurs  Indul- 
gences j  que  plufieurs  Royaumes  ont  adop- 
tée 5  ôc  donc  la  pratique  fanclifie  encore 
tous  les  jours  un  nombre  infini  de  perfonnes 
de  tout  fexe  de  de  toute  condition  ? 

Quant  à  ce  qui  concerne  l'autre  Ecrit , 
dont  le  titre  eit  :  Le  grand  fecoitrs  de  la  di- 
vine Providence  par  la  très-fainte  Vierge  , 
invoquée  fous  le  titre  de  Notre  -  Darne  dw 
Remède  dans  l'Ordre  de  la  très-fainte  Tri- 
nité ,  &c.  On  ne  fera  peut-être  point  fachd 
d€  fçavoir  que  les  Religieux  de  ce  nom  ,. 
ayant  appris  qu'une  image  de  la  Vierge,  in- 
voquée fous  le  titre  de  Notre  -  Dame  da^ 
Remède  ,  ctoit  tombée  par  la  prife  de  Cor- 
doue  entre  les  mains  des  Maures,  6c  crai- 
gnant qu'elle  ne  fût  déshonorée  ,  n'épar- 
gnèrent ni  peine  ,  ni  dépenfe  pour  l'obccnir 
d'eux  ,&: qu'ils  furent  aficz  heureux  pour  y 
réufTir  j  que  le  Roi  Ferdinand  ,  après  avoir 
chafTé  ces  Barbares  de  la  même  Ville  ,  don- 
Ka  aux  Trinitaires  pour  récompenfer  leur 
zélé ,  le  fonds  &  les  revenus  de  la.  terre ,  oii 
cette  image  avoir  été  trouvée^  j  que  Diet» 
ayant  opéré  un.  grand  nombre  de  miracles^ 
en  faveur  de  ceux  qui  avoient  eu  recours  a 
fcs  miféricordes  par  FintercefTion  de  fa  Mère 
invoquée  fous  ce  nom  ,.  L'Ordre  de  la  Tri- 

*EIléaTOit  été    trouvée   par  des  Efclaves  ,  qui  s^ea. 
^i«a(  £uc  ua  mérite  auprès  de  leur».  Maîtres. 


495  ,   '^^    ^^^ 

ïi'né ,  qui  eft  né ,  &  qui  a  cru  entre  les  brâS 

de  la  fainre  Vierge ,  s'éroit  fait  un  devoir 
de  l'honorer  fous  un  titre ,  qu'elle  paroiflbic 
agréer  j  ôc  qu'enfin  Paul  V.  a  par  une  Bulle 
cxpreiïe  confirmé  cette  dévotion.  Or ,  cela 
pofé  5  de  quel  mal  efl:  coupable  l'Archidia- 
cre d'Evreux  ?  Eft  ce  de  ne  s'être  pas  élevé 
contre  un  culte  que  le  premier  Siège  auto- 
rifoit ,  ôz  que  Dieu  même  avoir  juftifié  par 
des  prodiges  ?  En  le  faifant ,  on  eût  cru  qu'il 
vouloit  braver  le  ciel  &  la  terre.  Efl-ce  d'a- 
voir fait  voir  que  le  Fidèle  trouve  dans  la 
perfonne  du  Fils  par  l'invocation  de  la  Mè- 
re un  remède  à  Cqs  maux  ?  En  le  difant ,  il 
n'a  été  que  l'écho  de  la  tradition  ,  ou  plu- 
tôt du  monde  Chrétien.  C'eft  le  grand  Cy- 
rille ,  je  parle  encore  une  fois  d'après  notre 
pieux  ôc  refpedable  Ecrivain  :  c'eft  le  grand 
Cyrille  ,  qui  au  Concile  d'Ephéfe  déclare 
que  Marie  a  fervi  d'inflrument  à  la  Provi- 
dence pour  tirer  les  Gentils  de  l'idolâtrie. 
C'eil  rÈglife  entière  qui  chante  que  par  elle 
toutes  les  hérèfies  ont  été  détruites.  C'eft 
le  peuple  fidèle  qui  dans  la  guerre  ,  la  pefle, 
la  famine  ,  ôc  tous  les  autres  fléaux  de  la  co- 
lère du  ciel ,  ne  recourt  à  ks  Temples  que 
parce  qu'il  y  trouve  un  remède  aufli  sûr 
que  prompt  à  toutes  Ces  difgraces. 

Mais  rien  peut-  être  ,  &  Boudon  ne  Ta 
pas  manqué  ,  rien  ne  prouve  mieux  le  vrai , 
le  folide  de  cette  dévotion  ,  que  la  fameufe 
vidtoire  de  Lépante ,  où  la  mer  teinte  du 
fang  ennemi  perdit  pour  un  tems  la  couleur 


DE  M.  BouDON.  Liv.  Iir.  45)  I 
hâtnrelle  de  Cçs  eaux  -,  où  trente  mille  Turcs 
avec  leur  Bâcha  périrent  les  armes  à  la  mainj 
où  enfin  quinze  mille  efclaves  Chrétiens 
recouvrèrent  la  liberté  ,  que  fix  mille  Mu- 
fulmans  perdirent.  Car  il  eft  sûr  que  ce  fut 
la  Mère  de  Dieu  invoquée  fous  le  tendre  & 
glorieux  titre  dont  nous  parlons ,  qui  com- 
battit pour  nous  à  la  tête  de  la  flotte  Catho- 
lique.  Ce  fut  â  elle  que  Dom  Juan  d'Autri- 
che ,  publiquement  profterné  fur  la  Galère 
Royale ,  voua  fa  perfonne  &  fon  armée. 
Ce  fut  à  elle  ,  qu'après  fon  triomphe  ,  un 
àcs  plus  fignalés  qui  fut  jamais,  il  fit  rendre 
fcs  vœux  dans  le  fanduaire  où  l'Efpagne 
rinvoque.  Ce  fut  pour  ce  même  lieu ,  où 
elle  eft  fi  fpécialement  honorée ,  qu'il  de- 
manda des  grâces  à  Grégoire  XIII.  fucces- 
feur  de  Pie  V.  Et  ce  Pontife  dans  le  Bref 
qu'il  accorda  aux  defirs  de  ce  grand  Capi- 
taine ,  marque  exprefiement  qu'il  s'étoic 
confacré  lui  ôc  toutes  fes  troupes  à  Notre- 
Dame  du  Remède.  11  n'y  a  donc  rien  dans 
ce  dernier  Ouvrage  de  M.  Boudon  ,  qui  ne 
prouve  la  piété  de  fon  Auteur  :  ôc  ce  flic 
avec  fagefle  que  pour  l'en  féliciter  ,  la  Con- 
grégation réformée  de  l'Ordre  de  la  Ré- 
demption des  Captifs,  lui  donna  des  lettres 
d'affiliation ,  qui  le  rendoient  participant  de 
toutes  les  bonnes  œuvres  qui  s'y  font  \ 

*  Ces  Lettres  font  datées  du  ij  Mai  1669.  M.  Bou- 
don déjà  aflbcié  à  la  Confrairie  du  S.  Refaire  ,  s'étoic 
fait  recevoir  le  4  Juin  1645  *  ^  '^  dévotion  du  Refaire 
perpétuel  établie  dans  TEglife  des  Jacobins  réformés 
<1e  la  rue  S.  Honoré.  II  contracta  une  lemblabk  liaiion 
wec  les  cnfans  de  S.  François  de  Paule, 


4^4  Î-A    Vu 

Mais  au  moins ,  dit-on  ,  &c  e'efl:  un  rrol^- 
fiéme  chef  de  cenfure  ,  l'Archidiacre  d'E- 
vreux  dans  fon  Traité  de  la  dévotion  à  la 
fainte  Vierge  ,  pour  établir ,  à  quelque  prix 
que  ce  fût ,  la  Conception  immaculée  ,  s'efl 
fervi  d*un  petit  Office  compofé  pour  hono- 
rer ce  privilège  réel  ou  prétendu  de  la  Merc 
de  Dieu.  Or ,  conrinue-t-on ,  il  eft  sûr  que 
cetOffice  de  laConception  a  été  condamné  à 
Rome  par  deux  décrets  d'innocent  XI.  l'un 
du  17  Février  1678  ,  l'autre  du  7  Mars  de 
la  même  année.  11  falloir  donc  ,  ou  que  ce 
grand  Ecrivain  ne  fçût  pas  ce  que  tout  Ir 
monde  fçavoir  j  ou  ,  ce  qui  feroit  pis  enco- 
re ,  qu'il  ne  comptât  pour  rien  le  jugement 
du  S.  Siège. 

Il  feroit  à  fouhairer  que  ceux  qui  font 
de  pareilles  objedions ,  euilent  pour  toutes 
les  décifions  de  l'Eglife  autant  de  refped ,, 
qu'ils  en  affedlent  pour  ceux  des  Décrets 
Apoftolique»,  où  ils  croyent  trouver  léuc 
compte.  Mais  fans  examiner  ici  s'ils  agiflenl 
conféquemment,  ou  non  ,  il  eil  à  propos  de 
difcuter  un  peu  le  fait  dont  on  veut  fe  pré- 
valoir 5  pour  attaquer  ou  la  capacité  ,  ou  la? 
foumiffion  de  notre  Archidiacre.  Nous  le 
ferons  d'autant  plus  volontiers ,  qu'il  y  a 
bien  des  gens ,  ôc  nous  y  avons  été  trompés 
comme  eux ,  qui  venant  à  tom.ber  fur  c& 
Décret,  fans  en  fçavoir  les  fuites,  s'imagi- 
nent que  l'Office  de  l'immaculée  Concep- 
rion  a  été  défendu  par  Innocent  XI.  L'Hi^ 
iîoire  abrégée  de  cet  événement  fuffira.pouiî 
les  guérir  de  cette  idée». 


DE   M.  BOUDON.  Liv.  III.  49/ 

En  1678,  le  P.  Raimon  Capifucci, Maî- 
tre du  facré  Palais ,  ôc  par  conféquenr  Do- 
minicain ,  défendit  un  petit  Livre  intitulé  , 
Ojfîcio  délia  immacoiata  Concettione ,  &cc» 
imprimé  à  Milan  chez  François  Vigone.  Ce 
Décret  qui  parut  donner  indirectement  at- 
teinte à  la  Conception  immaculée  fit  grand 
bruit  dans  toute  l'Europe  Catholique.  Un 
Ecrivain  trop  fameux  avoue  qu'il  fcandalila    Bayle». 
une  infinité  de  perfonnes,  &  qu'en  France 
il  n'y  eut  que  certaines  gens  qui  en  furent 
édifiés,  L'Empereur ,  qui  n'étoit  pas  de  leur 
Ordre,écrivit  au  Pape  pour  fçavoir  ce  qu'on 
avoit  prétendu  en  défendant  un  Office  qui 
depuis  tant  d'années  étoit  entre  les  mains  des 
Fidéles.Le  faintPere,  après  avoir  mandé  Ca- 
pifucci ,  répondit  le  1 8  Décembre  à  fa  Ma- 
jeûé  impériale  "^ ,  que  l'on  avoit  défendu 
un  certain  Office  de  la  Vierge  ,  parce  qu'il 
contenoif  une  Indulgence  apocryphe  ,  de 
qu'on  le  donnoit  fauflement  comme  approu- 
vé par  Paul  V. . . .  Mais  que  fous  cette  dé- 
fcnfe  l'on  ne  comprenoit  point  l'Office  ,  qui 
depuis  un  très  -  long-  rems  fe  récitoit  dans 
TEglife  par  lapermiffion  du  faint  Siège.  Le 
Pape  ajouta  qu'il  n'avoit  en  aucune  façon 
prétendu  diminuer  le  culte  de  la  Mère  de 
Dieu  V  mais  plutôt  l'augmenter  de  l'ampli- 
fier autant  qu'il  lui  feroit  poffible. 

Il  le  fît  Gonnoître  aufficôt  après  ;  car  il 
ordonna  que  dans  les  nouvelles  éditions  quî^ 
fe  feroicnt  de  cet  Office ,  au  lieu  dcfanBaTB. 

î  VoyM  le  r«<u€Ji  des  fiuUcs  ,  &c.  pag,  fiu 


4î>S     ^  La  Vie 

Conceptlonem  ,  qui  s'y  difoît  auparavant; 
on  mil  fanElam  &  immaculatam  Conceptio- 
nem  ,  paroles  qui  marquent  bien  le  fenti- 
nienrde  ce  Ponrifc.  Il  cH  vrai  que  le  Maître 
du  facré  Palais  y  fit  quelque  changement  \ 
Se  qu'au  lieu  de.  Domina^  exaudï  orationem* 
meam^  il  voulut  qu'on  dît,  Domina  ,  pro- 
tege  orationem  meam  ;  &  encore  ,  hanc  lait- 
dum  praconia ,  au  lieu  de  ,  has  horas  cano- 
nicas.  Mais  ces  correélions  parurent  fi  peu 
importantes ,  que  ceux  qui  auroient  voulu 
une  fuppreflion  totale  &  de  l'Office  ,  &  de 
la  dévotion  ,  firent  courir  le  bruit  qu'on  les 
avoit  fuppofées.  La  chofe  alla  fi  loin  ,  que 
rintcrnonce  de  fa  Sainteté  dans  les  Pays- 
Bas  fut  obligé  de  certifier  la  vérité  de  ces 
nouvelles  éditions  par  une  Lettre  circulaire 
à  tous  les  Evêques  de  fa  Nonciature.  Le 
Nonce  pour  l'Allemagne  avoit  déjà  fait  la 
lîiéme  chofe  dans  l'Empire. 

Ilert  donc  clair  qu'Innocent  XI  ne  con- 
damna jamais  le  petit  Office  de  la  Concep- 
tion.  Il  y  a  plus  ,  c'efl:  que  malgré  les  gran- 
des &  tumulrueufes  occupations  de  fon 
Pontificat,  il  le  réciroit  lui-même  tous  les 
jours ,  lorfque  les  affaires  de  rEglifenel'en 
cmpêchoient  pas.  C'eft  ce  que  Boudon  avoic 
appris  &  du  Nonce  de  France ,  &  de  M. 
Palu ,  Evêque  d'Heliopolis. 

Auffi  M.  Inghinari,  premier  Secrétaire 
de  la  Congrégation  des  Rits ,  ayant  été  con- 
fulté  fur  ce  fujet  ,  répondit  qu'il  étoit  extrê- 
tnement  furpris  d'une  pareille  confukationj 


DE  M.  BouDON.  Liv.  IIÎ.       497 
&  qu'il  étoit  de  notoriété  publique  ,  que 
cet  Office  fubfiftoit  en  fon  entier,  comme 
celui  du  Saint  Sacrement ,  de  fainre  Anne  9 
Ôc  autres  femblabies ,  que  l'on  permet  à  la 
dévotion  des  Fidèles.  Il  ajouta  qu'il  n'y  avoit 
dans  les  Archives  aucun  Décret ,  qui  l'eût 
défendu.  Et  il  faut  bien  que  cela  Toit  ainfi , 
puifqu'on  le  récite  tous  les  jours  enEfpagne, 
en  Italie  ,  &  dans  d'autres  pays  qui  font  fou- 
mis  à  rinquifition.  C'efl  dequoi  nous  avons 
fous  les  yeux  des  témoignages  authentiques. 
L'Archidiacre  d'Evreux  a  donc  pu  citer  l'Of- 
fice de  la  Conception  :  ik  il  auroit  pu  ajou- 
ter à  la  preuve  qu'il  en  tire  ,  le  fufTrage  d'un 
grand  nombre  de  refpeclables  Docteurs  , 
qui  ont  été  l'ornement  &  la  gloire  de  l'Or- 
dre de  faint  Dominique. 

La  dernière  objedionque  l'on  fait  contre 
quelques-uns  des  Ouvrages  de  M.  Boudon , 
nous  a  paru  d'une  toute  autre  conféquence , 
que  celles  qui  jufqu'ici  nous  ont  occupés. 

On  dit  donc  que  fon  Livre  intitulé  :  Dieu 
feid,  a  été  mis  à  V Index  ;  qu'on  y  trouve 
le  germe  ,  &  même  quelque  chofe  de  plus 
que  le  germe  du  Quiétifme ,  &  qu'enfin  les 
principes  qu'il  y  établir ,  reparoiffent  dans 
Çon  Règne  de  Dieu  ,  G^^r. 

Soumis ,  dévoués ,  comme  nous  le  fom- 
mes  ,  par  état  &  par  goût  à  toutes  les  dé- 
cifions  de  la  fainre  Eglife  ,  nous  nous  don- 
nerions bien  de  garde  de  juftifier  des  Ecrits  , 
qui  pourroient  y  donner  atteinte.  Mais  en 
réprouvant  l'Ouvrage,  nous  pourrions ven- 


49^  La    Vie 

ger  l'Auteur  j  &  cela  feroit  plus  aifé  par  rsp^ 
port  à  M.  Boudon  ,  que  par  rapport  à  bien 
d'autres.  Le  tems  où  il  a  écrit ,  fuiRroit  feuf 
pour  Texcufer.  Son  Dieu  fetd  eft  de  1661^ 
Son  Reg.^''  de  Dieu  dans  l'Or  ai/on  mentale 
eil  de  1671.  Or  dans  ce  tems  il  netoit  que- 
flion  ni  de  l'amour  défintérefle  ,  ni  de  ces 
précifions  abrtraires  qui  s'y  rapportent.  Il 
n'y  avoit  alors  ni  Archevêque  de  Cambrai  , 
qui  eût  écrie  fur  les  maximes  dts  Saints ,  ni 
Evéque  de  Mcaux,qui  l'eût  dénoncé  au  Roi, 
^  par  lui  atout  l'Univers.Rusbrochj-^'Thau- 
Icr  ,  &  ceux  qui  ont  écrit  à  peu  près  dans  le 
même  gour  ,  étoicnt  la  grande  règle  des 
Myrtiqiies.  Ils  n'y  trouvoient  ni  ces  étranges 
exagérations  ,  ni  ces  exprejftons  exorhitan- 
tes  ,  que  le  grand  Bofluet  y  découvrit  dans 
k  fuite  **.  La  guide  de  Molinos  n'avoir 
point  encore  paru  ;  &  on  ne  foupconnoir 
pas  que  dts  principes  couverts  fous  l'appa- 
rence de  la  plus  haute  fpiritualité  ,  puflenc 
enfanter  les  plus  monflrueufes  conféquen- 
ces.  On  parloir  donc  alors  avec  plus  de  con» 
fiance ,  de  avec  moins  de  précaution ,  com- 
me le  dit  quelque  part  S.  Auguflin  j  &  fî 
l'on  avoit  le  malheur  de  tomber ,  ce  que 

•  Jean  Rusbroch  ,  Chanoine  Régulier  de  S.  Auç^uftin, 
firnommé  le  très  -  excellent  Contemplatif  &  le  DoCleur 
«f/vin  ^  mourut  le  2  Décembre  1581  ,  à  88  ans.  Jean 
Thauier  ,  Dominicain  ,  dont  les  Injtitutions  font  eiM- 
mées ,  mourut  à  Strasbourg,  le  17  Mai  1561.  Michel 
Molinos  ,  Efpagnol  ,  père  des  Quiétiftes  ,  fut  condamné 
à  Rome  en  1685.  ^^  mourut  en  prifon  le  19  Décembre 
2696, 

••  Boflu€t,Inûruftion  furies  éutsd'OraiToiu 


DE  M.  BoUDON.  LiV.    III.        49^ 

tout  homme  peut  faire  ,  on  ne  pouvoic  avoir 
celui  d'être  accufé  d'héréCe  ,  parce  qu'ont 
ctoir  difpofé  à  fe  fou  mettre  fans  mefure  ôc 
fans  reûriclion. 

Ces  principes  ?;énéraux  fufiîfent  pour 
mettre  à  couvert  la  perfonnc  de  TAuteur-, 
fuffifent  ils  pour  JLUlifîer  fon  texte?  Non, 
il  faudroit  quelque  chofe  de  plus.  Nous  le 
donnerons  volontiers  dans  une  Diflertaticn 
particulière  ,  fi  un  hcn:me  adroit  à  faifîr  le 
faux  d'un  Ouvrage ,  veut  bien  nous  faire 
part  des  difîiculcés  qui  Tarrêcent  ,  comme 
nous  l'en  avons  prié. 

En  attendant  ,  nous  répondrons  au  fu  jet 
du  Dieitfeul,  ce  que  le  grand  Archidiacre 
a  plus  d'une  fois  répondu  lui-même,  i^.  que 
ce  n'eil  pas  cet  Ouvrage  en  foi  qui  a  été  dé- 
fendu \  mais  une  édition  rrès-falfifiee ,  qui 
s'en  étoif  faite  dans  les  Pavs  -  Bas ,  <Sc  dans 
laquelle  on  avoit,  fans  confulrer  TAuteur, 
inféré  des  maximes  qui  ctoient  direclemjent 
oppofées  aux  fiennes -,  2°.  que  M.  Bofiiiet, 
cfui  fut  un  des  Approbateurs  de  ce  petit  Li- 
vre ,  déclara  hautement  qu'il  n'y  avoit  rien 
trouvé  qui  ne  fût  conforme  aux  règles  de  la 
foi ,  digne  d'ctre  donné  aux  Fidèles  »  pro- 
pre à  échauffer  Se  à  purifier  leur  zélé.  A 
quoi  on  pourroit  peut-être  ajouter  que  ce 
fçavant  homme  n'a  jamais  révoqué  ce  pre- 
mier jugem.ent  \  3c  que  M.  de  Cambrai  , 
qui  n'étoic  pas  fâché  de  le  trouver  en  con- 
tradiction avec  lui-même ,  &  qui  d'ailleurs 
çherçhoic  par  -  tout  de  quoi   appuyer  fçg 


^-^0  L  A    V  I  E 

idées ,  n'a  jamais  ni  appelle  à  fon  fecour^ 
rOpufciile  dont  il  s'agit ,  ni  fait  valoir  con- 
tre M.  Bofluet  Tapprobation  qu'il  lui  avoic 
donnée. 

Pour  ce  qui  concerne  le  Regtie  de  Dieu 
€n  lOraifon  mentale ,  il  y  a  deux  chofes  qui 
font  beaucoup  à  la  juftification  de  notre 
Auteur;  l'une  qu'il  n'a  parlé  que  d'après 
les  plus  habiles  Contemplatifs  ,  tels  que 
font  Blofius ,  fâinte  Thérèfe  ,  S.  François 
de  Sales,  &c.  L'autre,  que  dans  la  crainte 
qu'il  eut  qu'on  ne  donnât  un  mauvais  fens 
à  certaines  exprefTions ,  qui  fiapoient  moins 
avant  les  difputes  du  Quiétifme  ,  quelles 
n'ont  fait  depuis ,  il  les  a  ou  expliquées,  ou 
retranchées  dans  la  nouvelle  imprefllon  de 
fon  Livre.  Il  a  plus  fait ,  puifque  par  des 
additions  ,  dont  les  unes  font  inférées  dans 
le  corps  de  l'Ouvrage  ,  les  autres  font  à  la 
fin ,  il  combat  formellement  les  principales 
erreurs  que  l'Eglife  a  combattues.  C'eft  ain- 
fi  qu'après  avoir  dit  des  chofes  admirables 
de  rétabliflement  du  Règne  de  Dieu  dans 
l'ame  qui  s'unit ,  ou  plutôt  qui  fe  perd  en 
lui  ,  il  ajoute  ces  paroles  remarquables  ->«. 
«  Nous  déclarons  que  par  l'établiflement 
"  du  Règne  de  Dieu  ,  par  les  unions  les 
«  plus  fublimes  ,  &  par  les  plus  fortes  ex- 
»  prefTionsdes  faintes  âmes  ,  que  nous  avons 
w  rapportées  ,  nous  ne  voulons  en  aucune 
»  manière  dire  que  la  convoitife  foit  éteinte 
«  entiétement,  non  plus  que  lamour-pro- 
•JL,  3.  cil,  8.  p.  441,  Edition  de  1740^ 


DE  M.  BouDON.  LiY.  m.  /or 
»>  pre  j  &  que  l'on  ne  foie  plus  dans  le  dan- 
>j  ger  de  Ce  perdre  ^  que  l'on  n'exerce  plus 
'^  les  actes  de  foi  ,  d'efpérance  &  de  charicé 
"  qui  font  ordonnés  -,  &  que  l'on  ne  fafle 
"  plus  ni  de  demandes  ,  ni  d'actions  de  gra- 
>'  ces  •)  que  l'on  ne  prenne  plus  de  foin  de  fe 
«  mortifier  ,  ni  d'acquérir  les  vertus.  An 
»  contraire  toutes  ces  chofes  fe  font  &  avec 
«  plus  de  perfection  ,  que  dans  les  autres 
'>  états.  » 

Et  dans  un  autre  endroit  :  «  Ce  que  j'ai 
5'  écrit ,  qu'il  y  en  a  qui  penfent  que  la  con- 
«  templation  eli quelquefois  perpétuelle  par 

w  un  don  extraordinaire  &C  miraculeux 

»'  Je  crois  qu'il  faut  l'expliquer  d'un  état  dans 
>»  lequel  cette  contemplation  efl:  ordinaire, 
"  c'ert- à  -  dire  j  très  -  fréquente  j  mais  qui 
"  néanmoins  n'exclut  pas  les  diflradions  in- 
«  volontaires ,  ni  la  diflinction  des  vertus , 
"  ni  les  péchés  véniels  )  puifque  les  Saints 
«  même  ne  laiflfent  pas  d'y  tomber ,  quoi- 
9»  qu'ils  ne  les  commettent  pas  d'un  propos 
"  délibéré ,  ni  avec  une  entière  vue. ...  La 
»^  contemplation  de  ces  âmes  privilégiées 
«  n'ed  donc  pas  fans  interruption  -,  mais  elle 
"  leur  eftfi  ordinaire,  qu'il  leur  paroît  qu'el- 
w  le  efl:  comme  continuelle.  Ce  qui  ne  doit 
w  pas  furprendre  ,  û  l'on  confidére  qu'il  y  a 
3>  des  perfonnes  à  qui  Dieu  manifeile  fa  di- 
w  vine  préfence  en  toutes  fortes  de  lieux. . . 
»*  J'en  connois  qui  ne  font  jamais  plus  ap- 
»»  pliquées  à  la  préfence  de  Dieu  ,  que  lors- 
w  qu'elles  fe  trouvent  parmi  les  gens  du 


jôi  La  Vie 

"  monde,  qui  en  étant  le  plus  en  oubli ,  nt 
»  s'occupent  ôc  ne  parlent  que  des  chofes 
»  de  la  terre.  C'eft  pour  lors  que  Dieu ,  qiû 
"  eil  riche  en  niiféricorde ,  leur  fait  fentir 
»»ra  divine   préfence  dune  manière  plus 
«  forte  ôc  av^c  plus  de  lumières:  ce  qui  les 
»  fait  foupirer  inconfolablement,  confidé- 
«  rant  l'aveuglement  ôc  h  dureté  des  Chré- 
*'  tiens,  qui  croyant  par  la  foi  que  Dieueft 
«  préfent  par-tout,  par-tout  s'en  oublient , 
«  ôc  n'y  penfent  non  plus  que  s'il  étoit  bien 
"  éloigné  d'eux.  "  Je  ne  rapporte  ces  der- 
nières paroles ,  que  parce  que  je  fçaisd'ail- 
leurs  que  c'e/l  Boudon  lui  -  même'  qu'elles 
regardent  :  celles  qui  précédent  font  con- 
noîtrefon  exaditude  ôc  fa  précaution. Auflî, 
dit  le  principal  Hi/îorien  de  notre  Archi- 
diacre ,  «  Dans  la  recherche  que  quelques- 
»  uns  de  nos  Prélats  ont  faite  des  fentimens 
«  erronés  des  Quiétirtes  ,  afin  d'arracher 
>'  cette  yvraie  du  champ  de  TEglife ,  ayant 
»  examiné  avec  toute  l'attention  que  Tim- 
»  portance  de  l'affaire  le  demandoit ,  les  Li- 
«  vres  de  ce  grand  ferviteur  de  Dieu ,  corn- 
»>  me  ils  le  lui  dirent  eux-mêmes ,  ils  hs  ont 
'»  tous  laiffé  en  leur  entier  * ,  comme  conte- 
>»  nant  une  dodlrine  fainte ,  ôc  étant  d'une 
»  grande  utilité  à  l'Eglife.  » 

Et  il  faut  bien ,  qu'on  les  ait  beaucoup  es- 
timés ;  puifque  ne  pouvant  fe  foutenir  que 

•  Je  ne  fçais  fi  ces  paroles  font  de  l'Hiftorien,  ou  des 
Prélacs  qui  parlèrent  à  M.  Boadon  de  rexamen  qu'on 
avpit  fait  de  Ces  Livres, 


DE  M.   BOUDON.  Liv.  IIL       50J 

parVondlion  qui  s'y  trouve;  il  s'en  eil  fait 
jufqu'à  préfent  un  débit  incroyable  j  qu'ils 
fe  font  imprimés  &  réimprimés  en  France 
de  dans  les  pays  étrangers  \  que  quelques- 
uns  ont  été  traduits  en  Latin,  en  Allemand, 
en  Italien  ,  en  tfpagnol ,  Ôc  même  en  Pc- 
lonois  ;  &  qu'ils  n'ont  pas  moins  eu  de  fuc- 
•ccs  dans  le  Canada ,  où  ils  ont  été  envoyés , 
que  dans  le  lieu  où  ils  ont  pris  naiffance. 

«  Les  Livres  de  M.  Boudon  ,  difoit  une 
"Supérieure  d'Hofpitalieres  en  Lorraine, 
•»  font  d'une  grande  utilité  pour  nos  Reii- 
»  gieufcs ,  pour  nos  pauvres ,  &  fur-  tout 
w  pour  les  âmes  qu'on  tâche  de  retirer 
M  de  la  fange  du  péché.  Il  efl  impofTible 
fi  de  les  lire  ,  fans  fe  fentir  animé  du 
*»  feu  divin  ,  qui  a  porté  leur  Auteur  à  les 
»»  compofer.  Sa  mémoire  ell:  en  bénédiction 
»»  dans  cette  Communauté  -,  ôc  on  l'y  regar- 
>'  de  comme  un  Elie  rempli  de  zélé  pour  la 
»•  gloire  du  Seigneur.  » 

Et  encore  :  -«  Ces  Livres  ont  première- 
»  ment  renouvelle  en  nos  Sœurs  Tefprit  de 
»  ferveur  j  ôc  converti  plufieurs  péchereflcs 
»  que  nous  avons  ici  avec  nos  pauvres.  . . , 
»  Après  avoir  entendu  la  lecture  de  celui  de 
w  la  dévoion  aux  SS,  Anges  ,  ils  deman- 
*>  dent  très-fouvent  à  faire  des  neuvaines  à 
3J  ces  bienheureux  Efprits  *,  ôc  incontinent 
w  après  ils  fe  trouvent  délivres  des  tentations 
3>  du  démon.  Plufieurs  familles  me  deman- 
9»  dent  ces  Livres.  » 

Un  grand  Vicaire ,  qui  en  même  -  tenis 


J04  L    A      V   I  E 

éroit  Doyen  d'une  célèbre  Cathédrale,  écri- 
vant à  Paris  à  un  Magiflrat  de  fçs  amis  : 
«  Nous  lifons ,  lui  difoic  -  il ,  les  divins  Li- 
»  vres  de  M.  Boudon  ,  ôc  je  vois  qu'ils  font 
"  toujours  goûtés  dans  notre  Séminaire  ,  à 
"  caufe  de  la  fainte  ondion  dont  ils  fonc 
»*  remplis.  » 

Et  dans  une  lettre  à  M.  Boudon  même , 
il  difoit:  «  Votre  Livre  de  la  dévotion  à  la 
"  fainte  Vierge  paroît  aux  connoifleurs  l'un 
"des  meilleurs  &  des  plus  fuivis  que  vous 
*'  ayez  fait.  Il  efl  tout  propre  à  produire 
»^  l'effet  que  vous  prétendez ,  quieft  d'infpi- 
'*  rer  une  vraie  dévotion  à  l'immaculée 
»  Mère  de  Dieu.  » 

Un  R.  P.  Capucin ,  qui  par  fes  MilTions 
s'étoit  fait  une  grande  réputation  ,  lui  écri- 
voit  de  ce  même  Ouvrage  ,  qu'on  l'avoit  lu 
en  commun  dans  la  maifon  où  il  réfidoit , 
pour  fe  difpofer  à  la  fête  de  la  Mère  de 
Dieu  j  ôc  que  leur  Ledeur  en  Théologie  , 
ainfi  que  tous  leurs  autres  Pères ,  le  trou- 
voient  rempU  de  doctrine  &  d'ondion.  Sa 
Lettre  eft  du  20  Décembre  1699. 

L'Archidiacre  a  toute  fa  vie  reçu  un 
grand  nombre  de  femblables  Lettres.  11  écri- 
voit  lui-même  en  ces  termes  ^  à  un  de  ces 
amis  de  confiance  ,  avec  qui  Ton  eft  en  droit 
de  partager  les  bonnes  &  les  mauvaifes  nou- 
velles, ce  J'ai  reçu  depuis  peu  une  Lettre  du 
'>  Supérieur  du  Séminaire  de  TV.  qui  me 
"  m.arque  qu'il  plaît  à  Dieu  tout  bon  de  ré- 
V  pandre  de  plus  en  plus  ks  bénédidions 

abondantes 


DE  M.  BOUDON.    Liv.  lîî.         JOf 

-»>  abondantes  fur  les  Livres,  que  fa  divine 

«  Providence  m'a  fait  donner  au  public.  Il 

^■'  m'écrit  en  particulier ,  qu'un  Curé  étort 

"Il  affligé  de  peines  intérieures,qu'il  étoit  fur 

»»  le  point  de  quitter  fa  Cure,  mais  que  lui 

■5*  ayant  prêié  &z  fait  lire  le  Livre  delà  dcvo- 

'5'  tion  aux  bons  Anges  ,  non'  feulement  &£ 

«  tentations  fe  font  évanouies  ,  mais  qu'il 

•5^  penfe  encore  à  établir  en  fa  Paroifle  une 

»^  Société  en  l'honneur  de  ces  bienheureux 

»*  Efprits  :  Ôc  le  Supérieur  témoigne  qu'il  y 

''*  penfe  aufli  lui-même  pour  d'autres  lieux. 

w  Je  crois  devoir  vous  dire  encore  ,  que  la 

9>  leélure  d'un  de  ces  livres  a  û  fort  touché 

->*  le  cœur  d'un  certain  homme  ,  qu'il  a  fait 

'^  dans  la  ville  où  il  demeure  ,  une  péniten- 

w  ce  publique ,  fous  les  yeux  de  tous  les  ha- 

9>  bitans.  » 

Des  nouvelles  Ci  douces  à  un  Auteur  , 
qui  eft  prefqu^  toujours  un  peu  de  ce  mon- 
ade ,  ne  touchoientT Archidiacre  d'Evreux  , 
que  parce  qu'il  y  trouvoit  la  gloire  &  les  in- 
térêts de  Dieu.  Ainfi ,  lorsqu  en  pafTanc  à 
■Ausbourg  ,  en  lui  préfenta  quelques  -  uns 
de  fes  Traités ,  &  emfautres  celui  de  i'a^ 
mour  -de  Je  fus  au  très  -faim  Sacrement  ds 
V Autel  ^  tiaduits  en  Allemand  &  en  Polo- 
nois ,  il  fut  beaucoup  moins  touche  de  cette 
marque  d'ellime  &  d'approbation ,  qu'il  ne 
-le  fut  d'apprendre  qu'en  conféquence    de 
cette  tradudionl'on  avoitintlitué  une  Con- 
^frairie  de  l'Adoration  perpétuelle  du   Fils 
^e  Dieu  dans  cet  auguile  Sacrement ,  d: 

y 


p6  L  A  V I B 

qu'il  y  avoit  déjà  quatre  vingt  mille  pcrfoii- 
ncs  qui  s'y  étoiient  faic  infcrire  ;  mais  Bou- 
don  étoic  presque  fait  à  ces  miracles  de  la 
grâce  :  ôc  le  Livre  donrnous  venons  de  par- 
ler ,  étoit  û  eftimé  en  Flandre  ôc  dans  les 
Pays  Bas ,  qu'en  plufieurs  Eglifes  on  Tatta- 
choit  avec  une  petite  chaîne  à  la  table  de  la 
Communion  ,  afin  que  les  Fidèles  puflent , 
•  en  le  lifanr ,  s'enyvrer  d'amour  pour  celui 
qu'ils  alloient  recevoir. 

Voici  le  catalogue  des  Ouvrages  que  ce 
faînt  ôc  infatigable  Ecrivain  a  compofés. 
Nous  les  donnerons  ,  non  félon  l'ordre  des 
tems ,  mais  à  peu  près  félon  l'ordre  des  ma- 
dères. 

I.  Dieu  feul,  ou  l'afTociation  pour  l'inté- 
rct  de  Dieu  feul. 

II.  Dieu  inconnu. 

III.  Dieu  préfent  par-tout. 

.  IV.  La  Gloire  de  la  fainte  Trinité  dans 
les  âmes  du  Purgatoire. 

V.  La  Dévotion  au  Règne  de  Dieu. 

VI.  L'Amour  de  Jefus  autrès-faint 
Sacrement  de  l'AureL 

VIL  La  Vie  cachée  avec  Jefus  en  Dieu. 

VIII.  La  Conduire  de  la  divine  Provi- 
dence ,  Ôc  l'adoration  perpétuelle  qui  lui 
cil  due. 

IX.  Les  Sainres  Voies  de  la  Croix  ,  où  il 
e/l  traité  de  plufieurs  peines  intérieures  Ôc 
extérieures ,  Ôc  des  moyens  d'en  faire  un 
bon  ufage. 


DE  M.  BOUDON.  Liv.  lîî.  /07 

X.  Le  Saint  Efclavage  de  l'admirable  Mè- 
re de  Dieu. 

XI.  La  Dévotion  à  l'Immaculée  Vierge 
^larie ,  Mère  de  Dieu. 

XII.  Avis  catholiques  touchant  la  vérica- 
bl  e  dévotion  à  la  fainre  Vierge. 

XilL  Les  Grands  Secours    de  la  divine 
Providence  par  la  très-facrée  Mère  de  Dieu, 
invoquée  fous  le  titre  de  Notre  -  Dame  du' 
Remède  dans  l'Ordre  de  la  fainre  Trinité. 

XIV.  La  Dévotion  aux  neuf  chœurs  des 
SS,  Anges ,  ôc  en  particulier  aux  SS.  Anges 
Gardiens. 

XV.  La  Dévotion  à  S.  Joachim. 

XVI.  La  Vie  de  S.  Taurin  ,  Apôtre  Ôc 
premjer  Evêque  d'Evreux. 

XVII.  L'Homme  Intérieur ,  ou  la  Vie  du 
Père  Jean-Chryfoftôme  ,  Religieux  -  Péni- 
tent du  Tiers  Ordre  de  S.  François. 

XVIII.  L'Homme  de  Dieu  en  la  perfonne 
du  R.  P.  Jean-Jofeph  Seurin  ,  Religieux  de 
la  Compagnie  de  Jefus. 

XIX.  La  Vie  de  la  Sœur  Marie -Angéli- 
que de  la  Providence  ,  nommée  commu- 
nément Madame  Simon  '^. 

XX.  La  Vive  Flamme  d'amour  dans  le 
bienheureux  Jean  de  la  Croix  ,  premier 
Carme  DéchaufTé  ,  ôc  Coadjuteur  de  fainre 
Thérèfe  d^ms  la  réforme  du  Mont-Carmel. 

XXI.  LeTriomp'iede  la  Croix  en  la  vé- 

*  Cette  Vie  qui  n'avait  point  encore  éié  imprimée  , 
quand  la  première  édition  de  cet  Ouvrage  parut  ,  l'a  éié 
depuis  peu  à  Avignon  ,  comme  je  Tai  déjà  dit, 

Y  ij 


Jô  E  A     Vie 

«érable  Mère  Marie-Elifabeth  de  la  Croix 
de  Jefus ,  Fondatrice  de  jlnilitur  de  Notre- 
Dame  du  Refuge, 

XXII.  De  la  Sainteté  de  l'Etat  Eccléfiafti- 
que. 

XXIII.  Du  Respeél  dû  à  la  fainreté  des 
Egiifes  ,  &  des  profanations  qui  s'y  com- 
inertent. 

XXiV.  Obfervarions  fur  la  Communioa 
ôc  fur  les  cérémonies  de  laMefle* 

XXV.  Le  Malheur  du  monde. 

XXVI.  La  Science  &  la  Piatique  du  Chré^ 
tien. 

XXVII.  La  Scrence  facrée  du  Catéchis- 
me ,  ou  1  obligation  qu'ont  les  Pafteurs  de 
l'cnfcigner,  &:  les  peuples  de  s'en  faire  in^ 
fi  m  ire. 

XXVill.  Le  Chrétien  inconnu  ,  ou  idée* 
de  la  vraie  grandeur  du  Chrétien. 

XXIX.  Le  Règne  de  Dieu  eu  l'Oraifon 
mentale  '^. 

Voilà  les  principaux  Ouvrages  du  grand 
Archidiacre  d'Evreux  ;  car  il  y  en  a  encore-. 
d'autres,  tant  imprimés  que  manufcrits, 
mais  dont  je  ne  puis  parler  exactement, 
parce  que  je  n'ai  pu  les  avoir.  Quand  on 
fera  auention  qu'il  n'a  jamais  manqué  à 
faire  fes  vifires ,  qu'il  a  fait  U4i  grand  nom- 
bre de  MilTions ,  ôc  donné  un  plus  grand 
nombre  de  Retraites  dans  toutes  les  parties 

•  La  plupart  de  ces  Ouvrages  fe  vendent  chez  Jean- 
Xhomas.  Herii&nt,  ^ib,  rue.  S,  Jacques,  à  rinuige  S.  PauU 


DE  xVl.  BOUDON.     Lif .  III.  JC9 

du  Royaume  ,  qu'il  avoir  fans  cefle  a  Ré- 
pondre ,  parce  qu'il  étoit  fans  cefle  con- 
fulré  de  vive  voix  &  par  Lettres  ,  fur  des 
peines  Se  fur  des  matières  fpirituelles  j  que 
de  longs  de  pénibles  voyages  en  des  lieux  de 
dévotion  fouvent  allez  éloignés  de  fon  do- 
micile ,  ne  lui  coutoient  rien  i  je  crois  que 
l'on  tombera  aifément  d'accord  ,  que  Ces 
jours  ont  été  pleins  j  &  que  fon  Juge  né  lui 
aura  pas  reproché  ce  vuide  affreux  ,  qui , 
malgré  nos  prétendues  occupations ,  fera 
un  jour  la  mariere  de  notre  jugement  ,  &C 
qui  pourvoit  bien  être  celle  de  notre  con- 
damnation. 


ADDITION  àla  page  133. 

POur  fçavoir  de  quoi  étoienr  capables  les  Gomariftes , 
il  fuffit  de  lire  la  nouvelle  Vie  de  Grotius ,  par  M.  de 
Burigny.  Il  eft  bon  d'avertir  le  Lecieur ,  que  d<i  tems  de 
M.  ^oudon  ces  malheureux  fe  livroienc  a  des  excès  qui 
cutrageoient  également  ôc  la  F.eligion  ôc  la  plus  commune 
bienféance.  On  le  voit  par  le  Mémoire  que  no:rc  Arciii- 
diacie  fît  concr'eux  ,  pour  être  préfen té  au  Parlement  de 
Rouen.  Ils  ont,  y  difoic-il  en  fubftance  ,  donné  des  coups 
de  couteau  à.  limage  facrée  du  Sauveur  du  monde. 
Ils  ont  attaché  à  une  Croix  un  Cochon  ,  à  la  place  du 
Crucifix.  Us  ont  tiré  un  coup  de  fufil  dans  l'Image  de  la 
.trés-fainreVierg:  ,  ^c.  Poiii  entrer  Cûn s  unefijulte  indi- 
gnation contre  de  pareils  attentats  ,  il  ne  faut  pas  avoir 
autant  de  zèle  qu'en  avcit  M.  Boudon  ;  il  fuffit  d'être  en* 
cote  un  peu  fidèle.  Au  refte,  on  ne  parle  aujourd'hui  ni 
de  Gomariftes  ni  d'Arméniens  dans  le  Diocèfe  d'Evreux. 
Ils  y  font  aulïï  inconnus  que  les  Sociniens  le  font  préiente- 
ment  en  Pologne  ,  où  ils  donnèrent  vers  le  milieu  du 
uéclc  palTé  ,  cette  fameufe  BicLothéque ,  qui  auroit  ren- 
T-erfé  l'Eglife  ,  û  les  portes  de  l'enfer  potivoicnt  la  rca- 
Vfrfer. 

FIN. 


A  P  P  R  O  B  A  T  I  O  N. 

J 'Ai  lu  par  ordre  cîe  Monfeigneur  le  Chance- 
lier ^  la  Tie  de  Meffire  Henri-Marie  Boudon  , 
grand  Archidiacre  d'Evrcux.  Le  récit  des  venus 
de  ce  faiiK  Serviteur  de  Dieu  fera  d'autant  plus 
d'imprefîion  fur  les  Ledeurs  ,  qu'il  a  vécu  de  nos 
jours.  Je  rends  d'autant  plus  volontiers  ce  té- 
moignage à  fa  mémoire,  que  j'ai  eu  l'honneur 
deleconnoîtrc  fur  la  fin  de  fa  vie,  &  que  j'ai  eu 
connoifTance  de  la  plupart  des  faits  qui  font  rap- 
portés par  ici,  le  témoignage  des  perfonnes  ,  qui 
avoient  eu  des  relations  avec  lui*  A  Paris  ^  ce 
ij.  Août,  1755. 

J.  TAMPOMET,   Doreur  &  ancien 
Syndic  de  la  Faculté  de  Théologie  de  Paris. 


APPROBATION. 

T  .  . 

J  Ai  lu  par  ordre  de  Monfeigneur  le  Chancelier 
La  Vie  de  Mefjîre  Henri- Mane  Boudon  ,  Grand 
Archidiacre  d  Evrettx  ,  écrite  par  M.  Collet  ,  &c. 
elle  m'a  paru  édifiante  &  digne  d'être  réim- 
primée. A  Paris  ce  30  Juin  i^6^. 

Signé  ,  P.  G  E  R  M  A I  N. 


PRIVILEGE    DU   ROL 

T       ouïs    ,    PAR.     LA      GaACE     DE     DiEU    ,     RoY    DE 

JLi  France  et  de  Navarre  :  a.  nos  amés  &  féauK 
Conleihers  les  Gens  renans  nos  Cours  de  v'arlem  nt , 
Maîtres  des  Requêtes  or^linaires  de  notre  Hôtel ,  Grand- 


Confeil  ,  PrevAt  de  Pa'^is  ,  Baillifs  ,    Sénéchaux  ,  îcuri 
Lieucenans  Civils  ,  &  autres  nos  Julliciers  qu'il  appartien- 
dra :    S  A  t  u  T.   Noire  amé    H  t  R  I  S  5  A  N  r  ,   Li- 
braire à  Paris  ,  Nous  ayanc    fait  expofer  quM  derireroic 
réi.nprimer  èc  donner  au   i  ublic  ,    un  Livre  qui  a  pour 
Titre  :  La  Vie  de  M.  Boudon  ,   archidiacre  d'Evnux  , 
s'jI    N'ous    plaifoit   lui    accorder  nos  Lettïes    de    Fer- 
miilîon  pour    ce    néceïïaires.    A    ces    causes, 
voulant   favorablement  traiter  TExpora-^t  ,  Nous  Iiii  avons 
permis  &  permettons  par  ces  Préientes ,  de  faire   réim- 
primer   ledit   Livre    autant    de  fois   '.]ue  bon    lui    tem- 
blera ,  &   de  le  vendre ,  faire  vendre  &  débiier   par  tout 
notre  Royaume  ,  pendant  le  tems  de  trois  années    con- 
fécutives  ,  à  comprei  du  jour  de  la  dare  dcf.iites  Préien- 
tes ;   Faifons  defen:'cs  à  tous  Impriir.eurs  ,   Libraires  & 
autres  perfonnes ,  <ie  quelque  qualité  &.  condidon  quelles 
foient   ,  d'en  introduire  d'impreffion  étrangère  i!ans  au- 
cun lieu  de  notre  obéifiance  ;  à  la  charge  que  ces  Préfentcs 
feront    enregiitrécs  tout  au   long   fur  le    Regiftre    de    'a 
Communauté  des  Imprimeurs  6c  Libraires  de  Paris  ,   dans 
trois   mois  de  la   dare    d'iceKes  ;   que  TimprelTion  dudit 
Livre   fera  faite  dans  notre  Royaume    &  non    ailleurs  ; 
en  bon  papier  &  beaux  caraéléres  ,  conformément  à  la 
feuille  imprimée  attachée  peur  modèle  fous  le  contre- 
fcel  des   Préientes  ;  que   Tlmpéirant  fe    conformera  en 
tout  aux  Réglemens  de  la    Librairie   ,    &   notamment  à 
celui  du  dix  Avril  mil  fept  cent  vingt-cinq;  &  qu'avant 
de  recspoler  en    venxe    ,  l'imprimé    qui    aura  fervi   de 
copie  à  la  réimpreflion  dudit  Livre  ,   fera  remis  dans  le 
même  état  où    l'Approbation   y  aura    été    donnée   ,  ès 
mains  de  notre  très-cher  &  féal  Chevalier  ,  Chancelier  de 
France,   le  fieur  D£i.amoi3.som  ,  &  qu'il  en   fera  en- 
fuite   remis    deux    Exemplaires  dans    notre    Bibliothèque 
publique   ,  ua   dans   celle  de  notre  Château   du  Louvre  , 
un  dans  celle  dudit  Sieur  Delamoickon  ,&   un  dans 
celle  de  notre  très-cher  &  féal  Chevalier  ,  Garde  des 
Sceaux  de  France  ,   e  Sieur  Feydeau   de  Erou  ,  le  tout 
à  peine  de  nullité  des  Préfentcs  ;  Du  contenu  defquelles 
vous  mandons  &  enjoignons  de  faire  jouir  ledit  Expo- 
fant  ou  fes  ayans  caufes  ,   pleinement  &   paisiblement   , 
fans  fouffrir  qu'il  leur  foit  fait  aucun  trouble  ou  empêche- 
ment.  Voulons  que  la  copie  des  Préfentes ,  qui  fera    im- 
primée tout  au  long  au  commencement  ou  à  la  fin  dudit 
Live  ,  foi  foit  aj  uiée  comme  à  l'Originai  ;  Com.mandons 
au  premier  notre  Huifiîer  ou  Sergent  ,  fur  ce  requis ,  de 
ùire  pour  Téxécudon  d'icelies ,  tous  Aâes  requis  &  néft 


^^efTaîres,  fans  demander  autre  permîflîon ,  &  nonobûant 
Clameur  de  Haro  ,  Charte  Normande  ,  &  Lentes  à  ce 
contraires  ;  Car  tel  est  notre  plaisir.  Donné  à 
Paris  le  cinquième  jour  du  mois  d'0£tobre  ,  Tan  de 
grâce  mil  fept  cent  foixante-deux  ,  &  de  notre  Règne 
ie  quarante-huitième.  Par  le  Roi  en  fon  Confeil. 

Signé  ,    L  E  B  E  G  U  E, 

Rcg'iflré  fur  le  Rcgi/îre  XV.  de  la  Chambre  Ro  aie  & 
Syndicale  des  Libraires  &  Imprimeurs  de  ïaris  ,  N'^.  7^4. 
fol.  350.  conformément  au  Règlement  de  lyzi.  A  Paris, 
.£C  ïi^O^obre  1762. 

Signé  y  L  E  B  R  E  T  0  N  ySyndk. 


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